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13 novembre 2022 7 13 /11 /novembre /2022 12:00
Grit, de Noëmi Lerch

Maman et papa, ce ne sont rien que des mots comme mariage, amour et fidélité éternelle, on devrait les jeter par dessus bord puisqu'ils mènent constamment à des malentendus et que la vie ne se cloisonne pas, qu'elle ne subdivise pas en cases maman et papa, amour et mariage, fidélité et trahisons éternelles, ce sera éternel seulement quand nous aurons cesser d'employer ces mots.

 

Maman, c'est Grit. Elle a un frère, Gabriel. Papa, c'est Hias. Grit et Hias ont deux filles, Wanda et Iwa. Wanda a deux enfants, Ingi et Riann.

 

Le seul point d'ancrage est, dans le village, la maison familiale qui est aujourd'hui entourée de ronces et sera bientôt enfouie sous la verdure.

 

Hias est le seul immobile. Les autres, à commencer par Grit, quittent la maison familiale, sans raison apparente, pour y revenir, transformés. 

 

Grit rétrécit, tire sur sa pipe, porte le manteau d'officier de son père. Elle était souvent en déplacement. Hias gardait les enfants et les bêtes.

 

Quand Grit est revenue après une longue absence, Wanda est partie à son tour. Puis, après qu'elle est revenue, c'est Gunnar qui s'en est allé. 

 

Il semble que tous les membres de la famille prennent un jour la fuite, ne serait-ce que pour avoir une nouvelle opportunité de revenir.

 

Dans leur monde insolite règne l'éphémère. Ne pas employer certains mots ne le conjure peut-être pas, mais raconter leur histoire, oui:

 

Lorsqu'une nouvelle vie commence, l'ancienne ne cesse pas de jouer un rôle dans la nouvelle, à l'instar des comédiens qui ne tombent pas raides morts après avoir quitté la scène.

 

Francis Richard

 

Grit, Noëmi Lerch, 88 pages, Éditions d'En Bas (traduit de l'allemand par Yann Stutzig)

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7 novembre 2022 1 07 /11 /novembre /2022 17:50
Le garçon qui ne prenait jamais de but, de Joël Jenzer

En se concentrant, il parvient à maîtriser le ballon, quels que soient sa trajectoire, sa vitesse et son angle, s'assurant ainsi de ne jamais se faire battre. Voilà son secret. Depuis ses débuts, tardifs, au poste de gardien, il y a quatre ans, au sein de son équipe de quartier à Glasgow, le garçon n'a jamais encaissé un seul but. Jamais.

 

Le 16 août 1977, le jour même de la mort d'Elvis Presley, une rencontre amicale a lieu entre Liverpool et la Selecció de futbol de Catalunya, renforcée par des cadors du FC Barcelone, au centre d'entraînement de Melwood, devant une centaine de spectateurs.

 

Le garçon qui ne prenait jamais de but remplace Ray Clemence, au repos. C'est l'occasion pour le garçon, qui a été recommandé au coach de Liverpool, Bob Paisley, par son parrain, Jock, un agent de joueurs influent, de se distinguer dans une équipe nationale.

 

Parmi les cadors du Barça, le Néerlandais Johan Cruyff, le roi en personne, affronte, au cours de la partie, à plusieurs reprises, mais sans succès, le garçon, qui a tout lieu de croire qu'il sera considéré bientôt par le monde entier comme le meilleur portier de tous les temps.

 

Le roman de Joël Jenzer est le récit haletant, minute par minute, de cette rencontre oubliée, où, aux actions menées par les joueurs des deux équipes, se superposent les cogitations du garçon qui passe par des hauts et des bas, car son existence se joue également là.

 

Pendant le match une révélation en rapport avec son secret, puis une autre avec son parrain, ébranleront le garçon, qui aura à faire face à un dilemme cornélien. Comme tout homme, pour devenir adulte, le garçon devra alors faire le choix de la meilleure voie pour lui.

 

Francis Richard

 

L'homme qui ne prenait jamais de but, Joël Jenzer, 116 pages, Slatkine

 

NB

 

Joël Jenzer a contribué au collectif Gore de mer publié cette année par Gore des Alpes.

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6 novembre 2022 7 06 /11 /novembre /2022 13:40
C.F. Ramuz ou l'utopie de l'Art, de Benjamin Mercerat

Cette utopie est nommée tantôt Terre du ciel, tantôt Éden, c'est-à-dire essentiellement une joie, ce lieu où la communauté se réalise dans la joie du travail.

 

Dans cet essai Benjamin Mercerat, à partir de ses essais et de ses romans, des nombreux textes qui lui ont été consacrés, dévoile l'univers poétique et utopique du Vaudois Charles Ferdinand Ramuz.

 

Alors qu'aujourd'hui, il faudrait, pour être libre, ne plus travailler, ou le moins possible, le poète y voit le chemin qui permet d'atteindre à la perfection et à l'unité. Dans son cas personnel, c'est l'écriture:

 

Proclamer sa voix, mettre son style, son art littéraire, au devant de lui, quitte à le faire passer avant lui: voilà la tâche de l'écrivain, voilà, pour Ramuz en particulier, l'ascèse à laquelle il s'est senti convoqué.

 

Pour Ramuz, les hommes sont séparés entre eux. Aussi, pour qu'ils communient, chacun doit-il s'exprimer à sa manière dans son travail. Son homme idéal étant l'artisan, que l'artiste est par excellence.

 

Ramuz, agnostique, dissocie la grâce divine et le mérite humain. En conséquence il absolutise le travail et, en particulier l'Art, dont la rencontre avec le plaisir, exceptionnel sur terre, se fait dans l'Éden.

 

Il est toutefois sur terre des moments de grâce collectifs, les fêtes, présentes dans de nombreuses oeuvres du poète. En regard de l'absolu de la Beauté, elles sont l'aboutissement du travail artistique:

 

Le Christ n'étant pas reconnu comme sauveur, c'est le poète, artisan absolu, donc Artiste, qui sauve l'humanité par son Art, par le sacrifice de son travail artistique.

 

Les figures féminines ramuziennes se situent sur une courbe, dont l'axe horizontal est le réalisme et l'axe vertical le symbolisme. Figures de la Beauté, elles peuvent diviser les hommes ou les réunir.

 

Dans ce dernier cas, celui de Dorothea, dans la version 1931 du Cirque, le poète reconnaît, de manière allégorique, que son génie poétique se nourrit de la fondamentale collaboration du travail et de la grâce...

 

Francis Richard

 

C.F. Ramuz ou l'utopie de l'Art, de Benjamin Mercerat, 96 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

 

Le Paradis et le Désert - Maurice Chappaz (2016)

Le pays rénové (2019)

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2 novembre 2022 3 02 /11 /novembre /2022 20:20
L'homme tournesol, d'Olivier Papaux

L'homme tournesol, c'est celui qui tend sa corolle jaune vers le soleil, tournant le dos au sol, à la terre, à la fange où croupissent les hommes à l'ombre de leurs mensonges.

 

Jul Jarson est soigné dans l'unité d'alcoologie d'une clinique de Mull, une île de l'archipel des Hébrides. Reclus, il tente d'y échapper à l'alcool, qui le poursuit impitoyablement, irrésistiblement.

 

Après le succès de son premier roman, Lettre à Helen, il a écrit le deuxième d'un seul jet. Puis, sa source d'inspiration s'étant tarie, il n'a trouvé de l'apaisement que dans l'absorption de whisky.

 

Kirsteen (la fille d'Helen), qu'il aime, lui a asséné un ultimatum. Elle n'attendra pas davantage. C'est elle qui a eu vent de cette clinique située sur Mull, au nord de l'île d'Islay, où ils demeurent.

 

Le psychiatre maison de cette clinique lui demande un jour de lire quatre chapitres de sa Lettre à Helen aux patients ratatinés de l'établissement. Au moment de quitter le salon, il est hélé...

 

C'est le directeur de la clinique qui l'interpelle, L'homme tournesol de l'histoire. Le contact est abrupt. Jul se demande quel crime cet homme a pu commettre pour mériter un visage aussi laid:

 

S'il est un grand brûlé, de quelles flammes est-il le rescapé? À moins qu'il ne s'agisse d'un agent corrosif, d'un acide, d'un explosif...

 

Martin Frazer, tel est son nom, s'enquiert, ce jour-là, de savoir comment se passe sa cure. Un autre jour, installé dans son fauteuil, orienté vers la lumière, il lui demande d'être son biographe.

 

Autrement dit, il lui propose matière pour écrire son prochain roman, toujours en panne. Comme si Martin lisait dans ses pensées, il n'hésite pas à lui dire qu'il est sa seule chance de guérison.

 

Jul consigne tout ce que lui dit Martin dans le carnet vert qu'il lui a donné. Le jour, où, en principe guéri, il quitte la clinique, il part pour Talboden dans le Haut-Valais où le drame s'est produit. 

 

Auparavant Martin lui a fait parvenir une coupure de journal: Un glacier du Haut Valais rend le corps d'une inconnue. Il pourrait s'agir du corps d'Anna, la femme disparue que Martin aimait...

 

Une fois sur place, Jul mène l'enquête et peu à peu découvre la vérité sur ce qui s'est réellement passé soixante ans plus tôt. Martin a sacrifié sa vie à l'attendre. Cette attente était au fond justifiée:

 

... car les vrais paradis sont ceux qu'on a perdus, disait Marcel Proust.

 

Jul a désormais matière à roman. Son imagination fera le reste, c'est-à-dire qu'elle comblera les lacunes inévitables du récit. Peut-être alors découvrira-t-il un sens à sa vie, avec ou sans Kirsteen...

 

Francis Richard

 

L'homme tournesol, Olivier Papaux, 216 pages, Éditions Encre Fraîche

 

Livre précédent:

 

Les enfants de la baie (2019)

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27 octobre 2022 4 27 /10 /octobre /2022 21:50
Kariba ou le Secret du barrage, d'Adelmo Venturelli

Le barrage de Kariba a imprimé de profondes marques dans la gorge du Zambèze. Il s'y agrippe comme un forcené qui ne lâchera jamais prise. Il a donné vie à ce gigantesque lac turquoise que des bandes d'oiseaux sillonnent en permanence.

 

Ce lac de retenue du barrage est partagé par la Zambie et le Zimbabwe. Il est en quelque sorte le point nodal de l'intrigue habilement conçue par Adelmo Venturelli.

 

Yanis et sa compagne Giada, qui habitent la Suisse, s'y rendent un été, côté Zimbabwe, pour y passer leurs vacances. Mais le pays est en grave crise économique.

 

Aussi, une fois arrivés sur place, ne peuvent-ils pas faire grand chose, parce que la monnaie locale est alors le seul moyen de paiement accepté dans les échanges.

 

Yanis n'est pas du tout du genre accrocheur. Ainsi est-il même prêt à renoncer à visiter le pays quand trouver de l'essence pour remplir son réservoir s'avère difficile.

 

A contrario, Giada, qui est née dans une famille où le moindre de ses souhaits était exaucé, ne s'avoue pas vaincue et, volontiers téméraire, part en quête d'une solution.

 

Animée d'un tel esprit, Giada rencontre Alessio, originaire comme elle de Domodossola et fils d'un Italien qui a péri noyé en 1958 lors de la construction du barrage.

 

Alessio tombe aussitôt amoureux de Giada, qui n'est pas insensible à ses beaux yeux verts mais qui, en dépit de ses différends avec Yanis, lui garde tout son coeur.

 

Cependant Alessio, sachant qu'elle repartira pour l'Europe, charge Giada d'y transporter deux émeraudes dont il se garde bien de lui révéler la très grande valeur.

 

Giada lui rendra les deux gemmes quand elle ira visiter sa mère à Domodossola, où lui-même vit habituellement. Sauf que Giada perd le contact avec Alessio...

 

Yanis, de son côté, n'est pas dupe. Il sent bien qu'il y a quelque chose entre Giada et Alessio, sans pouvoir évidemment imaginer de quoi il peut s'agir vraiment.

 

Le secret du barrage, qui donne son titre au roman, explique d'où vient le commerce auquel se livre Alessio, mais il sera peut-être la cause d'une tragédie pour Giada. 

 

Quoi qu'il en soit, ce secret n'est pas le seul et cela ne sera pas sans conséquences sur les relations qu'entretiendront entre eux les trois protagonistes du roman.

 

L'auteur laisse chacun d'entre eux trois exprimer ce qu'il ressent aux moments-clés de leur histoire, ce depuis le lieu où il se trouve, Zimbabwe, Italie ou Suisse.

 

Ce concert à trois voix principales permet au lecteur de mesurer toute la complexité du récit et de ne pas être autrement surpris par ce que lui réserve l'épilogue. 

 

Francis Richard

 

Kariba ou le secret du barrage, Adelmo Venturelli, 196 pages, Pearlbooksedition

 

Livre précédent:

 

La Sterne, 220 pages (2019)

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22 octobre 2022 6 22 /10 /octobre /2022 19:25
La Favorite, de Barbara Polla

Saint-Paul à travers les vitres de La Favorite. Je suis seule. Je regarde.

 

Mara est seule et se souvient. La Favorite est un lieu où l'on se rend et d'où l'on part, accompagné; un lieu de rendez-vous donc pour une amoureuse:

 

S'il me manque l'amour, je ne suis rien. S'il me manque l'amour, rien ne me sert à rien. L'amour ne passera jamais.

 

Parmi ses amants, Lev a une barbe, bleue. Scénariste, il défend le secret dans la vie, c'est-à-dire Éros, à l'opposé de Thanatos, qui est la mort d'icelui.

 

En se trouvant avec lui, elle imagine qu'il est Barbe Bleue et qu'étant sa favorite, elle respecte le secret de la chambre de cet homme qu'elle aime.

 

Aussi Lev vient-il chez elle. Il est rare qu'il s'y endorme, ce qui est dommage. Car, comme tous les hommes, il se sent coupable de satisfaire son désir.

 

Mara se souvient du jardin de sa mère, de la bibliothèque de son père; ne veut pas oublier, même si l'écriture peut atténuer la mémoire traumatique:

 

Je me souviens de toutes mes amours et j'en rêve la nuit, dans le jardin du souvenir.

 

Axel Kahn lui a dit que les femmes doivent être présentes dans les laboratoires et les parlements pour que se développent la science et la démocratie.

 

Mara ne veut ni le pouvoir, ni la possession; elle veut pénétrer (un verbe très présent dans son récit), par exemple dans la bibliothèque de son père:

 

Émotion éminemment sensuelle que celle de l'écriture, comme celle de la lecture.

 

D'ailleurs est-il possible de lire sans écrire? Pourtant écrire n'est-ce pas définitivement déraisonnable: tant d'efforts pour si peu de gloire, si peu de tout?

 

Aujourd'hui Mara pratique la pénétration comme condition de toute forme d'art, de toute forme de pensée, comme condition de l'écriture même:

 

Pénétrer l'écriture de l'autre aussi.

 

À l'instar de Valère Novarina, citée en épigraphe de ce roman, Mara fait sienne cette phrase: Ce dont on ne peut parler, c'est cela qu'il faut dire.

 

Elle le dit en prose et... en poésie, qui est, selon Varlam Chalamov, le 5e besoin fondamental de l'homme après ceux définis par Thomas More1.

 

Le roman se termine par un poème de la Comtesse Anna de Noailles, extrait de L'ombre des jours, dont Mara personnalise les trois premiers vers:

 

j'écris... pour que le jour où je ne serais plus

on sache comment j'aimais la vie...

et pour être après la mort parfois encore aimée.

 

Francis Richard

 

1 - La faim, le sexe et les deux excrétions.

 

La Favorite, Barbara Polla, 104 pages, BSN Press

 

Livres précédents de l'auteure:

 

Victoire, L'Age d'Homme (2009)

Tout à fait femme, Odile Jacob (2012)

Tout à fait homme, Odile Jacob (2014)

Troisième vie, Editions Eclectica (2015)

Vingt-cinq os plus l'astragale Art & Fiction (2016)

Femmes hors normes, Odile Jacob (2017)

Le nouveau féminisme, Odile Jacob (2019)

 

Livres précédents avec Julien Serve:

 

Ivory Honey, New River Press (2018)

Moi, la grue, éditions Plaine page (2019)

Paul-pris-dans-l'écriture, La Muette - Le Bord de l'Eau (2020)

L'art est une fête, Slatkine (2021)

 

Collectifs sous sa direction ou sa coordination:

 

Noir clair dans tout l'univers, La Muette - Le Bord de l'Eau (2012)

L'ennemi public, La Muette (2013)

Éloge de l'érection La Muette (2016)

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19 octobre 2022 3 19 /10 /octobre /2022 22:50
Lettre à mon dictateur, d'Eugène

Les deux jours les plus importants de votre vie sont le jour où vous êtes né et le jour où vous découvrez pourquoi.

Mark Twain

 

Cette épigraphe n'est pas fortuite et ne peut se comprendre qu'en lisant cette lettre jusqu'au bout. Le dictateur destinataire n'est plus de ce monde et n'est autre que Nicolae Ceaucescu, le Conducator, envers qui Eugène est redevable:

 

Je suis devenu quelqu'un que tu n'aurais sans doute pas apprécié. Mes histoires évoquent l'absurdité du monde. J'adore l'ironie et je considère l'autodérision comme salutaire.

Bref, je mets un point d'honneur à ne rien avoir de commun avec toi. Pourtant je te dois quelque chose. J'ai une dette. Dérangeante et irritante.

 

Né à Bucarest le 15 juillet 1969, Eugène, pseudonyme d'Eugen Meiltz, a quitté son pays à l'âge de six ans avec son frère pour rejoindre ses parents à Lausanne, où ils s'étaient rendus avec un visa de touristes dix-sept mois plus tôt:

 

À mon arrivée en Suisse, à l'âge de six ans, j'ai commencé une migration intérieure: d'une langue à l'autre [du roumain au français]. Peu à peu, j'ai rêvé en français, compté en français et surtout... menti en français. La langue dans laquelle on ment sans se faire attraper raconte beaucoup sur nous. Moi, je mens en français. Toi, en roumain.

 

Ses parents n'avaient pu obtenir le statut de réfugiés politiques, fuyant le communisme, qu'à la condition de renoncer à leur nationalité roumaine. Lui et son frère pourraient alors les rejoindre au titre du regroupement familial.

 

Cette lettre familière adressée à Nicolae retrace l'histoire de la Roumanie sous Ceaucescu, avec la folie des grandeurs duquel il n'est pas tendre, et après Ceaucescu, qui a été fusillé avec sa femme Elena le jour de Noël de 1989.

 

Eugène n'est pas davantage tendre avec les successeurs immédiats du dictateur. Ainsi juge-t-il sévèrement la parodie de justice précédant son exécution et celle de sa femme, et les  mensonges sur les massacres qui les justifiaient.

 

L'épistolier explique à la fin comment l'idée d'écrire cette lettre à son dictateur lui est venue. Laquelle lui a permis de faire le point sur leurs relations et la part de chacun en l'autre, et de s'acquitter de sa dette avec un dernier mot:

 

Il n'est pas facile à prononcer; il me reste en travers de la gorge comme un morceau de pain rassis. Néanmoins, en toute honnêteté, je te le dois.

 

Francis Richard

 

Lettre à mon dictateur, Eugène, 190 pages, Slatkine

 

Livres précédents:

 

Le livre des débuts, 160 pages, L'Âge d'Homme (2015)

Ganda, 176 pages, Slatkine (2018)

Le mammouth et le virus, 176 pages, Slatkine (2020)

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18 octobre 2022 2 18 /10 /octobre /2022 19:00
Comme un roc, de Manuela Gay-Crosier

C'était comme si elle se trouvait face à un bloc de glace. Alors qu'elle-même naviguait en pleine tempête, lui demeurait imperturbable.

 

Elle, Lynn Cunningham, est avocate. Elle s'est fait une réputation, méritée, en prenant la défense des opprimés. Lui, Allan Brown, est amérindien. Il s'est mis à boire quand Jessica l'a quitté.

 

Pour rencontrer Lynn, Allan a mis à exécution un plan simple. Il va se faire arrêter par les flics après les avoir provoqués et affrontés violemment puis demandera que Lynn assure sa défense.

 

Deux siècles et demi plus tôt, Lena, une Amish, est tombée amoureuse de Loup Gris, un Lenape, qui l'avait enlevée. Après qu'il a disparu brutalement, elle ne s'en est jamais remise.

 

Maintenant, âgée, elle relit de temps en temps le journal qu'elle tenait pour se remémorer un des moments d'émotion préférés qui la réconfortaient, après avoir été bannie par les siens. 

 

Lynn a refusé de défendre Allan. Elle n'a pas voulu entrer dans son délire, quand il lui a dit qu'il l'attendait depuis la nuit des temps et qu'ils étaient Lena et Loup Gris, dans une autre vie:

 

Lena et Loup Gris ont échangé un serment qui fait que, de nos jours encore, nos deux âmes ne peuvent trouver ni paix ni bonheur, car nous avons été brutalement séparés avant que cet engagement ait pu s'accomplir.

 

Le lieu de cet échange a été repéré par Allan. Il s'agit d'une réserve et d'un site sacré où il voudrait que Lynn l'accompagne parce que c'est la clé pour qu'ils ne vivent plus malheureux.

 

Contre toute attente, Lynn, sans réelles attaches, va rompre avec sa vie bien ordonnée d'avant. Ébranlée, elle va participer à la quête d'Allan, qui a réussi à s'évader pour la retrouver.

 

Sur la route, pleine de péripéties, vers le lieu sacré, Lynn et Allan apprennent à mieux se connaître, à se réconcilier avec leur passé, à échapper à ce que serait la monotonie d'une seule vie.

 

Évidemment ils ne peuvent pas savoir ce qui les attend là-bas. Qu'importe, puisque, pour vaincre l'adversité à laquelle toute existence est confrontée, après tout, on a plusieurs vies... 

 

Francis Richard

 

Comme un roc, Manuela Gay-Crosier, 312 pages, Okama (à paraître)

 

Livres précédents chez Plaisir de lire:

 

Mon coeur dans la montagne (2017)

Baiser de glace (2019)

Joram (2020)

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15 octobre 2022 6 15 /10 /octobre /2022 22:00
Fusil, d'Odile Cornuz

Elle était là dans son histoire, dans sa vie - mais plus du tout pour cet homme.

 

Elle n'a pas de nom dans l'histoire, non plus que sa fille ou cet homme n'en ont. Ce qui donne à cette histoire au ton singulier une note universelle.

 

L'homme vient de l'appeler, vingt ans après leur séparation, pour lui demander de lui rendre le Fusil qu'il a prêté à son père après la mort du chien.

 

Après avoir raccroché, la femme est irritée que lui revienne leur histoire qu'elle croyait finie et dont un objet de mémoire symbolise chaque épisode.

 

La couverture en donne quelques échantillons. Au lieu d'un titre, qui se trouve dans le sommaire, un dessin épuré comme ceux-là précède les chapitres.

 

La femme a déjà été mariée. Le fruit de ce premier mariage est à cette époque une fillette. Lors d'une promenade en forêt, l'homme demande à la femme:

 

Voudrais-tu m'épouser?

 

L'histoire commence vraiment par cette demande qui laisse la femme coite d'abord, puis à laquelle elle donne son accord, mais sans grande conviction.

 

Après, leur histoire est celle de bien des couples, excepté qu'au lieu d'alliances, ils ont décidé d'échanger des bracelets en ivoire le jour de leur mariage:

 

En quoi ce choix était-il menaçant? Certainement par la mémoire d'une mutilation, qu'ils ne percevaient pas mais qui vibre dans tout ce qui se taille en or blanc.

 

La suite du récit montre que c'était de mauvais augure, même si, p. ex., la femme, en s'installant dans leur nouvelle maison, prend de bonnes résolutions:

 

Ne pas donner dans la nostalgie. Ne pas établir la liste de tout ce qui avait été raté. Ne plus penser à ce qui faisait l'objet d'oubli volontaire. Ne pas laisser de place à ce qui resurgissait mais dont on ne voulait plus.

 

La complicité entre mère et fille met du baume au coeur dans cette histoire, dont la fin est connue depuis le début et où l'homme n'a certes pas le beau rôle.

 

Son fusil, l'homme ne le récupérera pas. Il faut attendre l'épilogue pour savoir si la femme l'a bien liquidé avec les affaires de la maison, quinze ans plus tôt.

 

Francis Richard

 

Fusil, Odile Cornuz, 160 pages, Éditions d'en bas

 

Livre précédent:

 

Ma ralentie, 160 pages, Éditions d'autre part (2018)

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7 octobre 2022 5 07 /10 /octobre /2022 19:15
Mais qui a tué Marc Voltenauer?, de Xavier Michel

Qui est Marc Voltenauer? Le roi du polar. Quel est le lieu du crime? Morges. Quand? Un week-end de septembre 2019, lors de la 10ème édition du célèbre festival du Livre sur les quais.

 

L'enquête est menée par l'inspecteur Philibert Ramuz, arrière-petit-neveu de Charles Ferdinand, aidé de Greta Palud, qui est selon lui la recrue la plus prometteuse de sa génération.

 

Quoi qu'il en soit, la victime a été retrouvée dans l'eau tranquille du port de Morges, avec à son cou un pare-battage1 noué au moyen d'un noeud de chaise qui l'empêchait de couler.

 

Xavier Michel prétend que son polar est un Récit policier authentique. Du moins est-ce le sous-titre de son livre. Mais il n'en est rien. Heureusement. Car la victime est toujours vivante.

 

Sachant que l'idée originale2 de ce polar est due également au chansonnier jurassien Christophe Meyer, il faut s'attendre avant que de le lire à ce qu'il s'agisse d'un récit parodique.

 

Quoique de manière caricaturale, ce récit met en scène de réelles personnalités du monde littéraire francophone, certaines citées, d'autres décrites, d'autres encore carrément soupçonnées:

- la Belge Amélie Nothomb

- le Canadien Jacques Côté

- le Français Alexandre Jardin

- les Suisses3 Barrigue, Delphine Cajeux, Mélanie Chappuis, Caroline Couteau, Joseph Deiss, Fathi Derder, Joël Dicker, Isabelle Falconnier, Nicolas Feuz, Blaise Hofmann, Marie-Christine Horn, Max Lobe, Quentin Mouron, Guillaume Rihs, Pascal Schouwey, Jean Ziegler...

 

De même qu'il ne faut pas prendre au sérieux la question, et pour cause, il ne faut pas en vouloir à l'auteur pour la réponse qu'il lui donne, le but n'étant pas le résultat mais le chemin...

 

Francis Richard

 

1 - Dispositif permettant aux bateaux d'éviter de se toucher les uns les autres.

2 - Cette idée leur est venue un matin de cette dixième édition où Marc Voltenauer n'était pas à sa place.

3 - Liste sans doute non exhaustive...

 

Mais qui a tué Marc Voltenauer?, Xavier Michel, 176 pages, Slatkine

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6 octobre 2022 4 06 /10 /octobre /2022 19:15
Au rythme des oiseaux, de Sylvie Barbalat

Chloé dit qu'elle est cycliste professionnelle. Elle s'autosponsorise: Je roule un moment. Quand j'ai plus de thune, je m'arrête dans une ville et je fais la manche pour pouvoir continuer mon voyage.

 

Elle vole à vélo Au rythme des oiseaux: L'été dans le Nord, l'hiver dans le Sud. Elle est SDF, sans domicile fixe, au sens littéral du terme, ce qui n'est pas courant dans le pays qui est le sien, la Suisse.

 

Devenue rebelle, accompagnée de son rat Lazare, elle a choisi la liberté après avoir rompu avec Théo, qui, pour ses méfaits, est en prison, et avec la drogue, dans l'enfer de laquelle celui-ci l'a entraînée.

 

Daoud a fui son pays, la Syrie. Malheureusement l'esquif sur lequel il a embarqué a chaviré et il a échoué, inconscient, sur une plage de Chios, où Chloé l'a trouvé et sauvé lors d'un périple en Grèce.

 

Daoud a lui aussi choisi la liberté, en échappant à la guerre où presque tous les siens ont péri. Pour survivre il refuse la mendicité et cherche plutôt à effectuer des petits boulots, car il a sa dignité.

 

Alors que Chloé est incroyante, Daoud est un bon musulman, pour qui les principes sont importants. S'il a fui son pays, c'est pour poursuivre des études en Angleterre. Il serait plutôt sédentaire.

 

Chloé non seulement lui a sauvé la vie (même si la dignité ne se mange pas, elle a la sienne), mais elle veut l'aider, à sa manière (en volant un vélo pour lui), à quitter la Grèce pour aller en Suisse.

 

Alors que Chloé est détentrice d'une carte d'identité bleue à croix blanche, Daoud est sans papiers. Pour franchir les frontières, Chloé, qui a l'esprit pratique, doit ruser et Daoud, le poète, s'y prêter.

 

Chloé et Daoud forment un couple improbable, aux rêves a priori incompatibles, puisque l'une veut vivre au rythme des oiseaux et l'autre construire un pont entre l'Orient et l'Occident. Mais qui sait?

 

Les échanges, où ils s'opposent, sont savoureux, car ils ont l'une comme l'autre le sens de la répartie. Le secret d'une entente future entre eux réside peut-être dans la liberté que chacun laissera à l'autre.

 

Francis Richard

 

Au rythme des oiseaux, Sylvie Barbalat, 220 pages, Plaisir de Lire

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2 octobre 2022 7 02 /10 /octobre /2022 21:30
Guerilla # 3 - Le dernier combat, de Laurent Obertone

Le premier volume de la trilogie Guerilla raconte Le jour où tout s'embrasa, le deuxième, Le temps des barbares. Au bout des vingt-sept jours que celui-ci a duré, la situation a été globalement pacifiée.

 

Un ordre nouveau règne sur la France. L'ancien directeur de la DGSI l'a sauvée et, avec, l'essentiel, i.e. tout ce qui a pourtant préludé à son embrasement et à son chaos, tel que le très-bien-vivre-ensemble:

 

Escard avait su se jouer des événements, pour faire du chaos une opportunité. En laissant prospérer l'anarchie, puis en se posant en sauveur du pays à genoux, il devenait son maître indiscutable, quasi divin, avec les pleins pouvoirs pour le tordre au gré de ses désirs.

 

Le pays comprend les quartiers contrôlés, la Zone interdite où règne le Califat et la Zone grise, c'est-à-dire la quasi-totalité du pays: la France rurale et périphérique, les coins reculés, les régions incertaines.

 

Le bilan de ces vingt-sept jours est épouvantable: on parlait de millions de morts ou disparus, l'économie à terre, la situation sanitaire catastrophique, et l'État ne se concentrait plus que sur le minimum vital.

 

Le remède est pire que le mal: L'État prenait tout ce qu'il voulait. Une intense propagande en faveur de la reconstruction incitait les particuliers à se dépouiller de leurs ultimes biens et richesses en les lui confiant.

 

Pour empêcher tout soulèvement l'armée a été épurée; la population, de nouveau masquée et munie d'attestations à QR-codes, est contrôlée par les Vigilants1; les Liquidateurs, eux, traquent l'extrême-droite.

 

Pour domestiquer la population, le pouvoir doit maîtriser toute l'information (toute émission clandestine est considérée comme un crime terroriste) et toujours pouvoir émettre, même en cas de black-out.

 

Le pouvoir s'est installé dans un immeuble sur l'Île de la Cité à Paris. Le ministère des Émissions le jouxte. Il abrite plusieurs chaînes, présentées comme indépendantes, pour l'illusion de pluralité:

 

Si le mensonge est officiel, c'est une information.

 

La situation est instable. Il suffirait d'un élément déclencheur pour que Le dernier combat ait lieu entre ceux pour qui l'État est la raison de vivre et ceux qui savent mourir en braves, s'épargnant le déshonneur.

 

Ce combat a bien lieu. L'issue en est incertaine. Quelques personnages en détiennent la clé: d'un côté le dictateur, un journaliste, un commissaire; de l'autre, un évadé du parc humain, un capitaine, une fillette.

 

Les vainqueurs, auxquels la masse finit toujours par se rallier, sauront la soumettre. La première raison de la servitude volontaire, c'est l'habitude, disait déjà La Boétie. Obertone, pessimiste, confirme:

 

Telle était la créature domestique, faite de routine, de fuite et d'oubli, ne rêvant que de se perdre dans la fourmilière humaine, se faire rouage de l'ingénierie, se tapisser l'esprit de bêtise manufacturée, brandir bien haut son conformisme, gagner de quoi se récompenser de petits objectifs, s'étourdir de sa came numérique. Nul autre but à cette vie que la friandise, sous toutes ses formes. La dissolution tranquille plutôt que les solutions douloureuses.

 

Francis Richard

 

1 - Les sans-culottes du nouveau régime.

 

Guerilla # 3 - Le dernier combat, Laurent Obertone, 336 pages, Magnus

 

Publication commune avec Lesobservateurs.ch

 

Livres précédents:

 

La France Orange Mécanique (2013)

Utoya (2013)

La France Big Brother (2015)

Guerilla I, le jour où tout s'embrasa (2017)

La France interdite (2018)

Guerilla II, le temps des barbares (2019)

Éloge de la force (2020)

Game over (2022)

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30 septembre 2022 5 30 /09 /septembre /2022 22:45
Le gardien du phare, d'Edith Habersaat

La presse n'avait rien relaté de ce fait, évoquant simplement la disparition, à même époque d'Esther Laboro, dite la Gitane, une adolescente effrontée, insolente, mal fagotée, portant invariablement une sorte d'écharpe d'un rouge et d'un vert éclatants.

 

À l'époque, Julien Dorincourt passe ses vacances d'été avec ses parents, Norbert, architecte, et Alicia, galeriste, dans ce petit coin de Bretagne.

 

Esther n'est pas seulement effrontée, insolente, mal fagotée, elle fait aussi commerce de ses charmes quand elle ne rend pas service à la vieille Lana.

 

Matthias, Le gardien du phare local, et le jeune Julien, ce fils de famille aisée, y auraient succombé et sont donc suspectés de l'avoir fait disparaître.

 

C'est la vieille Lana, qui a lancé l'alerte de la disparition d'Esther, dont l'aide lui est indispensable. Elle est aussi la maîtresse jalouse de Matthias...

 

Si Matthias est connu pour être attiré par les gamines, Julien, lui, a été vu en sa compagnie. Mais, faute de preuves, rien n'est retenu contre eux deux.

 

A disparu en même temps qu'elle la barque abandonnée sur la plage qui servait d'abri à ses ébats, sans être vu des gens du voyage, qui sont les siens.

 

Cette histoire, dont on ne sait quel rôle Julien y a joué, en tout cas hantera son esprit dans les années qui suivront au point de lui indiquer sa voie.

 

Julien, élève médiocre en classe, voudra d'abord être comédien, bien qu'il ait peu de mémoire, parce qu'il a un don réel pour les improvisations.

 

Il voudra ensuite être auteur, à l'instar de sa mère qui écrit des critiques d'art, bien qu'il n'ait pas la plume facile, parce qu'il a en tête l'histoire d'Esther.

 

Julien voudra enfin faire des petits boulots pour en financer l'écriture, bien que ce soit hors de portée, parce que, raté en tout, il a soif de reconnaissance.

 

Julien est un imposteur - il se sert des autres pour combler ses manques et travestit la réalité - et un perdant - il n'a pas les moyens de ses ambitions.

 

Pour en sortir, peut-être faudrait-il que sa mère, Alicia, qui, de fait, est celle qui le connaît le mieux, et lui-même échangent, et surtout qu'il lui dise tout... 

 

Francis Richard

 

Le gardien du phare, Edith Habersaat, 176 pages, Slatkine

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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