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29 juin 2022 3 29 /06 /juin /2022 21:30
Take it easy, d'Eric Felley

J'ai le privilège de travailler pour un fleuron libéral de l'économie du pays, où l'esprit corporate est encore imprégné du sens de la famille comme un héritage précieux. Il y a trente ans, nous n'étions que des mutuelles de villages de montagne. Puis, au gré de fusions, d'acquisitions ou d'absorptions, et grâce à la loi sur l'assurance maladie obligatoire, le succès a été fulgurant.

 

Samuel Sauthier, surnommé Sam Sammler 1, alias SS, décrit en une phrase ce que la plupart des gens entendent par libéral. Le fleuron dans lequel Sam travaille a prospéré grâce à la loi sur l'assurance maladie obligatoire, autrement dit grâce à une loi qui n'est pas libérale du tout.

 

Plus loin Sam utilise le même adjectif pour qualifier des comportements qui, pour le moins, ne sont pas éthiques. Là encore, il s'agit de détourner le sens du mot, qui vient pourtant du mot liberté, laquelle n'existe pas sans respect de l'autre et en particulier de ce qui lui appartient.

 

Ceci étant dit, le personnage soi-disant libéral n'est rien moins qu'estimable, même si, à tout pécheur miséricorde, il n'est pas exempt de circonstances atténuantes. Car, dans la société qui l'emploie et qui n'est hélas pas la seule du genre, il occupe un poste qui n'est guère enviable.

 

Auparavant il prêtait sa plume au journal de l'entreprise, mais, à la faveur d'un remplacement, il s'est retrouvé dans le service clientèle, où le jeu consiste à trouver par écrit un prétexte pour ne pas rembourser des prestations. Il y a si bien réussi qu'il n'a pu réintégrer son poste originel:

 

L'ennui, quand on fait du bon boulot dans un sale boulot, est que personne ne veut vous changer.

 

Les Ressources Humaines lui ont accordé de partager son emploi du temps: Trois jours par semaine, je continuais au courrier. Les deux autres je rejoignais une équipe confidentielle. De quoi s'occupe-t-elle? D'exploiter le potentiel commercial du suicide assisté, sans réelle visée humaniste.

 

Tout cela n'explique évidemment pas pourquoi, le soir de Noël, il se retrouve en cellule de dégrisement. Alors le récit comble cette lacune. Comme dit plus haut, sans vouloir l'exonérer de toute culpabilité, ce n'est pourtant pas un affreux criminel, sauf peut-être aux yeux d'un animaliste.

 

Car les seuls crimes qu'il ait commis sont d'avoir involontairement écrasé le chat familial et d'avoir un peu trop abusé de boissons alcoolisées. Sinon, ce qui ferait vomir un député français fraîchement élu 2, il se régale d'araignées et de blattes dont il apprécie les chairs succulentes...

 

S'il a des pensées coupables, ce sont surtout dans ses rêves, où il accomplit des forfaits qu'il ne commettrait certainement pas dans la vraie vie. Et là, il faut le dire, il réalise toutes sortes de fantasmes qui sont dignes de la collection dans laquelle le livre satirique d'Eric Felley est édité.

 

Quant au titre, Take it easy, il s'inscrit dans la lignée de certaines entreprises d'aujourd'hui où il est d'usage de doubler [les] fins de phrase en anglais, signe de connivence dans le monde des affaires et, bien sûr, dans les entreprises qui pratiquent avec bonheur le crony capitalism 3...

 

Francis Richard

 

1 - Sammler veut dire collectionneur en allemand...

2 - Aymeric Caron

3 - Capitalisme de connivence

 

Take it easy, Eric Felley, 104 pages, Gore des Alpes

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18 juin 2022 6 18 /06 /juin /2022 22:55
Un été avec Colette, d'Antoine Compagnon

Du 5 juillet 2021 au 27 août 2021, du lundi au vendredi à 8h55, sur France Inter, Antoine Compagnon a passé Un été avec Colette. C'était l'été de l'instauration du passe sanitaire en France, mais il n'était pas exigé, et pour cause, de le présenter pour écouter la radio...

 

Dans ces émissions, soufflait un vent de liberté qui faisait un peu oublier combien elle était restreinte en France pour ceux qui refusaient de se faire vacciner avec un produit dont il n'était pas prouvé qu'il protégeait de l'épidémie ni qu'il en empêchait la contamination...

 

Pourquoi parler de vent de liberté s'agissant de Colette? Parce qu'en lisant le livre que lui consacre Antoine Compagnon, celle-ci apparaît comme une femme libre, en dépit du fait que, jeune mariée, elle ait été quelques années sous l'emprise de son premier mari, Willy:

 

Peu de femmes furent aussi libres que Colette, de leur corps, de leur sexualité, de leur plume. Elle fit mille métiers pour assurer son indépendance.

 

Colette sut rompre avec Willy, mais aussi avec un élément qui la liait à sa mère, Sido. L'auteur raconte qu'obéissant aux suggestions de Willy, mais aussi au plaisir sacrilège d'en être délivrée, elle coupa sa longue chevelure qui était le chef-d'oeuvre de vingt années de Sido.

 

Quoi qu'il en soit, même si elle eut du ressentiment à l'égard de Willy, à qui, en dehors de ses infidélités, elle reprochait surtout la vente des droits de la série des Claudine, qu'il avait d'abord signée de son seul nom, elle lui devait toutefois d'être devenue un grand écrivain.

 

Compagnon rappelle qu'un grand écrivain, c'est un écrivain après qui la langue n'est plus tout à fait la même. [....] Un grand écrivain, c'est aussi un écrivain qui crée des mythes, renouvelle notre mythologie. Or, dans le cas de Colette, elle en a créé au moins trois:

- Claudine,

- Sido,

- Gigi.

Sans parler d'elle-même...

 

Compagnon raconte évidemment les mille métiers que Colette a exercés: mime plus que danseuse ou actrice, journaliste, écrivain (au ton insolent), nourrissant une activité par l'autre; l'amour, qu'elle cherche comme tout le monde, auprès d'hommes et de femmes:

 

Les questions de genre et même de transgenre font aujourd'hui notre ordinaire; elles ne surprennent plus comme en 1900 ou en 1930, quand Colette les abordait sans masque, parlait franchement de l'homosexualité et du travestissement1.

 

Colette est gourmande - elle aime la cuisine familiale et rustique -; elle est familière avec les plantes comme avec les bêtes; elle est un écrivain sensuel pour qui le goût, l'odorat, le toucher, l'ouïe2 et, bien sûr, le regard sont vraiment essentiels et imprègnent toute l'oeuvre.

 

Colette ne cessera jamais d'écrire très librement bien qu'elle n'ait pas la plume facile. Dans Le Figaro Littéraire du 24 janvier 1953, jour de ses quatre-vingts ans, elle dit: Écrire ne conduit qu'à écrire. Avec humilité, je vais écrire encore. Il n'y a pas d'autre sort pour moi.

 

Francis Richard

 

1- Cela n'en faisait pas une féministe comme on l'entend aujourd'hui puisqu'elle se gardait de faire de la politique, mais elle l'était dans le sens où presque toutes ses femmes font preuve de leur force.

2- Elle a écrit pour Ravel le livret de L'Enfant et les Sortilèges.

 

Un été avec Colette, Antoine Compagnon, 256 pages, Éditions des Équateurs

 

Dans la même collection:

Un été avec Rimbaud, de Sylvain Tesson (2021)

Un été avec Pascal, d'Antoine Compagnon (2020)

Un été avec Paul Valéry, de Régis Debray (2019)

Un été avec Homère, de Sylvain Tesson (2018)

Un été avec Machiavel, de Patrick Boucheron (2017)

Un été avec Victor Hugo, de Laura El Makki et Guillaume Gallienne (2016)

Un été avec Baudelaire, d'Antoine Compagnon (2015)

Un été avec Montaigne, d'Antoine Compagnon (2013)

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17 juin 2022 5 17 /06 /juin /2022 22:40
À l'amour - À la mort, de Tasha Rumley

Amour et mort, éros et thanatos, sont liés. C'est banal de le dire, mais la réalité est souvent d'une banalité... À la faveur de sept récits Tasha Rumley les met en scène et, à chaque fois, les deux termes confirment leur liaison.

 

Dans Bambi, le malheur frappe par deux fois, comme pour s'assurer que sa cause l'emporte toujours, ce qui se termine par un constat cruel. Celui qu'elle aimait, son amour, avait donné la mort. Ils étaient maintenant souillés.

 

À quatre heures du matin, L'heure morte, pour l'insomniaque et le désespéré, est rompue pour toujours la complicité entre une Suissesse et une Kirghize, après qu'un amour illusoire de chacune pour un homme les a séparées.

 

Le père s'est donné la mort. L'alcoolisme de sa femme, la sensualité de sa maîtresse ou la dépendance de son fils? Celui-ci ne devrait pas être le Petit frère des deux filles de la maîtresse, sauf si l'amour joue un de ses tours.

 

Le 29 février n'existe que les années bissextiles. Dans Ex aequo, ce jour de 2016 est fatal à Théo, allergique, mort subitement d'une piqûre. Le 29 février suivant, Élise programme le possible remède médical à son coeur brisé.

 

Aurélien pratique cultures physique et spirituelle. Sa mère, ses grand-parents ne sont plus, mais ils sont Vivants les morts. Leur héritier, leur présent, leur avenir, après deux ans à l'EPFL, écrit un livre, dont ils seraient fiers.

 

Anastasya travaille en Suisse. En congé en Géorgie, sa mère lui apprend que la tombe de son père, mort pendant la guerre de 2008, ne contient peut-être pas son corps. Des tombes et des bombes devront céder devant l'amour.

 

Le recueil se termine par La petite mort d'une femme, qui, adieu les clichés, y parvient avec son homme-objet. Il n'est qu'un instrument sur son corps et elle imagine que, simplet, il ignore cet acmé quand il lui fait l'amour.

 

Francis Richard

 

À l'amour - À la mort, Tasha Rumley, 200 pages, Bernard Campiche Éditeur

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14 juin 2022 2 14 /06 /juin /2022 22:00
Sous ton feuillage, de Francine Wohnlich

Quand il chaussait ses lunettes de lecture, le verre élargissait son regard et en révélait la bonté. Être regardée la nourrissait. La gonflait de vie et de réalité.

 

C'est le printemps. Clémence vient de quitter Ivo. Sa vie ne sera plus la même. Alors qu'il pouvait être faible, il l'émouvait et représentait une solidité paradoxale sur laquelle elle avait un réel besoin de s'appuyer.

 

Il faut revenir à l'automne. Ivo, après le départ de sa femme, n'arrive toujours pas à être un père véritable pour Ludo et Madenn. Leurs irruptions dans sa vie de couple lui font perdre pied et le rendent insupportable.

 

Ivo est désemparé face à eux deux. Il ne les comprend pas. Ils sont l'un comme l'autre en rupture avec leur père. Pour l'un, il met en péril la planète, rien de moins. Pour l'autre, il manque à ses devoirs de nourricier.

 

Ivo et Clémence ont leur chez soi, lui, son appartement, elle, le cabanon, qui voisine avec la maison de Bertil, qui y vit avec ses trois enfants, Tarsis, Cassiopée et Iseult, Jude, sa femme, étant en cure d'alcoolisme.

 

Bertil semble réussir là où Ivo échoue. Ivo, à son exemple, trouve dans les enfants de Bertil ceux qu'il aurait bien aimé avoir. Ils le lui rendent bien d'ailleurs, ce qui ne laisse pas d'intriguer Clémence qui n'en a pas.

 

L'hiver suivant, Clémence rompt avec Ivo, malgré qu'elle en ait, parce qu'il la détruit, même si elle sait ne jamais pouvoir vivre sans lui, un jeu auquel Éros souvent se prête et que l'auteure excelle à restituer.

 

L'épilogue se situe en été. Clémence, dont la mère s'est montrée défaillante, vit heureuse auprès de son arbre. Elle imagine qu'il l'écoute quand elle s'adresse à lui et lui confie être en perdition, comme l'est son Ivo:

 

Ce feuillage est un soulagement, son ombre une protection, une présence rassurante et continue, son bruissement une berceuse. 

 

Francis Richard

 

Sous ton feuillage, Francine Wohnlich, 176 pages, Éditions Encre Fraîche

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12 juin 2022 7 12 /06 /juin /2022 18:00
Le percussionniste, d'Evelyne Rivat Métrailler

Le premier jour d'automne 2001, un quatrième petit garçon vient au monde, écrit Elisabeth Logean au début de sa préface.

 

L'auteure de ses jours est celle de ce livre, Evelyne Rivat Métrailler. Avec son mari, ils l'ont prénommé Virgile. Ils vivent dans un coin tant aimé, le Valais.

 

Virgile n'est pas un enfant comme les autres, ni comme ses trois frères. Il est en effet atteint d'une maladie génétique rare: le syndrome Cornelia de Lange.

 

En un mot Virgile est polyhandicapé:

 

- il ne parlera jamais et ne s'exprimera qu'en tapant sur des objets variés avec sa main, d'où le surnom que sa mère lui a donné: Le percussionniste;

 

(il se fera comprendre aussi par des gestes à lui, plus éloquents que n'importe quelles paroles)

 

- il ne mangera ni ne boira jamais par la bouche (et sera nourri par gastrotomie), mais il prendra l'habitude de la remplir avec un tissu qui le réconforte;

 

- il ne sera jamais autonome, comme ses trois frères, qui devront composer avec lui comme ils le peuvent, ou le veulent, qu'il soit là ou en institution;

 

- il n'écrira jamais ni ne calculera de sa vie et, quand il ira à l'école, les enfants valides apprendront davantage en sa présence que le contraire;

 

- à plusieurs reprises, alors que personne ne sait comment son cerveau fonctionne, il montrera que face au danger, il sera capable de choisir la vie.

 

Comment peut faire une mère confrontée à de tels handicaps de son enfant?  Elle fait, tout simplement. Son secret est de vivre dans son monde:

 

Un monde riche de valeurs telles que l'amour gratuit, le don de soi, la confiance et la beauté de l'instant, égayé par un sourire lumineux.

 

Cela ne veut pas dire que ces quelque vingt ans passés n'aient pas été difficiles, mais toutes ces valeurs, comme pour d'autres la foi, soulèvent des montagnes.

 

Cette mère dit de son fils Virgile: Il a chamboulé notre vie et c'est une réussite. Si c'était à refaire, elle le referait. Avec ce récit, elle clame au monde entier:

 

Que chaque vie comme celle de Virgile vaut la peine d'être vécue, que chaque instant en sa compagnie compte double, que le mystère de sa personnalité ne sera jamais élucidé...

 

Francis Richard

 

Le percussionniste, Evelyne Rivat Métrailler, 144 pages, Slatkine

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5 juin 2022 7 05 /06 /juin /2022 22:00
Terre-des-Fins, de Bruno Pellegrino, Aude Seigne et Daniel Vuataz

Mes graffitis quitteront jamais cette ville. Je le dis sans tristesse. Je vois juste les choses en face: les wagons que je peins, ils dorment aux entrepôts, fin de l'histoire.

 

Cette ville est Terre-de-Fins, autrement dit Terdef. Liv, la graffeuse qui parle, quoique bègue, est la narratrice. Avec son frère Zed, également graffeur, elle vandalise pour vivre les rares trains à destination de Terdef, ce troufignon du monde.

 

Terdef est une ville terminus, où plus personne ne descend. C'était une ville minière, jusqu'au jour où le minerai s'est avéré toxique. Ce qui sauve les rares habitants, ce sont les oeuvres de Mitch Cadum, qu'il a continué à faire avec ce minerai.

 

La dernière oeuvre de Mitch Cadum est monumentale. Le musée de la capitale a envoyé une stagiaire, Sora, pour l'aller chercher. Manque de chance pour elle, elle se trouve dans le train vandalisé par Liv et Zed et est rudement malmenée par lui.

 

Zed a sauté du train, mais Liv s'est fait prendre. Faute de preuve qu'elle ait volé, mais pour avoir pris un train sans passagers, elle doit nettoyer, notamment une pièce de l'artiste local, qu'elle a recouverte de peinture une nuit noire, sans électricité.

 

Sora l'aborde alors. Elle connaît bien les oeuvres de Cadum. Elle en apprécie le côté monumental et friable à la fois, la couleur changeante, la beauté dangereuse. Bref, elle aimerait le rencontrer et est prête à y mettre le prix, une aubaine pour Liv.

 

Sora ne sait pas où elle a mis les pieds. Car Zed a appris à Liv à considérer les gens sous l'angle de ce qu'on peut en tirer, à évaluer combien de sandwichs ou de petite monnaie ils valent. Seulement il y a un hic, que ni Liv, ni Zed n'ont su prévoir...

 

Sans ce hic, il n'y aurait évidemment pas d'histoire, qui plus est une histoire écrite dans un langage parlé - ce qui est une performance pour une bègue - qui est pétulant et restitue un monde inimaginable pour une citadine éduquée comme Sora.  

 

Dans la première phrase de ce récit, citée plus haut, Liv disait que ses graffitis ne quitteraient jamais Terdef. On sait qu'il ne faut jamais dire jamais. La toute fin de l'histoire, à laquelle Liv rêvait depuis l'enfance, en apporte une belle preuve.

 

Dans sa chambre d'enfant, Liv avait décoré les murs de sa chambre avec des affiches que la compagnie de chemin de fer liquidait. Sur la plus grande, où une femme en noir et blanc [...] se suffisait à elle-même, était écrite cette invite au voyage:

 

Boucler les valises. Sauter dans le train... et loin.

 

Francis Richard

 

Terre-des-Fins, Bruno Pellegrino, Aude Seigne, Daniel Vuataz, 144 pages, Zoé

 

Volumes du trio précédemment chroniqués:

 

Stand-by, Saison 1, 1/4

Stand-by, Saison 1, 2/4

Stand-by, Saison 1, 3/4

 

PS

Cette nouvelle lecture du trio m'a donné l'envie d'achever celle de la Saison 1 de Stand-By et de la poursuivre avec celle de la Saison 2...

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4 juin 2022 6 04 /06 /juin /2022 21:45
Ambre et Lune, d'Anne-Claire Decorvet

La Chose est entrée chez nous dans les derniers jours de juin: répugnante, innommable... Et dès le premier instant je fus inapte à lui donner son nom. C'était un soir de peur, un soir d'alerte. Un soir que je n'ai jamais oublié.

 

Ambre Amaury accepte finalement de répondre aux questions d'une étudiante, rencontrée au musée, lors de la rétrospective consacrée à son oeuvre, intitulée Encres d'une vie.

 

Sur le moment, elle lui a menti. Elle lui a dit qu'il n'y avait pas eu d'événement fondateur à son inspiration, alors que l'arrivée de la Chose, quand elle avait dix ans, le fut, justement:

 

N'est-ce pas depuis ce jour précis que tu dessines et peins sans répit, poursuivant ton trait de feuille en feuille comme un allumé court après l'opium.

 

Aujourd'hui, quelque cinquante ans après, elle en raconte la genèse à l'étudiante (qui a une grande faculté d'écoute et qui l'enregistre) et lui restitue le monde dans lequel elle vivait.

 

Les allées et venues de chacun y étaient surveillées; quand les sirènes retentissaient, les gens devaient rentrer chez eux; les parents n'étaient autorisés à n'avoir qu'un enfant.

 

La mère d'Ambre était, semble-t-il, une cible particulière; elle recevait régulièrement des lettres comminatoires de la Préfecture, qui lui envoyait un émissaire pour l'intimider.

 

Sa mère avait caché la Chose dans un coffre et ne voulait pas s'en débarrasser en dépit de ses supplications: Ambre ne pouvait pas mesurer à quel point elle lui était attachée... 

 

Son amie Lola, qui, maintenant, vit sous son toit, s'étonnait alors de sa naïveté. À plusieurs reprises, elle l'avait mise en garde parce qu'elle se croyait libre, en n'étant pas pucée.

 

En effet, en raison d'une allergie au micronium, elle avait été dispensée de cette opération. Restaient les caméras, mais elle avait appris qu'inactives, ce n'étaient que des leurres.

 

Les yeux d'Ambre, qui parcourt ce monde pour le découvrir et alimenter sa fabrique à dessiner, se dessillent peu à peu, mais insuffisamment pour réaliser jusqu'où aller trop loin...

 

Ambre et Lune, dont le titre ne s'explique qu'à la fin, met en parallèle le récit de la naissance de l'artiste, cinquante ans plus tôt, et celui où elle se livre à l'étudiante mésestimée.

 

Dans le monde totalitaire d'alors, ce n'est pas le talent d'Ambre qui apportera du malheur, mais la paranoïa des Grands qui voient partout des complots et règnent par la peur.

 

Aussi, ce que la narratrice dit de la peur, à propos de l'étudiante, apeurée par la présence du chien adopté par Lola, a-t-il une portée beaucoup plus générale que dans le cas particulier:

 

Elle est haïssable, la peur, bien davantage que la mort en face ou la folle témérité, car elle ronge l'âme et la détruit peu à peu, comme une eau lime la pierre en un millier d'allers et retours. 

 

De même la culpabilité que ressentent les victimes quand le malheur survient ne doit-elle être imputée qu'aux bourreaux, qu'il faut savoir fuir, pour survivre, avant l'engloutissement.

 

Francis Richard

 

Ambre et Lune, Anne-Claire Decorvet, 264 pages, Bernard Campiche Éditeur

 

Livres précédents:

 

Un lieu sans raison (2015)

Avant la pluie (2016)

Café des chimères (2018)

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3 juin 2022 5 03 /06 /juin /2022 22:15
Chemins obliques, de Marie-Hélène Miauton

Dans ce recueil, je dis les choses "d'une vue oblique", pour reprendre Montaigne 1; mon vagabondage intellectuel prend des voies détournées, passe par des chemins de traverse, renonce parfois à toute rationalité pour appréhender les paraboles 2 du chemin, obliquement.

 

Marie-Hélène Miauton a pèleriné 3, semble-t-il, en 2018. Cette année-là, à partir de la Suisse, elle s'est rendue à Rome en suivant la Via Francigena, dans les pas de l'archevêque Sigéric de Canterbury, qui, en 990, y est allé pour recevoir son pallium des mains de Jean XV:

 

La voie [...] pénètre en Suisse à Vallorbe, passe par Lausanne, longe la rive du lac Léman, grimpe le Grand-Saint-Bernard pour dévaler sur Aoste, traverse le Piémont et la plaine du Pô avec ses rizières jusqu'à la joyeuse Pavie, coupe par les Apennins pour arriver à Lucques, croise Carrare, sinue dans l'inoubliable Toscane, parvient dans le Latium et rallie enfin la Ville éternelle.

 

Pourquoi entreprendre un tel périple? Dans son avant-propos, l'auteure répond:

- pour prendre de la distance;

- pour ralentir le temps;

- pour se tenir disponible [...] à un éveil spirituel.

 

Marie-Hélène Miauton n'est pas partie seule. Sur un tiers du trajet, elle a marché avec Jean-Pierre, son infatigable compagnon de route, mais, à la suite d'un accident, celui-ci a dû poursuivre son chemin à vélo:

 

Autant j'ai aimé avoir mon compagnon auprès de moi, pour le plaisir de sa présence et le partage des moments importants, autant je me suis sentie libre et heureuse de marcher sans lui.

 

Car il y a un équilibre à être ensemble et un autre à être seul: il est bénéfique d'expérimenter les deux.

 

Ce livre, composé de chapitres qui peuvent se lire indépendamment les uns des autres, n'est pas un récit touristique - l'auteure ne se disperse pas en flâneries -, mais un recueil de réflexions qui lui sont venues en marchant, ces réflexions se nourrissant de paysages et de rencontres.

 

Ainsi établit-elle le lien entre civilisation et agriculture; se souvient-elle que, dans l'Égypte antique, le fait de nommer signifiait donner la vie; trouve-t-elle Dieu perspicace d'altérer la vue des hommes au fur et à mesure qu'ils prennent de l'âge; apprécie-t-elle que l'Italie témoigne de la justesse de s'éloigner de l'état de nature en ayant ajouté du plaisir et de la beauté à ce qui n'est que fonctionnalité; fait-elle l'éloge des routes qui ne se contentent pas de relier les hommes entre eux, mais leur parlent aussi de vie et d'aventure...

 

Marie-Hélène Miauton a limité l'emploi de ses compagnons électroniques au strict nécessaire: la localisation réciproque avec Jean-Pierre, la visualisation du trajet précis de chaque étape, la prise de photos:

 

Les appareils ne sont jamais responsables de l'usage qui en est fait, nous seuls le sommes!

 

Marie-Hélène Miauton n'a emporté avec elle qu'un livre - ce qui ne veut pas dire qu'elle soit la femme d'un seul livre (la crainte de Thomas d'Aquin) -, L'Anthologie de la poésie française, de Georges Pompidou. Cette lecture lui a confirmé que l'âme humaine ne change pas au cours des siècles, en dépit de l'alternance des modes et des conditions de vie...


Cette dilection pour la poésie lui a en tout cas évité de devenir seulement [une rêveuse] ou uniquement [une] pragmatique:

 

La poésie tente d'éclairer les choses de l'intérieur, à l'inverse d'un projecteur qui ne met en lumière que leur matérialité.

 

Certains poètes lui parlent plus que d'autres, tels Rimbaud, Hugo, Baudelaire, Péguy, Mallarmé, Apollinaire ou, plus proches dans le temps, Gustave Roud, Philippe Jaccottet, ou encore, aujourd'hui, Anne Perrier:

 

Seuls les poètes posent les questions qui importent vraiment!

 

Francis Richard

 

Chemins obliques, Marie-Hélène Miauton, 152 pages, Éditions de l'Aire

 

1 - "Mes fantaisies se suivent, mais parfois c'est de loin, et se regardent, mais d'une vue oblique."

 

2 - Le chemin est une source incessante de réflexions et sans doute est-il lui-même une parabole de la vie. Étymologiquement, la parabole correspond [...] à la trajectoire d'un projectile lancé et tombant à terre...

 

3 - Ma relation avec Dieu est [...] restée intellectuelle au lieu de l'amour véritable que lui portent les mystiques et de nombreux fidèles fervents.

 

Livre de l'auteure précédemment chroniqué:

 

Criminalité en Suisse - La vérité en face, 216 pages, Favre (2013)

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2 juin 2022 4 02 /06 /juin /2022 22:55
Protocole Magog, d'Olivier Marbot, Jacques Trauman et Philippe Lavault

Les menaces, les personnages et les actions décrits dans ce roman sont très proches de la réalité. Le scénario est donc, malheureusement, parfaitement plausible!

 

Dixit, dans l'avant-propos, Guillaume Poupard, lequel est le Directeur Général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, ANSSI, qui s'occupe en France de cybersécurité et est rattachée au Secrétariat général de la défense et de la sécurité, SGDSN.

 

Le prologue indique que l'intrigue ne se déroule pas seulement sur le territoire français, mais aussi au Kazakhstan, un des pays membres de la Communauté des États Indépendants, qui regroupe aujourd'hui encore neuf des quinze anciennes républiques soviétiques.

 

Tout commence par l'assassinat à Nice d'un informaticien de génie, Abel Saouf, alors qu'il s'apprête à prononcer une conférence - ce qui ne l'enchante guère - au Palais des Congrès, poussé qu'il a été par son associé Alain Clerc, avec lequel il a fondé une petite société, Frontofex.

 

Abel est le technicien, Alain le commercial. L'un connaît bien l'informatique, l'autre pas vraiment, mais cela n'a pas d'importance: Alain fait des promesses qu'Abel finit par tenir. Alain habite Paris, Abel, Nice. Être à distance, ce n'est pas plus mal: ils se disputent quand ils se voient.

 

Alain et Abel se sont connus à la banque BFC. Alain y était trader. Abel y travaillait pour un prestataire qui vendait des robots pour les salles de marché. Quand la commandante de police, Sanda Pleynel, interroge Alain, celui-ci lui dit qu'Abel travaillait sur un logiciel mystérieux:

 

Protocol Magog

 

Quoi qu'il en soit, ce mystérieux logiciel semble intéresser des investisseurs, ce dont Abel ne veut pas entendre parler. N'est-ce donc pas à cause de ce logiciel qu'Abel a été assassiné? Alain, en tout cas, n'a aucune raison de tuer la poule aux oeufs d'or de leur juteuse petite entreprise.

 

Un des investisseurs est plus insistant que les autres, un Russe ou un Ukrainien, Alain ne sait pas trop. Celui-ci, un peu plus tard, est assassiné à son tour, à Paris, selon le même mode opératoire... Le nom d'un oligarque kazakh, Bolat Sadykov, apparaît mêlé à cette ténébreuse affaire.

 

Les mots-clés de l'enquête menée par Sanda Pleynel, seule, puis avec son ami d'enfance retrouvé, Alasdair McPhee, sont la banque BFC, le Kazakhstan, l'oligarque Bolat Sadykov et, bien sûr, le mystérieux logiciel, qui contient un algorithme rendant possible la crypto homomorphique:

 

La demande est chiffrée, la requête est aussi chiffrée et seul le résultat est clair...

 

À quoi un tel logiciel peut-il servir? Quand une cyberattaque se déclenche, les trois auteurs spécialisés, qui dans la banque, qui dans le roman, qui dans la cybersécurité et les relations internationales, le révéleront, après moult péripéties où le sexe, le pouvoir et l'argent font bon ménage... 

 

Francis Richard

 

Protocole Magog, Olivier Marbot - Jacques Trauman - Philippe Lavault, 320 pages, Favre (sortie le 3 juin 2022)

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27 mai 2022 5 27 /05 /mai /2022 20:00
Tu seras mon père, de Metin Arditi

En Italie, durant les années soixante-dix, une organisation d'extrême-gauche, les Brigades Rouges, a semé la terreur, faisant près de cent morts et des centaines de blessés.

 

Parmi ces victimes, il y a Francesco Barro. Il a eu le tort de réussir et d'être le patron réputé d'une entreprise de glaces, fondée à Vérone, qui en lance chaque été des petites, portant les noms de sommets des Dolomites, qu'il avait tant aimés et escaladés.

 

Le 7 juillet 1978, Francesco est enlevé. Au Barro Bar de la via Stella, il vient de déguster avec son fils Renato, 7 ans, une Coppa del Babbo1, puis d'écouter avec lui un des succès de la chanteuse en vogue, Mina, E se domani, qui est sa chanson préférée:

 

E se domani            Et si demain

Io non potessi         Je ne pouvais pas

Rivedere te ?          Te revoir ?

 

Quelque deux mois plus tard, Francesco est libéré. Il n'est plus le même. Il avait cru n'être pas un patron comme les autres: d'aucuns de ses ouvriers, même, le tutoyaient... Deux semaines passent. Il finit par se jeter du haut d'un pont dans l'Adige...

 

À l'automne 1989, Renato entre à l'Institut Alderson, près de Lausanne, après avoir vécu dix ans à la montagne. Il s'est révélé bon alpiniste et doué pour le théâtre, en dépit de sa timidité, saisissant ses personnages avec un naturel déconcertant

 

Sa mère, Gabriella, n'a pas choisi cet institut pour riches pour rien. On y fait du théâtre et le professeur est un Italien, Paolo Montegazza. Très vite, celui-ci s'attache à cet élève, ce qui le met dans l'embarras, parce qu'il n'est pas celui qu'il prétend être.

 

Cet attachement est réciproque si bien que Renato dépeint Paolo à sa mère et à la gouvernante de la famille, Rosa, sous le meilleur jour. Puisque malheureusement il n'en a plus, il pense en lui-même, et lui dira peut-être un jour: Tu seras mon père...

 

Volontairement ou non, quoi qu'il en soit Paolo donne des informations à Renato qui vont lui permettre de démasquer son imposture. Dès lors leurs relations ne pourront plus être les mêmes, à moins que Renato ne lui pardonne de l'avoir autant trompé:

 

Pardonner en trouvant des excuses, c'est un pardon pauvre. Un pardon de comptable. Ce ne serait pas digne de toi. Pas digne du fils de mon Francesco.

[...]

Il t'a demandé pardon par les actes.

[...]

Si tu ne lui pardonnes pas, je crains que tu ne sois jamais en paix.

 

C'est ce que lui écrira Rosa, qui a élevé le père et le fils, par le truchement du garde du corps de la famille, Antonio, parce que, si c'est une femme sensée et d'une grande finesse de sentiments, écrire quoi que ce soit lui est décidément malcommode...

 

L'épilogue conçu par Metin Arditi réjouira ceux qui sont convaincus de l'importance de la paternité dans la vie humaine, aussi bien pour l'enfant que pour le père, qu'il soit de substitution ou naturel, parce que son absence est certainement un malheur.

 

Francis Richard

 

1 - Coupe du Papa, créée en hommage à son propre père...

 

Tu seras mon père, Metin Arditi, 368 pages, Grasset

 

Romans précédents:

 

Le Turquetto, 288 pages, Actes Sud  (2011)

Prince d'orchestre, 380 pages, Actes Sud (2012)

La confrérie des moines volants, 350 pages, Grasset (2013)

Juliette dans son bain, 384 pages, Grasset (2015)

L'enfant qui mesurait le monde, 304 pages, Grasset (2016)

Carnaval noir, 400 pages, Grasset (2019)

Rachel et les siens, 512 pages, Grasset (2020)

L'homme qui peignait les âmes, 304 pages, Grasset (2021)

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25 mai 2022 3 25 /05 /mai /2022 22:55
Buffet de campagne, d'Olivia Gerig

En 1938, Megève, grâce à ses pentes enneigées, ses hôtels de luxe, ses banquets somptueux et ses infrastructures de sports d'hiver, attirait les grandes fortunes et les bourgeois, désoeuvrés, qui, épargnés des tracas des classes laborieuses et insouciantes face à l'imminence d'un deuxième conflit mondial, cherchaient de nouvelles formes d'amusements.

 

Romain Naville est le cadet d'une fratrie de trois d'une famille bourgeoise de Genève. Son frère, André, et sa soeur, Sonia, sont brillants. Lui, non. Sans doute parce qu'il est tout le temps malade.

 

Né le 2 juillet 1910, Romain est journaliste au Journal de Genève, où il écrit des articles dans la rubrique culturelle, à la suite de  l'intervention de son père auprès de son ami le rédacteur en chef.

 

En 1938, Romain est frappé par la tuberculose. André, qui est médecin, suggère qu'il fasse un séjour au grand air. Sonia propose alors qu'il se rende dans le chalet qu'elle vient d'acquérir à Megève.

 

Quand Romain découvre ledit chalet, il déchante. La bicoque est petite et sent mauvais. Il y fait froid. Habiter un tel taudis équivaut à passer une saison en enfer. Une blague mauvaise lui a été faite:

 

Ma soeur aînée voulait se débarrasser de moi, c'était certain.

 

Comment y recouvrer la santé, avec pour compagnie, la bonne, la rustre Mireille, qui s'exprime dans un patois incompréhensible, et pour voisinage, la ferme, que l'on dit maudite, de Nathalie et Robert:

 

Les du Thorbiau étaient les fournisseurs exclusifs en charcuterie et fromages du palace des Rotschild et aussi de certaines familles fortunées de Genève.

 

Pourtant Romain ne quitte pas cet endroit au plus vite. Intrigué par le fait que des citadins fortunés s'y soient établis, il cherche à savoir - n'est-il pas journaliste? - pourquoi ils y sont tellement attirés.

 

Certes l'on y fait bonne chère et bonne chair. Mais il y a aussi ces bruits qui courent sur des disparitions de personnes lors de fêtes organisées pour satisfaire les deux péchés de gourmandise et luxure1.

 

Un proverbe dit que la curiosité est un vilain défaut. Comme l'annonce le prologue de ce roman, celle de Romain va peut-être mettre en péril [...] les mystères dissimulés par visiteurs et habitants...

 

Une fois refermé Buffet de campagne, bien dans la veine de cette collection de Terreur du Terroir, le lecteur comprend pourquoi l'habile Olivia Gerig a mis en épigraphe cette citation d'Étienne Rey:

 

On s'étonne que la mante religieuse dévore son mâle après l'amour. Il ne manque pourtant pas de femmes qui en font autant.2

 

Francis Richard

 

1 - La couverture en est l'illustration...

2 - Extraite de sa préface à De l'amour, de Stendhal.

 

Buffet de campagne, Olivia Gerig, 144 pages, Gore des Alpes

 

Livres précédents à L'Âge d'Homme:

Le Mage Noir (2018)

Les ravines de sang (2020)

 

Livres précédents chez Encre Fraîche:

Impasse khmère (2016)

L'Ogre du Salève (2014)

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21 mai 2022 6 21 /05 /mai /2022 20:15
Le siècle des couronnes, de Xochitl Borel

Le siècle des couronnes est la Rétrospective d'une pandémie.

 

Est-il besoin de préciser laquelle? De toute façon, il y en aura d'autres...

 

Pendant 14 jours, Xochitl Borel raconte la vie d'un homme, Phil, qui commence sa journée dans sa cuisine, lit le journal, écoute la radio.

 

Pour se rendre à son travail, il prend le bus. Une fois arrivé, il se change puis il sort son aspirateur, communément appelé "Glouton".

 

Le deuxième jour, les mots-clés de la radio sont: Corona. Chinois. Météo. Neigera. C'est ce jour-là qu'il passe devant le fou:

 

La monarchie revient! D'abord à l'Est, puis demain, ça sera ici, je vous dis. Le siècle des couronnes! Le siècle des couronnes!

 

Ce même jour Phil aspire presque un petit chat qu'il finit par emmener chez lui puis par baptiser Tâche, l'envers de chat, comme le lui a suggéré Tips, le violoniste, qu'il rencontre dans le parc.

 

Les jours suivants, la pandémie s'affiche. Les mots et les maux s'égrènent:

 

Gestes Barrières

Confinement. Obligatoire. Pour tous.

1m50 obligatoire entre deux individus.

 

Le 5ème jour, les bancs du parc sont coupés en deux pour respecter les normes de la distanciation sociale... Le fou trouve que les étoiles ne la respectent pas...

 

Le masque obligatoire n'apparaît que le septième jour... mais le huitième c'est au tour du déconfinement...

 

Les masques sont partout: sur les fils à linge, par terre, sur les visages des tableaux du musée du révisionnisme au XXIe siècle...

 

Les vaccins poussent dans une prairie, les lignes de places de parc dessinent un QR code etc.

 

Bref ce conte n'est pas plus délirant que ce que les hommes ont vécu pendant la pandémie. Il a toutefois une touche poétique que la gestion de celle-ci n'avait pas.

 

Ainsi Phil, qui se prétend porteur du variant Philia, remplace-t-il dans son journal le d de la troisième dose par un grand R et, après avoir cueilli une rose, se rend sur une plage avec Tâche.

 

- Mais, la rose, elle transmet quoi à l'homme?, demande alors un enfant à son père qui l'a retenu d'aller la toucher.

- La beauté.

- C'est contagieux, ça?

- Très.

- Et c'est dangereux?

- Pour la vie, non.

- Mais pour le reste, oui.

 

Francis Richard

 

Le siècle des couronnes, Xochitl Borel, 136 pages, DashBook (illustré par Thierry Droz)

 

Livres précédents aux Éditions de l'Aire:

 

L'alphabet des anges (2014)

Les oies de l'Île Rousseau (2017)

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21 mai 2022 6 21 /05 /mai /2022 17:30
Le Fossé, d'Hervé Lochmatter

Mais qu'est-ce que je fais là dans ce fossé à attendre?

 

Le narrateur, embusqué dans un fossé à attendre que la nuit enrobe tout le village de Bramois, s'apprête certainement à commettre un méfait. Sinon, pourquoi tiendrait-il tant à ce que personne ne sache qu'il est là?

 

D'ailleurs sa poche contient une petite boîte, qu'il palpe avec la main, avant que d'agir. Mais, en attendant, il passe en revue son existence, qui ne s'est pas déroulée comme il le voulait. C'est le moins qu'on puisse dire:

 

À trente-huit ans, je n'ai aucun job rémunérateur fixe. Pas de vie affective. Une santé chancelante. Des jeans raccommodés de tous les côtés. Un moral au fond des chaussettes. Des baskets trouées.

 

Alors il vit de menus larcins, par nécessité. Son logis, un studio insalubre, est dépourvu de meubles. Il y est bien seul. Pas étonnant qu'il ait le blues, qu'il broie du noir, qu'il ait le sentiment de se trouver dans un labyrinthe.

 

Depuis quatorze ans, il est dans ce dédale sans issue, mais cela n'a-t-il pas commencé plus tôt quand il était gamin, un sale gamin? En tout cas, il lui faut maintenant en sortir. Mais que faire? Rien ne semble marcher.

 

Il tente de contacter un psy. Peine perdue. Il voit des voyantes... qui ne voient pas dans quel état il est. La prière? Elle évite le pire à ce Valaisan, qui, d'après la photo du premier rabat du livre, a quelque chose de l'auteur:

 

Comme il n'y a personne pour m'entendre, j'ai pris l'habitude de m'installer devant mon miroir, et d'échanger verbalement avec mon reflet. Un visage régulier surmonté d'un crâne presque entièrement chauve, des yeux verts aux iris pailletés de touches jaunes et bruns caramels, des sourcils épais, des lèvres minces, un menton posé sur un large cou, et des épaules autrefois musclées, aujourd'hui déconfites.

 

Pourtant, un jour - le lecteur attentif l'aura relevé dès le début du récit -, il reçoit dans sa tanière un certain Pablo qu'il présente avec reconnaissance comme rien de moins que son guérisseur, gourou, thérapeute, mage:

 

Un petit bonhomme âgé, mais encore vif, qui avait l'apparence d'un retraité actif susceptible de passer totalement inaperçu.

 

C'est lui qui, à la fin, lui apprend la sortie du labyrinthe - une voie que le lecteur ne peut deviner - et qui lui permettra de retrouver le sourire et, même, de trouver que, malgré les souffrances et les méandres de l'existence:

 

La vie est bien faite.

 

Francis Richard

 

Le Fossé, Hervé Lochmatter, 116 pages, Aire

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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