Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
24 avril 2022 7 24 /04 /avril /2022 22:00
Le fond de l'encrier, de Bertrand Baumann

À force de lire des romans, il me prend parfois l'envie d'imaginer des vies aussi. Mais la tentation de la fiction ne dure pas, je sais que je suis peu capable d'en écrire. D'ailleurs, au fond, cela ne m'intéresse pas.

 

Alors Bertrand Baumann écrit des notules. Il suit en cela l'exemple du peintre Eugène Delacroix qui écrivait, dans son journal, à la date du mardi 7 mai 1850, ces mots qui [lui] conviennent bien:

 

Pourquoi ne pas faire un petit recueil d'idées détachées qui me viennent toutes moulées et auxquelles il serait difficile d'en coudre d'autres?

 

Ainsi n'est-il pas tendre avec les médias; ils propagent une pseudo-information, abreuvée aux mêmes sources, répondant à une psychologie obsessionnelle et provoquant l'addiction du consommateur:

 

Bref, [...] elle désinforme quant au monde, mais formate et déforme ses clients pour en faire des copies de citoyens conformes aux voeux des Systèmes.

 

S'il vit dans une démocratie, il n'est pas démocrate: il me suffit de savoir qu'un livre, un film, a un grand succès pour ne pas avoir envie de le lire, de le voir. C'est au point, incorrect, qu'il ose écrire:

 

J'irais presque jusqu'à me féliciter, après une votation, que le peuple suisse qui fait les majorités n'ait pas voté comme moi (ce qui arrive généralement).

 

Plus haut, il écrit, au sujet des élections, que tout le monde sait depuis toujours que les politiciens ne s'intéressent qu'au pouvoir - et à l'argent qui le matérialise -, mais on n'a pas réussi à se passer d'eux:

 

En face du gouvernement, je me sens anarchiste; mais s'il n'y avait plus de gouvernement, quelle serait ma position?

 

Dans ce troisième volume de notules, il se fait également greffier des saisons, parle de ses relations avec ses parents, avec ses proches, femmes et enfants, de ce qu'il aime et de ce qu'il déteste.

 

Ainsi, par exemple, aime-t-il Georges Brassens, qu'il dit réécouter pour la millième fois:

 

Voilà le Bon Sens, la Modestie personnifiés, avec un Courage trop peu remarqué, avec un sens de la Langue Française qui attendait depuis François Villon d'être réincarné.

 

Ainsi, par exemple, déteste-t-il Jean-Jacques Rousseau, à l'exception de sa Cinquième Promenade des Rêveries du promeneur solitaire, pour son style1 qui [en] épouse si parfaitement le thème :

 

Beaucoup plus sûrement que Voltaire, il est le père de la Révolution, du Chaos, de la Dictature du plus grand nombre. Rousseau fut prolifique d'idées et d'enfants: que n'eût-il plutôt abandonné ses idées et élevé ses enfants.

 

Dans ces notules, il est beaucoup question de rêves: ils lui reviennent dès qu'il se réveille et il écrit sous leur dictée. Quand il ne rêve pas, il se laisse aller à la rêverie que ses lectures sécrètent en lui. 

 

La lecture de Jules Verne, qui lui a offert des voyages imaginaires dans des mondes parallèles, lui est plus profitable que celle de Hegel qui s'efforce de réduire la totalité du réel à des schémas rationnels.

 

Bien qu'il s'en défende, il philosophe, l'âge aidant, ou pas - il est né en 1941 -, dans ce livre qu'il a écrit de septembre 2014 à février 2020, soit juste avant que ne se développe la pandémie de Covid-19:

 

- Oui, la vie a un sens, un sens unique: de la naissance à la mort. Impossible de faire demi-tour, même de s'arrêter. À cela un seul remède, vivre dans l'instant.

 

- Je me console d'une mémoire très ordinaire en me disant que l'érudition est une arme à double tranchant: trop d'érudits se dispensent de réfléchir; ils entassent des faits, dans l'attente que cette accumulation produise du sens.

 

Le lecteur n'est donc pas surpris que l'auteur s'interroge sur ce à quoi le mènent toutes ces notules, détachées les unes des autres, mais qui pourtant ont le grand mérite de donner matière à réflexion:

 

Chaque notule est un pas pour sortir du labyrinthe, mais maintenant, suis-je dedans ou dehors?

 

Francis Richard

 

1 - L'auteur considère d'ailleurs que la langue française est à son apogée à la fin du XVIIIe siècle, quand toute l'Europe parlait cette langue merveilleuse.

 

Le fond de l'encrier, Bertrand Baumann, 192 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

 

Écrit dans le vent (2013)

De rien, c'est-à-dire de tout (2017)

 

Collectif:

 

La Suisse est un village (2016)

Partager cet article
Repost0
21 avril 2022 4 21 /04 /avril /2022 18:45
Miseria, de Maeva Christelle Dubois

 

La justice n'est décidément pas de ce monde, serait-on tenté de dire après avoir lu Miseria, qui, pour l'auteure, Maeva Christelle Dubois, est le mot pour dire la vraie misère d'ici bas.

 

Le lieu du récit, La Croix-de-Sel, n'est guère enchanteur. Ce n'est pas une ville, ni même un village: c'est un port, juste un port, perdu tout en bas, niché au creux de roches escarpées.

 

Y vivent des pêcheurs (enfin, il faudrait plutôt dire, survivent) dans des cabanes sur pilotis, séparées de la mer par une lande, qui, une fois par mois, est envahie par une déferlante.

 

Ce roman est d'abord l'histoire de Marcelle, dont le père, après qu'il a perdu son emploi d'ostréiculteur, s'est séparé d'elle, pour lui éviter l'errance, en la confiant à une veuve.

 

Marcelle en part cependant, non sans avoir appris à lire et à écrire et, au bout de son errance, et du littoral, rencontre Émile à La Croix-de-Sel, où se pratique la pêche côtière.

 

Les habitants survivent grâce à un magnat, qui leur achète leur pêche à bas prix, suffisant pour ne pas mourir, et qui, à l'abri des déferlantes, vit dans un mas surplombant la baie.

 

Marcelle épouse Émile. Ils ont un premier et bel enfant, Sébastien. Minot survient après, inattendu. Autant son frère est un enfant de l'océan et de la pauvreté, autant il n'est rien.

 

Ce roman est ensuite l'histoire de Minot, venu au monde sans que sa mère ait parue enceinte de lui. De plus, depuis sa naissance il garde les paupières closes, indéfiniment.

 

Minot est aussi faible, ce déferlé, que Sébastien est fort, comme une déferlante. Il fait davantage pitié qu'envie jusqu'au jour, celui de la mort du magnat, où il ouvre les yeux:

 

Les yeux de l'enfant avaient, en leur centre, la couleur de l'or pur. Il possédait, derrière la cornée, deux soleils brûlants qui brillaient en transparence, deux billes précieuses cerclées d'un ambre hypnotique.

 

Dès lors, le lecteur est certain qu'il ne s'agit pas d'un roman, mais plutôt d'un conte, où trois des cinq éléments fondamentaux, les eaux, les cieux et le feu rythment la progression.

 

Les yeux de feu de Minot promettent à Marcelle bien des bouleversements. A leur faveur, Minot pourrait ne plus être rien. Encore faudrait-il que lui-même voie ce qu'il y a à voir... 

 

Francis Richard

 

Miseria, Maeva Christelle Dubois, 180 pages, Les Éditions Romann

 

Livre précédent:

 

L'Ode et le Requiem (2019)

Partager cet article
Repost0
19 avril 2022 2 19 /04 /avril /2022 19:55
Dans la peau de Bukowski, d'Alain Barbanel

J'écrivais dans l'ombre de moi-même, souvent contre même, et le seul dont j'aurais pu accepter la critique était Charles Bukowski en personne. J'en avais décidé ainsi. Ses textes m'avaient donné envie de créer, et m'injectaient de l'adrénaline à haute dose. Je décidais de les lui adresser systématiquement. Je lui devais bien cela.

 

Marcus Whitmann veut devenir écrivain. Mais ne devient pas écrivain qui veut. Il essaie donc de percer le secret de la réussite de Charles Bukowski, qui emploie plusieurs pseudonymes, dont celui de Hank.

 

Ce roman met en scène Marcus et Hank. Marcus veut se mettre Dans la peau de Bukowski et l'auteur, Alain Barbanel, qui connaît très bien l'homme et l'oeuvre, se met aussi, avec jubilation, dans celle de Hank.

 

Marcus est né dans une famille aimante, de la classe moyenne. Ses parents voulaient qu'il ait un vrai métier, médecin, ingénieur ou avocat. Mais, ayant échoué dans ses études de droit, il revient à l'écriture.

 

Ses parents ne s'y opposent pas, lui facilitent même les choses et lui procurent le gîte et le couvert, afin qu'il se consacre à l'art suprême pour lequel il se croit fait: le talent viendra à force de travail et d'effort.

 

Hank ne bénéficie pas des mêmes conditions. Il doit se faire lui-même. Ses parents ne s'entendent pas. Son père est un tyran domestique castrateur et violent. Aussi écrit-il pour respirer et libérer [sa] conscience.

 

Hank carbure à la bière et au vin. Il est volontiers bagarreur. Avec les femmes, il n'y va pas par quatre chemins. C'est comme quand il écrit, il ne cherche pas à plaire ou à séduire, ce serait même plutôt le contraire.

 

Tout oppose donc Marcus, conscient de sa médiocrité, né une cuillère dorée dans la bouche, et Hank, conscient de ce qu'il est, l'attribuant à l'inconfort dans lequel il a vécu et sans lequel il n'écrirait pas une ligne.

 

Marcus et Hank se rencontrent à l'occasion d'une de ces multiples lectures que ce dernier fait parce qu'elles sont rémunératrices et au cours desquelles, quoi qu'il dise, il suscite vénérations et applaudissements.

 

Marcus revient plusieurs fois à la charge pour se faire accepter par Hank. Une fois accepté, il pourra mettre à exécution l'idée incongrue et indécente de lui proposer d'échanger leurs vies pour qu'il puisse enfin créer.

 

À Hank ne déplaît pas que Marcus en ait dans la caboche et qu'il ait du culot. Aussi s'apprête-t-il à lui faire comprendre ce qu'est un écrivain, ce dont le pathétique Marcus ne semble pas avoir la moindre idée:

 

C'est pas un boulot l'écriture, t'es pas dans un bureau quand t'accouches ton âme, même pas sur une table, t'es juste dans ta peur de ne pas trouver le mot juste, le plus précis, le plus honnête. Tu tapes sur ta bécane à écrire et tu réfléchis après, toujours après.

 

La suite et la fin de l'histoire, à laquelle se mêlent des événements qui devraient mettre la puce à l'oreille du lecteur, réservent quelques surprises d'auteur, dont le petit air frais subversif n'aurait pas déplu à Bukowski...

 

Francis Richard

 

Dans la peau de Bukowski, Alain Barbanel, 160 pages, Les Impliqués Éditeur

Partager cet article
Repost0
18 avril 2022 1 18 /04 /avril /2022 17:55
Larmes de renard, de Matteo Salvadore

L'animal feula, terrorisé. Il était superbe, sa fourrure détonnait avec la couleur des maisons du village. Ses poils brûlants se hérissèrent, et il sortit les crocs. Camille fit un pas de plus, la bête l'imita. Puis un autre, et l'animal fit de même. Puis il baissa la tête, comme pour se laisser caresser, et Camille fit encore un pas, le dernier. Elle s'agenouilla, et l'animal la regarda longuement.

Elle eut l'impression que la bête pleurait.

 

Ce passage du prologue, qui ne dit pas son nom, donne d'emblée envie au lecteur d'en savoir davantage. Le nom de Camille, dont la police ignore l'existence pendant un bon moment, n'apparaît qu'un peu plus loin, à la faveur d'un récit qui remonte au 12 juin 1991...

 

En attendant de comprendre pourquoi ce retour en arrière, le lecteur apprend peu à peu que deux crimes ont été commis dans la région de Vevey, l'un dans les hauteurs de Jongny, l'autre dans un marécage perdu au milieu de la réserve des Grangettes de Noville.

 

Le mode opératoire est le même. Les deux corps ont été carbonisés et, à proximité, dans chacun des deux cas, le cadavre d'un renard a été trouvé, l'un cloué sur la porte de la maison de la première victime, l'autre planté sur le tronc d'un arbre à l'aide d'un grand clou.

 

Les deux crimes sont sûrement liés, d'autant que les deux victimes, Christiane et Gabriella, se connaissaient et que le lecteur sait déjà par le récit de 1991 qu'elles vont participer avec deux autres amies, Marie et Camille, à une virée à Genève pour la grève des femmes.

 

Quelques mois plus tôt, l'inspectrice principale Maude Colomb a été promue à la tête de la Criminelle de Vevey, après être passée par les Stups et les Moeurs. Ayant la confiance de son chef, elle ne peut se permettre de la trahir et doit obtenir des résultats très rapidement.

 

La presse s'est emparée de ces crimes et est en train d'alerter le public sur le danger que représente un tueur en série en liberté. Heureusement Maude Colomb peut compter sur une équipe à la hauteur et a elle-même des aptitudes physiques que celle-ci pourrait lui envier.

 

La solution de l'énigme se trouve dans des événements fatidiques qui se sont produits trente ans auparavant autour de la date historique du 14 juin 1991 et qui sont rapportés partiellement par l'auteur, parallèlement au récit de l'enquête menée par les policiers de Vevey.

 

Le lecteur attendra patiemment les dernières pages de Larmes de renard pour comprendre pourquoi le ou, vraisemblablement, les meurtriers ont exposé des dépouilles de renard, brûlé les corps de Christiane et Gabriella, et apprendre le sort réservé à Camille, puis à Marie.

 

Au cours du récit Matteo Salvadore fait entendre la voix de Camille, la vingtaine, aux prises avec un père imbu de son autorité et qui ne veut pas lui laisser la bride sur le cou. Aussi le lecteur peut-il penser qu'il détient là la clé de l'énigme, mais ce serait trop simple...

 

Francis Richard

 

Larmes de renard, Matteo Salvadore, 346 pages, Plaisir de Lire

Partager cet article
Repost0
15 avril 2022 5 15 /04 /avril /2022 17:15
L'Odrre n'a pas d'ipmrotncae, de Raymond Vouillamoz

Avec son revêtement ocre la place [la plaine de Plainpalais, à Genève] ressemble à un court de tennis géant sans filet. Je lève la tête et je découvre sur le toit d'une banque privée un panneau publicitaire: L'ODRRE N'A PAS D'IPMROTNCAE.

 

Fraîchement débarquée dans la cité de Calvin, en 2016, Louna Maréchal, jeune française - elle a dix-huit ans -, originaire de l'Île d'Aix, décide de faire sien ce slogan tordu.

 

Pour financer ses études, elle enfreint d'ailleurs l'ordre moral, sans importance, en se prostituant, ce qui va lui permettre de connaître toutes sortes de spécimens humains.

 

Ses pas la conduisent, accompagnée de son logeur, le vieil Alfred, à se rendre en Guyane pour étudier le chamanisme, où elle rencontre Charly, son futur mari, à Kourou.

 

Louna ignore que, dans sa descendance, Embellie Zen Zaenen, étudie la possibilité de s'affranchir des limites de l'espace-temps dans lesquels les humains sont enfermés.

 

En ce XXIe siècle, selon d'aucuns, la planète est en danger: conflits armés, famines, calamités naturelles, pandémies mortelles, destructions de la flore et de la faune.

 

Au XXIIIe siècle, celui d'Embellie, les perspectives ne sont guère meilleures. C'est pourquoi celle-ci tente de communiquer avec sa lointaine aïeule pour infléchir l'Histoire.

 

L'intelligence humaine a cédé le pas à l'artificielle, qui est pourtant sa création mais qui, imprégnée de son exemple, quand elle n'est pas hybride, aspire à l'indépendance.

 

Si l'on s'affranchissait de l'espace-temps, empêcherait-t-on que ne survienne la servitude numérique promise avec le développement et la domination de l'intelligence artificielle?

 

Finalement, celle-ci n'est-elle pas préférable à l'intelligence humaine, responsable de tous les maux? Ou, au fond, n'est-elle pas, censée le guérir, un remède pire que le mal?

 

Deux siècles plus tard, il semble que le progrès ait résolu bien des problèmes, mais qu'il en ait créé d'autres, si bien que l'humanité pourrait bien être davantage en péril.

 

Bref, pourquoi intervenir dans le désordre toujours recommencé du temps si le puzzle de la vie est le fruit du hasard de l'évolution des espèces et de la nécessité de la survie?

 

Francis Richard

 

L'Odrre n'a pas d'ipmrotncae, Raymond Vouillamoz, 304 pages, Éditions de l'Aire

Partager cet article
Repost0
12 avril 2022 2 12 /04 /avril /2022 22:55
Hermès Baby, de Louise De Bergh

La machine à écrire vert menthe que s'était achetée Élise dans les années 60 ! Une Hermès Baby. La même que celle de Françoise Sagan, avait raconté Dora dans son journal.

 

Dans ce court passage de juin 2017, Françoise, qui doit son prénom à l'auteure de Bonjour Tristesse, cite deux des femmes de sa lignée. Il ne manque plus donc qu'Adèle.

 

Dans ce roman, dont le titre est le nom d'une machine à écrire, Louise De Bergh raconte la vie de quatre femmes qui apparaissent dans cet ordre: Françoise, Adèle, Dora, Élise.

 

Peu à peu le lecteur apprend qu'Adèle est l'arrière-grand-mère de Françoise, Dora sa grand-mère et Élise sa mère. Seules Françoise et Dora s'expriment à la première personne.

 

Le temps d'Adèle est celui des années 1910 à Vienne, celui d'Élise les années 1970-1980 à travers le monde, tandis que Dora et Élise se voient en France dans les années 2010.

 

Ces femmes, en dehors de leur parenté, ont en commun de ne pouvoir ou savoir garder l'homme de leur vie. Malgré qu'elles en aient, il leur échappe d'une manière ou d'une autre.

 

Pour trois d'entre elles, cet homme est un artiste: elles sont douées pour faire des dessins, qui se déduisent les uns des autres et s'inspirent de ceux du premier de ces artistes.

 

Dora, tant qu'elle le peut (elle est bientôt centenaire), se sert d'une machine à écrire pour tenir journal. Elle en a eu plusieurs: Les machines à écrire sont restées mes meilleures amies.

 

Il faut croire que c'est héréditaire puisque sa fille Élise en a acquis une, une Hermès Baby. Françoise doit se servir plutôt d'un ordinateur, mais elle écrit elle aussi, pour comprendre.

 

Dora, sa grand-mère, si elle ne lui a pas beaucoup parlé de sa mère et de son arrière-grand-mère, a tenu journal pour qu'un jour, quand elle le lira, elle comprenne ce qui était tu.

 

Sera rompu le silence destructeur qui, au début de la lignée, à la suite d'un amour déçu, a saisi ces femmes: la boucle des traits tracés par le premier des artistes aimés sera bouclée... 

 

Francis Richard

 

Hermès Baby, Louise De Bergh, 312 pages, Éditions Romann

Partager cet article
Repost0
8 avril 2022 5 08 /04 /avril /2022 19:15
Malencontre, de Jérôme Meizoz

Il ne fallait pas me parler d'inspiration, de mots justes et d'idées en cascade, ça ne marchait pas, j'étais au mieux une fontaine pendant les grands gels.

 

Autrement dit le narrateur est en mal d'inspiration. Il y a une explication: il aimerait raconter l'histoire de Rosalba, mais il ne veut, ou ne peut, pas se l'avouer et cela le fige.

 

L'histoire de Rosalba, c'est l'histoire d'un amour qui n'a pas existé pour la simple raison qu'il l'aimait et qu'elle n'en a jamais rien su. Platonique? Non pas, imaginaire.

 

Quand il se souvient d'elle, il imagine ce que leur amour aurait été s'il avait pu le lui déclarer. Il se le raconte à ce moment-là au conditionnel présent et, même, passé.

 

Quand il est tombé amoureux, il avait quinze ans et elle en avait dix-sept. La différence ne jouait pas en sa faveur et puis il vivait dans un autre monde, celui des livres.

 

Pourtant, bien des années plus tard, le déclic sera la disparition de Rosalba, alors que, mariée à vingt ans, ayant eu trois enfants, rien ne laissait supposer son évaporation.

 

Pour en avoir le coeur net, et peut-être pour compenser ou venger son amour non vécu avec elle, ce propagateur de théories à la con, décide de mener son enquête.

 

Alors ce Chinois, sobriquet dû à ce qu'il est une sorte de curiosité et qu'il a étudié les Langues Orientales à Paris, se met à recueillir moult témoignages au village.

 

Il en ressort que, des années durant, Rosalba était la prisonnière de la famille dont elle avait épousé un des membres et qui s'était enrichie dans la Casse de voitures.

 

Pour échapper un peu à ce clan, dont, à partir de ces témoignages, le narrateur dresse un portrait peu flatteur, Rosalba fréquentait les Hollandais, à la richesse tranquille.

 

Le Chinois se révèle incapable de retracer les faits de A à Z sans partir dans le décor, son amour persistant sans doute, fût-ce à bas bruit. N'est-ce pas ce qui fait son charme?

 

Le mystère est dévoilé à la fin de cette quête chaotique. Mais, serait-il le Chinois autrement, il dit allusivement seulement comment Rosalba a su se faire respecter.

 

Francis Richard

 

Malencontre, Jérôme Meizoz, 160 pages, Zoé

 

Livre précédent à La Baconnière:

 

Haute trahison (2018)

 

Livres précédents chez Zoé:

 

Séismes (2013)

Haut Val des loups (2015)

Faire le garçon (2017)

Absolument modernes ! (2019)

Partager cet article
Repost0
28 mars 2022 1 28 /03 /mars /2022 22:55
L'ombre de Sissi, de Serge Heughebaert

- Vous vous intéressez à Sissi, je lui demande pour engager une conversation.

- C'est sur ce bateau que Sissi est montée juste avant de rendre son dernier souffle. Mon prénom est Élizabeth.

 

Jean Godewaersvelde doit démarrer un roman. Il fait signe à Élizabeth de Grangeville pour l'avertir que des skaters déboulent derrière elle. Elle fait alors un pas de côté et est bousculée brutalement par un pithécanthrope à roulettes.

 

Pour se remettre de ces émotions ils prennent un verre à bord du bateau, le Genève, vapeur transformé en buvette. Après qu'elle se fut assise sur un banc, un livre avait glissé de son sac et il le lui avait tendu, découvrant le titre: Sissi.

 

Confidence pour confidence, elle écrit également, à propos de Sissi, sur laquelle elle est intarissable. À partir de cette rencontre, ils hantent ensemble les grands hôtels que l'impératrice autrichienne a fréquentés autour du lac Léman.

 

Dans ce roman, il y a double identification, celle de l'auteur avec son alter ego, dont le patronyme s'orthographie aussi difficilement que le sien, et celle de son héroïne, d'origine hongroise, qui porte le même prénom que Sissi.

 

Les deux font la paire et se donnent la réplique pour le grand bonheur du lecteur. Au fond ils ne se sont peut-être pas rencontrés par hasard, tant il est vrai qu'il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous, comme disait Eluard.

 

Dis-moi qui tu cites, je te dirai qui tu es. Jean cite également Brel, Brassens, Hemingway, Andersen, Camus, Giono ou Bazin, avec lequel il est devenu ami à la fin de sa vie, comme - c'est un pur hasard - ce fut le cas de l'auteur.

 

D'un premier mariage, Élizabeth a eu Dorian. Pour lui assurer sécurité, elle s'est remariée, non pas avec Jordan, qui était pour elle comme un frère et pour Dorian comme un père, mais avec Grangeville, empereur de l'immobilier...

 

Ce qu'il advint de Rodolphe, le fils de Sissi, est comparable à ce que devient Dorian: le bonheur pour un enfant n'est pas dans la sécurité mais dans l'amour qu'on lui porte. Une des raisons pour lesquelles Élizabeth s'identifie à Sissi.

 

Dans un cas comme dans l'autre, l'insouciance, aussi bien au sens propre qu'au figuré, sera assassinée de ne pas l'avoir compris. La consolation de Jean sera d'en tirer matière à roman et d'en faire une fin romantique sinon romanesque.

 

Francis Richard

 

L'ombre de Sissi - L'insouciance assassinée, Serge Heughebaert, 184 pages, Slatkine

 

Livre précédent à L'Âge d'Homme:

 

Traces (2017)

Partager cet article
Repost0
26 mars 2022 6 26 /03 /mars /2022 17:25
L'Affaire Alaska Sanders, de Joël Dicker

La dernière personne à l'avoir vue en vie fut Lewis Jacob, le propriétaire d'une station-service1 située sur la route 21.

 

Elle, c'est Alaska Sanders, 22 ans, retrouvée morte le 3 avril 1999 à Mount Pleasant, New-Hampshire, par une joggeuse, Lauren Donovan, qui, terrorisée, se rend en courant à la station-service de Lewis Jacob pour y trouver de l'aide.

 

L'enquête est alors menée par le sergent Perry Gahalowood et le sergent Mat Vance, auxquels un troisième policier, Kazinsky, est adjoint,  parce que Gahalowood sera père incessamment sous peu et peut être appelé à tout moment.

 

Assez vite L'Affaire Alaska Sanders est bouclée. Tous les éléments convergent pour inculper le petit ami d'Alaska, Walter Carrey:

- une lettre anonyme, retrouvée dans la poche d'Alaska, a été éditée avec son imprimante, qui a un défaut spécifique; elle est ainsi libellée:

JE SAIS CE QUE TU AS FAIT

- un pull taché du sang de la victime portant son ADN est retrouvé à proximité dans une roulotte abandonnée;

- des débris d'un feu arrière et des traces de peinture noire, près du lieu du drame, correspondent à sa voiture, qu'il a fait réparer en urgence par un copain;

- et surtout, il est passé aux aveux dans une vidéo réalisée au commissariat et où il révèle qu'il n'a pas agi seul, accusant son ami Eric Donovan de complicité.

 

Onze ans plus tard, Marcus Goldman, l'écrivain qui a réussi à faire innocenter Harry Quebert, se morfond après que Reagan, avec laquelle il devait faire un voyage en amoureux, lui a avoué être une femme mariée et s'est finalement défilée.

 

Comme Quebert est introuvable depuis de longs mois, il ne lui reste plus qu'une seule personne auprès de qui s'épancher, Perry Gahalowood, avec qui il a enquêté pour innocenter Harry du meurtre de sa maîtresse Nola Kellergan.

 

S'étant rendu chez les Gahalowood, Marcus Goldman est amené à rouvrir avec Perry l'enquête sur la mort d'Alaska Sanders, car des zones d'ombre demeurent et la culpabilité d'Eric, le seul survivant, en prison, est incertaine.

 

Certes l'ADN d'Eric Donovan se trouve également sur le pull taché du sang de la victime et, chez lui, est découvert un autre exemplaire de la lettre anonyme placée dans la poche d'Alaska, mais peut-être a-t-il tout simplement été piégé.

 

L'enquête que Perry et Marcus mènent est semée d'embûches et rebondit souvent parce qu'onze ans se sont écoulés, que les témoins mentent, volontairement ou non, ce qui empêche longtemps de connaître la vérité sur le meurtre d'Alaska.

 

Comme cette enquête fourmille de détails, l'auteur se montre bienveillant avec le lecteur et ménage sa mémoire; des piqûres de rappel, bien opportunes, lui évitent ainsi de faire continuellement des retours dans les chapitres précédents.

 

Marcus Goldman a de sérieux points communs avec Joël Dicker. Comme lui, il a eu du succès avec son roman La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert et s'apprête à en écrire un autre sur ses cousins qu'il intitulera Le Livre des Baltimore.

 

Cela ne signifie pas qu'il puisse dire: Marcus, c'est moi, à l'instar du mot prêté à Gustave Flaubert: Madame Bovary, c'est moi. Cependant, ce dernier livre revient sur un thème qui est cher à son personnage (et à lui-même?): pourquoi écrire?

 

Ce pourquoi n'est-il pas la réparation des autres qui le meut lui le vagabond magnifique de la littérature, et peut-être aussi son créateur? Dicker, aurait-t-il, comme Goldman, quelque chose à se pardonner? Mais cela ne regarde pas le lecteur...

 

Ce qui le regarde, c'est que Goldman cherchera enfin à se poser et à se consacrer à l'écriture en se trouvant une maison d'écrivain, suivant le conseil de son mentor, et que Dicker a créé sa propre maison d'édition après la disparition du sien:

 

C'est parce que je suis convaincu du pouvoir de la littérature que j'ai eu envie de créer ma propre maison d'édition, autour des lecteurs, autour de la lecture, autour de l'écriture. Une maison dont la devise est simple: faire lire et écrire.

 

Francis Richard

 

1 - Une station-service qui doit ressembler à celle du tableau d'Edward Hopper qui illustre la couverture.

 

L'Affaire Alaska Sanders, Joël Dicker, 576 pages, Rosie & Wolfe

 

Livres précédents:

 

Les derniers jours de nos pères (2012)

La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert (2012)

Le Livre des Baltimore (2015)

La Disparition de Stephanie Mailer (2018)

Le Tigre (2019)

L'Énigme de la Chambre 622 (2020)

Partager cet article
Repost0
18 mars 2022 5 18 /03 /mars /2022 23:35
Moi cet autre, d'Antonin Moeri

Qu'est-ce que moi? Y aurait-il quelqu'un à l'intérieur, quelqu'un que je ne connais pas? Il semblerait que le Moi ne se prolonge que par la mémoire et que, peut-être pour être le même, je devrais me souvenir d'avoir été.

 

Moi cet autre est-il un recueil de nouvelles? Il n'y a pas de chutes... Ce serait donc plutôt un recueil de chroniques où celui qui tient la plume est peut-être Antonin Moeri, ou peut-être un autre...

 

Le lecteur en tout cas est malmené. Il ne sait que penser, parce qu'il lui est bien difficile de démêler le vrai du faux, mais doit-il seulement tenter de le faire? Est-ce de quelque importance?

 

Toujours est-il que l'auteur jongle avec la langue. S'adressant à cet autre moi, qui n'en est pas forcément un, il emploie le tutoiement, puis il reprend tout de go le récit à la première personne.

 

La troisième est réservée à des tiers qu'il observe, avec mélange. Car tout le monde ne lui plaît pas et il est tenté de se le reprocher sévèrement, s'interrogeant même sur le droit de juger.

 

Ces chroniques révèlent un fin observateur, très au courant par exemple des modes vestimentaires des personnes qu'il croque parfois de manière incisive, mais jamais avec méchanceté.

 

Le chroniqueur est de fait curieux des êtres et des choses, des hommes et surtout des femmes, pour lesquelles il a une dilection indéniable, allant pour certaines d'entre elles jusqu'à l'intime.

 

Les premières chroniques sont relatives à des souvenirs réels ou imaginés d'enfance et d'adolescence, les deuxièmes mettent plutôt en scène des voisins ou des inconnus rencontrés ici ou là.

 

Le masculin ici employé est neutre. Car les personnes rencontrées sont du sexe masculin ou féminin, aux prises souvent avec ce que l'auteur appelle les petits riens de la vie, en fait très importants.

 

Les troisièmes chroniques retracent son éducation sentimentale: il se penche sur son passé et découvre parfois que celui-ci joue les prolongations, non sans agréments, jusqu'à son présent.

 

Les deux dernières chroniques traitent de la dernière station de la vie et du retranchement de la société humaine. Comme les précédentes elles portent la patte singulière et originale de l'auteur.

 

Une fois le livre refermé, si le lecteur aura en effet bien du mal à se rappeler tout ce que l'auteur lui aura confié, il retiendra surtout les vives impressions que lui aura laissées son regard aiguisé.

 

Francis Richard

 

Moi cet autre, Antonin Moeri, 288 pages, Bernard Campiche

 

Livres précédents:

 

Juste un jour (2007)

Encore chéri ! (2013)

Pap's (2015)

L'homme en veste de pyjama (2017)

Ramdam (2019)

Partager cet article
Repost0
16 mars 2022 3 16 /03 /mars /2022 23:55
Il n'y a pas d'arc-en-ciel au paradis, de Nétonon Noël Ndjékéry

Le prologue et l'épilogue d'Il n'y a pas d'arc-en-ciel au paradis se situent en juin 2017, mois du Ramadan 1438 selon l'Hégire. Ils mettent en scène un homme qui se croit au paradis, le Jardin où coulent des ruisseaux de lait et des rivières de miel.

 

Cet homme est le descendant d'une lignée qui a commencé longtemps, bien longtemps avant que le mot de cinq lettres, Tchad, ne désigne la grande étendue d'eau qui se trouve au coeur de l'Afrique subsaharienne, la Baobabia (Terre du Baobab).

 

C'est l'histoire de cette lignée qui est la trame du roman de Nétonon Noël Ndjékéry. Longtemps, bien longtemps cela veut dire en l'occurrence quelque cent cinquante ans, où la caractéristique initiale et durable est l'esclavagisme arabo-musulman.

 

La traite négrière transsaharienne avait débuté bien avant son avatar atlantique et à la fin du XIXe siècle elle croissait et prospérait au coeur de l'Afrique dans les royaumes de Baguirmi, Bornou, Kanem et Ouaddaï dont les élites s'étaient islamisées.

 

L'eunuque Tomasta Mansour s'est enfui de Djeddah, pour mettre à l'abri une Yéménite, Yasmina, une jeune fille en fleur, dans les bras de laquelle son maître a rendu l'âme et qui, si elle ne s'en va pas, est promise à un mauvais sort par la parentèle.

 

De retour dans l'Afrique natale de Tomasta, après un long périple, le couple insolite découvre sur leur route Zeïtoun, un jeune garçon inanimé, qui, de son côté, vient de saisir, comme eux, une opportunité d'échapper à sa dure condition d'esclave.

 

Les trois parviennent à une île de la grande étendue d'eau où ils mettent en pratique la maxime qui a permis au peuple de Tomasta de résister aux aléas de l'existence, qui signifie l'individu n'est rien tout seul et la communauté, rien sans l'individu:

 

Une personne, toutes les personnes.

 

Sur cette île singulière, qui dérive longtemps sur le lac, cette maxime, pieusement observée au début du récit, sera mise à mal à plusieurs reprises, parce que le lieu sera disputé par les quatre pays avoisinants, le Niger, le Nigeria, le Cameroun et le Tchad.

 

Le récit est singulier et porte la marque du conteur qu'est l'auteur. Il est en effet jalonné des récits individuels des personnes qui composent la lignée, si bien qu'il progresse certes, mais ponctué de nombreux retours en arrière qui se révèlent justifiés.

 

C'est aussi l'occasion de raconter l'histoire originale et tumultueuse de cette région de l'Afrique qui a subi bien des vicissitudes, de l'esclavagisme aux indépendances et au djihadisme, en passant par la colonisation, chacune laissant bien des traces.

 

Les différentes croyances enfin, qui se basent sur des peurs ou des espérances, y sont autant de moyens que des hommes utilisent pour en soumettre d'autres. Elles font aussi partie du récit et montrent à quel point la crédulité nuit toujours à la liberté.

 

Francis Richard

 

Il n'y a pas d'arc-en-ciel au paradis, Nétonon Noël Ndjékéry, 360 pages, Hélice Hélas

 

Livre précédent:

 

Au petit bonheur la brousse (2019)

Partager cet article
Repost0
10 mars 2022 4 10 /03 /mars /2022 20:15
Voyages de non-retour, de Matylda Hagmajer

- Vous refaites le même chemin, mais vos points de départ et d'arrivée sont différents analysa le drogman.

- On ne revient jamais vraiment d'un voyage, acquiesça Henri.

- J'appelle cela des voyages de non-retour, conclut le drogman...

 

Ce dialogue illustre le propos de Matylda Hagmajer, dont le roman Voyages de non-retour se déroule sous le règne de Louis XIV, de 1682 à 1692, et dont les voyageurs sont trois jeunes Marseillais, Guillaume, son frère jumeau Henri, et Violaine.

 

Précédemment, la Compagnie des Indes orientales a été créée par Jean-Baptiste Colbert avec pour objet, entre autres, de rivaliser commercialement avec les Anglais. Son directeur s'est établi à Surate. Pondichéry est son premier comptoir en Inde.

 

Pour qu'une sordide situation tombe dans l'oubli, les parents de Guillaume et d'Henri, les envoient aux Indes pour suivre une formation dans le commerce des indiennes en plein essor: il n'y a pas de meilleure moyen au monde que de l'apprendre sur place.

 

Quel est le coupable de ladite situation, ils ne le savent pas. Aussi ne veulent-ils pas qu'ils voyagent ensemble. L'un, Henri, empruntera la voie terrestre, l'autre, la voie maritime, sous prétexte que la Compagnie des Indes orientales puisse les comparer.

 

L'un comme l'autre seront recommandés par Jean-Baptiste Colbert lui-même grâce à leur cousin, directeur au bureau général de la Compagnie à Paris. Guillaume et Henri, résignés, ont cependant l'heureuse perspective de se retrouver un jour aux Indes.

 

Violaine Ortolano, orpheline, a été élevée par sa tante Hilda, qui l'a abreuvée de récits de voyage. À la mort de celle-ci, elle s'est retrouvée dans un orphelinat. Quand elle en sera mise dehors, elle sait que la suite de sa vie sera vouée à la prostitution.

 

Violaine commence à faire l'orphelinat buissonnier. Sur le port elle assiste à la mort violente du petit Philippe, qui, mais elle ne le sait pas à ce moment-là, est liée à la sordide situation évoquée plus haut, où l'un des deux jumeaux Montferré est impliqué.

 

N'attendant pas d'être chassée de l'orphelinat, Violaine prend les devants et la fuite et, à son tour, part pour les Indes. Elle embarque sur le même bateau que l'un des deux jumeaux, Henri... Elle fera la connaissance de l'autre, Guillaume, bien plus tard...

 

Les voyages, à cette époque-là, sont de véritables aventures. Le hasard, ou le destin, y fait souvent bien les choses. L'auteure en fait si bien le récit en en restituant le contexte que le lecteur, pourtant dépaysé, n'est pas surpris que les héros se croisent.

 

La Révocation de l'Édit de Nantes, le 18 octobre 1685, et l'édit du 26 octobre 1686 prohibant le commerce et le port des indiennes, ces cotonnades illustrées, où les couleurs dominantes sont le rouge et le bleu, auront infléchi l'existence des trois héros.

 

Ces interventions publiques s'avéreront d'ailleurs plus néfastes que le mal qu'elles prétendaient indûment combattre et inciteront à leur contournement, ce que l'auteure fait bien de montrer, comme elle a raison de dire avec Violaine, ce à titre individuel:

 

Qu'importe ce qui est inéluctable. Ce qui compte, ce sont les choix que l'on fait pour soi. 

 

Francis Richard

 

Voyages de non-retour, Matylda Hagmajer, 392 pages, Slatkine

Partager cet article
Repost0
6 mars 2022 7 06 /03 /mars /2022 23:45
Discours de réception à l'Académie française de François Sureau

Le 3 mars 2022, François Sureau était reçu à l'Académie française et y prononçait un discours où il faisait l'éloge, comme c'est la coutume, de son prédécesseur, Max Gallo.

 

Étant plutôt du côté de chez Proust que du côté de chez Sainte-Beuve, il n'a pas raconté la vie de cet homme qui avait dû d'appartenir à la Compagnie à raison de son oeuvre.

 

Le nouvel académicien a eu six mois pour explorer cette oeuvre. Ce n'était sans doute pas de trop, puisqu'elle compte une centaine d'ouvrages consacrés peu ou prou à l'histoire.

 

Gallo était historien, mais aussi romancier, la fiction lui permettant de donner vie à l'histoire. Il s'agissait là d'une fiction telle qu'on l'aime, populaire, descriptive et rêveuse.

 

Ce qui est le plus intéressant, dans ce discours, est ce que dit François Sureau de la liberté, qu'il compare à la France, qui est, comme elle, insaisissable pour qui veut l'appréhender:

 

La liberté est une étrange chose. Elle disparaît dès qu'on veut en parler. On n'en parle jamais aussi bien que lorsqu'elle a disparu.

 

Qu'aurait pensé Gallo aujourd'hui, où la fièvre des commémorations nous tient, pendant que d'un autre côté le sens disparaît des institutions que notre histoire nous a léguées:

 

Une séparation des pouvoirs battue en brèche, les principes du droit criminel rongés sur leurs marges, la représentation abaissée, la confusion des fonctions et des rôles recherchée sans hésitation, les libertés publiques compromises, le citoyen réduit à n'être plus le souverain, mais seulement l'objet de la sollicitude de ceux qui le gouvernent et prétendent non le servir mais le protéger, sans que l'efficacité promise, ultime justification de ces errements, soit jamais au rendez-vous.

 

Les oreilles du stagiaire de l'Élysée, situé sur l'autre rive de la Seine, ont dû siffler quand ces paroles ont été prononcées, en présence de sa dame, qui fut auparavant son professeur...

 

François Sureau ne s'en est pas tenu à ces propos, qui n'ont pas provoqué, semble-t-il, le moindre frémissement dans l'assistance, que ce soit chez les immortels ou dans le public:

 

Non, je ne crois pas que ce disciple de Voltaire et de Hugo se réjouirait de l'état où nous sommes, chacun faisant appel au gouvernement, aux procureurs, aux sociétés de l'information pour interdire les opinions qui les blessent; où chaque groupe se croit justifié de faire passer, chacun pour son compte, la nation au tourniquet des droits de créance; où gouvernement et Parlement ensemble prétendent, comme si la France n'avait pas dépassé la minorité légale, en bannir toute haine, oubliant qu'il est des haines justes et que la République s'est fondée sur la haine des tyrans. La liberté, c'est être révolté, blessé, au moins surpris, par les opinions contraires.

 

Pour ce qui est de la République, il précise, après avoir [décrassé] ce terme qu'on emploie ces jours-ci à tout propos, au prix [...] d'une grande confusion concernant les principes:

 

Gallo pour sa part ne l'a jamais vue comme cet étrange absolu qu'on nous présente parfois au mépris de toute vérité.

[...]

Aujourd'hui que la République nous appelle moins qu'elle ne nous sermonne au long d'interminables campagnes de propagande frappées de son sceau, il se serait inquiété je crois de notre docilité.

 

Comme si cela ne suffisait pas, le nouvel académicien enfonce le clou encore plus profond sans que Compagnie et public, sans doute saisis, n'émettent le moindre murmure:

 

Je ne crois pas que Gallo eût souscrit à cette substitution du lapin de garenne au citoyen libre que nous prépare cette formule imbécile, répétée à l'envi depuis vingt ans, que la sécurité est la première des libertés. À cette aune, pas de pays plus libre sans doute que le royaume de Staline ou celui de Mussolini.

[...]

Et l'on s'en va répétant que les temps sont difficiles. Mais les temps, comme Max Gallo nous l'a rappelé pendant un demi-siècle, sont toujours difficiles pour ceux qui n'aiment pas la liberté.

 

Francis Richard

 

Réception de François Sureau à l'Académie française, le 3 mars 2022

 

Livres précédemment chroniqués, édités chez Gallimard:

 

Ma vie avec Apollinaire (2021)

 

L'or du temps (2020):

- Livre I, Des origines à Draveil

- Livre II, Mystiques parisiennes

- Livre III, Mes cercles dérangés

 

Sans la liberté (2019)

 

Publication commune avec lesobservateurs.ch

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
  • Contact

Profil

  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.

Références

Recherche

Pages

Liens