Overblog Tous les blogs Top blogs Littérature, BD & Poésie
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
21 janvier 2024 7 21 /01 /janvier /2024 17:00
Hors-jeu, d'Olivia Gerig

Isabella et Richard Pasquier ont eu du mal à procréer, mais, alors qu'ils avaient renoncé, elle était tombée enceinte et avait donné naissance en 1978 à des jumeaux monozygotes, Gregor et Anthony.

 

Ils se ressemblaient tellement physiquement que seule leur mère était à même de les distinguer. Ils avaient toutefois un caractère bien différent: Anthony avait un caractère plus fort que Gregor.

 

Contre toute attente, Isabella attendit puis mit au monde, en 1981, un troisième garçon, Jérémy. Il s'avéra que les trois frères intrépides étaient inséparables et qu'ils partageaient tous leurs jeux.

 

Un événement mit Hors-jeu le dernier né de la fratrie au cours d'une poursuite au bord de la rivière où ils jouaient en 1989: involontairement Anthony le fit tomber et il heurta une pierre de la tête.

 

Bien que ce fût un accident, Gregor et Anthony se sentirent coupables et mentirent effrontément pour annoncer la mort du benjamin à leurs parents: leur père ne s'en remit jamais et prit la fuite.

 

Un deuxième mensonge changea plus complètement encore leur vie. Alors que les deux rêvaient un jour de devenir footballeurs professionnels, grâce à ce mensonge, seul l'un des deux le serait.

 

Le lendemain de leurs dix-huit ans, parce qu'Anthony, le fêtard, meilleur joueur que Gregor, était mal en point, il fit pression sur celui-ci lors d'un match pour prendre sa place et vice-versa:

 

Gregor serait Anthony, et Anthony serait Gregor pendant le match.

 

Ce deuxième mensonge, révélé en deuxième mi-temps par Olivia Gerig, permet de comprendre qui est qui dans les pages précédentes. Les jumeaux ont basculé vers un univers de faux-semblants.

 

Le véritable Gregor devient policier, ce qui arrange bien les affaires d'Anthony alias Gregor, footballeur vedette, qui se croit tout permis, mais est retrouvé mort, en 2003, dans les vestiaires du stade.

 

Ce roman noir porte bien son titre puisque, se déroulant dans le monde footballistique, dont l'auteure connaît bien les codes, les personnages masculins se mettent hors-jeu les uns après les autres.

 

Francis Richard

 

Hors-jeu, Olivia Gerig, 144 pages, BSN Press

 

Livre précédent aux Éditions Romann

Witch Hunt (2023)

 

Livre précédent à Gore des Alpes:

Buffet de campagne (2022)

 

Livres précédents à L'Âge d'Homme:

Le Mage Noir (2018)

Les ravines de sang (2020)

 

Livres précédents chez Encre Fraîche:

Impasse khmère (2016)

L'Ogre du Salève (2014)

Partager cet article
Repost0
16 janvier 2024 2 16 /01 /janvier /2024 18:00
Prix du Livre de la Ville de Lausanne 2024

Depuis dix ans, le Service des bibliothèques de la Ville de Lausanne sélectionne des livres écrits par des écrivains de Suisse romande. Et leurs lecteurs, constitués en lumineux jury, votent pour désigner celui à qui sera attribué le Prix.

 

Cinq romans ont été sélectionnés cette année:

- Les secrets de nos coeurs silencieux, d'Isabelle Aeschlimann

- Noor, d'Étienne Barilier

- Le piège de papier, de Kyra Dupont Troubetzkoy

- Generator, de Rinny Gremaud

- La folie du pélican, de Jean-François Haas

 

Avant de voter, les lecteurs peuvent lire les livres en lice:

- soit sur le site du Prix

- soit, gratuitement, dans Les Bibliothèques de la Ville de Lausanne

-soit, bien sûr, en s'en portant acquéreurs.

 

Les lecteurs peuvent également prendre connaissance du contenu de ces livres par ces recensions:

 

Prix du Livre de la Ville de Lausanne 2024

Une fois lus les cinq livres, les lecteurs peuvent voter pour leur préféré:

  • en utilisant la carte postale jointe à l'invitation qu'ils ont reçue
  • dans les urnes placées dans les Bibliothèques de la Ville de Lausanne
  • en ligne.

 

Le vote est ouvert depuis le 1er janvier jusqu'au 29 février 2024.

 

La cérémonie publique de remise du Prix aura lieu au Théâtre de Vidy le lundi 4 mars 2024. Pour y assister, il suffit de réserver sa place ici.

 

Le Théâtre de Vidy-Lausanne se trouve à l'adresse suivante:

Av. Emile-Henri-Jaques-Dalcroze 5, 1007 Lausanne

Tél. : 021 619 45 45

 

Bonne lecture et bon vote !

 

Francis Richard

 

PS du 4 mars 2024:

La lauréate du Prix du Livre de la Ville de Lausanne 2024 est Isabelle Aeschlimann.

Partager cet article
Repost0
22 novembre 2023 3 22 /11 /novembre /2023 11:55
Agnus Dei, de Julien Sansonnens

L'odieux Marcel-Louis C. est mort au mois de décembre 1964.

 

Marcel C. s'est éteint à 56 ans, muni du sacrement de l'extrême-onction.

 

Pourquoi odieux ? C'est toute une histoire que Julien Sansonnens, raconte dans Agnus Dei.

 

Marcel habitait le village de Gletterens, dans la Broye fribourgeoise, où il était forgeron et possédait le physique de l'emploi:

 

Nuque épaisse, épaules charpentées, démarche vaguement pataude.

 

En 1937, avec deux comparses, Serge et Daniel, il se rend à un bal du village voisin de Portalban, où il fait la connaissance de Jeanne-Sarah B.

 

Marcel et Jeanne se marient à l'église onze mois plus tard, en 1938, à Gletterens. Il a trente ans, déjà tard pour convoler...

 

Un an plus tard, le Conseil fédéral déclare la mobilisation générale au premier jour de l'invasion allemande en Pologne, le 1er septembre 1939.

 

Marcel, qui a fait ses classes dans l'infanterie en 1928, n'est incorporé que trois semaines - il s'est blessé en déchargeant une caisse -, tandis que son frère aîné, Jules, ne le sera jamais:

 

Alors qu'il faisait du foyard, le garçon s'est salement amoché, se sectionnant deux doigts.

 

Dans la fratrie qui comprend également son frère Gaston, mobilisé auparavant en Suisse allemande, et sa soeur, Claudine, Jules et Marcel sont complices face aux deux autres.

 

Marcel et Jeanne ont un enfant, Michel, en 1940 et un autre, Christiane-Isabelle, en 1941. En 1943, Marcel est à nouveau mobilisé et passe six mois sous les drapeaux dans le Jura neuchâtelois.

 

Quand Marcel revient chez lui, Jeanne n'est plus la même. Ils ont pourtant un troisième enfant en 1944, Marie-Claire, qui leur est retirée ainsi que sa soeur par les services sociaux, à la suite de signalements du voisinage.

 

En fait le couple bat de l'aile et son histoire confirme les deux adages:

Qui va à la chasse, perd sa place.

et

On n'est jamais trahi que par les siens.

 

Quand Marcel apprend son infortune, il devient fou et se comporte en conséquence, si bien qu'il n'existe plus d'autre solution que la séparation des deux époux puisqu'un divorce est impensable pour des catholiques.

 

Alors que les choses auraient pu s'arranger entre Marcel et Jeanne qui se revoient en catimini, elles tournent mal, la confiance étant de nouveau rompue après que Jeanne est restée quelques mois chez ses parents sans sortir.

 

Quand, en 1947, Jeanne révèle à Marcel le secret providentiel qu'elle a bien gardé et qui devrait les réconcilier, Marcel n'y croit pas et commet deux irréparables.

 

L'un pourrait donner un sens au titre de ce roman noir inspiré de faits réels; l'autre, en 1948, vaudra à Marcel une condamnation à quatorze ans de réclusion:

 

La justice des hommes a parlé; quant à la justice divine, elle nous reste inaccessible.

 

Francis Richard

 

Agnus Dei, Julien Sansonnens, 120 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

 

Jours adverses, Éditions Mon Village (2014)

Les ordres de grandeur, Éditions de l'Aire (2016)

Quatre années du chien Beluga et autres nouvelles, Éditions Mon Village (2017)

L'enfant aux étoiles, Éditions de l'Aire (2018)

Septembre éternel, Éditions de l'Aire (2021)

Partager cet article
Repost0
20 novembre 2023 1 20 /11 /novembre /2023 23:55
Mon Dieu, faites que je gagne, de Sonia Baechler

Entrer en compétition comme on entre en religion. Accepter les règles, les dogmes et rejoindre la prière: Mon Dieu, faites que je gagne.

 

La narratrice a attendu plus de trente ans pour écrire un livre sur elle et sa soeur, la gymnaste, pour le sport de compétition de laquelle toute sa famille a tremblé pendant des années:

 

Pour rire de moi et de mes trous de mémoire, j'inventerai par ci et par là et peut-être partout. Ce qui me réjouit.

 

Tout a commencé alors que sa soeur avait six ans et elle neuf. Elles ne savaient pas encore qu'elles avaient pris dès lors onze ans de gymnastique et perpétuité pour l'âme et le corps.

 

Elle est mauvaise dans cette discipline: Je suis même nulle. Leurs parents ne l'entendent pas de cette oreille. Ils aimeraient que leurs deux filles concourent dans toute la Suisse.

 

Pour leur faire plaisir elle s'entraîne au club de Sion, mais c'est sa soeur qui passe les tests du Centre cantonal valaisan et que la famille va soutenir tous les dimanches que Dieu fait.

 

Sa soeur, comme les autres gymnastes, rêvent toutes de devenir la nouvelle Comaneci, la poupée garçonne, l'élastique star de toute une nation, tandis qu'elle se contente de participer.

 

L'univers de la compétition est impitoyable. Léo, l'entraîneur, répète à ses élèves que pour réussir il faut souffrir, endurer, refaire, encore, vouloir, autrement dit: si tu veux, tu peux.

 

Autant sa soeur se plie à ce régime, autant elle regimbe, puis renonce, ce qui la soulage. Ses parents et elle ne vivent plus désormais qu'au rythme de sa petite championne de soeur.

 

Son entraîneur, Léo, présente la gymnaste à Serghei, le chorégraphe roumain, pour qu'elle passe l'examen d'entrée au Centre sportif national de Macolin/Magglingen, près de Bienne.

 

Elle est partagée devant l'alternative: si sa soeur échoue, la vie reprendra comme avant; si elle réussit, elle perdra la liberté qui lui est laissée quand sa mère assiste aux entraînements.

 

Sa soeur a réussi. Les entraînements se déroulent dans le Valais, mais, pour ne pas rester dans l'ombre, il faut accepter, dixit Léo, de déménager près du site d'entraînement national.

 

Léo y trouve son compte puisque lui aussi rejoindra l'équipe nationale. Où la gymnaste logera-t-elle? Dans une famille d'accueil. La gymnaste ne lui manque pas, la soeur, oui.

 

Après un Noël, les entraînements reprennent, plus durs: la gymnaste ne doit pas être trop fille, alors qu'elle, elle l'est. Aussi ne l'envie-t-elle pas, sauf que sa soeur est trop parfaite.

 

À la fin de cette satire de la compétition sportive, Sonia Baechler lui fait poser la question sans réponse de ce qui vient après... la montée de sa soeur sur les podiums suisses et européens.

 

Francis Richard

 

Mon Dieu, faites que je gagne, Sonia Baechler, 232 pages, Bernard Campiche Editeur

 

Livre précédent:

 

On dirait toi, 224 pages, Bernard Campiche Editeur (2013)

Partager cet article
Repost0
18 novembre 2023 6 18 /11 /novembre /2023 19:40
Autoédition, de Cédric Comtesse

À notre époque, j'étais le parfait cliché du mâle blanc. Plus raté que dominant. N'ayant pas envie de faire carrière ou de collectionner les conquêtes féminines. En n'étant jamais sorti du lot en faisant quoi que soit.

 

Ce bibliothécaire-documentaliste est un rond-de-cuir balzacien caricatural. Il a une silhouette rondouillarde, un double menton, un crâne dégarni. Il est fonctionnaire depuis toujours, la petite cinquantaine, sans attaches familiales, ni animal de compagnie.

 

S'il n'est pas carriériste, il a des ambitions littéraires. Il n'a qu'un lecteur assidu, le vigile de la bibliothèque universitaire où il travaille. Sinon, aucun des vingt manuscrits qu'il a envoyés à des maisons d'éditions n'a été retenu, à ses grands dépit et frustration.

 

Cet assoiffé de reconnaissance est d'autant plus marri quand, à son club de lecture et d'écriture, il apprend qu'une charmante auteure d'un roman fleuve de science-fiction à l'eau de rose révolutionnant le genre est parvenue à le faire accepter par les éditions E.

 

Il n'aurait toutefois jamais pensé qu'il serait capable de tout, même du pire pour un écrivain, pour accéder enfin à la notoriété. Or une occasion de faire le larron lui est offerte de manière tout à fait inattendue et il va la saisir sans vergogne, bien au contraire.

 

En effet il arrive, à la faveur d'une imposture assumée, à faire paraître un roman qui a un réel succès, mérité, sans qu'il se soit donné la même peine que pour ses romans précédents, et dont le titre est ironique, provocateur, voire même auto-dérisoire: Autoédition.

 

Le lecteur se demande s'il va s'en tirer à si bon compte et si, étant monté si haut, la chute n'en sera que plus dure. Il ne peut imaginer pour autant quel épilogue Cédric Comtesse lui a concocté et qui, à la réflexion, n'est pas si improbable que cela de nos jours.

 

Francis Richard

 

Autoédition, Cédric Comtesse, 124 pages, Slatkine

Partager cet article
Repost0
17 novembre 2023 5 17 /11 /novembre /2023 20:15
Le retour de Mara Roux, d'Anne-Frédérique Rochat

Je m'appelle Mara. Je suis chanteuse. J'ai trente-six ans. Aujourd'hui je vais vous raconter mon histoire. Un petit bout de mon histoire. Un petit bout important.

 

Le retour de Mara Roux a lieu du 11 au 17 juillet, après une longue absence.

 

Avec Soline, qui joue du violon, Mara chante, depuis sept ans. Sa comparse compose la musique des chansons qu'elle écrit.

 

Si elle a quitté son village, c'est parce qu'elle était rejetée par les habitants et incomprise par son père.

 

Les habitants, qu'ils soient de son âge ou pas, n'acceptaient pas sa différence, physique. Elle avait, et a toujours, sur la joue, une tache de naissance:

 

Avec un peu d'imagination, ma tache ressemble à un hérisson ou à une pelote de laine.

 

Soit ils se moquaient d'elle, soit ils y voyaient un signe de mauvais oeil (sic).

 

Son père ne comprenait pas qu'elle puisse être une artiste - être chanteuse n'était pas un métier dont on pouvait vivre - et qu'elle ne lui succéderait pas à la tête de la petite entreprise familiale.

 

Mara est revenue surtout pour dénouer les choses avec son père. Comment mieux lui faire entendre raison et affection, sinon en venant chanter au village dans l'ancienne église désaffectée lors de deux concerts.

 

C'est un des rares habitants qui est resté et ne lui a jamais été hostile qui a organisé ces deux soirées.

 

Seulement il y a hic. Chemin faisant pour se rendre au village, Mara a perdu sa voix, autrement dit son meilleur argument.

 

À partir de ces prémices, le lecteur se demande comment Anne-Frédérique Rochat va réussir à dénouer une situation qui s'annonce bien mal.

 

S'il connaît l'auteure pour avoir lu ses oeuvres précédentes, il n'a aucune peine à penser qu'elle saura le faire et c'est bien ce qui se produit, après quelques coups de théâtre, genre dans lequel elle excelle.

 

Ce qu'il y a toutefois de particulier dans ce livre, c'est qu'il est facile à lire, non pas qu'elle écrive d'habitude des textes inabordables, mais elle a accepté cette fois de le destiner à des adultes en difficulté de lecture.

 

Aussi ce livre est-il vraiment facile à lire. La police de caractères peut être qualifiée de très confortable. Les tournures de phrases sont simples. Pour autant, tout cela n'enlève rien à la qualité de l'ouvrage.

 

Il faut donc espérer que les adultes en question apprécient, ou apprécieront, l'effort qui a été fait pour eux et qu'à leur tour, ils feront l'effort de ne pas en rester là et de, progressivement, parvenir à lire des textes qui sont, aujourd'hui, moins évidents pour eux.

 

En effet il serait dommage qu'ils n'aient pas un jour le bonheur de pouvoir lire indifféremment des livres classiques, ou pas, de la  littérature française ou romande. Leur propre vie en serait assurément changée:

 

La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c'est la littérature.

Marcel Proust

 

Francis Richard

 

Le retour de Mara Roux, Anne-Frédérique Rochat, 112 pages, BSN Press - OKAMA

 

Livres précédents chez Slatkine:

Longues nuits et petits jours (2021)

Quand meurent les éblouissements (2022)

 

Livres précédents aux Éditions Luce Wilquin:

Accident de personne (2012)

Le sous-bois (2013)

A l'abri des regards (2014)

Le chant du canari (2015)

L'autre Edgar (2016)

La ferme vue de nuit (2017)

Miradie (2018)

Partager cet article
Repost0
16 novembre 2023 4 16 /11 /novembre /2023 19:30
Les secrets de nos coeurs silencieux, d'Isabelle Aeschlimann

Il y a, dans le Jura suisse, une petite région délicieusement nommée l'Ajoie.

 

Dans un petit village de cette région, Isabelle Aeschlimann situe le début de son histoire. Comme dans tout village, tout se sait. Enfin, en principe, parce qu'en réalité, les secrets peuvent y être tout aussi bien gardés que dans les villes.

 

Quels sont Les secrets de nos coeurs silencieux ?

 

En 1981, Antonio Caligiari, 24 ans, et Élise Dubois, 22 ans, font l'amour le jour de son anniversaire à elle, alors qu'il est homosexuel et étranger - mais il est son meilleur ami-, qu'elle est la fille du maire et que c'est sa première fois.

 

Le lendemain soir Antonio et Élise se retrouvent pour discuter d'avenir dans l'écurie abandonnée d'une ancienne ferme. Ils y sont surpris par Le Gros Louis, un être méprisable qui a perdu deux doigts à cause d'Antonio, neuf ans plus tôt.

 

Une bagarre éclate entre Antonio et Le Gros Louis. Antonio est mal en point. Lucien Comte, un amoureux transi d'Élise, qui les a suivis, jette à terre Le Gros Louis et enjoint Élise de rentrer chez ses parents où, meurtrie, elle s'endort.

 

Le surlendemain, Élise apprend par son père Richard qu'Antonio a poignardé dans le dos Le Gros Louis, que Lucien est venu le prévenir et que, lorsqu'ils sont arrivés sur place, ils n'ont pu que constater son décès. Antonio a dû s'enfuir.

 

Richard Dubois en parle à son frère Thierry, qui est policier et qui s'occupe de faire disparaître le cadavre en l'inhumant dans les terres familiales... Quelques semaines plus tard, Élise, enceinte d'Antonio, accepte de se donner à Lucien.

 

Lucien croit être le père et épouse Élise. Six ans plus tard, ils apprennent que Christa est épileptique. Quatre ans encore et ils donnent à Christa une petite soeur, qu'ils prénomment Julie. Six ans encore et Christa devient malentendante.

 

Ces secrets empoisonnent l'existence de la famille qui en restera ébranlée quand Christa et Julie auront vingt-six et seize ans respectivement, d'autant qu'elles ont aussi leurs secrets et qu'elles vont en découvrir d'autres dans leur parentèle. 

 

Trois femmes, Élise, Christa et Julie souffrent en silence de ces secrets, mais elles ne sont pas au bout de leur peine, jusqu'à la fin. Le lecteur ne peut qu'en être ému, de même qu'il l'est du sort qui y est réservé à ceux qui sont différents.

 

Toutes vérités sont-elles bonnes à dire? Certainement, mais importent la façon de les dire et le bon moment pour les dire. Il y faut de la bienveillance et de l'amour. Et c'est la plus jeune des trois femmes, Julie, qui saura les faire surgir.

 

Francis Richard

 

Les secrets de nos coeurs silencieux, Isabelle Aeschlimann, 418 pages, Nouveaux Auteurs

 

Livre précédent:

Un été de trop, 384 pages, Plaisir de lire

Partager cet article
Repost0
14 novembre 2023 2 14 /11 /novembre /2023 22:00
Ligne 19, de Gilbert Pingeon

Ligne 19 est un recueil de sept nouvelles dont le titre est celui de la première. Tous les personnages sont ordinaires, mais ne le restent pas. Un événement vient perturber leurs tristes petites vies et c'est l'occasion de trouver une solution à leurs continuités...

 

Léon Jobard (sic) est chauffeur de bus sur la Ligne 19. Cet homme de quarante-deux ans aurait peut-être eu un autre métier s'il avait eu de l'ambition. Un jour il sort de sa zone de confort et accueille sous son toit une jeune fille de quinze ans, en cavale...

 

Maude est furieuse contre son homme. Ils avaient convenu qu'après son travail elle ferait les courses et qu'il irait au square avec leur fils Tony. Un moment de Distraction lui a suffi pour que Tony disparaisse. Quand il le retrouve, cela lui donne un idée...

 

Un inconnu frappe à la porte d'une femme. Il vient de Là-Haut, mais il ne peut en placer une pour faire son Annonciation, car elle fait les questions et les réponses, a une imagination fertile et parle beaucoup. Quand elle se tait enfin, docile, elle le suit...

 

Un garçon, Michel, est pris en auto-stop par un inconnu. Sa destination? N'importe où. Anton l'emmène alors chez lui. Pour ses voisins, c'est un Loup-garou. Ce n'est pourtant qu'une rumeur mais elle va les pousser à passer à l'acte et le garçon à la fuite...

 

Grégoire et Martine forment un curieux couple. Cet ours mal léché pèse cent vingt-sept kilogrammes, cette jolie blonde est fervente adepte de la minceur. Qu'elle le trompe, le rend féroce. Il se mue en chasseur sur la piste Vita, déterminé à éliminer sa Proie...

 

Le gladiateur est un motard. Il arrive à la Cité, chevauchant sa nouvelle monture, une 850. Il est venu chercher Liliana au pied de l'immeuble où son père la retient. Mauvais rêve ou pas, il décrit l'accident dont il se serait sorti, huit mois plus tôt, le corps meurtri.

 

Le petit monstre est une femme, auto-destructive, qui jette son dévolu sur L'autre, quel qu'il soit. Elle ne veut surtout pas qu'il lui échappe et ne se donne aucunes limites. Mais, même si Ici elle se plaît bien, elle n'aspire en fait qu'à prendre le large et s'envoler...

 

Dans ces nouvelles, prédateurs et proies ne sont pas toujours, ni tout le temps, ceux que l'on croit. Les rôles s'inversent parfois, tant il est vrai que rien n'est jamais simple entre les humains, mais il est une constante: le salut des proies est souvent dans la fuite...

 

Gilbert Pingeon a au fond de la tendresse pour les uns et pour les autres et sait s'adapter aux langages singuliers. Il excelle dans les monologues, intérieurs ou extérieurs. Son écriture se fait à ce moment-là orale et familière, par conséquent vraiment humaine.

 

Francis Richard

 

Ligne 19, Gilbert Pingeon, 180 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

 

T, L'Âge d'Homme (2012)

Bref, Éditions de l'Aire (2015)

Oh, Éditions de l'Aire (2018)

La montagne sourde, Éditions de l'Aire (2019)

L'impasse au loup, Éditions de l'Aire (2021)

Partager cet article
Repost0
7 novembre 2023 2 07 /11 /novembre /2023 21:15
Generator, de Rinny Gremaud

Un mot anglais, generator, avait habité mon enfance, résonnant de loin en loin, un mot qui, pour des raisons indémêlables, me fascinait, semblant dire tout à la fois l'engendrement, la naissance et l'étincelle. Generator, c'était le père.

 

Rinny Gremaud est née en 1977 en Corée du Sud. Sa mère et elle y ont été abandonnées par son père biologique, un Britannique.

 

Dans ce récit, elle reconstitue la vie de ce père. Quand elle ne sait pas, elle invente, faute qu'il lui ait parlé. Aussi ce récit est-il réel et fictif.

 

Il ne semble pas comme elle le dit à un moment qu'elle ait tout inventé, mais suffisamment pour préserver sa mère et son père adoptif.

 

L'auteure sait que son père était ingénieur-mécanicien, qu'il travaillait dans le nucléaire quand il a connu sa mère, à la centrale de Kori.

 

En faisant des recherches sur lui, elle apprend qu'il est né au Pays de Galles et qu'il avait vraisemblablement été marin, ou plutôt:

 

Mécanicien de marine, s'il faut être précis.

 

Elle apprend que son père à lui est mort en 1941, alors qu'il avait 6 ans. Dix ans plus tard, il entre au chantier naval, une chance pour lui.

 

En 1965, sa vie change. Ingénieur spécialisé en thermodynamique, il est embauché sur le chantier atomique de Wylfa, sur l'île d'Anglesey.

 

En 1971, il part pour Taïwan où se construit une nouvelle centrale nucléaire, à Linkou, qui va contribuer à son développement économique.

 

Auréolé du prestige des Blancs, il y met très vite une femme enceinte. Sa première fille est en effet née en 1972 - il y en aura trois autres avec elle:

 

Cela me fâche, pour ne pas dire autre chose, de comprendre que probablement, tu as reproduit plus tard avec ma mère ce que tu avais déjà vécu une première fois à Taïwan.

 

L'auteure n'est pas seulement fâchée contre son père biologique; elle l'est contre le nucléaire en particulier et contre le capitalisme en général.

 

Car son récit est un réquisitoire contre cette énergie, dont elle ne retient que les défauts et échecs dans la mise en oeuvre, et contre les États-Unis:

 

Je le dis sans ambages: je déteste les États-Unis d'Amérique. Mes tripes davantage que mon cerveau sont à la manoeuvre dans ce sentiment diffus, arbitraire...

 

Sans doute son ressentiment à l'égard de ce père y est-il pour quelque chose, puisqu'en 1978, il y travaille sur le chantier nucléaire de Monroe:

 

Tu t'apprêtes à passer le restant de tes jours à vivre le rêve américain dans une zone pavillonnaire sans intérêt...

 

Le lecteur? Il est partagé entre compassion pour l'auteure, séduction pour son style enlevé, rejet de ses partis pris tendance, en apparence documentés.

 

Francis Richard

 

Generator, Rinny Gremaud, 240 pages, Sabine Wespieser Éditeur

Partager cet article
Repost0
6 novembre 2023 1 06 /11 /novembre /2023 21:30
Prends garde à la douceur, de Jean-Louis Kuffer

Prends garde à la douceur est un recueil de pensées de Jean-Louis Kuffer. Elles sont ordonnées comme la vie, ce sont des pensées de l'aube, en chemin, du soir.

 

Il n'est pas surprenant que quelques thèmes soient récurrents. Cela ne veut dire pas dire qu'ils soient approfondis, ils sont plutôt vus sous un autre angle, l'âge aidant.

 

Citer quelques pensées, choisies non pas au hasard mais par dilection, est en l'occurrence le meilleur moyen de ne pas les trahir, de révéler l'auteur et celui qui en est l'électeur...

 

L'auteur conclut la quasi totalité de ses pensées par trois petits points qui ne sont pas hésitation célinienne mais invitation au lecteur de les faire siennes et de les compléter...

 

Ces pensées sont tantôt personnelles tantôt générales, mais elles sont toutes d'une portée qui dépasse leur énoncé. En tout cas elles donnent matière à réflexion. Tant mieux.

 

PENSÉES DE L'AUBE

 

Les pensées qui suivent sont celles d'un humaniste et ne peuvent qu'entrer en correspondances avec celles de tous ceux pour qui, décidément, rien d'humain n'est étranger.

 

De la bienveillance.- À ces petits crevés des fonds de classes mieux vaut ne pas montrer qu'on les aime plus que les futurs gagnants bien peignés du premier rang, mais c'est à eux qu'on réservera le plus de soi s'ils le demandent, ces chiens pelés qui n'ont reçu que des coups ou même pas ça: qui n'ont même pas qui que ce soit pour les empêcher de se déprécier.

 

Du ressentiment.- C'est de cela seul que je voudrais que tu me débarrasses, méchant moi, c'est de ce relent récurrent qui me taraude dans le bruit des bruyants malcontents, c'est de ce froid et de ce poids, gentil moi, que je te prie de me délivrer...

 

De la folie ordinaire.- Ils te disent qu'ils n'ont pas le temps, et toi tu te dis que c'est cela la barbarie, ou bien ils te disent qu'il faut bien tuer le temps, et tu te dis que c'est aussi cela la barbarie, et quand tu leur demandes quel sens à tout ça pour eux, ils te répondent qu'ils n'ont pas que ça à faire, se poser des questions, et si tu leur dis de prendre leur temps alors là c'est colère, ça les rend fous, ou plutôt c'est toi qu'ils regardent comme un fou - s'ils pouvaient te faire enfermer, oui ça aussi c'est le début de la barbarie...

 

Pour Platon, ce sont le vrai, le bien et le beau auxquels il convient de convertir son âme. L'auteur, lui, dit que la place de la vérité, la bonté, la beauté, est d'occuper toute la place...

 

PENSÉES EN CHEMIN

 

Avec cette pensée, l'auteur montre le chemin qu'il a emprunté, emprunte, empruntera, de l'aube à la nuit, et qui ne peut se concevoir autrement que difficile, comme l'existence:

 

De la difficulté.- Ce n'est pas le chemin qui est difficile, disait Simone Weil, mais le difficile qui est le chemin. Cela seul me pousse à écrire et tout le temps: le difficile. Difficile est le dessin de la pierre et de la courbe du chemin, mais il faut le vivre comme on respire. Et c'est cela même écrire pour moi: c'est respirer de l'aube à la nuit [....]...

 

Avec cette autre pensée, l'auteur rappelle qu'il est aussi lecteur. La répétition de ses lectures fait évidemment penser aux moines qui psalmodient les mêmes textes, indéfiniment:

 

De la répétition féconde.- Lire et relire relèvera toujours au cours de nos pérégrinations de lieux en lieux et par les allées et venues des années, non un ressassement borgne ou borné mais d'une reprise à grande eau de récurage de printemps, quand s'ouvrent de nouvelles fenêtres au fil des pages et des paragraphes - tel étant le Phénix fameux...

 

L'auteur explique dans la pensée suivante qu'à l'aube, ils ont fait comme tout le monde, ils ont imité, puis, ayant appris, sont devenus indépendants et ont cessé d'être complaisants:

 

De la conformité.- Vous avez répété quelque temps les numéros qu'ils vous ont appris, vous avez d'abord trébuché et cela les a fait sourire et même rire au point de vous en redemander, vous avez gagné en habileté jusqu'à les faire applaudir et c'est alors qu'au lieu de vous congratuler vous-même et de plastronner à l'avenant vous avez commencé de vous retirer de ce jeu de complaire et de se plier supposé vous caser bientôt au juste guichet...

 

Au contraire de Lamartine, pour qui un seul être manquait et tout était dépeuplé, l'auteur a trouvé en quelque sorte la parade au manque de l'absente en la retrouvant en lui-même:

 

De ton absence.- Hier encore tu étais là, tu étais proche, tu m'étais plus présente que je ne me l'étais si souvent à moi-même, et voici que ton absence m'augmente de son manque, sachant que tu es entrée en moi et que je te retrouve désormais partout...

 

PENSÉES DU SOIR

 

Aux optimistes et aux pessimistes invétérés, l'auteur oppose la raison des coeurs musiciens qui s'accordent et dispensent une juste et sereine mesure au sujet des êtres et des choses:

 

Du refus d'obtempérer.- À ceux-là qui positivent à mort, comme aux lugubres qui ne voient partout que ruines vous avez opposé vos quatre-mains de pianistes amateurs hors d'âge, sans autre métronome que le double battement de vos coeurs et sans autre souci que celui de la mélodie dont les enfants se souviendraient...

 

Les dernières pensées choisies ne nécessitent aucun commentaire et se suffisent à elles-mêmes. Ce sont des pensées roboratives qui incitent à surmonter les avanies de l'existence:

 

De la compensation.- Le malheur est un mal, mais la douleur peut être un bien, comme le rappelle parfois l'oeuvre d'art ou la poésie qui nous ouvre un nouveau temps et de plus larges espaces, la statue dans un nouveau ciel et le poème dans un autre silence, le fini par-delà l'indéfini...

 

De ce qui reste vrai.- Je ne voulais rien dire d'autre aux enfants que ce je dis des enfants qui nous augmentent, et je le sais depuis mon enfance: que je n'aurai que ça à dire de vrai et que les enfants en auront été la preuve...

 

Du plus tendre aveu.- Tu m'as manqué dès que j'ai su que je m'en irais, lui dit-elle...

 

Francis Richard

 

Prends garde à la douceur, Jean-Louis Kuffer, 272 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

 

Riches heures Poche suisse (2009)

Personne déplacée Poche suisse (2010)

L'enfant prodigue Éditions d'Autre Part (2011)

Chemins de traverse Olivier Morattel Éditeur (2012)

L'échappée libre  L'Âge d'Homme (2014)

La fée valse Éditions de l'Aire (2017)

Partager cet article
Repost0
31 octobre 2023 2 31 /10 /octobre /2023 21:25
Matlosa, de Daniel Maggetti

Cette première visite au village de ma mère eut pour moi la valeur et le sens d'une initiation: elle m'obligea à me questionner sur l'appartenance et l'identité, sur leur réalité et leurs intermittences, puis à interroger mon lien jusque-là indiscuté avec la vallée tessinoise où j'étais si enraciné qu'il me semblait y être à ma place autant que les pierres du chemin.

 

Le grand-père du narrateur, né en 1883, a par deux fois quitté son village, Mura, dans la province de Brescia, pour aller dans le canton du Tessin.

 

Les deux fois Cecchino a laissé sa femme, Rosa, une enfant trouvée, née en 1886, qu'il a épousée en 1910, pour y travailler, en simple Matlosa:

 

Il faut dire que dans ce coin, on employait le terme pour désigner toute personne dont on ne pouvait pas retracer la généalogie, et entrait dans la catégorie quiconque venait de plus loin que cinquante kilomètres à la ronde.

 

La première fois, c'était pendant la Grande Guerre, échappant à la conscription, vraisemblablement en 1916, sans Rosa et leur fils aîné Doro.

 

La deuxième fois, c'était après la guerre, en 1928, ayant perdu son travail de charbonnier, faute sans doute d'adhérer au régime de Mussolini.

 

Cette fois-là il était parti avec Doro, Rosa restant avec ses autres enfants, dont Irma, la mère du narrateur, fillette aux longues tresses noires.

 

En 1930, Cecchino s'installe à Verscio grâce à un propriétaire terrien, abandonne la maçonnerie et fait venir en 1931 son épouse et ses puînés.

 

Le récit du narrateur de Daniel Maggetti ne se résume évidemment pas à ces grandes lignes. Toute une époque est restituée sous sa plume.

 

Mais, surtout, tous les membres de cette famille ne vivent pas de la même façon leur déracinement, qu'accentue un parler différent, si voisin.

 

Le lecteur est ainsi touché par le destin de Rosa, l'enfant trouvée, qui avait trouvé en Mura un lieu d'ancrage et avait été traumatisée par l'exil.

 

Il est de même touché que sa fille Irma, mère du narrateur, au contraire, ait mis finalement entre Mura et elle une distance incommensurable. 

 

Ce n'était cependant qu'apparence, car, elle fut en réalité tout autre lors d'un bref séjour qu'elle avait fait là-bas avec lui et sa soeur Matilde:

 

Elle était sûre d'elle, rieuse, décidée, comme si elle retrouvait, par-dessus les années écoulées, la jeune fille qu'elle avait été, mis en sourdine par sa vie en Suisse.

 

Après avoir lu l'entretien que Irma a eu avec une ethnologue où elle confie que ses années d'avant la Suisse avaient été les plus belles, il ajoute:

 

Au fond d'elle-même, elle était restée dans son pays d'accueil une étrangère, la petite matlosa brune de 1931.

 

Francis Richard

 

Matlosa, Daniel Maggetti, 144 pages, Zoé (sortie le 3 novembre 2023)

 

Livre précédent:

 

Une femme obscure (2019)

Partager cet article
Repost0
29 octobre 2023 7 29 /10 /octobre /2023 21:40
Fuguer, de Pierre-Alain Tâche

Fuguer: faire une fugue, s'enfuir.

Larousse

 

Fuguer comprend sept récits de voyage et deux poèmes. Pierre-Alain Tâche au cours des années 2019 à 2022 a voyagé, ou, pour adopter son langage, fugué en Suisse (Deux heures suffisent à provoquer un total dépaysement), en France et en Italie.

 

Pour ce qui concerne la Suisse, il n'est guère amène envers ceux qui vénèrent encore une Suisse idyllique, qui, à ses yeux, n'existe plus: [Le] principal lien entre les habitants de la Suisse, d'où qu'ils viennent, [...] est de nature institutionnelle, écrit-il.

 

À Berne, dans un café, où il faisait une pause, il se rendit compte que sa présence au monde avait été, singulièrement, plurielle: Aucune sensation, aucune ligne lue, aucune parole, aucune musique ne s'était effacée au détriment d'une autre.

 

Sinon, il privilégie maintenant les destinations qui lui sont déjà connues au risque d'être déçu. D'ailleurs, il n'a jamais voulu ni faire de la consommation touristique, ni, en conséquence, voyager pour se divertir, pour le fun comme on dit de nos jours.

 

Il éprouve l'absolue nécessité de la quête sans fin d'un accord avec le monde, d'une réconciliation.  Autrement dit, il garde l'espoir d'instants qui puissent impliquer l'entier de [son] être et conférer encore un peu de beauté, de douceur et de sens à la vie.

 

Le touriste d'aujourd'hui prend des photos. Lui en prend également, mais, parce qu'il ne fait pas entièrement confiance à sa mémoire, toutefois, précise-t-il, la froideur du cliché échouera [...] à entamer la vérité singulière de mon poème ou de mon récit:

 

Le déclencheur, en définitive, sert avant tout à assurer la sauvegarde de ce que j'ai vu.

 

Dans son dernier récit - il a toujours été attiré par les édifices de l'architecture romane -, une abbaye toscane canalise son esprit vers l'intériorité. Agnostique, ayant pris place dans une travée située en face du choeur, il y fait une expérience inédite:

 

Le silence a coulé en moi si profondément que je me suis senti comme réconcilié avec moi-même et entièrement relâché quand la concentration de mon attention demeurait extrême.

 

Ce n'est pas pour autant qu'il est devenu croyant. Il est bien conscient que la foi ne se partage pas: Elle tient du plus intime et d'une grâce que j'avoue avoir négligé de solliciter ou de recevoir. Mais il a éprouvé une paix intérieure très estimable.

 

En rendant compte de ses voyages, lors de cette dernière expérience comme lors des autres rapportées dans ce livre - qui révèle un peu au lecteur son art de fuguer -, l'écriture lui aura à tout le moins permis d'aller au tréfonds de ce qu'il a vécu.

 

Francis Richard

 

Fuguer, Pierre-Alain Tâche, 172 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédemment chroniqués:

 

Vues sur Cingria (2020)

Champ libre I (Carnets 1968-1993) (2020)

Champ libre II (Carnets 1994-2006) (2021)

Partager cet article
Repost0
25 octobre 2023 3 25 /10 /octobre /2023 17:20
La Suisse romande à pied - Suivi de Genève en campagne, de Guy Mettan

Marcher seul est la meilleure hygiène qui soit, me dis-je, car cela apprend à penser par soi-même. Penser comme la meute, c'est épouser le consentement général, et donc la non-pensée. Marcher et penser en solitaire, c'est se fortifier soi-même, dans tous les sens du terme, physique et moral.

(Seizième jour)

 

Guy Mettan n'est pas du genre à dire de faire ce qu'il ne fait pas lui-même. Dans ce livre roboratif, il raconte comment il s'est efforcé de mettre le précepte en pratique et que la recette a été efficace.

 

En juillet, août, septembre, octobre 2021, il a parcouru La Suisse romande à pied. À l'automne 2019, il avait tenu sa promesse électorale de mener campagne à pied dans les 45 communes genevoises.

 

Le premier périple, qui est chronologiquement le second, lui a demandé trente-huit jours de marche, et le second onze. Ce qui représente respectivement un petit millier de kilomètres et 215 kilomètres.

 

Dans l'un comme dans l'autre cas, les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Non seulement les lieux changent, mais la météo, les rencontres, la forme physique qui dépend des pieds, le décor:

 

Plus j'avance dans ces paysages odorants et chatoyants, plus je me convaincs que la Suisse, c'est d'abord des odeurs, des couleurs, des saveurs, une texture.

(Deuxième jour)

 

Dans son introduction, L'appel, reçu pour se mettre en marche à travers la Suisse romande, il fait l'aveu qu'il a découvert la richesse d'une Suisse des interstices, qui vit incognito, loin du brouhaha mondain:

 

Après deux ans de confinement, de soumission covidienne, cela m'a fait le plus grand bien. Je me suis réconcilié avec l'humanité, avec mon pays et avec moi-même.

 

Si dans le périple genevois les communes traversées sont mentionnées au jour le jour, dans le périple romand la distance parcourue par jour varie de 6 à 31 km, fonction du temps, du dénivelé, du physique.

 

Certains jours, pour se donner du coeur à l'ouvrage, il médite sur une pensée philosophique de Philippe Roth, de Beaumarchais ou d'Ivo Andrić. Il termine d'ailleurs par une, pour la route, de Confucius:

 

Les routes sont faites pour les voyages et non les voyages pour la route.

(Trente-huitième jour)

 

Pour sa promenade électorale genevoise, Guy Mettan s'était donné une devise: Pour ma planète, pour mon pays. Louable intention qui le rangeait dans le camp du Bien, avant qu'il ne le dise tyrannique.

 

Le lecteur lui pardonnera donc, d'autant que les verts de toutes obédiences ont commencé à être remis à leur place lors des dernières élections fédérales et que l'auteur termine son livre en ces termes:

 

Comme dit le Tao, le bonheur c'est le chemin, pas la destination.

 

Francis Richard

 

La Suisse à pied - Suivi de Genève en campagne, Guy Mettan, 128 pages, Slatkine

 

Livres précédents:

La tyrannie du Bien, 256 pages, Éditions des Syrtes (2022)

Le grand Zack, 96 pages, Éditions des Syrtes (2022)

 

Avec Christophe Büchi:

Dictionnaire impertinent de la Suisse, 192 pages, Slatkine (2011)

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
  • Contact

Profil

  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.

Références

Recherche

Pages

Liens