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5 juin 2024 3 05 /06 /juin /2024 18:00
Jusqu'au bout du jour, de Jo(sette) Pellet

10 juillet 2015

Tu vois, je tiens ma promesse: je ne t'ai pas oublié! Pas oublié non plus notre rencontre dans un train entre Graz et Lausanne, il y a un demi-siècle.

Adolescents taillés dans la même étoffe de révolte et de quête, nous nous étions immédiatement "reconnus" et aimés... D'un amour platonique.

Ensuite nos lettres, pendant trois ans. Puis seulement les tiennes.

 

De nos jours, les adolescents font des rencontres virtuelles avant qu'elles ne deviennent réelles. À l'époque elles étaient réelles, et l''imaginaire s'en nourrissait.

 

Pour retrouver ses amours de jeunesse, le net peut être un outil performant qui vaut la peine d'être utilisé, même si le résultat n'est pas toujours au rendez-vous.

 

La narratrice du récit, grâce sans doute à un de ces fameux moteurs de recherche, retrouve la trace de l'homme qui, jadis, lui a fait battre platoniquement le coeur.

 

Commence alors une correspondance entre eux deux. Mais le lecteur n'a droit qu'aux lettres de l'homme qui a subi de l'âge, entre temps, l'irréparable outrage.

 

Ses lettres ne sont pas reproduites en caractères d'imprimerie, comme le reste du texte, mais dans une nouvelle graphie, i.e. une belle écriture, bien humaine.

 

Cette femme et cet homme ont vécu éloignés dans le temps. Ils le sont encore dans l'espace puisqu'elle demeure encore à Lausanne et que lui est soigné en Styrie.

 

Qu'à cela ne tienne, la femme, qui, c'est connu, est plus courageuse que l'homme, franchit à plusieurs reprises la grande distance qui les séparent pour le rejoindre.

 

L'homme écrit des lettres manuscrites, la femme, en italiques, de brefs commentaires ou des poèmes courts, comme les affectionne Jo(sette), l'auteure de haïkus.

 

Le récit révèle bien des différences entre cette femme et cet homme. Elle prend plus de risques que lui, mais elle n'a pas autant d'attaches familiales que lui.

 

Qu'en sera-t-il de leurs retrouvailles? C'est bien sûr au lecteur de le découvrir. Quel que soit son âge, il n'aura pas de mal à le deviner s'il en a fait l'expérience.

 

Et puis, s'il aime les mots, il sera servi et comprendra ce que veut dire l'auteure en conclusion de ce fragment amoureux, singulier, i.e. intemporel et universel:

 

Ah l'amour des mots

puisse-t-il m'accompagner

jusqu'au bout du jour.

 

Francis Richard

 

Jusqu'au bout du jour, Jo(sette) Pellet, 80 pages, Éditions des Sables

 

Livres précédemment chroniqués:

 

Syrie - Les hirondelles crient, 76 pages, Éditions Unicité (2013)

Mékong mon amour, 96 pages, Samizdat (2014)

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4 juin 2024 2 04 /06 /juin /2024 19:15
Sur les traces de mon père, de Francine Crettaz

Le calcul est vite fait. Jules Crettaz est mort le 8 septembre 1961 et sa fille Francine est née le 10 juillet 1954. Elle n'a donc que sept ans quand il rend son âme à Dieu. Pour se mettre sur les traces de son père, Francine Crettaz ne peut donc pas se fier à ses seuls souvenirs.

 

Elle recueille quelques témoignages, puise dans de maigres archives, mais surtout fait appel à une riche documentation pour reconstituer l'époque et combler les trous d'une biographie parcellaire, où les archives paternelles ne tiennent que dans un très modeste carton.

 

Certes il reste la bibliothèque de Jules retrouvée dans le chalet de son enfance: Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es. S'y trouvent des livres de métier - il fut instituteur -, des livres de spiritualité, de prière et de poésie, des livres légers, des romans et des nouvelles.

 

Ce qui guide l'auteure, quand elle entreprend sa quête, c'est un amour filial, qui se dissimule mal derrière le voussoiement qu'elle emploie à l'égard de son père, dans un récit où elle tente de le re-susciter, comme elle le dit joliment, si bien que le lecteur s'y attache:

 

Et ne m'en veuillez pas si je vous vouvoie. Je dis vous à tous ceux que j'aime avec timidité.1

 

Dans le val d'Anniviers où Jules Crettaz a vécu du 31 juillet 1923, jour de sa naissance, jusqu'à ce jour funeste de septembre, on croit en Dieu, on va à la messe, dite en latin, et on fait ses prières, depuis... des siècles, depuis que les ancêtres insoumis se sont convertis. 

 

Dans ce monde traditionnel, Jules n'est pas complètement coulé dans le moule paysan. Il va même en échapper un peu, pendant quatre ans, à raison de dix mois par an: un an préparatoire à Martigny, trois à l'École Normale à Sion, pour devenir un jour instituteur à Fang:

 

Raconter quand on sait si peu de choses, c'est ruser, finement si possible: je m'informe, j'invente, je brode, je tisse. Je tricote aussi. Dixit sa fille.

 

Deux autres singularités caractérisent Jules: il est le premier à se motoriser en Anniviers, possède d'abord une moto, puis une voiture, sans doute pour se sentir à la fois libre et supérieur; et il se marie avec la fille de son cousin germain, qui est ravi de cette alliance.

 

Si les regrets sont unanimes après sa disparition - en témoignent les articles de presse que sa fille reproduit - l'explication se trouve dans les différents engagements que son père prendra en faveur de la Vallée et de ses habitants, même une fois atteint par un sarcome2.

 

L'auteure remercie in fine son père d'avoir été l'homme qu'il fut, même si elle a souffert d'avoir grandi sans lui. Écrire ce livre l'a certainement aidé à faire son deuil, plusieurs décennies après. Et lire cette phrase de Delphine Horvilleur, tirée de Vivre avec nos morts:

 

C'est quand la vie et la mort se tiennent la main que l'histoire peut continuer.

 

Francis Richard

 

1 - Inspiré de Barbara, poème de Jacques Prévert:

Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas

2 - Sarcome: tumeur maligne, cancéreuse.

 

Sur les traces de mon père, Francine Crettaz, 206 pages, Plaisir de Lire

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2 juin 2024 7 02 /06 /juin /2024 21:15
La dernière chambre du GRAND HÔTEL ABÎME, de Quentin Mouron

Internet, dont l'accès est de plus en plus aisé, grâce aux téléphones portables, a pris une importance de plus en plus grande dans la vie des gens. D'aucuns s'en réjouissent quand d'autres s'en alarment.

 

À la faveur de ce développement, un nouveau métier est apparu, celui d'influenceur. Le dictionnaire Larousse donne les définitions suivantes de ce néologisme qui, bien sûr, se décline au féminin:

 

  • 1. Personne qui, par sa position sociale, sa notoriété et/ou son exposition médiatique, a un grand pouvoir d’influence sur l’opinion publique, voire sur les décideurs.

 

  • 2. Spécialement: Personne qui, en raison de sa popularité et de son expertise dans un domaine donné (mode, par exemple), est capable d’influencer les pratiques de consommation des internautes par les idées qu’elle diffuse sur un blog ou tout autre support interactif (forum, réseau social, etc.).

 

La rémunération d'un influenceur dépend évidemment du nombre de personnes qui le suivent - en bon français, ce sont ses followers - et du nombre d'interactions que ces derniers ont avec lui.

 

C'est ce milieu qui suscite la verve satirique de Quentin Mouron dans ce nouveau roman, dont le titre à rallonge est à lui seul tout un programme: La dernière chambre du GRAND HÔTEL ABÎME.

 

En fait l'auteur dirige ses projecteurs sur un petit monde parmi ces influenceurs. Qui se connaissent tous, plus ou moins, même au sens biblique, et ne s'interdisent aucune orientation sexuelle. 

 

Dès le prologue, le lecteur sait que, dans ce roman, qui n'est pas un polar, un meurtre est commis: Sixtine est retrouvée par un employé, gisant, brisée et sans vie, à côté de la piscine de l'hôtel. 

 

Qui sont ces influenceurs? Sam, qui a rompu avec Sixtine, Lola qui partage son lit avec Hugo, avec lequel Sam a plus que sympathisé, tous devant se retrouver pour une rencontre entre pros à Venise.

 

Sixtine, dont le lecteur connaît la fin tragique, se console avec Rocco de sa rupture avec Sam. Hugo, qui n'a pas beaucoup de considération pour elle, dans un message, lui débine son nouveau gars.

 

Ce petit monde, que l'auteur situe au départ en divers lieux d'Italie avant de le réunir à Venise, entretient des relations compliquées entre ses membres, qui naviguent entre le virtuel et le réel.

 

Comme ils se connaissent tous, leurs vies affectives se mêlent et s'entremêlent. Si certains préfèrent la réalité, la plupart semblent ne pas vouloir la distinguer de la virtualité, c'est-à-dire du théâtre.

 

Le lecteur doit savoir que l'auteur est engagé et que de temps en temps, une réflexion partisane lui échappe. Il ne la partagera pas forcément, mais, prévenu, il ne s'en offusquera pas outre mesure.

 

Ce qui permettra au lecteur, en désaccord avec l'auteur sur le fond, d'apprécier sa satire, c'est la forme, même si la ponctuation, singulière et changeante au cours du récit, peut parfois le chagriner.

 

Francis Richard

 

La dernière chambre du GRAND HÔTEL ABÎME, Quentin Mouron, 176 pages, Favre

 

Livres précédents:

 

Au point d'effusion des égouts, Olivier Morattel Éditeur (2011)

Notre Dame de la Merci, Olivier Morattel Éditeur (2012)

La combustion humaine, Olivier Morattel Éditeur (2013)

Trois gouttes de sang et un nuage de coke, La Grande Ourse (2015)

L'âge de l'héroïne, La Grande Ourse (2016)

Vesoul le 7 janvier 2015, Olivier Morattel Éditeur (2018)

Jean Lorrain ou l'impossible fuite hors du monde, Olivier Morattel Éditeur (2020)

Pourquoi je suis communiste, Olivier Morattel Éditeur (2022)

La haine des oiseaux, Olivier Morattel Éditeur (2022)

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1 juin 2024 6 01 /06 /juin /2024 22:20
En mal de mère, de Sylvie Cohen

Kaïto est, comme son prénom dérisoire l'indique en japonais, un gars de la mer. Ses parents, Jack, un Américain, et Maïko, une Japonaise, ont divorcé. Sa garde a été confié à son père.

 

Jack convoie des bateaux. Comme il n'a personne à qui confier Kaïto en son absence, il l'emmène avec lui, lui faisant manquer l'école, mais lui apprenant de quoi être un sacré matelot.

 

Kaïto, ne voit que les défauts de son père, qui l'oblige à partir en mer avec lui, alors qu'il déteste ça et qu'il ne le croit pas quand il lui dit que sa mère l'a abandonné: il est En mal de mère.

 

Le dernier voyage qu'ils font ensemble pour convoyer un voilier, à partir d'Okinawa, où ils vivent sur un bateau, ne se déroule pas comme prévu à cause d'une tempête, pourtant annoncée.

 

Jack est monté voir, mais, quand son corps est réapparu, il a dégringolé d'un seul coup les quelques marches de la descente du bateau, la tête en sang: Kaïto a dû constater qu'il était mort.

 

Désormais seul au milieu de l'océan, il doit se débrouiller pour s'en sortir. Pendant qu'il se démène, les souvenirs remontent à la surface. Il idéalise sa mère, qu'il n'a vue qu'un week-end...

 

Face aux éléments déchaînés, il se rappelle ce que son père lui a appris et se promet, s'il ne périt pas avec ce voilier, le Missing Link, d'aller retrouver sa mère, qu'après tout il ne connaît pas.

 

Sylvie Cohen connaît bien les moeurs japonaises et occidentales de même que les ressorts universels de l'âme humaine. Aussi ses personnages sont-ils vrais, à commencer par le jeune Kaïto.

 

À quatorze ans, ni japonais ni yankee, celui-ci vit dans un désert affectif. Orphelin de père, et peut-être même de mère, s'il veut survivre, il n'a d'autre choix que de prendre son destin en main. 

 

Francis Richard

 

En mal de mère, Sylvie Cohen, 180 pages, Slatkine

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22 mai 2024 3 22 /05 /mai /2024 21:50
Le Brochet de l'empereur Barberousse et autres nouvelles, de Jean-François Haas

Dans les sept nouvelles de ce recueil qui porte le nom de l'une d'entre elles, Le Brochet de l'empereur Barberousse, Jean-François Haas écrit des variations prosaïques sur l'enfance et sur les rapports d'adultes avec des enfants, les leurs ou bien ceux des autres.

 

Enfant, il y a des choses qui vous échappent, que vous ne comprenez pas. C'est parfois longtemps après que la vérité sort de son puits et qu'elle vous blesse comme lorsque la jeune femme du Géant du galetas réalise ce qu'y faisait son instituteur de père.

 

Les enfants peuvent être cruels. L'innocence rime avec enfance, mais cela se limite souvent à cela. Des aînés, dans La Méduse dans la cave, essaient ainsi de faire croire des fariboles à un puîné, mais ils ne démontrent pas toujours qu'ils aient la raison de leur âge.

 

Les goûters d'anniversaire étaient l'occasion de lier connaissance. Quand on avait sept ans, L'ami que l'on s'y faisait, c'était pour la vie. En l'intimidant, des jaloux tentaient de savoir son nom. Plus tard, des paranos feront de même, mais il ne livrera pas son ami.

 

Nos ancêtres les lacustres est une variation de nos ancêtres les Helvètes. Toffee, qui doit son surnom à une boîte de friandises offerte par sa tante à un camarade, a appris par un vieux pêcheur leur existence et défendra leur mémoire quoi que disent les autres.

 

Le Vieux raconte à Théo l'histoire du Brochet de l'empereur Barberousse qui est représenté sur une gravure au-dessus du réfrigérateur et lui apprend à préparer des ablettes. Mais lui et Théo se fâchent. Théo disparaît et prouve au Vieux qu'il est un très bon élève.

 

Alexis, disparu, réapparaît après tant d'années. À l'école il faisait partie des trois mousquetaires qui, comme chacun sait, étaient quatre. Par déduction il était Porthos, plus habile à encourager qu'à jouer au basket. Sa disparition était due à Une erreur de jeunesse...

 

A Christmas Tale commence mal. Niko, trisomique, a survécu à la loi de dépistage prénatal qui aurait dû conduire à son avortement; son grand-père reçoit la visite d'un homme qui considère Niko comme un humain raté, à éliminer. Mais c'est un conte de Noël...

 

Le grand-père de la dernière nouvelle parle de bienveillance. Lors le lecteur réalise que ce mot convient bien pour qualifier l'attitude de l'auteur quand il écrivit son livre: une grande lumière bienveillante a dû l'envelopper, une grande bienveillance lumineuse.

 

Francis Richard

 

Le Brochet de l'empereur Barberousse et autres nouvelles, Jean-François Haas, 184 pages, Bernard Campiche Editeur

 

Livre précédent:

 

La Folie du pélican (2022)

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19 mai 2024 7 19 /05 /mai /2024 18:20
Des nouvelles d'Emma, du Collectif Épisode

Ces temps, j'ai relu Madame Bovary, publié dans la Revue de Paris du 1er octobre au 15 décembre 1856 et les trois pièces du procès que la justice impériale avait instruit en 1857 contre Gustave Flaubert pour offenses à la morale publique et à la religion qu'il aurait perpétrées dans son roman.

 

Ce soudain engouement pour Emma n'était pas fortuit. Il constituait un préalable à la lecture Des nouvelles d'Emma commises par des membres du Collectif Épisode et publiées à la fin de l'an passé. Pour des raisons médicales indépendantes de ma volonté, je l'avais différée et en étais fort marri.

 

Pourquoi ces lectures préalables? Parce que je ne voulais pas lire idiot ce recueil de nouvelles, inspiré par le personnage d'Emma Bovary. Il y avait en effet trop longtemps que ce personnage avait hanté mes jours et mes nuits d'adolescent et je voulais le reconnaître dans ces textes qui parlent de lui.

 

Autant dire tout de suite que je n'ai pas de regrets de l'avoir fait parce que les douze contributions sont certes inspirées par Emma, mais il n'est pas superflu de bien connaître le roman et ses conséquences judiciaires pour les apprécier à leur valeur, vu le rapport subtil qu'elles ont parfois avec lui.

 

Je regrette d'autant moins d'avoir fait ces lectures que si des nouvelles mettent bien en scène Emma et Charles Bovary, à l'époque ou de nos jours, d'autres donnent les points de vue sur le couple de personnages secondaires qui n'avaient pas du tout la même importance dans le roman de Flaubert.

 

Mieux - et c'est pourquoi j'ai employé plus haut l'expression de rapport subtil - l'ignorance ou la méconnaissance du livre ne permettent pas de comprendre pourquoi le roman a inspiré certaines de ces nouvelles: il est préférable que le lecteur ait présent à l'esprit ce qui lui donnait son mouvement.

 

Cela dit, rien n'oblige le lecteur, comme je l'ai fait, à se lancer dans les lectures du roman et des pièces du procès avant de lire ce recueil, car chacune de ces douze nouvelles a son existence propre, indépendante du bon motif qui l'a fait naître: il y en a pour tous les goûts littéraires contemporains... 

 

Francis Richard

 

Des nouvelles d'Emma, Collectif Épisode, 152 pages, Plaisir de lire

 

NB

 

Table des matières:

 

  • Préface de Marc Escola
  • Rien de vrai de Claudine Gaetzi
  • L'Angle mort de l'Hirondelle de Charlyne Genoud
  • La vérité l'emporte sur tout cela de Noémie Moos et Dimitri Martic
  • 0,1 gramme d'Elisa Andrade
  • La sonate de l'Empereur de Fanny M. Cheseaux
  • Nastasie de Gilles F. Jobin
  • Comme un bonbon de Giulietta Mottini
  • L'échappée de Santiago Basurto
  • La Croix d'honneur de Solène Perriard
  • L'Erreur d'Avî Cagin
  • Saule de Maël Graa
  • Tendres paroles de Francine Wohnlich

 

 

Chroniques précédentes, récentes, sur le roman de Gustave Flaubert:

 

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7 mai 2024 2 07 /05 /mai /2024 22:55
Le Couteau, de Salman Rushdie

Je suis devenu un drôle d'oiseau, célèbre non pas tant par mes livres que pour les tribulations de mon existence.

 

À la suite de la parution en 1988 de son roman Les versets sataniques, Salman Rushdie a fait l'objet d'une fatwa, en date du 14 février 1989, de la part de l'ayatollah Rouhollah Khomeinei, dans laquelle celui-ci informait de sa condamnation à mort pour s'être opposé à l'Islam, au prophète et au Coran.

 

Il devenait dès lors une cible puisqu'il était demandé dans cette fatwa aux musulmans zélés d'exécuter cette sentence. Citoyen britannique, vivant à Londres, il était mis, pendant des années, sous protection policière, tout en poursuivant une carrière de nouvelliste, d'essayiste et de romancier à succès1.

 

En 2000, il partait pour New-York et, en 2016, devenait citoyen américain. En 2022, il pouvait croire que la fatwa, lancée contre lui trente-trois ans plus tôt, était de l'histoire ancienne. Or le 12 août, alors qu'il doit intervenir à Chautauqua2, il est victime d'un attentat manqué par un jeune islamiste. 

 

Dans Le Couteau ce livre de réflexions suite à une tentative d'assassinat, qu'il a écrit pour [se] sentir mieux et pour reprendre le contrôle sur l'événement:

 

  • Il reconstitue ce qui s'est passé ce jour-là où, sans chercher à fuir, il a reçu quinze coups de couteau, dans la gorge, le torse, la main gauche, le visage, l'oeil droit:

Pour moi [la pire chose au monde], cela a toujours été et est toujours la cécité.

 

  • Il parle de sa dernière épouse Eliza avec laquelle il file le parfait amour depuis le 1er mai 2017 et sa violente rencontre avec [une] porte en verre coulissante, et se pose la question pendant la pandémie de Covid-19:

Était-il possible, était-il même convenable ou moral de parler de bonheur alors que sévissait la pandémie ?

 

  • Il raconte son séjour de dix-huit jours à l'hôpital Hamot à Erié, où, donné pour mort, il survit miraculeusement, lui qui ne croit pas aux miracles:

J'ai beaucoup appris au cours de ces journées sur l'étonnante capacité du corps humain à se réparer tout seul.

 

  • Il relate sa rééducation au centre de réhabilitation de Rusk où, pendant ses nuits d'insomnie, il pense au Couteau comme idée:

- Un couteau n'était pas une arme à feu (laquelle n'a qu'un seul usage)

- Le langage aussi était un couteau, capable d'ouvrir le monde, d'en révéler le sens, les mécanismes internes, les secrets, les vérités.

 

  • Il fait sien le propos de Naguib Mahfouz, qui avait lui aussi survécu à un attentat islamiste au couteau:

On ne peut s'opposer à une idée que par d'autres idées.

 

  • Il défend l'amour contre la haine, l'art contre les idées reçues:

L'art n'est pas un luxe. C'est l'essence même de notre humanité et il n'exige aucune protection particulière si ce n'est le droit d'exister.

 

Un tel ouvrage, singulier, donne matière à réflexions à partir de celles de l'auteur, dont le lecteur n'est pas obligé de partager l'athéisme ni les convictions politiques mais dont il peut confronter l'expérience à la sienne, même bien moins grave, s'il a, comme lui, fréquenté hôpital et centre de rééducation.

 

Le lecteur peut aussi se dire que Salman Rushdie n'est pas l'homme d'un seul livre, celui qui lui a valu une fatwa, qu'il faut lire ses autres livres, ignorés jusque-là, ne serait-ce que pour vérifier qu'il est bien, ce que d'aucuns disent et que d'autres lui reprochent, une vraie icône de la liberté d'expression.  

 

Francis Richard

 

1 - Il a publié vingt-deux livres à ce jour, y compris celui-ci.

2 - Chautauqua se trouve au bord du lac éponyme dans l'État de New-York.

 

PS

Hier, 6 mai 2024, Salman Rushdie s'est vu décerner le Prix Constantinople, qui a pour vocation de rapprocher les deux rives du Bosphore et qui lui a été remis au Ritz, par Metin Arditi.

 

Le Couteau, Salman Rushdie, 272 pages, Gallimard (traduit de l'anglais par Gérard Meudal)

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

Reproduit par l'IREF le 10 mai 2024.

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5 mai 2024 7 05 /05 /mai /2024 18:45
Combler la faille, d'Olivier Pitteloud

La mère avait dit: ne pas laisser souffrir, et elle a laissé, et le reste, ce qui vient, ne sera que de tenter de combler la faille.

 

Au village, il y avait le père, la mère et leurs deux filles. La vie y était rude. L'aînée des filles, Aline, était partie de la maison, sans retour, dès ses dix-huit ans révolus.

 

Aline laissait derrière elle le père, charpentier, la mère qui avait rêvé de ville, sa cadette, Solène, qui trouverait refuge dans le piano acheté, par faiblesse, par le père.

 

Le père avait secoué Solène qui était dans ses jambes. Ayant heurté le radiateur, elle s'était ouvert le crâne. Entre eux la distance n'avait cessé de grandir, malgré le piano.

 

Aline, devenue une voix à la radio, y était la meneuse de jeu et n'avait plus à plier devant ses parents, son père ne la comprenant pas, sa mère enviant son indépendance.

 

La famille était un foyer de haine contre le père. La mère se sentait enterrée là et haïssait sa cadette de n'avoir été que la fille au piano, haine que celle-ci lui rendait bien.

 

Solène haïssait Aline d'avoir quitté la maison, l'avait chassée quand le père était mort, non sans avoir souffert, parce que la mère avait refusé qu'il soit emmené à l'hôpital.

 

Dix ans après la mort du père, c'était au tour de la mère d'être malade. Pour sa mère comme ce fut le cas pour son père, Solène refusa l'hôpital: qu'elle souffre lentement.

 

Ce sera sans compter avec l'intervention de la fille qui se reprochait d'avoir laissé souffrir et qui croira bien faire en agissant, elle, sans haine, après avoir fait ce constat:

 

C'est comme ça dans la forêt, sur la terre d'humus et dans la douceur de l'air, il y a les bêtes qui vivent et les bêtes qui meurent, et c'est dans l'ordre des choses, c'est sans cruauté, pas comme chez les gens du village en bas...

 

Pour raconter cette tragédie où tous les personnages descendent, Olivier Pitteloup adopte ce ton nature et l'épilogue montre à quel désastre humain la haine peut aboutir.

 

Francis Richard

 

Combler la faille, Olivier Pitteloud, 144 pages, Bernard Campiche Editeur

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1 mai 2024 3 01 /05 /mai /2024 22:55
L'égérie rebelle de Franz Liszt, d'Ann Bandle

Qui est L'égérie rebelle de Franz Liszt ? Marie d'Agoult, née Marie de Flavigny.

 

Ann Bandle s'est mise dans sa tête pour raconter son histoire avec Liszt, autrement dit sa biographie romancée. Compte tenu de la bibliographie en fin d'ouvrage et des nombreuses notes de bas de pages, le terme romancée se justifie surtout par l'emploi par l'auteure de la première personne du singulier.

 

L'histoire de Marie (1805-1876) et de Franz (1811-1886) est celle d'une liaison scandaleuse. Car si Franz est célibataire, Marie ne l'est pas. Elle avait consenti à épouser le comte d'Agoult sans éprouver de passion pour lui et se lamentait de ce mariage sans saveur, en dépit de la naissance de deux filles.

 

Dans son milieu, les salons sont des lieux de rencontres avec d'autres aristocrates, des artistes, des écrivains ou bien des musiciens. Parmi ses relations Marie compte déjà Alfred de vigny et Eugène Sue, avant qu'une de ses connaissances, Mme Le Vayer, ne lui parle d'un virtuose dénommé Franz Liszt.

 

Leur rencontre de décembre 1832 est suivie d'autres, publiques puis privées. Aussi les rumeurs vont-elles bon train sur cette relation de la comtesse avec un musicien qui avait par le passé songé à prendre la tonsure, mais en avait été dissuadé par des amours interdites et par les conseils éclairés d'un abbé.

 

Emportés par la passion, Franz et Marie, en mai 1835, fuient Paris et ses salons, lui poursuivant une carrière de génie du piano et de la musique, elle laissant derrière elle son mari et ses filles, Louise et Claire, au grand dam de la bonne société, ce qui ne veut pas dire qu'ils ne se sentent pas coupables.

 

Un point final à leur aventure mouvementée sera mis en novembre 1839. Ensemble ils auront voyagé, notamment en Suisse, en Savoie, en Italie, eu trois enfants, Blandine, Cosima et Daniel, que Liszt reconnaîtra sans qu'elle soit connue comme leur mère, vécu des disputes suivies de réconciliations.

 

Leurs différends, jusqu'à la rupture, proviendront de l'incompatibilité entre les longues absences de Franz et la volonté de Marie d'être toujours à ses côtés, de la lumière que vaut à Franz son génie et de l'ombre dans laquelle doit se tenir Marie incomprise, à laquelle l'auteure sait, ô combien, s'identifier.   

 

Francis Richard

 

L'égérie rebelle de Franz Liszt, Ann Bandle, 264 pages, Slatkine

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27 avril 2024 6 27 /04 /avril /2024 21:20
Le Cri du lézard, de Jean-François Thomas

Son père avait été retrouvé sans vie le jeudi 16 juillet 2015, en possession d'une somme de dix mille francs suisses dans la poche, en dix billets de mille francs suisses. S'il avait été antiquaire et qu'il vendait des meubles ou des tableaux, passe encore, mais libraire! Libraire d'occasion!

 

Cyriel Sifori a pris la succession de son père qui tenait une librairie de livres d'occasion à Vevey. Il était auparavant dans la police, mais il avait dû la quitter après avoir, accidentellement, tué un collègue.

 

À l'instigation de son ami Edouard, qui tient la boutique pour lui de temps en temps, Cyriel fait un jour du rangement. Après avoir vidé un tiroir du bureau, il ne peut pas le remettre et se demande pourquoi:

 

Il se pencha pour mieux regarder à l'intérieur de la cavité. Il remarqua alors une pochette en plastique, collée sur le haut, dont un côté pendait et qui, en se repliant sur elle-même, empêchait le tiroir de rentrer correctement dans son alvéole.

 

Dans cette pochette se trouvent des documents dont une lettre, signée C. Dexter, qui donnait rendez-vous le 16 juillet 2015 à son père pour la livraison d'un livre rare contre une grosse somme d'argent.

 

C'est à cette date-là, on l'a vu, que son père, Agénor, était mort. À l'époque sa mort, d'une crise cardiaque, n'était pas apparue suspecte. Mais la découverte du contenu de la pochette sème le doute chez Cyriel.

 

Son ex-collègue Martial avec qui il a dîné un jour, lui a confié qu'il enquêtait sur l'enlèvement de six petits enfants de clandestins. Or, quelques jours après, il entend un hurlement féminin près de sa boutique:

 

- Ma fille! Ils ont pris ma fille! Ils ont enlevé ma fille! Au secours! Aidez-moi!

Cyriel ne fut pas long à reconnaître la jeune mère dont la fillette s'était introduite dans sa boutique. Elle portait toujours les mêmes vêtements, jeans troués et t-shirt blanc.

 

Cyriel n'a pas perdu son flair et décide d'éclaircir les deux affaires, en demandant à plusieurs reprises à Edouard de le remplacer à la boutique et en mettant Martial, plusieurs fois, devant ses faits accomplis. 

 

Cyriel n'emploie pas toujours des méthodes orthodoxes pour découvrir l'atroce vérité dans ... les deux affaires, mais le lecteur ne lui retire pas pour autant sa sympathie, car l'auteur sait le montrer très humain...

 

Francis Richard

 

Le Cri du lézard, Jean-François Thomas, 272 pages, Bernard Campiche Editeur

 

Livre précédent chez le même éditeur:

 

Une semaine à tuer (2020)

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24 avril 2024 3 24 /04 /avril /2024 13:00
Chocolat, noir de préférence, de Olivier Chapuis, Laure Mi Hyun Croset et Olivia Gerig

Les auteurs de ce livre, à consommer sans modération, sont, en couverture, rangés dans l'ordre alphabétique, mais, dans l'ouvrage, ils apparaissent dans l'ordre inverse.

 

Les morceaux de Chocolat, noir de préférence que les auteurs nous offrent à déguster sont de dimensions inégales: celui d'Olivia Gerig est le plus gros, celui de Laure Mi Hyun Croset le plus petit, celui d'Olivier Chapuis dans l'entre-deux. Mais tous sont de saveur égale... pour les papilles d'un lecteur addictif.

 

En voici un avant-goût:

 

Arsenic et pavés de Genève, d'Olivia Gerig

 

Gustave Dunant, septante-sept ans, est retrouvé, à son domicile de Carouge, la cité sarde, plusieurs mois après son décès. Sa mort semble naturelle mais le titre alerte déjà le lecteur qu'il ne doit pas se fier aux apparences.

 

Les pavés de Genève proviennent de chez Philippe Pascoët. Plusieurs femmes fréquentent sa boutique, mais elles n'ont pas toutes de bonnes intentions et puis l'administration de poison est, paraît-il, l'apanage des femmes...

 

Olivia Gerig, avec gourmandise, mène les pas du lecteur sur les traces d'une veuve, noire, cela va de soi. Avant de tirer le fil qui le conduit jusqu'à elle, elle le met sur plusieurs pistes avant de lui réserver une surprise finale.

 

À Troyes, de Laure Mi Hyun Croset

 

Le lecteur se retrouve à Troyes. Laure Mi Hyun Croset, malicieuse, a prénommé son héroïne Hélène. Celle-ci, au contraire de sa soeur Candice, qui tient une chocolaterie, n'a pas choisi la facilité en reprenant la boucherie familiale.

 

Comme son père, la belle Hélène se met à la lecture, surtout celle des Anciens, donne des noms tirés de la mythologie à ses pièces de viande et se spécialise peu à peu dans l'oeuvre d'Homère. Il ne lui reste plus qu'à attendre Ulysse...

 

La boîte, d'Olivier Chapuis

 

Lors d'une soirée, le narrateur fait connaissance d'Audrey qui lui tape dans l'oeil et qui lui dit aimer les chocolats Clair de Lune dont elle a vu une boîte, une marque belge introuvable dans les commerces de France ou de Suisse.

 

La mère du narrateur est photographe et elle a tout sacrifié à son métier, y compris son mariage. Or, elle est en train de perdre la vue, ce qui enlève tout sens à sa vie. Elle fait appel à Escape pour la quitter et échapper à la souffrance.

 

Entre le moment où sa mère meurt et celui où elle est incinérée, le narrateur a le temps d'aller à Bruxelles pour chercher une boîte de Clair de Lune. Il en trouve une, envoie un message à Audrey, mais, en attendant, cède à la tentation...   

 

Francis Richard

 

Chocolat, noir de préférence, Olivier Chapuis, Laure Mi Hyun Croset et Olivia Gerig, 92 pages, A3 - Haute Éddition

 

NB

 

Ce livre est présenté, ce jour, 24 avril 2024, de 18h à 21h, chez le chocolatier Pascoët:

 

Avenue de Miremont, 7

1206 Genève (Champel)

Tél.: +41 (0) 22 346 58 68

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23 avril 2024 2 23 /04 /avril /2024 17:00
Muses, d'Étienne Barilier

À la fin de sa vie, George Balanchine, le célèbre chorégraphe d'origine géorgienne, est hospitalisé à New-York. L'une après l'autre, ses Muses, qui furent ses danseuses et souvent ses épouses, lui rendent visite, avant qu'il ne meure le 30 avril 1983:

 

Vieillir, c'est bien pire que mourir. La mort est une grâce. La mort, quand on est vieux, nous fait grâce de la vie.

 

Il leur demande à chacune de raconter leur histoire. Tandis qu'elles parlent, il semble dormir mais en fait ne dort que d'un oeil et son oreille reste attentive. Il est comme un enfant que ses parents bercent pour l'endormir avec de belles histoires.

 

Souvent il est sans réaction. Elles se demandent s'il les écoute ou fait semblant, enchanté d'entendre la musique de leurs voix. Il y a des mots qui, tout soudain, le font réagir et le font voir rouge, car ce sont des mots tabous tels que Leningrad:

 

Ne prononce pas devant moi ce mot grotesque et hideux !

 

Ou Staline:

 

Cet immonde voyou?

 

Sinon, parce qu'il est vieux - il est né le 22 janvier 1904 - et malade, il a des trous de mémoire, confond l'une avec l'autre, oublie que certaines personnes ont disparu depuis bien longtemps ou, au contraire, qu'elles sont toujours bien vivantes...

 

Certes Étienne Barilier a écrit là un roman, mais ce n'est pas une fiction. Pour l'écrire il s'est beaucoup documenté si bien que le lecteur n'a pas de doute sur la véracité des propos qu'il prête au chorégraphe et à ses muses, plus loquaces que lui.

 

De quoi lui parlent-elles donc? De leur passé, bien entendu, mais d'un passé qui semble inachevé, d'un passé très personnel et très intime parfois, mais qui, en dépit de ses singularités ou peut-être à cause d'elles, traite de sujets qui sont éternels.

 

Car il est question d'art et d'amour. Comment expliquer que ses aimées soient devenues amies comme il le souhaitait? Comme lui, elles aimaient l'art et leur dévotion à la danse les unissaient. Lui ne pouvait créer d'ailleurs sans en être amoureux:

 

Je suis toujours amoureux, c'est un devoir d'état.

 

Elles aimaient en lui son génie et sa gentillesse, même si parfois il pouvait être cruel. Avec lui, l'amour, qu'il ne feignait pas, était indissociable du travail, le travail étant le fruit de l'amour, un acte d'amour. Il les glorifiait par ses chorégraphies: 

 

Si les gens ne comprennent pas qu'on ne peut que se mettre à genoux devant la beauté, qu'il n'y a pas pour l'homme de devoir plus urgent, ce sont de pauvres hères. Ce n'est pas pour eux que je travaille.

 

Muses, Étienne Barilier, 192 pages, Bernard Campiche Editeur

 

Livres précédemment chroniqués:

 

Le piano chinois (2011) Éditions Zoé

Ruiz doit mourir (2014) Buchet-Chastel 

Les cheveux de Lucrèce (2015) Buchet-Chastel

Dans Karthoum assiégée (2019) Phébus

Noor (2023)  Phébus

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20 avril 2024 6 20 /04 /avril /2024 17:50
Après la forêt de mangroves, de Nadia Boehlen

Après la forêt de mangroves est un recueil de dix-neuf courtes nouvelles. Dans la plupart d'entre elles, le protagoniste est une femme de caractère, représentative de femmes de notre époque, en quête d'indépendance et d'accomplissement.

 

Dans un certain nombre d'entre elles, cette femme souffre d'enfermement, d'être cantonnée dans le rôle d'intendante des affaires familiales, c'est-à-dire des tâches ménagères et éducatives, et se sépare du tyrannique géniteur de ses enfants.

 

Dans d'autres nouvelles, cette femme entretient un lien fort avec le ou les enfants qu'elle a portés et qu'elle élève seule. Car la coparentalité s'est avérée impossible, si bien que, vivant sur son seul revenu, elle craint, à raison, la précarité.

 

Dans deux de ces nouvelles, cette femme, parfois plutôt jeune fille, est attirée par ses semblables, femmes ou jeunes filles. Au début elle aurait caché sa différence, voire sa bisexualité, mais, elle est finalement heureuse de l'avoir assumée.

 

La différence est un thème cher à Nadia Boehlen. Dans une autre nouvelle, cette femme est noire et a endossé l'identité de son pays d'adoption. Aussi est-elle choquée que persistent les préjugés sociaux à l'égard de sa couleur de peau.

 

S'unir à un homme à la peau noire, c'est céder, pour cette autre femme, à la spontanéité, aimée et détestée chez sa mère, sans filtre rationnel, moral ou mondain, faire fi de la compatibilité sociale, quand cet homme n'est pas du même milieu.

 

Cette autre femme n'a pas d'attache dans ce coin du Vieux Pays où sa famille s'était installée puis était repartie. Mais elle y retourne, s'y trouve bien et elle est au fond dans son élément: elle ne fait plus qu'un avec les éléments qui l'entourent.

 

La dernière nouvelle est dans l'air woke du temps. Il y est question du langage dit inclusif dans un camp de militants de tout bord, i.e. de gauche. Cette femme repense à un jeune homme ayant fait son coming out comme personne non-binaire:

 

À partir de maintenant, elle s'efforcera de mettre des x et des iels et une tonne d'autres formes contractées partout dans ses textes, se dit-elle en riant toute seule.

 

Francis Richard

 

Après la forêt de mangroves, Nadia Boehlen, 176 pages, Slatkine

 

Livres précédents:

 

Les poupées de chiffon (2019)

Souvenirs en similicuir (2021)

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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