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27 juin 2023 2 27 /06 /juin /2023 17:30
Pendez-le haut et court !, de Reda Bekhechi

Le roman de Reda Bekhechi se passe dans les années 1960 à Oran, un peu avant et juste après l'indépendance de l'Algérie, le 5 juillet 1962.

 

La couverture du livre représente un des deux lions de bronze de l'hôtel de ville, que survolent des élanions blac, rapaces aux yeux rouges.

 

L'auteur restitue l'ambiance de la ville portuaire à une époque où ceux qui avaient rêvé d'un avenir radieux sont bien obligés de déchanter.

 

Le récit est celui de la cavale d'un ennemi public, surnommé l'Assommeur, qui frappe à l'aveugle et sème l'épouvante avec un pilon doré.

 

Il apparaît alors qu'Oran, l'Indépendance déjà lointain souvenir, ressemble à un champ miné d'amertume, de vindictes et de confuses terreurs.

 

L'Huissier est le surnom de Slimane Louissi. Pour ses supérieurs planqués à Alger, ce policier dresse le constat de la désolation de la ville.

 

Le Chroniqueur est le surnom de Lofti Benadi. Ce journaliste, conscient du fiasco prévisible du pays, connaît Oran dans ses moindres recoins.

 

Le Chroniqueur et l'Huissier se demandent qui est cet aventurier aux coups d'éclats ravageurs, justicier pour les uns, engeance pour les autres.

 

Le lecteur a le choix parmi quelques personnages hauts en couleur, que décrit l'auteur. Mais il en est un qui peu à peu se détache du lot...

 

Cet homme qui nargue est à abattre: "Pendez-le haut et court!" tranchèrent quelques haut placés dans la pyramide du pouvoir. Seront-ils exaucés?

 

Francis Richard

 

Pendez-le haut et court !, Reda Bekhechi, 212 pages, Éditions Livreo-Alphil

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24 juin 2023 6 24 /06 /juin /2023 18:00
Tout est vent, de Christine Rebourg Roesler

Quelque chose de durable... ce qu'interdit précisément le mouvement de la vie, cette marche inexorable et chahutée vers la fin.

 

Christine Rebourg Roesler emprunte cette expression à Anna de Noailles qui disait:

 

J'ai voulu toutes choses ici-bas et, si j'y songe, je m'aperçois que je n'ai rien voulu qui ne fût le ciel... quelque chose d'absolu, de profond, de durable.

 

Dans Tout est vent, au titre évocateur, l'auteure s'intéresse à l'impermanence des êtres et des choses. Seuls les écrivains peuvent la contrecarrer. Seuls, armés de mots, ils peuvent en effet lui résister. Comment? En laissant

l'empreinte indélébile d'une vie plus jamais fugace, passagère,

qui, par leur grâce, débordera de son temps imparti.

 

Aussi s'efforce-t-elle d'employer des mots vivants pour dire la vie vivante et éternise-t-elle à leur suite des personnages plus vrais que réels.

 

Assise sur un banc, elle donne ainsi à voir:

 

- des vieux : délestés du poids du corps souffrant, [...] parmi nous en visite courtoise;

 

- deux jeunes femmes, en apparence antagonistes, l'une trop nue, l'autre trop vêtue: ne jamais croire la seule surface du visible;

 

- deux femmes hissées sur des stilletos: cela n'en fait pas des soeurs égales, car ils seront selon leur âme et leur histoire, une grâce ajoutée, un objet de torture, un fétiche brandi.

 

L'époque est aux écrans - aujourd'hui le monde est devenu petit -, à l'avachissement des tissus, des corps, à l'affaissement du langage, à l'incapacité à vivre le temps et l'usure, à la photo de soi. Alors, pour se rasséréner, elle se souvient:

 

- d'Elsa Schiaparelli : si l'on aime Elsa c'est pour la langue parlée de ses robes;

 

- des voix reconnaissables entre toutes de Fanny Ardant, de Simone Signoret, de Philippe Léotard ou d'Anouk Grinberg dont les peintures lui permettent de crier sans gêner ses voisins;

 

- de l'amour sacralisé et son divin visage, pas l'amour absolu, qui appartient à Dieu et non à l'homme, son vassal et qui ne se trouve pas au bout de l'écran;

 

- de la truculence, de la saveur, de la sensualité partagées de Charles Ferdinand Ramuz, de Jacques Chessex et d'Anna de Noailles.

 

Si elle s'effraye enfin de l'apparition d'un homme nouveau, créé ex nihilo, et d'une nouvelle ère,

celle d'un monde peuplé de créatures hybrides,

ni hommes, ni femmes,

ni jeunes, ni vieux,

peaux et mémoires lissées,

mi humain mi machine,

un humain modifié,

circulant sous le ciel d'une saison unique,

dans un temps jamais compté,

elle place sa confiance dans ce peu d'homme, que les Grands Manipulateurs de l'espèce seront obligés de lui conserver, pour déjouer leur contrôle sur la vie humaine par quelques algorithmes.

 

Les mystiques et les agnostiques, chez qui sera présent ce peu d'homme, leur feront obstacle, dans un même élan de quête de sens:

Si tout est vent, tout est vain,

croyons aussi que tout est vent, tout devient.

 

Autrement dit:

Un peu de vie suffit pour faire revivre un monde.

 

Francis Richard

 

Tout est vent, Christine Rebourg Roesler, 96 pages, Éditions de l'Aire

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22 juin 2023 4 22 /06 /juin /2023 20:50
Le complexe d'Eurydice, d'Antonio Albanese

En voulant trop exister aux yeux de ceux que l'on aime, on se tue, on tue toute possibilité d'être soi-même et d'échapper à la tyrannie des regards, la tyrannie de l'amour.

 

Tel est Le complexe d'Eurydice, qui fut condamnée à retourner aux Enfers, après qu'Orphée n'eut pas résisté à la regarder avant qu'ils ne soient sortis du Royaume des morts.

 

Dans le roman d'Antonio Albanese, c'est un homme, François, qui est atteint de ce complexe et qui finira donc, c'est écrit à l'avance, comme la bien-aimée du poète grec mythique.

 

François a aimé, deux fois: Mathilde son seul amour, son amour de jeunesse; et Lisa, une collègue des classes supérieures de l'établissement scolaire où, lui, il enseigne aux petits enfants.

 

Son problème? En présence d'une femme, ma timidité s'exprimait à travers une certaine brusquerie ou maladresse qui pouvait être mal interprétée. La solution: un site de rencontres.

 

Car un site de rencontres, c'est bien pour ce timide maladif, c'est la solution technologique pour entrer en contact avec des femmes disponibles. Ainsi rencontre-t-il virtuellement Lucrecia.

 

François, 35 ans, comprend très vite au fil de leurs échanges que Lucrecia, 44 ans, recherche un homme qui ne soit pas banal, et lâche un pieux mensonge, qui sera son péché originel:

 

... D'ailleurs, je sors tout juste de prison...

 

Cet aveu donne envie à Lucrecia de le rencontrer en vrai, impressionnée d'être tombée sur quelqu'un qui sort de l'ordinaire. Cela se passe bien, sauf que n'osant pas la décevoir, il précise :

 

 J'avais tué mon amie après des années d'abus.

 

C'est alors que commence la descente aux Enfers de François. Pour se conformer à l'image de mauvais garçon que Lucrecia aime, cet homme doux, jouant un temps le brutal repenti, change.

 

Une phrase attribuée à John Cage le conforte dans sa métamorphose; il adopte en effet sa version révisée de la Règle d'Or classique 1, qui lui paraît autrement plus exigeante et généreuse:

 

Faire à autrui ce qu'autrui voudrait qu'on lui fasse.

 

Mais, au fait, François sait-il vraiment ce que Lucrecia voudrait qu'il lui fasse? C'est pourquoi, plus il y pense, plus la notion de consentement en amour lui paraît sous un jour problématique.

 

Le péché final sera l'écho du péché originel. L'amour de François pour Lucrecia n'aura été qu'un malentendu tragique, fait d'attirances et de répulsions, de caresses et de coups entre amants.

 

Francis Richard

 

1 - Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse.

 

Le complexe d'Eurydice, Antonio Albanese, 152 pages, BSN Press-OKAMA

 

Livres précédents à L'Âge d'Homme:

La chute de l'homme (2009)

Le roman de Don Juan (2012)

Est-ce entre le majeur et l'index dans un coin de la tête que se trouve le libre arbitre? (2013)

La disparition des arcs-en-ciel (2020)

 

Livres précédents chez BSN Press:

Une brute au grand coeur (2014) (sous le pseudonyme de Matteo di Genaro)

Voir Venise et vomir (2016)

1 rue de Rivoli (2019)

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21 juin 2023 3 21 /06 /juin /2023 18:45
Sursis, de Pierre De Grandi

Ce récit autobiographique commence par un mode d'emploi de médicament, qui n'étonnera pas ceux qui savent que l'auteur fut médecin:

 

À ne surtout pas secouer avant l'emploi

Ouvrir les yeux sur le réel à l'inspiration (chapitres pairs)

Fermer les yeux sur l'imaginaire à l'expiration (chapitres impairs)

 

Comme tout mode d'emploi de ce type, il précise la posologie, les contre-indications, les précautions, ce qui révèle un sérieux humour.

 

Dans les chapitres impairs Pierre De Grandi imagine ce qui lui adviendra quand il sera mort, mais il emploie le présent de l'indicatif:

 

Je suis mort, écrit-il au début du chapitre 1.

 

Dans les chapitres pairs, il est dans le réel, celui du cancer qui l'a attrapé, un sarcome, retour à la surface d'un lymphome disparu naguère...

 

Dans les chapitres impairs, cet agnostique1 se demande si la mort, elle, aurait un sens, tandis que dans les pairs, il observe sa maladie.

 

Son sarcome est rare et disséminé. Est tentée alors une chimiothérapie dont les substances n'ont été utilisées que pour certains mélanomes.

 

Après plusieurs semaines, ce traitement a, sur le cobaye, un effet marqué et extrêmement encourageant, qui laisse espérer une rémission:

 

Je suis en sursis.

 

De Grandi continue d'imaginer ce qu'il adviendra de lui dans l'Au-Delà, sans besoins corporels, mais ses envies pérégrines satisfaites.

 

Quitte à y faire des rencontres, autant que ce soient des personnes de son choix, des proches, des personnalités et même des inconnus.

 

Très rationnel, il relève les incohérences des Écritures. Mais peut-être s'attache-t-il trop à la lettre plutôt qu'à l'esprit qui les a inspirées...

 

Il se pose des questions, ce qui montre son humanité. Et ce qui est remarquable, c'est qu'il ne se plaint pas de son sort pourtant scellé.

 

Dans ce récit, pendant des mois, le lecteur vit avec l'auteur l'évolution de sa maladie et de ses réflexions sur la vie, donc sur la mort.

 

A-t-il raison de penser que, dans l'Au-Delà, le temps se dissout dans l'éternité ou que les souvenirs s'envolent avec la fin de la matière?

 

Un jour, lassé de spéculer, il renonce à décrire les chimères imaginaires d'un éventuel arrière-monde et n'écrit plus que des chapitres pairs.

 

Tout au long du récit, les examens médicaux se succèdent et leurs résultats ne laissent pas d'influencer l'humeur de l'auteur et de ses proches.

 

Depuis le chapitre 7, le lecteur sait que, si l'auteur écrit il pense, donc que s'il écrit il existe, pour paraphraser le brasseur de cartes philosophiques.

 

Il faudrait s'inquiéter s'il ne peut plus écrire et dise: Je n'ai plus la force de séduire les mots ni de les contraindre à m'obéir sinon à me suivre.

 

Francis Richard

 

1 - Il écrit dans le chapitre 25: J'espère que Dieu existe à défaut de pouvoir y croire.

 

Sursis, Pierre De Grandi, 224 pages, Slatkine

 

Livres précédents chez Plaisir de lire:

Le tour du quartier (2015)

Quand les mouettes ont pied (2017)

 

Livre précédent chez Slatkine:

Casimir ou la vie derrière soi (2021)

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17 juin 2023 6 17 /06 /juin /2023 19:55
Un crime couleur rubis en Birmanie, de Sandrine Warêgne

Par hasard, pendant qu'elle buvait un café avec une amie, elle avait laissé son regard vagabonder sur les annonces du mur d'affichage de l'Université et avait aperçu un petit bout de papier:

"2 gars cools cherchent troisième personne pour partir en Birmanie cet été sac à dos. Intéressé/e?". Le mot était suivi d'un numéro de portable et signé Alex et Matt.

 

Vanessa Egger saisit cette opportunité. En effet elle n'a pas envie de voyager seule et le risque ne lui semble pas grand puisqu'il s'agit de deux étudiants de son université helvétique.

 

Cet été 2012, Alexandre Baer, fils de famille aisée genevoise, et Matthias Chiu, fils d'une famille bien plus modeste d'origine chinoise, viennent tous deux d'être diplômés de HEC Genève.

 

Vanessa doit rendre début 2013 un mémoire de fin d'études littéraires où elle se propose de comparer La vallée des rubis de Joseph Kessel et Une histoire birmane de George Orwell.

 

Vanessa a donc choisi la Birmanie pour connaître le pays de ses auteurs favoris, tandis que Matt et Alex veulent y aller parce que c'est un pays fascinant venant d'entrouvrir ses frontières:

 

Les minorités ethniques font l'objet de nombreuses persécutions par la junte militaire. La religion principale est le bouddhisme. Au niveau économique, la Birmanie cultive principalement le riz. Son sous-sol est riche en pierres précieuses, notamment le rubis et le jade, mais aussi en pétrole.

 

À leur arrivée à Rangoon, les étudiants suisses se rendent dans une maison d'hôte tenue par deux Françaises. Vanessa, après avoir pris une douche, rejoint Alex et Mathias attablés à la terrasse.

 

Vanessa aperçoit son ex, Ben, assis quelques tables plus loin avec sa femme Fiona. Cet Anglais volage, connu à Londres lors d'un échange Erasmus, se rend souvent dans ce pays pour affaires:

 

Mais il lui semblait étrange qu'il se trouve dans un petit hôtel plutôt inconnu et recommandé par un guide pour routards français. Tout à coup, elle comprit! Il avait dû voir son profil Instagram, c'était la seule explication possible.

 

À une autre table, un couple de Français, Sam et Diane, attire l'attention du trio: [ils] semblaient plus habitués à des hôtels du type Relais & Chateaux qu'à de modestes chambres d'hôte.

 

Pendant ce temps-là, à Genève, l'inspecteur Camino se demande comment il va fêter ses quarante ans; Monsieur Léonard, directeur de Van Asp & Co accepte une commande du prince Khaled:

 

Une magnifique parure de rubis [que sa troisième femme] porterait le jour de leur mariage.

 

Quel est lien entre tous ces personnages, auxquels s'ajoutera un autre en cours de récit? Le titre du roman de Sandrine Warêgne, Un crime couleur rubis en Birmanie en donne une indication.

 

Un crime y sera bien commis pendant le périple qu'y feront sur le même itinéraire Alex, Mathias, Ben, Fiona, Sam et Diane, avec pour mobile les rubis destinés à la parure commandée par Khaled.

 

Démêler les tenants et les aboutissants de ce crime ne sera pas une mince affaire. Mais le lecteur, malmené, aura la satisfaction d'avoir fait, comme s'il y avait participé, un beau voyage exotique.

 

Francis Richard

 

Un crime couleur rubis en Birmanie, Sandrine Warêgne, 206 pages, Éditions Spinelle

 

Livre précédent:

 

Le banquier du quai du Mont-Blanc, Éditions Mon Village (2015)

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15 juin 2023 4 15 /06 /juin /2023 22:15
Une disparition, de Daniel Bernard

Je suis perdue. Ne me rappelle plus. Je t'embrasse. N.

 

C'est par ce petit texte envoyé à son téléphone portable que Tatsuya apprend que sa compagne Natsumi rompt avec lui: ils avaient rendez-vous ce jour de juillet 2015, à 14 heures, devant le temple d'Asakusa à Tokyo.

 

Le soir même, à 22 heures, Tatsuya se rend au poste de police de ce quartier et demande conseil à son chef, Akira Sano. S'agit-il d'Une disparition? Au lieu de s'apitoyer, le policier expérimenté le fait mettre à l'ombre:

 

Ne disait-on pas que dans 80% des disparitions inquiétantes, celui qui vient en faire part est suspect, et que dans 80% des cas, de nouveau, c'est le coupable lui-même qui vient se confesser.

 

En réalité Natsumi Nakajima a disparu volontairement, comme elle en a eu le projet depuis très longtemps et en a discuté avec son double. En fait plutôt que de parler de  disparition, il faudrait parler d'évaporation.

 

Dans sa vie, il y a déjà eu deux disparitions, celle de son arrière-grand-père qui, en 1941, n'est jamais revenu de sa mission sur Pearl Harbor, et celle de ses parents qui, en 2011, ont été portés disparus à Fukushima.

 

Le plus curieux dans l'évaporation de Natsumi est qu'elle a dit adieu à son passé le jour même où elle a obtenu son diplôme de pilote de locomotive de Shinkansen, le train à très grande vitesse des Japan Railways.

 

À la décharge de Natsumi, son compagnon, Tatsuya, un horloger-réparateur, n'est qu'un employé modeste aux petites ambitions, même s'il rêve de créer une montre qui ne verra jamais le jour par manque d'inventivité.

 

Tatsuya est relâché au bout de quelques mois, faute de preuves de sa responsabilité dans la disparition de Natsumi. Qui vit désormais sous une autre identité, celle d'une journaliste, Nana Nogushi, spécialiste des trains.

 

Les années passent. Akira, qui a été promu, a emporté avec lui le dossier de la fugitive. Celle-ci rencontre fortuitement Tatsuya aux bras d'une femme dont elle ignore qu'elle est sa collègue Yumi et qui paraît bien enceinte:

 

Natsumi écrirait une lettre à Tatsuya. Quelle lettre? Une lettre de repentir? Jamais de la vie! Une lettre d'excuses? En tout cas pas.

 

Cette lettre, Natsumi l'envoie à Tatsuya. Qui s'empresse de la communiquer à Akira, ayant tous deux la certitude qu'elle provient bien de Natsumi, bien que les traits saillants de cette lettre soient pour le moins surprenants:

 

J'ai honte, mon amour, hazukashii, mais je devais changer les mouvements des aiguilles de ma vie. Un jour peut-être nous retrouverons-nous. J'ai sans doute brisé ta vie sans le vouloir. Ne m'en veux pas. J'ai changé de vie, de monde. Me retrouveras-tu un jour? Me pardonneras-tu? N.

 

L'enquête, compliquée, est relancée par Akira qui en fait une affaire de plus en plus personnelle. Il n'est pas sûr que Tatsuya en soit dupe. Quant à Natsumi, c'est peut-être l'occasion de ne faire plus qu'une avec son double... 

 

Francis Richard

 

Une disparition, Daniel Bernard, 288 pages, Favre (Prix du polar romand 2023)

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5 juin 2023 1 05 /06 /juin /2023 16:45
Witch Hunt, d'Olivia Gerig

La femme n'ignorait pas cette légende. Née dans la région, elle connaissait la mauvaise réputation du lieu et c'était d'ailleurs pour cette raison qu'elle s'y rendait. Elle était sûre de ne pas survivre si elle enjambait la barrière et se précipitait dans le vide.

 

Le roman d'Olivia Gerig commence par le suicide, le 23 mars 1986, d'une femme qui se jette dans l'abîme depuis le pont du Diable qui relie les deux hameaux de Saint-Gervais en Haute-Savoie, achevé le 23 mars 1876 grâce à une ruse faite au diable.

 

Trente plus tard, le 22 mars 2016, alors qu'un mariage doit être célébré au Château Saint-Michel d'Avully, à Brenthonne, une découverte macabre y est faite. Les cadavres d'une fille et d'un garçon, asphyxiés, sont trouvés sur deux bûchers laissés intacts.

 

Le même jour, Elias, un ado accro à un jeu en ligne, se voit sommé de se rendre à minuit à l'endroit indiqué au niveau le plus élevé de ce jeu intitulé Witch Hunt 1, un effrayant sanatorium désaffecté qu'il connaît bien. S'il n'est pas ponctuel, il est mort...

 

La capitaine Aurore Pellet, de la PJ d'Annecy, doit renforcer les équipes de Thonon et mener l'enquête sur le double meurtre. Cela tombe mal parce que son amant Jules, policier parisien, doit la rejoindre pour dîner ce soir-là avec quatre autres convives. 

 

Sa collègue, spécialiste des réseaux sociaux, Marion Lefort, sera en appui au commissariat d'Annecy. Sur place, au château, trois siècles plus tôt, des sorcières ont été brûlées après avoir été pendues, victimes de leur différence avec la pensée dominante.

 

À ces éléments s'ajoutent les faits que les deux victimes identifiées appartiennent à des milieux favorisés et qu'une recherche effectuée par Marion Lefort sur les réseaux sociaux a permis d'apprendre que la jeune fille assassinée a été harcelée au lycée.

 

Bien sûr, les réponses aux questions qui? pourquoi? comment? ne sont données qu'à la fin par l'auteure, non sans que d'autres découvertes macabres interviennent entre-temps. Si crimes atroces et criminels sont de tous temps, les techniques évoluent:

 

Les technologies de l'information sont des armes presque aussi dangereuses que les armes à feu. Elles détruisent, elles mettent à l'honneur, puis anéantissent, permettent de contrôler et de dominer plus rapidement et efficacement.  

 

Francis Richard

 

1 - En français, la chasse aux sorcières...

 

Witch Hunt, Olivia Gerig, 496 pages, Les Éditions Romann

 

Livre précédent à Gore des Alpes:

Buffet de campagne (2022)

 

Livres précédents à L'Âge d'Homme:

Le Mage Noir (2018)

Les ravines de sang (2020)

 

Livres précédents chez Encre Fraîche:

Impasse khmère (2016)

L'Ogre du Salève (2014)

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2 juin 2023 5 02 /06 /juin /2023 22:55
Un été avec Jankélévitch, de Cynthia Fleury

Du 4 juillet 2022 au 26 août 2022, du lundi au vendredi à 7h54, sur France Inter, Cynthia Fleury a passé Un été avec Jankélévitch:

 

D’origine juive et russe, il est le philosophe de toutes les variations de la vie : le charme du «je ne sais quoi» du printemps, l’irréversible de la barbarie historique et l’impossible pardon envers les peuples tortionnaires, la nécessité du courage, de l’engagement éthique et politique, le plaisir ineffable de la musique. Un penseur de l’humour et du sérieux.

 

Le livre contient bien toutes les émissions radiophoniques de l'été 2022, mais celles-ci n'y apparaissent pas dans le même ordre. L'auteure les a en effet regroupées en quatre grands thèmes. Cet agencement permet de se faire une idée du philosophe subtil, donne envie de le lire ou de le relire, nourrit la réflexion.

 

LE PENSEUR DU TEMPS

 

La philosophie ne sert à rien, disait Jankélévitch. Ce qui ne veut pas dire qu'elle est inutile, puisqu'elle permet d'affronter la mort, de surmonter l'angoisse de la mort.

 

La philosophie n'apprend pas à mourir, car on ne peut apprendre d'une chose que si elle est reproductible, ce qui n'est pas le cas de la mort.

 

Le philosophe conjugue celle-ci:

- au futur, à la première personne, la sienne;

- au présent et au passé, à la deuxième personne, celle de l'autre, et à la troisième personne, celle de tous les jours, abstraite et anonyme.

 

Pour dire l'irréversibilité de l'instant, qui fait penser à la naissance et à la mort, Jankélévitch a inventé un mot, primultime: c'est l'instant mort-né, le presque rien, le presque-quelque chose en attente de surgissement, l'apparition disparaissante.

 

Pour le philosophe, la nostalgie, c'est la conscience de l'irréversibilité du temps.

 

Pour lui, l'ennui est l'antithèse de la générosité. L'homme qui s'ennuie est indigne, alors que le monde est en peine, qu'il y a tant à faire, à transformer.

 

À la suite de Henri Bergson, il dit que "Le temps est l'essence de l'homme", que l'homme est "un animal temporel" qui doit prendre le temps à l'endroit, c'est-à-dire "ne pas regarder en arrière" afin de pas être rendu immobile, et esclave.

 

LE PENSEUR DES VERTUS ET DE L'AMOUR

 

Parmi les penseurs dont Jankélévitch est l'héritier, il y a Baltasar Gracián, qui est le théoricien de l'apparence, celle qui trompe bien sûr, mais aussi, et surtout, celle qui confirme la présence de quelque chose, justement d'un je-ne-sais-quoi.

 

Jankélévitch considère que l'humour est supérieur à l'ironie. Il a permis aux Juifs "de déjouer les persécuteurs" tout en se moquant d'eux-mêmes, ce qui leur a évité de substituer une autre idole à "une idole renversée, démasquée, exorcisée"

 

Jankélévitch refuse le purisme moral: Oui, le mensonge existe, et il est déplorable, à dénoncer, mais il peut avoir les allures de la vérité en place, celle du pouvoir et de l'occupant.

 

Jankélévitch fait du courage la vertu cardinale, celle qui rend possible les autres vertus. Mais on ne conjugue pas le courage au passé. C'est toujours du présent.

 

Si Jankélévitch refuse le purisme moral, la pureté est possible si elle est un presque-rien, et non un tout: il ira du côté de l'amour, la seule pureté viable pour l'homme. [...] L'amour n'est nullement qu'un sentiment, c'est l'autre nom de la morale:

 

"Si claires que soient les raisons d'aimer, on n'aime que dans la nuit du discours."

 

La philosophie morale de Jankélévitch se caractérise par le sérieux, qui est l'inverse du dogme: C'est un rapport au temps, à l'irréversibilité du temps, à l'instant qu'il faut saisir pour en faire un événement de responsabilité.

 

Jankélévitch consacre des pages notamment:

- à la gratitude: la donation enrichit et celui qui reçoit et celui qui donne, miraculeusement

- à la justice: il faudra la bonté, et l'équité pour la rendre moins terrible et plus humaine,

- au plaisir: ce qui l'intéresse, ce n'est pas l'aller simple vers l'enfer, mais plutôt celui vers la grâce,

- à l'amitié: elle est à jamais du côté de la vigilance et c'est là toute sa grâce, du côté indéfectible de la joie.

 

LA PHILOSOPHIE INDISSOCIABLE DE LA MUSIQUE

 

Vous voulez définir la philosophie de Jankélévitch: jouez du Liszt ou du Debussy.

 

Alors que la virtuosité de Liszt pourrait être rédhibitoire, elle signe ce qu'il nomme "la profondeur paradoxale de l'apparence", autrement dit l'apparaître mène à l'être, à l'essence des choses.

 

Grâce à Ravel, Jankélévitch affine sa philosophie morale en y ajoutant la question de l'hédonisme, de la sincérité du plaisir, cette cohérence qui peut exister à de rares occasions, entre le plaisir et sa validité, le plaisir juste et non pas honteux.

 

Fauré ? En [...] écoutant [sa musique], en cherchant à la penser, c'est à la fois sa métaphysique et sa morale qu'il définit, et plus simplement la vie de l'homme, sérieuse et superficielle, bouleversante et frivole, entre imposture et grâce.

 

En écoutant Les Pas sur la neige de Debussy, c'est encore le "je-ne-sais-quoi" et le "presque-rien" que l'on entend ici. On croit entendre l'immobilité, mais c'est le mouvement en soi, le mouvement sans le promeneur.

 

Lorsque [Jankélévitch] veut dire quelque chose du je-ne-sais-quoi sans passer par les images, c'est vers la musique qu'il se tourne, celle de Gabriel Fauré ou de Debussy.

 

LE PENSEUR DE L'ENGAGEMENT ET DE L'HISTOIRE

 

Pour Jankélévitch, la philosophie, c'est d'abord dire non, contester. Il n'est pas étonnant qu'il ait reconnu à Mai 1968 sa part essentielle: la contestation.

 

Pour ce qui de l'Histoire, après la Deuxième Guerre mondiale, une notion prend chez lui de l'ampleur bien au-delà de la seule dimension juridique: l'imprescriptible.

 

L'imprescriptible, c'est la vie de l'Histoire et non le fossilisé, ce qui nous oblige à ne pas nous illusionner sur la bonhomie des êtres humains, c'est savoir que cet humain-là est capable de la pire inhumanité, indignité, barbarie.

 

Se pose le dilemme insoluble du pardon et de l'impardonnable. Lui-même ne peut pardonner: "Le pardon est mort dans les camps de la mort.". Il écrit cependant: "Le pardon est un acte absurde, irrationnel, même scandaleux, et pourtant il est sublime."

 

Quand il le faut, il faut s'engager, autrement dit "honorer le sérieux", simplement agir, faire ce qu'il y a à faire, ne pas déléguer à autrui cette obligation. Il ne s'agit pas de jouer les va-t-en-guerre, ni de défendre le pacifisme à tous crins.

 

Jankélévitch s'est engagé pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il ne s'est pas demandé s'il voulait. Il a voulu: Vouloir, c'est trancher, c'est décider. [...] La volonté de vouloir reste toujours mystérieuse, rationnelle et irrationnelle, arbitraire, comme le courage, c'est séance tenante, comme l'amour...

 

Pour lui qui a indissociablement lié métaphysique et morale, la question du mal est fondamentale. Tous les hommes en sont porteurs. Contre le mal, il y a moins le bien que l'amour, au sens où ce qui protège chacun d'entre nous de la tentation du mal, c'est la mise à distance de son ego.

 

Jankélévitch est le penseur de l'aventure: L'aventure est "morale", parce qu'elle correspond à un "sérieux" qui n'est pas contraint: personne ne nous oblige à l'aventure.

 

Pire que l'irréversible, c'est-à-dire l'impossibilité de refaire, il y a l'irrévocable, c'est-à-dire l'impossibilité de défaire. Pour s'en sortir, chacun peut faire autrement demain. Mieux vaut tard que jamais.

 

Le pur et l'impur ne sont pas simples à démêler: Celui qui sait saisir le printemps au milieu des pires hivers a l'âme pure non à cause de sa pureté mais tout simplement parce qu'elle fait son travail d'âme, saisir le je-ne-sais-quoi.

 

Quand est-on libre? Tous ceux qui veulent s'essayer à la liberté ne peuvent pas simplement regarder l'homme libre ou discourir sur la liberté, il faut l'incarner, par ce seul fait de basculer dans le devenir, de s'engager dans le monde, d'acter la responsabilité.

 

Jankélévitch n'est pas complaisant envers la violence: En fait, défendre le sérieux empêche de défendre la violence parce que le sérieux ne peut renoncer à penser la suite, après la violence. Le sérieux est toujours séance tenante, ici et maintenant, mais il construit l'action à l'aune du futur. Il est entièrement tourné vers le futur, et dès lors il sait bien que la violence est sans fécondité.

 

CONCLUSION

 

La philosophie de Jankélévitch est toute subtile car elle tourne autour de l'indicible et l'inexprimable...

 

Francis Richard

 

Un été avec Jankélévitch, Cynthia Fleury, 192 pages, Équateurs

 

Dans la même collection:

Un été avec Colette, d'Antoine Compagnon (2022)

Un été avec Rimbaud, de Sylvain Tesson (2021)

Un été avec Pascal, d'Antoine Compagnon (2020)

Un été avec Paul Valéry, de Régis Debray (2019)

Un été avec Homère, de Sylvain Tesson (2018)

Un été avec Machiavel, de Patrick Boucheron (2017)

Un été avec Victor Hugo, de Laura El Makki et Guillaume Gallienne (2016)

Un été avec Baudelaire, d'Antoine Compagnon (2015)

Un été avec Montaigne, d'Antoine Compagnon (2013)

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch

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28 mai 2023 7 28 /05 /mai /2023 19:55
Le Trille du Diable, de Nabil Malek

"Je viens d'obtenir l'autorisation. Vous êtes transféré à Berlin-Est, auprès d'une unité d'élite. Vous êtes un militaire d'exception, je vous connaissais de réputation, mais je vois qu'elle n'était pas usurpée. Vous parlez parfaitement l'allemand. Après cette mission d'environ deux ans, vous reviendrez au pays et serez en charge de mettre en place ce système."

 

Le capitaine égyptien Amin el Foda, né en 1945, est un héros de la guerre des six jours de 1967, qui n'aura duré que six minutes. Il est honoré de se voir confier mission, deux ans après, de se former à la Stasi.

 

Cet homme, dont le père, Soliman (avec lequel il ne s'entendait pas et qui les a abandonnés) est adepte des Frères musulmans, est lui-même un idéaliste, un stakhanoviste invétéré et un socialiste convaincu.

 

Au cours de sa mission, deux affaires troubles se produisent, dans lesquelles, parce qu'il est d'une naïveté et sincérité confondantes, il se trouve impliqué, bien qu'innocent, sans comprendre ce qui lui arrive.

 

Dans ce pays, qui lui plaît et est conforme à ses idéaux, il est affecté à la Hauptverwaltung Aufklärung, le service de renseignement extérieur de la Stasi, diminutif du Ministerium für Staatssicherheit, MfS.

 

Un couple, Sigrun Thaler et Karl Möll, est envoyé en RFA, pour enquêter sur l'élimination de trois Roméo, des jeunes gens infiltrés pour obtenir des renseignements auprès de jeunes femmes bien placées.

 

Une femme de 26 ans, Léna Hannes, éducatrice dans un pensionnat, est retrouvée morte le 12 novembre 1971, devant le Mur érigé en 1961, abattue, semble-t-il, d'une balle tirée par des soldats américains.

 

Les espions, Sigrun et Karl, disparaissent alors qu'ils devaient prendre contact avec un informateur. Léna, dont Amin était l'amant, n'a pas été victime d'un accident mais bien d'un meurtre, d'après l'enquête.

 

Amin trouve dans l'appartement de Sigrun, hormis des documents prouvant sa trahison, un disque de Giuseppe Tartini, Le Trille du Diable, sonate qu'il écoute chez lui et qui l'étonne lorsqu'elle se fait ample:

 

Peut-être à l'image de Sigrun Thaler qui nous avait tous hypnotisés et entraînés dans une ronde effrénée.

 

Il déplaît quand il expose ses conclusions à ses supérieurs: son sort est scellé. L'amour rend aveugle, les idéaux également: décrété coupable il est incarcéré jusqu'en juillet 1973, où il est subitement libéré...

 

Amin, âgé, écrit son histoire, romancée, de la Guerre froide, que Nabil Malek restitue avec force détails. Il ne connaîtra toute la vérité qu'une fois son roman paru. Son voyage au bout de la colère sera terminé...

 

Francis Richard 

 

Le Trille du Diable, Nabil Malek, 382 pages, Les Impliqués

 

Livres précédents aux éditions Amalthée:

 

La remontée du Nil (2010)

Dubaï, la rançon du succès  (2011)

 

Livres précédents aux éditions L'Harmattan:

 

Le dernier chrétien de Tahrir (2015)

La reine de Beyrouth (2017)

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23 mai 2023 2 23 /05 /mai /2023 22:15
Liban, j'écris ton nom, de Gilberte Favre

Entre 1967 et 2015, j'ai séjourné dix-sept fois au Pays du Cèdre. J'y ai vécu le temps de l'âge d'Or et des guerres, celui des accalmies et des résurrections mais encore celui des attentats et des camps de réfugiés, palestiniens et syriens.

 

Ce livre sur le Liban, qui fut nommé en d'autres temps "Suisse de l'Orient", est un livre de souvenirs, d'hommage à des personnes que la Suissesse Gilberte Favre y a connues ou rencontrées, et à la mémoire de celles qu'elle pleure aujourd'hui.

 

Le titre, Liban, j'écris ton nom, ne peut manquer de faire penser au poème de Paul Éluard. D'ailleurs, un des poèmes, qui se trouve en fin d'ouvrage, intitulé Liberté, comme celui du poète de la Résistance, en reprend le refrain: J'écris ton nom.

 

Le livre touche le lecteur parce que le Liban fut longtemps [sa] patrie de coeur, comme elle le dit. Conjuguer au passé n'est peut-être pas, fût-il simple, le temps qui convient. Le Liban, en dépit des déchirures, reste, à jamais, dans son coeur.

 

Quelques citations prouvent cet attachement indéfectible pour ce pays et son peuple en proie à la guerre, l'Innommable, dont elle partage les joies et les peines, les heureux événements et les morts nombreuses, sur place et par procuration:

 

Au Liban, la mer est infinie. J'aime le Liban parce que j'aime l'infini. (1967)

 

À Jounieh, des noms dansèrent soudain dans mon coeur: Faraya, Broummana, Beit-Mery, Ain Saadé, Beit Eddine, Anjar... Et tant d'autres lieux, de Saïda à Tripoli, aux consonances qui chantaient comme autant de sources libanaises. (1970)

 

Depuis sept ans, je retrouve et quitte le Liban toujours avec la même joie et la même douleur. (1974)

 

Mais pourquoi suis-je revenue dans ce pays qui n'existe plus, qui n'existera peut-être plus, un jour, et qui reste "la maison" où je retournerai toujours, même centenaire [...]? (1983)

 

Au Salon du livre francophone, Européens, Libanais, Occidentaux, Africains et Asiatiques, nous sommes tous unis par un esprit de fraternité. Sans doute parce que nous adhérons à ces mots de Le Clézio affirmant: "Notre seule vraie famille est celle des livres" et que le goût de la poésie fait partie de nos gènes. (2001)

 

En dépit de l'atmosphère internationale du BIEL*, je n'oublie pas que je suis au Liban où le malheur cohabite chaque jour avec le bonheur, l'euphorie avec l'angoisse. (2011)

 

Il faut avoir été confronté personnellement à cet Innommable pour ressentir concrètement le drame que continue d'endurer au quotidien le peuple du Liban. Cette vie éternellement entre parenthèses et qui interdit tous projets. (2012)

 

Au bout du compte, même si je suis inquiète quant à l'avenir du Liban, je crois que le Liban me collera toujours à la peau et à l'âme.

À chaque fois je suis conquise par la gentillesse naturelle des êtres (celle des amis et celle des inconnus des villes et des villages), cette vertu qui ne s'explique pas mais qui, depuis des millénaires, est dans leurs gènes.

Je parie que leur don d'hospitalité sera éternel.

(2015)

 

Francis Richard

 

* Beirut International Exhibition & Leisure, centre de congrès et d'exposition.

 

Liban, j'écris ton nom, Gilberte Favre, 112 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

 

Des étoiles sur mes chemins, L'Aire (2011)

Corinna Bille, le vrai conte de sa vie, L'Aire bleue (2012)

Guggenheim Saga, Editions Z (2016)

Dialogues inoubliés avec Maurice Chappaz, Éditions de l'Aire (2016)

Un itinéraire avec Rimbaud, suivie de Lettre à Philippe Rahmy, Éditions de l'Aire (2021)

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21 mai 2023 7 21 /05 /mai /2023 19:55
Le jour des silures, de Matthieu Ruf, Aude Seigne, Anne-Sophie Subilia, Daniel Vuataz

Le thème choisi par les auteurs du Jour des silures, nés tous quatre dans les années 1980, est de nouveau, du moins pour deux d'entre eux, la fin d'un temps et le début d'un autre, après événement.

 

En l'occurrence, l'événement déclencheur est la montée des eaux, toujours annoncée, et repoussée indéfiniment dans le temps, que les religions du Livre situe dans le passé et non pas dans le futur.

 

La catastrophe une fois survenue permet de raconter une dystopie qui relève davantage de la prophétie, c'est-à-dire de la croyance, que de la connaissance. Il en va ainsi des récits apocalyptiques.

 

Il n'est pas étonnant qu'étant suisses ils aient imaginé ce qui se passerait si la cité de Calvin était submergée depuis une décennie et que deux mercenaires y plongeaient sur mandat et pour leur compte.

 

Boris et Salömon ont pour mission, donnée par la présidente Colombe, de récupérer les plans de la cité, telle qu'elle était, pour que ceux qui sont restés préparent la décrue qui va finir par arriver.

 

Depuis la submersion, des créatures sillonnent les eaux de la ville et les infestent. Ce sont les silures, des poissons agressifs, de grande taille, des monstres dont il a été impossible de se débarrasser:

 

Dieu merci, les bêtes ne sont pas là tout le temps. Elles montent dans la ville par conglomérats certains jours imprévisibles. Toutes les activités extérieures sont alors interdites, un confinement est décrété.

 

L'alerte est alors donnée. Chacun est en effet en possession d'un vibrant, un palet rouge en plastique. Colombe en a remis un pour les deux scaphandriers, en espérant qu'il ne leur sera d'aucune utilité.

 

Dans ce monde d'après la montée, comme toujours après une catastrophe, des marginaux ne suivent pas les règles. L'un des deux plongeurs les rencontre et, prudent, n'en parle pas tout de suite à l'autre...

 

Le jour des silures, qui donne son titre au livre, est le jour où une alerte est lancée. Pendant une telle alerte, les habitants se rassemblent, participent à un récit-corail, psalmodient des chants propitiatoires.

 

Rien ne se passe comme Colombe l'aurait voulu. Les marginaux, les silures, les deux mercenaires, les derniers plans découverts jouent leur rôle, inattendu, dans l'épilogue conditionnel de l'histoire.

 

Car la condition d'une bonne fin n'est pas de s'obstiner à faire renaître la ville contre la nature, mais de la reconstruire avec elle, c'est-à-dire là où des îles, dans ce territoire d'eau, offrent des possibilités. 

 

Francis Richard

 

Le jour des silures, Matthieu Ruf, Anne-Sophie Subilia, Aude Seigne, Daniel Vuataz, 192 pages, Zoé

 

Livres collectifs précédents auxquels ont participé Aude Seigne et Daniel Vuataz: 

 

Stand-by, Saison 1, 1/4 (2018)

Stand-by, Saison 1, 2/4 (2018)

Stand-by, Saison 1, 3/4 (2018)

Terre des fins (2022)

 

PS

Cette lecture m'a redonné l'envie, exprimée déjà l'an passé, d'achever de lire la Saison 1 de Stand-By et d'en poursuivre la lecture avec la Saison 2...

 

Comme dit le fabuliste:

Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que rage...

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17 mai 2023 3 17 /05 /mai /2023 18:45
Autobiographie, de Didier Raoult

Dans cette Autobiographie, ceux qui ont lu les livres ou écouté les émissions de Didier Raoult, sur la COVID-19 retrouveront les faits qui, n'en déplaise aux scientifiques et aux journalistes mainstream, lui donnent aujourd'hui raison1.

 

Les autres la liront avec profit, car ils découvriront tous les mensonges proférés à son encontre, pour lui nuire ainsi qu'à son équipe. Ils n'en seront pas surpris parce que les menteurs finissent toujours, tôt ou tard, par être démasqués.

 

Ce qui, au-delà du rétablissement des faits, est intéressant dans ce livre, c'est qu'il s'y livre, comme il ne l'a jamais fait auparavant, sinon par allusions, relevées seulement par ceux qui savent écouter attentivement, sans le filtre des préjugés.

 

Cette autobiographie est donc également un autoportrait où toutes les facettes d'un homme hors du commun apparaissent. Cela explique pourquoi les médiocres et les incompétents lui en veulent autant, souffrant de la comparaison avec lui.

 

Cet homme a des capacités physiques - c'est une force de la nature - et intellectuelles - il a une grande mémoire et un QI élevé (180) - supérieures à la moyenne. Ce qui a été complexe pour lui et suscite des jalousies chez les moins dotés.

 

Ces derniers ignorent ce qu'est l'estime de soi qui, pour ce stoïcien, est le moteur dont chaque individu a besoin pour connaître ses propres limites et espérer les dépasser. Elle l'a ainsi poussé à vouloir être le premier dans tous les domaines:

 

Le talent et les capacités intellectuelles et physiques sont une chose. La motivation et la persévérance en sont une autre, sans laquelle il est illusoire d'atteindre l'excellence.

 

Depuis des décennies, il consacre dix heures par jour à la médecine et à la recherche - dans sa pratique médicale, il a toujours voulu conjuguer le laboratoire et la clinique - et, le reste du temps, à sa vie de famille, à ses proches et à lui-même.

 

Le médecin individualise le diagnostic; le chercheur s'appuie sur des données factuelles reproductibles; le découvreur, qu'il est encore plus que chercheur, cherche en priorité à observer les mondes inconnus plutôt qu'à valider des hypothèses:

  • Il ne croit pas être détenteur d'une quelconque vérité.
  • Sa nature, scientifique, intellectuelle, anthropologique, ne [le] prête pas à avoir des certitudes définitives, ni surtout à être capable de tout faire pour prouver [qu'il] a raison ou de tout faire parce que tous les moyens sont bons pour montrer qu'on a raison.
  • Il ne fait pas de prédictions: la médecine, ce n'est pas de la voyance.

 

Comme tout scientifique, l'une de ses marques est son scepticisme. Or celui-ci est devenu criminel pour une part de notre société, en particulier la société dominante, qui a tendance à tirer vers ce que Hannah Arendt appelait le totalitarisme:

 

Vous n'avez pas le droit de penser autrement que ce que je pense car ce que je pense est la vérité.

 

(il considère que l'absence de compétition est [...] un problème majeur en science, car il est indispensable d'avoir des contradicteurs, des compétiteurs, pour pouvoir sans cesse être maintenu en éveil)

 

Il ne s'en laisse pas conter et résiste, comme ses ascendants pendant la Seconde Guerre mondiale: il n'est pas du genre pour être promu, [...] à obéir en courbant l'échine parce que c'est souvent beaucoup plus efficace que désobéir en ayant raison.

 

Sa famille est sacrée, ses enfants comme sa femme, à qui il a toujours été soucieux de plaire. Il lui doit son look. En effet elle le préfère barbu avec des cheveux longs, sans montre luxueuse aux poignets ni chaussures sur mesure aux pieds...

 

Il trouve encore du temps:

  • Pour lire: Au cours des soixante dernières années, c'est-à-dire depuis mes 10 ans, j'ai lu en moyenne une centaine de livres chaque année.
  • Pour écrire: Depuis au moins autant de temps, j'ai le goût de l'écriture, même si l'un des seuls grands regrets de ma vie, c'est de ne pas avoir été doué d'un talent suffisant pour espérer faire une carrière de grand écrivain.
  • Pour faire du sport: Du ski l'hiver, du bateau l'été et de la salle de musculation.

 

Mens sana in corpore sano.

Juvénal

 

Francis Richard

 

1 - Notamment pour ce qui concerne le repositionnement des molécules, la prise en charge de toute maladie par les médecins, les virus vivants, les variants, la relative efficacité des vaccins contre la Covid, le port du masque à l'extérieur, les confinements et autres couvre-feux. 

 

Autobiographie, Didier Raoult, 336 pages, Michel Lafon

 

Livres précédents:

 

Carnets de guerre COVID-19 - Volume 1 (2021)

Au-delà de l'affaire de la chloroquine (2021)

Carnets de guerre COVID-19 - Volume 2 (2022)

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch

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14 mai 2023 7 14 /05 /mai /2023 21:45
Nos emprises, de Guillaume Delbos

Je me suis posé beaucoup de questions sans réponses à la suite de cette relation, car ce n'était ni une histoire d'amour avortée, ni de sexe. Plutôt de fascination et de connexion pure.

 

Sur Instagram, où elle a plusieurs comptes, pendant quelques mois, Victor Delbauché suit Léopoldine, une artiste qui le séduit par ses peintures et ses sculptures.

 

Elle ne donne pas son nom de famille et ne se montre pas non plus. Elle veut que ses oeuvres soient aimées pour elles-mêmes et non pas pour sa personne.

 

Après l'avoir suivie, partagé ses travaux, s'être rendu compte qu'ils ont des affinités, notamment musicales, il entre en contact avec elle qui a partagé ses écrits.

 

Il a dès lors affaire à une femme, lui propose de travailler avec lui et de lui présenter son projet de livre conceptuel. Mais elle n'est pas libre avant six semaines.

 

Les discussions entre eux se font sur ses différents comptes et deviennent de plus en plus personnelles. Il lui est difficile de ne pas préférer la femme à l'artiste.

 

Ils veulent en savoir davantage l'un sur l'autre. Leurs échanges se font plus nombreux, truffés de blagues et de confidences, si bien qu'ils ont hâte de se voir IRL1.

 

Mais le lecteur sait depuis le début que ce souhait ne sera jamais exaucé malgré toute la danse de séduction de ces deux ados de quarante piges qui l'annonçait.

 

Quoi qu'il en soit, pendant des semaines, dépendants,  ils se livrent à ce jeu, où, lui, laisse libre cours à son carambolage verbal et, elle, à ses approbations ravies.

 

Ils se livrent à des délires sexuels, mais cette dérive digitale, prend fin, sans crier gare, les cinq cents kilomètres qui les séparent n'étant de loin pas le seul obstacle. 

 

Le prologue, où Victor lucide précise que leur relation fut une histoire de rires suivis d'incompréhensions, d'incohérences et de mensonges, prend tout son sens:

 

Je me suis posé des questions. Énormément. Particulièrement sur les connexions que l'on se fait online, celles qui ont pris le pas sur le reste, celles derrière les écrans. Sur les emprises, les obsessions. C'est un peu le récit d'une tristesse trop contemporaine, la nôtre. La vôtre aussi.

 

Francis Richard

 

1 - IRL: in real life, dans la vie réelle.

 

PS

Sur les réseaux sociaux est employé tout un vocabulaire, principalement d'origine anglo-saxonne. Les notes en fin d'ouvrage sont d'une grande utilité pour les béotiens.

 

Nos emprises, Guillaume Delbos, 264 pages, Les Éditions Romann

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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