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29 octobre 2023 7 29 /10 /octobre /2023 21:40
Fuguer, de Pierre-Alain Tâche

Fuguer: faire une fugue, s'enfuir.

Larousse

 

Fuguer comprend sept récits de voyage et deux poèmes. Pierre-Alain Tâche au cours des années 2019 à 2022 a voyagé, ou, pour adopter son langage, fugué en Suisse (Deux heures suffisent à provoquer un total dépaysement), en France et en Italie.

 

Pour ce qui concerne la Suisse, il n'est guère amène envers ceux qui vénèrent encore une Suisse idyllique, qui, à ses yeux, n'existe plus: [Le] principal lien entre les habitants de la Suisse, d'où qu'ils viennent, [...] est de nature institutionnelle, écrit-il.

 

À Berne, dans un café, où il faisait une pause, il se rendit compte que sa présence au monde avait été, singulièrement, plurielle: Aucune sensation, aucune ligne lue, aucune parole, aucune musique ne s'était effacée au détriment d'une autre.

 

Sinon, il privilégie maintenant les destinations qui lui sont déjà connues au risque d'être déçu. D'ailleurs, il n'a jamais voulu ni faire de la consommation touristique, ni, en conséquence, voyager pour se divertir, pour le fun comme on dit de nos jours.

 

Il éprouve l'absolue nécessité de la quête sans fin d'un accord avec le monde, d'une réconciliation.  Autrement dit, il garde l'espoir d'instants qui puissent impliquer l'entier de [son] être et conférer encore un peu de beauté, de douceur et de sens à la vie.

 

Le touriste d'aujourd'hui prend des photos. Lui en prend également, mais, parce qu'il ne fait pas entièrement confiance à sa mémoire, toutefois, précise-t-il, la froideur du cliché échouera [...] à entamer la vérité singulière de mon poème ou de mon récit:

 

Le déclencheur, en définitive, sert avant tout à assurer la sauvegarde de ce que j'ai vu.

 

Dans son dernier récit - il a toujours été attiré par les édifices de l'architecture romane -, une abbaye toscane canalise son esprit vers l'intériorité. Agnostique, ayant pris place dans une travée située en face du choeur, il y fait une expérience inédite:

 

Le silence a coulé en moi si profondément que je me suis senti comme réconcilié avec moi-même et entièrement relâché quand la concentration de mon attention demeurait extrême.

 

Ce n'est pas pour autant qu'il est devenu croyant. Il est bien conscient que la foi ne se partage pas: Elle tient du plus intime et d'une grâce que j'avoue avoir négligé de solliciter ou de recevoir. Mais il a éprouvé une paix intérieure très estimable.

 

En rendant compte de ses voyages, lors de cette dernière expérience comme lors des autres rapportées dans ce livre - qui révèle un peu au lecteur son art de fuguer -, l'écriture lui aura à tout le moins permis d'aller au tréfonds de ce qu'il a vécu.

 

Francis Richard

 

Fuguer, Pierre-Alain Tâche, 172 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédemment chroniqués:

 

Vues sur Cingria (2020)

Champ libre I (Carnets 1968-1993) (2020)

Champ libre II (Carnets 1994-2006) (2021)

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25 octobre 2023 3 25 /10 /octobre /2023 17:20
La Suisse romande à pied - Suivi de Genève en campagne, de Guy Mettan

Marcher seul est la meilleure hygiène qui soit, me dis-je, car cela apprend à penser par soi-même. Penser comme la meute, c'est épouser le consentement général, et donc la non-pensée. Marcher et penser en solitaire, c'est se fortifier soi-même, dans tous les sens du terme, physique et moral.

(Seizième jour)

 

Guy Mettan n'est pas du genre à dire de faire ce qu'il ne fait pas lui-même. Dans ce livre roboratif, il raconte comment il s'est efforcé de mettre le précepte en pratique et que la recette a été efficace.

 

En juillet, août, septembre, octobre 2021, il a parcouru La Suisse romande à pied. À l'automne 2019, il avait tenu sa promesse électorale de mener campagne à pied dans les 45 communes genevoises.

 

Le premier périple, qui est chronologiquement le second, lui a demandé trente-huit jours de marche, et le second onze. Ce qui représente respectivement un petit millier de kilomètres et 215 kilomètres.

 

Dans l'un comme dans l'autre cas, les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Non seulement les lieux changent, mais la météo, les rencontres, la forme physique qui dépend des pieds, le décor:

 

Plus j'avance dans ces paysages odorants et chatoyants, plus je me convaincs que la Suisse, c'est d'abord des odeurs, des couleurs, des saveurs, une texture.

(Deuxième jour)

 

Dans son introduction, L'appel, reçu pour se mettre en marche à travers la Suisse romande, il fait l'aveu qu'il a découvert la richesse d'une Suisse des interstices, qui vit incognito, loin du brouhaha mondain:

 

Après deux ans de confinement, de soumission covidienne, cela m'a fait le plus grand bien. Je me suis réconcilié avec l'humanité, avec mon pays et avec moi-même.

 

Si dans le périple genevois les communes traversées sont mentionnées au jour le jour, dans le périple romand la distance parcourue par jour varie de 6 à 31 km, fonction du temps, du dénivelé, du physique.

 

Certains jours, pour se donner du coeur à l'ouvrage, il médite sur une pensée philosophique de Philippe Roth, de Beaumarchais ou d'Ivo Andrić. Il termine d'ailleurs par une, pour la route, de Confucius:

 

Les routes sont faites pour les voyages et non les voyages pour la route.

(Trente-huitième jour)

 

Pour sa promenade électorale genevoise, Guy Mettan s'était donné une devise: Pour ma planète, pour mon pays. Louable intention qui le rangeait dans le camp du Bien, avant qu'il ne le dise tyrannique.

 

Le lecteur lui pardonnera donc, d'autant que les verts de toutes obédiences ont commencé à être remis à leur place lors des dernières élections fédérales et que l'auteur termine son livre en ces termes:

 

Comme dit le Tao, le bonheur c'est le chemin, pas la destination.

 

Francis Richard

 

La Suisse à pied - Suivi de Genève en campagne, Guy Mettan, 128 pages, Slatkine

 

Livres précédents:

La tyrannie du Bien, 256 pages, Éditions des Syrtes (2022)

Le grand Zack, 96 pages, Éditions des Syrtes (2022)

 

Avec Christophe Büchi:

Dictionnaire impertinent de la Suisse, 192 pages, Slatkine (2011)

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23 octobre 2023 1 23 /10 /octobre /2023 19:00
Noor, d'Étienne Barilier

Noor a vingt-neuf ans, mais en paraît dix de moins. Et surtout, avec son visage à l'ovale exact et reposant, avec son nez très légèrement plus long et fort qu'on n'attendrait de la perfection (mais cet infime accent marque sa noblesse); avec la lumière intense et veloutée de ses yeux, ses yeux qui semblent dire à quiconque: ne me faites pas souffrir en me refusant votre sourire - avec tout cela, Noor est belle, simplement.

 

Cette description correspond à l'apparence de Noor quand elle est reçue le 7 juin 1943 à Londres par Leo Marks, un collaborateur du SOE (Special Operations Executive), créé par Churchill.

 

Noor est une princesse indienne. Son nom est Noor-un-Nisa1 Inayat Kahn (1914-1944). Son père, Hazrat, était un prince indien soufi 2, qui, à ce moment-là, a déjà rejoint le paradis d'Allah.

 

La mère de Noor, Ora Baker, est anglo-écosso-irlandaise. Hazrat, musicien et conférencier, l'a rencontrée en Amérique et épousée à Londres. Noor est née à Moscou, pendant une tournée.

 

Les Inayat Kahn ont habité Londres, Moscou et Suresnes, banlieue ouest de Paris, dans une grande demeure, Fazal Manzil 3. Ce qui explique le bilinguisme de Noor, un atout pour le SOE.

 

L'autre atout de la jeune femme, qui a regagné Londres en juin 1940, est que, musicienne, elle se révèle habile clavieriste, ce qui est déterminant pour devenir une opératrice radio du SOE.

 

Ce ne sont pas ses capacités techniques qui interrogent les responsables du SOE pour l'envoyer sur le terrain, en l'occurrence en France. Ce sont ses autres capacités pour affronter l'ennemi.

 

Noor s'envole finalement dix jours plus tard pour la France, où un avion la dépose à une vingtaine de kilomètres d'Angers, qu'elle gagne à vélo après avoir passé la nuit dans une ferme. 

 

À la gare d'Angers elle prend le train pour Paris, Gare-Montparnasse, d'où elle se rend par le métro au 40 de la rue Erlanger, qui est l'adresse de son contact et où elle arrive sans encombre.

 

Étienne Barilier replace le récit dans son contexte. Dans la résistance, il y avait de vrais héros, tels que Noor, mais aussi des traîtres, des agents doubles et, à Londres, de graves fautifs...

 

Quoi qu'il en soit, son livre, basé sur une histoire vraie et bien documenté, même s'il ne comporte pas de bibliographie, se lit comme un roman d'espionnage dont la fin est hélas connue.

 

Le dernier mot du récit revient à Leo Marks qui se sent responsable et coupable d'avoir jeté Noor dans le malheur, tout en sachant qu'il n'a fait qu'accepter sa décision et respecter son courage.

 

Ce roman historique se termine en effet par une vision que l'agent anglais agnostique a de Noor dans sa grande beauté, la vérité de son être, et qui lui fait s'adresser à elle en ces termes:

 

J'essaie du moins de croire en quelque chose: le sourire humain. Le vôtre est là. Je sais qu'il va demeurer, libre du corps disparu.  

 

Francis Richard

 

1 - Ce qui signifie Lumière des femmes.

2 - Il voulait harmoniser l'Orient et l'Occident.

3 - Ce qui signifie Maison de la bénédiction.

 

Noor, Étienne Barilier, 384 pages, Phébus

 

Livres précédents:

Le piano chinois (2011) Éditions Zoé

Ruiz doit mourir (2014) Buchet-Chastel 

Les cheveux de Lucrèce (2015) Buchet-Chastel

Dans Karthoum assiégée (2019) Phébus

 

La maison des Inayat Kahn à Suresnes:

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19 octobre 2023 4 19 /10 /octobre /2023 18:10
Patate chaude, de Marie Beer

La famille de Kob, ce sont des gens bien. Le genre de gens bien que les gars comme Kob se mettent à snober vers treize ou quatorze ans pour aller avec des types comme mon frère. Je ne suis pas sûr que les parents de Kob aient été ravis de cette amitié.

 

Or ledit Kob, et non pas Bob, s'est suicidé. Ce qui la fiche mal dans une telle famille. Aussi n'en est-il pas question lors de la cérémonie bienséante de ses obsèques qui ont lieu à l'église.

 

Le frère du narrateur vient la perturber en invectivant Kob devant son cercueil, quand est venu le moment, pour ceux qui le souhaitent, de lui adresser un dernier et amical hommage.

 

Le narrateur est gêné de ce scandale commis par son frère, membre du groupe néopunk que Kob a formé après avoir accompli un long périple autour du monde et s'être mis à son compte.

 

Cette existence non conforme n'avait pas dû plaire à sa famille. Mais il ne fallait surtout pas que, comme son suicide, son mode de vie décevant soit évoqué le jour où elle lui dirait adieu.

 

Diane, une amie d'enfance du narrateur, rencontrée à l'issue de la cérémonie et proche du groupe, appelle ce dernier le surlendemain pour lui proposer de s'occuper du chien de Kob.

 

Diane force la main du narrateur en emmenant le chien chez la grand-mère de celui-ci chez laquelle il réside. En quête d'emploi, il ne veut pas le garder, voudrait refiler cette Patate chaude.

 

Car l'animal, une femelle, a été baptisé Patate par son défunt maître et Marie Beer prend un plaisir évident à décrire les mauvaises excuses de tous ceux qui refusent de s'en occuper.

 

Il faut dire que c'est un gros chien, un molosse, un malabar, comme les aimait Kob et comme ne les aimaient pas ses parents, du genre à laisser crever les ours polaires sans réagir...

 

Bien malgré lui, le narrateur s'occupe comme il peut du chien qui l'accompagne partout, ce qui ne laisse pas de lui nuire, dans ses démarches de chômeur, tout comme dans ses visites.

 

En famille, Patate n'est pas la bienvenue. Son frère est encore le moins réticent, mais il se moque de lui en lui disant que c'est bien fait, car à lui on peut faire faire tout ce qu'on veut:

 

Aux gens, tu ne sais pas leur dire merde.

 

L'auteure, qui est pince-sans rire, a le sens du théâtre et prépare un coup jubilatoire au lecteur, à la fin, qu'il ne voit pas venir et qui provient de Kob, lequel a bien planifié son départ.

 

Le conseil  d'un tiers bienveillant?

Il faut aussi savoir tirer parti des situations qui nous surprennent et qui contrarient nos projets...

 

Francis Richard

 

NB

Vernissage le 20 octobre 2023, dès 17h30, chez Payot Cornavin, Place Cornavin 7, 1201 Genève.

 

Patate chaude, Marie Beer, 180 pages, Éditions Encre Fraîche

 

Livre précédent chez le même éditeur:

 

Sagama, 200 pages (2021)

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16 octobre 2023 1 16 /10 /octobre /2023 18:20
Vénus partielle, de Véronique Emmenegger

- Ma fille est un garçon manqué ! claironnait mon padre, qui essayait d'inventer des preuves d'une éventuelle testostérone pour l'instant invisible à l'oeil nu.

 

La narratrice, Elena, parle là d'un temps lointain, limite paléolithique... Elle avait moins de dix ans, disons sept. Or il n'est pas besoin pour une fille d'être un garçon manqué pour faire du sport et ne pas faire de la danse classique ou du patinage artistique.

 

Vénus partielle est sous-titré Récit de ma sueur. Plus que la testostérone, la sueur est ce qui caractérise le sport, quel qu'il soit et c'est peut-être pourquoi, pour des raisons olfactives, il était de bon nez, à tort, d'en réserver la pratique à la gent masculine:

 

Le sport est une voie royale pour se réapproprier son corps et l'envoyer dans toutes les directions.

 

Elena ne cherche pas à être civilisée. Elle veut bouger comme un garçon sans en être un pour autant. Qu'importe le sport pourvu qu'elle ait la suée. Ce seront les patins à roulette, le skate-board, le ping-pong, plutôt que le tennis, plus classe selon ses parents.

 

Ce seront la natation - où la sueur ne se voit pas et se dilue -, la gym, la danse oui, mais contemporaine, les beats viennent réveiller les bas-ventres dans un ensorcellement prévisible, l'équitation, une fois seulement, dont le souvenir ne sera que plus fort.

 

Hors du sport, point de salut!, se dit-elle en quelque sorte, quand elle se souvient de ce que la discipline de l'effort, qui lui est indissociable, lui a apporté pendant son enfance, dans ses diverses pratiques, tandis que son corps connaissait les premiers émois:

 

Le sport m'a stabilisée, réconfortée, calmée, accompagnée. Le sport m'a cadrée sans m'enfermer. Le sport a façonné mon corps d'athlète, m'a musclée, renforcée, a fait de mes mouvements des gestes arrêtés et non des hélices brassant l'immensité du néant.

 

Comment ne pas faire ici le rapprochement avec ce qu'écrivait Henry de Montherlant, dans Les Olympiques, à propos de l'apport nouveau de l'athlétisme féminin: il était, selon lui, esthétique et moral, comme l'était depuis les Grecs l'athlétisme masculin?

 

À l'adolescence le sport est une sexualité comme les autres. Selon Elena, le sport mène à la transe, et la transe à l'extase. De cette extase à l'orgasme, il n'y a qu'un pas, vite franchi: après s'être dépensée dans une activité physique, elle le fait dans une autre:

 

Tamisant la poussière, je suis cette Vénus partielle qui se compose au fil de ses actes, qui se construit au gré de ses frottements, à la barbe des convenances.

 

Francis Richard

 

Vénus partielle, Véronique Emmenegger, 64 pages, BSN Press

 

Livres précédents aux Éditions Luce Wilquin:

 

Coeurs d'assaut, 182 pages (2013)

Sorbet d'abysses, 272 pages (2015)

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15 octobre 2023 7 15 /10 /octobre /2023 22:55
Un Galgo ne vaut pas une Cartouche, de Jean-François Fournier

Le Lévrier Espagnol, ou Galgo, est un chien de chasse d’assez grande taille que l’on reconnaît à son corps mince, sec et souple, tout en élégance. Énergique et actif en extérieur, il se montre calme, discret et affectueux comme animal de compagnie. Le Monde

 

Dans ce roman, Jean-François Fournier emmène le lecteur à travers l'Europe, en partant de la Catalogne, plus précisément d'un vieux quartier borgne, Raval, barrio de Barcelone.

 

Dans une ruelle déserte, l'écrivain, qui boit sans soif et qui écrit des romans parce que personne ne lui demande, fait la connaissance d'un galgo blanc, avec lequel il joue à toréer.

 

Du coup, le galgo, Canela, suit partout Ludwig que tout le monde appelle Ernst et que Juan Don, l'hôtelier, appelle aussi el presidente. Jusqu'à sa chute après une dernière passe.

 

Canela - qui a la pointe des oreilles canelle - se retrouve à Vienne aux côtés d'un peintre de la non-culture, Rainer, adepte des cuites créatives, de tabac, de sexe et d'impensable.

 

Dans un bar, Rainer s'accoude auprès d'un musicien qui l'entraîne. À court d'argent, après l'amour dans le plus beau des bordels, il joue au poker avec lui, mise Canela et la perd.

 

Heinrich Matter, le musicien, saxophoniste originaire de Zurich, part avec Lady Canela pour Prague, où il doit jouer au Reduta et où il fait quelques beuveries et connaissances.

 

Dans le train de retour pour Zurich, il rencontre Isabelle, une peintre slovaque, à laquelle, un jour, il laisse le chien, lequel lui lèche spontanément la main, balayant sa culpabilité.

 

Lady Canela n'est pas au bout de ses pérégrinations. Par la suite, elle se retrouvera compagne:

  • d'une cantatrice aux sources du Rhône,
  • d'un couple de propriétaires de théâtres parisiens à Alicante,
  • d'un écrivain dans un chalet d'alpage,
  • d'une historienne d'art à Paris,
  • de la mère de cette dernière, anti-poils notoire, à Genève,
  • d'une hôtesse de l'air,
  • d'une autre hôtesse de l'air, qui hérite de la précédente et la perd... à Barcelone: la boucle est bouclée...

 

Chaque étape européenne de l'existence du galgo - peut-être faudrait-il dire galga - est l'occasion pour l'auteur de dire l'intérêt que cette étape lui inspire dans tous les domaines:

  • la musique
  • la peinture
  • les lettres
  • la gastronomie
  • les boissons, de préférence alcoolisées...

 

Aussi ce roman ne raconte-t-il pas seulement des histoires, mais décrit-il quelques dessous de lieux de l'Europe actuelle et est-il l'occasion de réflexions diverses telles que celle-ci:

 

- Qu'y a-t-il de plus important que l'écriture?

- La lecture, mon cher.

[...]

Tu sais, la lecture est une incroyable petite musique qui ne fait pas seulement résonner des mots, un style, les idées d'un auteur, voire les idées tout court. Elle instille aussi dans ton cerveau un parfum indescriptible, et insaisissable, quelque chose que j'ai mis très longtemps à appeler par son nom, le bonheur.

 

Le personnage qui est le fil rouge du roman est bien sûr le galgo qui apparaît jusque dans la phrase-titre, laquelle ne devient pourtant compréhensible qu'après avoir lu l'épilogue.

 

Au cours du récit, le lecteur est frappé par le fait que c'est le galgo qui choisit son maître ou sa maîtresse du moment et qu'il arrive à lui faire croire pourtant que c'est son choix...

 

Même quand il n'est pas présent physiquement dans une ville-étape comme c'est le cas à Marseille, il est présent dans les esprits: ce galgo est indéniablement un chien magique...

 

Francis Richard

 

Un Galgo ne vaut pas une Cartouche, Jean-François Fournier, 168 pages, Olivier Morattel Editeur

 

Livres précédents chez Xenia:

 

Le chien (2017)

Le village aux trente cercueils (2018)

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13 octobre 2023 5 13 /10 /octobre /2023 22:20
Sans raison, de Marie-Christine Horn

En ce jour de juin aux températures estivales de l'année précédente, Salvatore avait ouvert le feu à plusieurs reprises sur la place de jeux situé sous la fenêtre de l'appartement qu'il occupait dans un immeuble de Lausanne, tuant trois enfants, en blessant quatre autres, et privant une famille de leur femme, mère, fille, enceinte de huit mois.

 

À la sortie du tribunal qui condamne à la réclusion à perpétuité Salvatore, conduit ici par les incohérences et [...] l'injustice de ce monde, deux femmes font connaissance, l'une d'un certain âge, l'autre prénommée Margot, qui comprend le condamné, ayant éprouvé les mêmes frustrations et sacrifices non récompensés:

 

Son coeur n'était pas assez généreux pour excuser ses actes bien qu'elle en comprenne les causes. De son point de vue, le malheur d'un individu ne justifiait pas d'être la source de celui des autres.

 

Cette rencontre est décisive pour Margot, parce que sa gentillesse naturelle est enfin récompensée. Grâce à sa nouvelle amie, prénommée Marguerite, sa vie change. Celle-ci réside dans un petit camping de pêcheurs situé entre un lac et une rivière au bout du canton de Neuchâtel et la prévient qu'une place s'est libérée.

 

C'est une aubaine pour Margot qui compare le prix annuel de l'emplacement avec le loyer mensuel de son deux-pièces en ville de Fribourg. Elle s'y installe après avoir fait l'acquisition d'une caravane avec le solde de son compte épargne et y rejoint des gens, aux prises avec une misère provisoire, qui y habitent à l'année.

 

Le contraste est saisissant entre la nouvelle vie de Salvatore dans sa cellule et celle de Margot dans son camping, entre la solitude de l'un et l'entourage quasi familial de l'autre. Car au petit camping, le quotidien est simple et joyeux, les campeurs sont serviables, les infrastructures, suffisantes, l'amitié est omniprésente.

 

En apparence, Salvatore a tué Sans raison, mais comment expliquer l'inexplicable à ceux qui n'ont jamais su écouter? A contrario, si Margot n'a jamais été logique nulle part, elle reste volontiers dans son petit camping amical pour la simple raison qu'on y [veut] bien d'elle sans jamais la questionner sur qui elle [est].

 

Le roman de Marie-Christine Horn est tragique parce que la vie n'y est pas dissociée de la mort et qu'il décrit avec réalisme et justesse l'existence misérable des gens d'en bas que broie sans vergogne un système technocratique et déshumanisé, comme l'illustre l'exemple absurde qu'elle donne et qui est plus que plausible:

 

Pour refaire une carte d'identité, on doit être inscrit dans une commune. Donc pas de domicile légal égal pas d'attestation, pas d'attestation égal pas de carte d'identité, pas de carte d'identité égal pas de domicile.

 

Ce roman n'est cependant pas tout noir. Au système bureaucratique inhumain, auquel sont confrontés les laissés-pour-compte du petit camping, s'oppose finalement la belle famille qu'ils ont choisie de former délibérément, une famille, qui n'est pas toujours celle qu'on croit, celle qu'est marquée sur le livret à la naissance.

 

Francis Richard

 

Sans raison, Marie-Christine Horn, 136 pages, BSN Press - OKAMA

 

Livres précédents:

 

Le nombre de fois où je suis morte, Marie-Christine Buffat, 128 pages, Xenia (2012)

Tout ce qui est rouge, Marie-Christine Horn, 386 pages, L'Âge d'Homme (2015)

La piqûre, Marie-Christine Horn, 288 pages, Poche Suisse (2017)

24 heures, Marie-Christine Horn, 96 pages, BSN Press (2018)

Le cri du lièvre, Marie-Christine Horn, 112 pages, BSN Press (2019)

Dans l'étang de feu et de soufre, Marie-Christine Horn, 136 pages, BSN Press (2021)

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11 octobre 2023 3 11 /10 /octobre /2023 20:40
Un dernier verre pour la route, de Philippe Erard

La villa de Jean et Annelise était sans prétention, mais le soin avec lequel ils l'entretenaient lui donnait un air de dignité, de coquetterie, et même d'élégance, qui les ravissait.

 

Jean est né en 1958, Annelise en 1956. Jean est ingénieur mécanicien, diplômé de l'École polytechnique fédérale de Lausanne, et travaille chez LapSA à Renens. Annelise est secrétaire de direction chez Nestlé, à Vevey.

 

En 1983, ils se rencontrent en Angleterre au Swiss Centre de Londres, à l'occasion de la fête nationale: le coup de foudre. En 1985, ils se marient. En 1987 naît leur fille Catherine, qui meurt en faisant du ski en 2008.

 

En 2018, Jean et Annelise Magnin se décident à mettre fin au mausolée qu'est la chambre de leur fille depuis sa disparition et à déposer ses cendres au cimetière avec la bénédiction du Père Meier qui les avait mariés.

 

Jean met alors à exécution son projet de transformation de leur villa, où la chambre de Catherine devient un espace de deux bureaux, un pour chacun. À la Noël 2019, ils partent en croisière de luxe dans l'Antarctique.

 

Ils semblent avoir tourné la page du malheur. Mais, à leur retour, en janvier 2020, ils apprennent qu'un virus couronné est apparu. Un malheur ne venant jamais seul, en mars, Annelise est emportée par un infarctus.

 

Le problème est que Jean avait averti LapSa qu'il anticiperait sa retraite en décembre 2021, afin de passer plus de temps auprès de sa chère Annelise, et qu'il se retrouve tout seul désormais dans leur grande et belle maison.

 

Il y est d'autant plus seul qu'avec la pandémie, il doit beaucoup télétravailler et se voit coupé socialement du reste du monde. Moralité: il faut certes faire des projets dans la vie mais sans assurance qu'ils se réalisent jamais.

 

Quand, décidément, ses projets sont contrariés, il reste toujours une option, une fois que la retraite a bel et bien sonné, sans pouvoir y rien changer, c'est de s'adapter à la solitude et de boire Un dernier verre pour la route... 

 

Le récit humain et bien écrit de Philippe Erard n'est guère réjouissant, malgré de bons moments, puisqu'une famille, qui devrait être heureuse, est à la fin réduite à un individu, qui, face à l'adversité, au moins réagit.

 

Francis Richard

 

Un dernier verre pour la route, Philippe Erard, 64 pages, Éditions de L'Aire

 

Livres précédents:

 

La dernière carte de Marcel Fischer (2019)

Les trois fous et la fin du monde (2020)

Berthe Ruffieux (2021)

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10 octobre 2023 2 10 /10 /octobre /2023 22:45
La danseuse, de Patrick Modiano

C'était un temps où l'on prenait beaucoup moins de photos qu'aujourd'hui.

Et pourtant certains détails demeurent assez présents. Il faudrait en faire une liste. Mais il serait très difficile de suivre l'ordre chronologique.

 

Le temps dont parle le narrateur remonte à plus de cinquante ans. Et il ne suit effectivement pas d'ordre chronologique pour le ressusciter.

 

Tous les personnages qu'il décrit n'ont pas tous un nom, à commencer par lui-même et La danseuse qui donne son titre à ce roman mémoriel.

 

Car c'est bien de mémoire dont il s'agit avec ses trous et ses détails, qui ne les comblent certes pas tous, loin de là, et entretiennent le mystère.

 

Si la danseuse n'a qu'un surnom, elle a un fils prénommé Pierre, dont le narrateur avec Hovine, un ami d'enfance à elle, s'occupe à sa place.

 

Hovine fait les courses. Lui va chercher Pierre au cours Dieterlen, une école du quartier du dix-septième arrondissement de Paris où elle habite.

 

Avant de loger à la Porte Champerret, la danseuse a vécu depuis l'enfance à Saint-Leu-la-Forêt et avait confié Pierre à des parents, en province.

 

Par hasard il a été mis en contact par une agence avec un dénommé Serge Verzini, qui lui a loué une chambre et qui avait en fait aidé la danseuse.

 

Verzini l'avait connue à Saint-Leu-la-Forêt ainsi que le père de Pierre, du temps où lui comme ce dernier n'étaient guère recommandables.

 

Le narrateur vient souvent au studio Wacker chercher la danseuse, rencontrée un soir dans un restaurant et laissée seule avec lui en en sortant.

 

Depuis ils se promènent dans le quartier à partir du cours de danse ou encore d'un autre lieu plus ou moins éloigné de la Porte Champerret:

 

Au début, j'avais du mal à la suivre, mais je finissais par m'habituer à son rythme. [...] C'était comme si elle m'entraînait et m'aidait à remonter à la surface.

 

Selon Kniaseff, le professeur de la danseuse, il faut que le corps s'épuise pour atteindre à la légèreté et à la fluidité des jambes et des bras:

 

Un jour qu'il se trouvait seul avec elle, il lui en avait expliqué le sens: oui, il s'agissait à force d'exercices de "dénouer les noeuds", et c'était douloureux, mais, une fois qu'ils étaient "dénoués", alors on éprouvait un soulagement, celui d'être libéré de la pesanteur, comme dans les rêves où votre corps flotte dans l'air ou dans le vide.

 

Les souvenirs ne lui viennent que par bribes: au lecteur de reconstituer le puzzle; et quand il y parvient, le narrateur lui dit ce qui importe:

 

Ni la danseuse ni Pierre n'appartenaient à un passé mais à un présent éternel.

 

Ce présent-là n'a assurément rien à voir avec le présent temporel où le narrateur déambulant dans le Paris d'aujourd'hui ne le reconnaît plus...

 

Francis Richard

 

La danseuse, Patrick Modiano, 112 pages, Gallimard

 

Article précédent sur l'auteur:

Patrick Modiano à Stockholm (8 décembre 2014)

 

Livres précédents:

L'herbe des nuits, 192 pages (2012)

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, 160 pages (2014)

Souvenirs dormants, 112 pages (2017)

Encre sympathique, 144 pages (2019)

Chevreuse , 176 pages (2021)

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9 octobre 2023 1 09 /10 /octobre /2023 18:25
Made in Korea, de Laure Mi Hyun Croset

Il passait la majeure partie de son temps assis à son bureau ou couché sur son canapé, dans le royaume du gras et du sucré. À dire vrai, son univers se résumait à ses écrans et à son réfrigérateur.

 

Grâce ou à cause de sa cousine, ce concepteur de jeux vidéos se rend chez la généraliste qui se trouve dans le même immeuble que lui. Deux prises de sang plus tard, vu les résultats, il doit changer de vie s'il ne veut pas mener son existence dans un état dégradé:

 

Il devait faire l'inverse de son quotidien: pratiquer une demi-heure de sport par jour et se nourrir de végétaux.

 

Pourquoi ne pas joindre l'utile à l'agréable? Enfant abandonné à deux ans, Made in Korea, il décide de partir pour sa terre natale où il pourra vivre sainement et découvrir sa culture d'origine, et, en guise d'activité physique, pratiquer le taekwondo, l'art martial de là-bas. 

 

La Corée du Sud décrite par Laure Mi Hyun Croset n'est pas celle qu'imaginait son lecteur ou son personnage solitaire, et gagné par le diabète... Ainsi les Coréens ne semblent jamais vivre seuls et consomment de l'alcool, moins proscrit aux diabétiques que le sucre...

 

Le cours de taekwondo est dispensé par Dave, un Américain. Quant à lui, son apparence asiatique le sauve aux yeux des participants plus jeunes. Il y fait la connaissance de Tim, un Irlandais, puis, en un autre lieu, de Dae-ho, avec lesquels cet introverti se lie d'amitié.

 

Le lendemain, au dojang, il n'est pas frais, ayant bu davantage que de raison, alors qu'auparavant il ne buvait presque jamais, mais Tim lui tend un breuvage coréen qui remédie à sa gueule de bois... et l'emmène, après, tester une haejangguk, soupe qui a le même effet.   

 

Quoi qu'il arrive désormais il n'est plus seul, même s'il avait déjà des parents adoptifs et un frère d'origine vietnamienne, adopté lui à la naissance. Originellement coréen, la Corée l'a certes adopté, mais il se sait différent et n'appartiendra jamais à son peuple si aimable...

 

Le récit des tribulations en Corée de ce personnage attachant est non seulement plein d'humour, mais de sagesse: il est possible de changer de vie, physiquement et moralement, et, pour vaincre ses préjugés et quitter sa zone de confort, une amitié vraie peut être décisive.

 

Francis Richard

 

Made in Korea, Laure Mi Hyun Croset, 112 pages, BSN Press - OKAMA

 

Livres précédents:

 

Les velléitaires Éditions Luce Wilquin (2010)

Polaroids Éditions Luce Wilquin (2011)

On ne dit pas je BSN Press (2014)

S'escrimer à l'aimer BSN Press (2017)

Le beau monde Albin Michel (2018)

Pop-corn girl BSN Press (2019)

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8 octobre 2023 7 08 /10 /octobre /2023 15:25
Dans l'ombre du Mont Olympe, d'Elio Sottas

L'embarcation s'immobilisa juste devant le corps inanimé d'un homme maintenu hors de l'eau par un gilet de sauvetage qui lui compressait le buste et les épaules. Les deux policiers le hissèrent à bord. Il portait un costume deux-pièces et de longues chaussettes rouges. Son visage pâle et la température de ses membres ne laissaient aucun doute quant à son état: il était mort.

 

Le ton du roman d'Elio Sottas est donné. C'est un polar qui va tenir ses promesses d'appartenance à la Collection Frisson des éditions Plaisir de Lire. Le lecteur se réjouit d'avance.

 

Le lecteur se réjouit d'autant plus que très vite le livre tient les promesses de son titre. Dans l'honorable quotidien La Chronique genevoise paraît le même jour ce message anonyme:

 

À force de jouer trop près du soleil, Apollon s'est brûlé. Si vous autres, locataires du Mont Olympe, riez de votre momentanée toute-puissance, n'oubliez pas que de dieu à mortel, il n'y a qu'une étincelle.

 

Les dieux de l'Olympe sont-ils douze ou quatorze1? L'auteur penche pour douze comme la suite de l'histoire le dira, mais au moins a-t-il connaissance de la mythologie grecque2...

 

En tout cas, Dans l'ombre du Mont Olympe se cachent des locataires d'un très mauvais genre, pour reprendre une expression qui, ces jours, fait florès dans la littérature romande.

 

L'inspecteur principal Markus Ederlang est chargé de l'enquête sur cette simple noyade ou peut-être ce meurtre, car un énorme "I" était scarifié sur [le] ventre de la victime...

 

Y a-t-il un lien entre le message anonyme et la découverte du cadavre dans les eaux du Léman? Ce qui n'est peut-être qu'une coïncidence a de toute façon des conséquences.

 

En effet les douze locataires de l'Olympe ne seraient-ils pas les sept conseillers d'État du canton et les cinq conseillers administratifs de la ville? Ne faut-il pas les protéger?

 

Si le message et la découverte lacustre sont liés, il est à ce moment-là curieux que le mort fasse partie des douze cibles, puisqu'il était depuis vingt ans simple comptable de l'État.

 

Aussi l'inspecteur Ederlang et ses acolytes vont-ils s'orienter vers une piste plus prometteuse, que la couverture du livre préfigurait, celle du club de poker, dont il était membre.

 

Pour satisfaire à l'esprit du temps, Ederlang essaie de retrouver la forme en faisant du jogging et a pour compagne, Louise, une femme transgenre incomprise de ses parents.

 

Pour satisfaire aux règles du genre polar, pas si mauvais que ça et même excellent, l'histoire est pleine de rebondissements, destinés à mettre le lecteur en haleine jusqu'au bout...

 

Francis Richard

 

1 - Zeus, Héra, Aphrodite, Athéna, Hermès, Apollon, Poséidon, Héphaïstos, Arès, Artémis, Hestia, Hadès, auxquels d'aucuns ajoutent Déméter et Dionysos...

2 - La maire républicaine d'une grande ville française a récemment ignoré l'existence du roi de Phrygie qui est une figure de cette même mythologie...

 

Dans l'ombre du Mont Olympe, Elio Sottas, 272 pages, Plaisir de Lire

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4 octobre 2023 3 04 /10 /octobre /2023 11:55
Crime au col et autres fugues, d'Alain Campiotti

Fugues ou fuites? Fugues sur la couverture, fuites sur la page de titre. Ce n'est pas tout-à-fait la même chose, encore que fuite ait la même acception que fugue quand elle signifie l'action de s'enfuir... C'est le fil rouge des textes de ce recueil, que l'échappée soit volontaire ou contrainte.

 

Il n'est pas fortuit que le premier de ces textes soit Crime au col qui donne son titre à l'ensemble. C'est le plus mystérieux puisque Jean, en passant par le Gothard, veut quitter le continent, sa grisaille et sa mauvaiseté dans lesquels on crève, quitte à mourir dans le sud qu'il n'atteindra pas...

 

Nicolas Bouvier, après avoir lu d'un coup L'Arrangement d'Elia Kazan, qui en a tiré le film homonyme, n'a plus pensé qu'à s'enfuir, prêt à quitter femme et enfants. Il ne l'a pourtant pas fait, a continué à voyager. Son premier livre, L'Usage du monde, préfigurait ce genre d'accablement...

 

Dans le texte consacré à Jean-Luc Godard, l'auteur raconte son bannissement par ce créateur d'objets picturaux en mouvement. Que lui reprochait-il? De ne pas tenir promesse. Ce qui était obscur, car cela pouvait s'entendre dans un double sens: ne pas tenir parole ou ne pas être à la hauteur...

 

L'auteur, devenu ami avec Wendula, la dernière compagne du sculpteur André Lasserre, s'est engagé à raconter leur histoire, à condition qu'elle ait un regard préalable sur tout ce qu'il écrirait. Quand sa santé à elle se détériore, peu à peu il l'oublie, une indifférence qu'il paiera en remords... 

 

Ces quatre exemples, parmi les onze textes du recueil, montrent que ces fugues, qui rappellent la forme musicale, prennent des chemins à chaque fois singuliers et que le lecteur, pour les apprécier, doit accepter, en connaissance de cause, de s'y plonger pour, bien volontairement, s'y perdre...      

 

Francis Richard

 

Crime au col et autres fugues, Alain Campiotti, 196 pages, Éditions de l'Aire

 

Livre du même auteur chez le même éditeur précédemment chroniqué:

 

La Rue Longue (2015)

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30 septembre 2023 6 30 /09 /septembre /2023 17:00
Timidité des cimes, de Maxence Marchand

- Vous avez remarqué comme là-haut, tout en haut, aucune des branches, entre les différents arbres ne se touche?

- Oui, ça crée comme des canaux. Le bleu, c'est l'eau.

- C'est un phénomène appelé la timidité. La timidité des cimes.

 

Cet échange est un des seuls qu'il y aura entre Luisa et un homme solitaire qui, en général, ne donne pas son nom.

 

Elle est une voyageuse, une femme tout récemment arrivée dans l'avenir, qui a subi des violences dans le passé.

 

Pour son acclimatation, elle vit dans un appartement communautaire, avec deux de ses semblables, Julia et Nadia.

 

Fait partie de sa thérapie de se rendre dans le parc voisin, qui est payant et l'un des derniers espaces verts de la ville.

 

Dans le passé, des voitures circulaient encore. C'est rare dans ce monde d'après. De toute façon Luisa ne conduit pas.

 

Un bruit et une lumière, chaque soir, rythment la vie de Luisa avant qu'elle ne s'endorme, le menton dans les mains.

 

Le bruit, c'est celui des nettoyeurs du sol: de petits triangles à trois roues  et d'autres modèles, de forme humanoïde.

 

La lumière, c'est la lumière ultraviolette, le nettoyant que ces robots déploient pour que tout soit propre et purifié.

 

Luisa et l'homme sans nom se sont rencontrés dans le parc, assis sur leur banc, regardant dans la même direction.

 

Un jour, la première fois dans l'avenir, il lui évoquera sinon le passé, du moins la possibilité même de son existence:

 

Là où je suis né, et là d'où je viens, ce n'est pas exactement la même chose. C'est un peu comme un arbre: on le voit jusqu'au sol, là où il est né; on voit le morceau de terre d'où il est sorti, mais après, il y a les racines.

 

Leurs chemins se sépareront. Lui, l'infâme, qui n'avait pas voulu laisser de traces de son passé, en laissera chez Luisa:

 

Convoquer sa présence, par moments, semblait abolir les frontières.

 

Francis Richard

 

Timidité des cimes, Maxence Marchand, 80 pages, La Veilleuse

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.

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