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24 janvier 2014 5 24 /01 /janvier /2014 06:50

Schreiber-MAKINE.jpgDes hommes se sont battus pour que vive la France lors de la Deuxième Guerre mondiale, comme d'autres avant eux, sur d'autres théâtres d'opérations. Qui étaient ces hommes? Et pour quel pays se sont-ils battus?

 

Ces hommes n'étaient pas tous des Français de souche, mais ils aimaient la France, charnellement pourrait-on dire, et ils ont versé leur sang pour elle. N'était-ce pas la meilleure preuve d'amour qu'ils pouvaient donner?

 

Andreï Makine, né en Sibérie, a publié en 2006 un livre intitulé Cette France qu'on oublie d'aimer. C'est ce livre qui lui a permis de faire la connaissance d'un homme qui, lui, n'a pas oublié de l'aimer, malgré ses origines.

 

Les origines de Jean-Claude Servan-Schreiber - car il s'agit de lui - sont en effet juives allemandes. Ce qu'on n'a pas manqué de lui jeter à la figure en de multiples occasions. Ce qui ne l'a pas empêché d'aimer tout simplement le pays qui a donné l'hospitalité aux siens, quitte à "se débarrasser de quelques oripeaux - confessionnels, coutumiers ou autres - qui rendent plus malaisée cette généreuse hospitalité".

 

Dans un livre publié en 1979, Le Huron de la famille, Jean-Claude Servan-Schreiber a raconté sa vie de réussite dans les affaires, mais ce n'est pas à cette vie-là qu'Andreï Makine s'est intéressé. Il est remonté dans le temps, à la Deuxième Guerre mondiale pendant laquelle le lieutenant Schreiber s'est illustré.

 

Pendant six années de guerre Jean-Claude Servan-Schreiber a mené une existence qui a fait l'admiration de l'auteur au point de lui demander d'en écrire les mémoires. Mais qui a envie de publier les mémoires d'un nonagénaire, alors que les Français d'aujourd'hui n'ont d'yeux que pour "des personnages qui plaisent car ils légitiment la médiocrité et le lamentable confort de la pensée tiède"?

 

Que leur importe ce qu'a bien pu faire un jeune soldat, encore gamin - il a vingt-deux ans -, souriant et sans peur quand il affronte les Allemands avec son char en 1940. Cet homme n'est pas beaucoup plus vieux - il a deux ans de plus  - quand il transmet des armes à des résistants plus jeunes encore que lui et quand il est fait prisonnier dans le camp de concentration franquiste de Miranda del Ebro.

 

Alors qu'il n'a pas pu rester dans l'armée française en janvier 1941 en raison du statut des juifs, il parvient à se faire enrôler dans l'Armée d'Afrique qui débarque en Provence en 1944 et va libérer le sud de la France, la vallée du Rhône, Strasbourg, et pénétrer en Allemagne:

 

"C'est ce même soldat qui, en hiver 44, sous le sifflement de la mitraille, descendait de son char et sauvait deux camarades grièvement blessés."...

 

Andreï Makine raconte les difficultés qu'il a rencontrées pour trouver un éditeur au livre de son héros et l'échec éditorial cuisant, au printemps 2010, de Tête haute: souvenirs, une fois paru. De fait, le lieutenant Schreiber avait peu de chance d'être entendu, "de dire ce que ses compagnons d'armes ont vécu et comment ils sont morts". Car sa France n'a plus rien à voir avec le pays tel qu'il est devenu.

 

Déjà, rentrant en France après six années de guerres, il avait senti qu'il faisait figure de "guerrier retardataire qui revient dans un temps de paix peuplé d'indifférents et d'oublieux":

 

"La guerre terminée, ses retrouvailles avec Paris ont été marquées par un intense sentiment de solitude: une nouvelle jeunesse à laquelle il n'appartenait plus, une nouvelle langue qu'il ignorait, une autre façon d'appréhender la vie - cette vision "existentialiste" - qui n'avait que faire de sa vie à lui, de ses engagements, de ses blessures, de la mort, souvent héroïque, de ses camarades." 

 

Les héros d'alors? Sartre, Camus et Beauvoir, qui festoyaient pendant que d'autres allaient au casse-pipe et qui se permettaient, après guerre, de leur donner des leçons de morale.

 

Jean-Claude Servan-Schreiber aggrave son cas. A vingt-deux ans, le 17 juin 1940, sorti en claudiquant de l'hôpital où sa jambe blessée a été soignée, il a fait la découverte de Dieu dans la cathédrale de Bordeaux dont il a poussé la porte:

 

"Avec l'âge, il avait de plus en plus l'intuition d'une vérité suprême, bien plus ample que ses souvenirs de jeune soldat et bien plus simple que les doctrines qu'échafaudaient les philosophes de fiestas."

 

Pendant la guerre il aura rencontré trois femmes, une résistante, une allemande, une infirmière. Ce n'étaient pas des conquêtes qui se seraient ajoutées à un palmarès de séducteur:

 

"Ces amours-là étaient d'une tout autre nature: elles n'entraînaient pas les amants dans l'épaisseur des liens du désir, de la possession. Tout au contraire, elles libéraient..."

 

Le livre d'Andreï Makine est un cri. Andreï Makine trouve en effet profondément injuste que le pays du lieutenant Schreiber soit maintenant un pays oublié:

 

"Un pays qu'on n'entend plus à travers la logorrhée des "communicants", la morgue des "experts", les verdicts de la pensée autorisée. Un pays rendu invisible derrière les hologrammes des mascottes "pipolisées", frétillantes idoles d'un jour, clowns de la politicaillerie scénarisée."

 

Il y a pourtant une lueur d'espoir dans ce "pays mis en veilleuse mais dont la vitalité se devine encore dans les failles qui percent l'étouffoir":

 

"Un éditeur qui ose publier un livre imprudent, un journaliste qui, se rappelant la noblesse de son métier, se révolte et, traîné devant un tribunal, réussit à dominer ses inquisiteurs. Un vieil homme qui, négligeant la quiétude d'une confortable retraite, engage son dernier combat pour défendre l'honneur de ce pays oublié."

 

Francis Richard

 

Le pays du lieutenant Schreiber, Andreï Makine, 224 pages, Grasset

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22 janvier 2014 3 22 /01 /janvier /2014 23:50

Le-miel-DESPOT.jpgIl est tellement plus commode de partager le monde entre d'un côté les bons et de l'autre les méchants. Excepté que, dans la vraie vie, c'est tout faux. Ainsi il y avait dans la guerre en ex-Yougoslavie, selon les médias occidentaux, les gentils Croates et les criminels Serbes...

 

Pourtant, pendant les heures les plus sombres de notre histoire, les gentils Croates avaient été du côté des nazis... mais il faut croire que la mémoire des hommes est sélective et qu'elle varie au gré des circonstances.

 

Et puis, il ne faut jamais oublier que l'histoire officielle est toujours celle des vainqueurs... et qu'il existe parfois même des lois pour empêcher de la contredire.

 

Dans son roman, Le miel, Slobodan Despot montre des Serbes à visage humain - eh oui ça existe -, avec leurs défauts et qualités. Quelle impudence!

 

Le narrateur souffre d'une douleur au ventre. Après avoir envisagé une appendicite, puis un cancer du côlon, les médecins se proposent de l'en guérir par une cure de six mois, lourde et incertaine.

 

Au lieu de quoi, il se rend chez Vera, une herboriste, qui soigne ses patients avec des remèdes qui sont tous à base de miel - elle en consomme dix kilos par mois! Et elle va dissiper son mal "en six jours de diète et de conversations emplies d'une joie rentrée"...

 

Au cours de ces conversations, Vera va lui raconter comment, n'écoutant que son bon coeur, elle est venue au secours d'un vieil homme, Nikola K., que son fils cadet, Vesko le Teigneux, insultait et menaçait physiquement parce que leur véhicule était tombé en panne à cause de son trop lourd chargement de miel. 

 

Ce bienfait, qui avait mis Vera dans l'embarras financier, ne fut pas perdu. Quelque temps plus tard, alors qu'elle était sur le point de fermer boutique en raison d'une pénurie de miel, elle eut la bonne surprise de recevoir de la part du vieil homme un bidon de cinquante kilos de miel.

 

En fait, le Vieux était apiculteur. Quand elle l'avait rencontré avec son fils Vesko, ils revenaient de la Krajina dont tous les habitants serbes avaient fui, à l'été 1995, leurs personnes n'étant plus en sécurité. Seul Nikola et quelques vieillards étaient restés.

 

L'aîné des fils de Nikola, Dusan, avait rejoint en 1991 l'armée de la République de Krajina serbe:

 

"Il se distingua suffisamment par sa bravoure pour figurer sur la liste des criminels de guerre dressée par le camp d'en face."

 

Quatre ans plus tard, il demandait piteusement à son frère cadet de l'accueillir chez lui, à Belgrade, une fois la défaite de l'enclave serbe consommée.

 

Quand le père de Dusan et Vesko appela au téléphone, on ne sait comment, Vesko décida de l'aller chercher. Le livre est l'histoire rocambolesque du voyage aller et retour de Vesko le Teigneux, devenu bien peureux, ramenant son père chez lui. Le miel y sera à la fois source d'ennuis et monnaie d'échange pour tirer les deux d'affaire.

 

Pendant ce voyage qui les fait passer par la Slovénie et la Hongrie, Nikola s'avère imperturbable dans les tribulations et ingénieux dans l'adversité, alors que Vesko se montre pleutre et résigné, ne méritant plus le surnom dont il était naguère affublé, irrité surtout par "l'étrange pouvoir de son père".

 

Le narrateur est né dans l'ex-Yougoslavie. Il a suivi la guerre de loin, en observateur, depuis la Suisse, dont il est devenu citoyen et soldat. Il se demande:

 

"Pour quel camp s'engager? Contre qui prendre parti, sinon contre les mensonges qui déferlaient avec un grondement de cataracte..."

 

Ce livre, écrit dans une langue limpide, qui parle à l'imagination, rétablit donc quelque peu la vérité, plus nuancée que l'officielle. Mais ce n'est qu'une toile de fond nécessaire. Il comporte en effet une morale, qui, elle, est de portée universelle et qui, d'ailleurs, est la dernière phrase du livre qu'elle résume très bien:

 

"Chacun de nos gestes compte."

 

Francis Richard

 

Le miel, Slobodan Despot, 128 pages, Gallimard

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20 janvier 2014 1 20 /01 /janvier /2014 20:15

Ecrit dans le vent BAUMANNQu'est-ce qui peut bien pousser un retraité à commencer d'écrire?

 

Depuis son adolescence, Bertrand Baumann était persuadé qu'il écrirait, mais il n'écrivait pas.

 

Dès qu'il a pris sa retraite, il a commencé à écrire, alors qu'il n'avait plus rien à raconter... Cela lui est venu tout naturellement, sans aucun souci de page blanche.

 

Pourquoi? Parce qu'il avait envie de découvrir qui il était et comment il vivait. Cela pouvait-il intéresser des lecteurs, s'est-il demandé? Oui. Parce qu'il s'était fixé pour objectif de "ne rien dire d'artificiel".

 

Comme il voulait vivre dans l'instant - ce qu'il ne pouvait peut-être pas faire vraiment avant d'être retraité, avant que tout projet ne se refuse à lui -, il a adopté d'écrire des notules, qui lui permettent justement de "n'exprimer qu'un reflet du moment", de "mimer des instants" qui lui procurent des bonheurs:

 

"N'est-ce pas contrevenir au primat de l'instant que de prendre note de moments passés? - Mais non, la réminiscence est aussi une activité présente. De même que sa transcription, sa relecture, sa mise au net..."

 

Que contiennent ces notules? L'essentiel des instants qu'il passe à assouvir ses passions - "les auteurs, les gens, l'écriture" - ou les intérêts mineurs qu'il porte à "la photo, la promenade, la rêverie".

 

Sa lecture est devenue désintéressée - auparavant elle était liée à son activité d'enseignant:

 

"Je ne demande à l'auteur que ce qu'il a bien voulu me communiquer, toutes mes facultés ne sont pas de trop pour permettre ce bienfait, cette osmose."

 

S'il goûte maintenant Les Mémoires d'Outre-Tombe de René de Chateaubriand, il exprime sa déception en relisant La Recherche du Temps perdu de Marcel Proust:

 

"Le pendule de mes goûts est rarement en accord avec celui des modes. Il avance ou il retarde - ce qui parfois revient au même."

 

D'une manière générale il a trouvé deux moyens de prolonger ses lectures: lire des oeuvres à haute de voix à des personnes âgées - plus âgées que lui - ou les enregistrer; les traduire - il traduit notamment les pensées de Georg Christoph Lichtenberg.

 

Quand il voyage - il s'est rendu, depuis 2006, au Burkina Fasso, en Argentine, en Mazurie et en Arménie -, il ne joue pas au touriste ordinaire:

 

"Les rencontres journalières me plaisent, les courses en ville m'intéressent, l'immobilité me tente. Approfondir des lieux connus plutôt qu'en courir d'autres, voilà mon goût."

 

En fait, ses voyages ont non seulement pour but de voir des gens et des bâtiments, mais aussi de se connaître lui-même:

 

"Changer radicalement de décor, de société, de genre de vie, cela me permet de départager mieux ce qui dans mon comportement et mes humeurs m'appartient en propre, et ce qui ressortit au masque social, à la posture et parfois à la grimace que la société attend de moi - ou que je trouve plus commode d'adopter - dans telle ou telle circonstance."

 

Ses réflexions ne sont pas celle d'un sage qui écrirait pour que l'on sache qu'il l'est devenu. Plus modestement il écrit "pour connaître un peu mieux ou du moins accepter la réalité qui l'entoure et celle qui est en lui".

 

Il parle ainsi de sa vie solitaire au quotidien, de ses rapports avec les femmes ou de ses réflexions sur l'âge:

 

"Le cheminement de l'âge n'est pas un progrès vers plus de vérité, mais, au mieux, une progression d'un moment vrai à un autre, à travers l'usure du temps."

 

Son ton n'est pas toujours aussi sérieux. Loin de là. Il a de l'humour:

 

"Au sujet des différences entre chien et chat, j'ai entendu dernièrement ceci: le chien se dit: "Mon maître me nourrit, me loge, me promène, me caresse: c'est un dieu." Le chat: "Mon maître me nourrit, me loge, me caresse: je suis un dieu."...

 

Et puis, Bertrand Baumann respecte son lecteur. Il écrit bien et c'est très agréable:

 

"Bien écrire, c'est respecter son lecteur et se respecter soi-même.", dit-il

 

C'est un fait qu'il observe scrupuleusement ce précepte.

 

Francis Richard

 

Ecrit dans le vent, Bertrand Baumann, 232 pages, L'Aire

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18 janvier 2014 6 18 /01 /janvier /2014 12:00

Oiseau de hasard VOISARDDe nos jours, comme nous vivons plus longtemps, il n'est pas rare que plusieurs générations se connaissent, même si elles s'espacent un peu. Car on se marie et on a des enfants plus tard.

 

A ma génération, et a fortiori, à celle d'Alexandre Voisard, né en 1930, on côtoyait tout au plus ses grands-parents. Et encore. Pour sa part, il a encore eu la chance d'avoir deux grands-mamans et un grand-papa.

 

Jamais, dans la tribu familiale des Voisard, on ne parle du grand-père "qui eût fait le compte de ce qui va par deux pour le meilleur comme pour le pire des vies humaines". Pourquoi ne parle-t-on pas de Jacques Louis dit Louis Voisard, "ce drille de piètre mémoire, ce bougre d'individu, ce loustic insaisissable"?

 

Il a pourtant bel et bien existé, puisqu'il reste de lui un "Livret de service établi par le bureau de recrutement de la Légion Etrangère" et une  photographie de groupe, prise au tournant du XXe siècle, celle de la fanfare de Porrentruy où il figure avec ses quatre fils.

 

Partir en quête de ses origines est chose naturelle. Alexandre Voisard, dont le creuset familial ne va pas au-delà de la génération précédant ses parents a au moins voulu dresser le "portrait de cet ancêtre qui n'était jusque-là que fantôme reclus en la prison de l'innommé", pour lui-même mais aussi pour ses enfants et leurs enfants à qui il dédie ce livre.

 

Louis Voisard est né en 1867, le 23 janvier, à Fontenais, dans une famille pauvre - le père n'a pas de travail tous les jours et complète son ordinaire en cultivant son jardin et en s'approvisionnant de bois en forêt.

 

Louis, quoique doué, est un enfant plutôt dissipé en classe et plutôt porté sur le larçin, ce qui lui vaut quelques punitions.

 

Après l'école obligatoire, il accomplit des petits boulots avec ardeur, mais, avec des compagnons de bringue, il court les filles et boit sans soif. Cependant, il acquiert alors des compétences multiples qui vont lui servir sa vie durant, notamment en horlogerie, en soins des chevaux, en culture du jardin, en musique - il a hérité d'un cornet qui va le suivre partout.

 

La vie de Louis n'est pas un long fleuve tranquille. Après avoir été déniaisé par une prostituée, il séduit une jeune fille, Marie, de trois ans son aînée, qui tombe enceinte. Il doit réparer et l'épouse. Au cours d'une dispute entre les deux jeunes époux, Marie fait une chute accidentelle dans un escalier et meurt avec l'enfant qu'elle porte.

 

Louis s'enfuit après l'enterrement et se rend en France. Chemin faisant il rencontre un fripier, Léon, qu'il aide à vendre sa marchandise sur un marché. Ce dernier n'a toutefois pas suffisamment de travail pour le garder avec lui. Il lui trouve un logement pour une semaine dans une auberge d'Audincourt. Pendant des semaines, il y devient le factotum de la patronne, Emma, dans les tâches domestiques et même au lit...

 

Un jour, un des clients de l'auberge, Ariste, l'informe que des fabriques ouvrent dans le coin. Après essai concluant, il est embauché dans l'une d'elles, une fabrique horlogère, et, peu à peu, il prend ses distances  avec Emma, qui finit par le mettre dehors, parce qu'il n'est plus d'accord pour lui donner la moitié de ce qu'il gagne...

 

Au cours d'une bagarre, lors d'une virée à Montbéliard, il est blessé au pouce et ne peut plus travailler à la fabrique. Il s'engage alors dans la Légion Etrangère pour cinq ans avec un de ses compagnons de bringue, Hansi, un Alsacien. Après un périple en France, ils sont envoyés tous deux par bâteau en Afrique du  Nord, à Sidi Bel Abbès.

 

A la Légion, son surnom d'"Oiseau de Hasard" lui est donné par un commandant qui l'a pris comme palefrenier pendant le rétablissement du titulaire qui s'est luxé l'épaule - il avait de même assuré l'intérim du service de clairon en l'absence de l'attitré. Quand le commandant lui a demandé comment il s'appelait, Louis a dit Ouasard, car c'est aini que l'on prononce les v dans son village:

 

"Alors, toi, mon gaillard, on peut dire que tu es un Oiseau de Hasard."

 

C'est à la Légion encore qu'il apprend comment on soigne les chaudes-pisses...

 

Ayant attrapé la fièvre jaune il est rapatrié à Marseille, d'où il déserte pour retourner en Helvétie, après trois ans d'absence.

 

Bis reptita placent, il est surpris par Madame Marchand qui emploie Cécile comme domestique, pendant qu'il la lutine dans la cave. Louis prend une nouvelle fois ses responsabilités et épouse la jeune femme déshonorée... Mais ce mariage ne sera pas plus heureux que le premier et la fin du pauvre Louis sera tragique.

 

Jacques Louis dit Louis aura donc eu plusieurs vies, au moins trois selon l'auteur, que les grandes lignes de sa vie rappelées ci-dessus ne font qu'esquisser. Car Louis Voisard aura été tout à la fois "mauvais époux et piètre papa, horloger, musicien, légionnaire, déserteur, bûcheron, fripier, domestique, oiseleur, palefrenier, guignol et bon samaritain".

 

Son petit-fils a dessiné avec ce livre le portrait d'un personnage contradictoire - mais ne le sommes-nous pas tous, peu ou prou - qui dévoile "vaguement confondus les vices et valeurs masqués par les contradictions d'une existence sempiternellement à cheval entre égoïsme et générosité, entre dévouement et vilenies, exaltation et mauvais sort, exubérance et abattement."

 

Au-delà de ce portrait nuancé d'un homme, toute une époque est restituée et cette restitution nous permet de mesurer à quel point les moeurs ont changé en l'espace d'un peu plus d'un siècle...

 

Francis Richard

 

Oiseau de Hasard, Alexandre Voisard, 208 pages, Bernard Campiche Editeur

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14 janvier 2014 2 14 /01 /janvier /2014 22:30

Manifeste-incertain1-Frederic-Pajak.jpgMon père m'a appris à aimer les livres illustrés - dont il faisait collection et dont j'ai hérité d'une partie. Rien à voir avec les bédés, que je ne méprise pas et qui m'ont beaucoup apporté, mais tout à voir avec des livres où les mots et les images se mélangent et se répondent, ne peuvent exister les uns sans les autres.

 

Avant de lire Manifeste incertain 2, qui est justement un livre illustré et qui est paru récemment, à l'automne, je viens d'éprouver le besoin de lire d'abord le tome 1, publié un an auparavant, soucieux, bien que désordonné de nature, de respecter un ordre chronologique qui permet de restituer toute évolution, fût-elle spontanée, et de la mettre en perspective.

 

Dans son avant-propos, Frédéric Pajak explique que la genèse de son livre remonte à son enfance et qu'il l'a porté en lui pendant des décennies, accumulant notes et dessins à l'encre de Chine destinés à lui donner corps un jour incertain.

 

Deux thèmes sont présents en filigrane: l'Histoire sacrifiée sur l'autel de la reconstruction du monde, qui a occupé les esprits après-guerre, et la guerre du temps, que le présent a gagné sur le passé en le vidant de sa substance:

 

"Evocation de l'Histoire effacée et de la guerre du temps, tel est, exprimé de façon désarticulée, le propos du Manifeste, qui s'ouvre par ce premier volume. D'autres suivront, au gré de l'incertitude."

 

Dans le Manifeste, le passé "subsiste à l'état de souvenir", souvenir personnel et souvenir de figures tutélaires comme celle, fascinante, de Walter Benjamin, ou celle, déconnante de Samuel Beckett.

 

Le souvenir personnel, c'est l'amour que sa grand-mère paternelle lui vouait et qui lui a fait connaître "la guerre mot après mot", ce sont les travaux humiliants accomplis par le paresseux dans l'âme qu'il était, c'est l'amour qu'il a vécu "avec une fille qui était un lutin".

 

Walter Benjamin est un personnage contradictoire:

 

"Il est autant inspiré par la poésie romantique que par la psychanalyse, l'Histoire, les utopies sociales, la philosophie - et rêve d'associer Platon, Spinoza et Nietzsche. Il cherche surtout à concilier l'inconciliable: la tradition juive, le communisme - dont il définit les buts comme "un non-sens" - avec les idéaux anarchistes, qu'il trouve néanmoins dénués de valeur."

 

Frédéric Pajak raconte Walter Benjamin en voyageur à Capri et à Ibiza, en lecteur de Maurras, de Bloy, de Breton, d'Aragon, de Zola ou de Céline, en traducteur de Baudelaire et de Proust, en amateur du récit et de la narration auxquels vont sa prédilection et sa préférence au roman.

 

Frédéric Pajak se raconte à Paris, où il est témoin d'une scène insolite dans le métro, ou en Sicile, écrivant et dessinant quand ça lui chante, les yeux remplis d'images de villes sous le soleil ou sous la pluie:

 

"Lire, et vivre. Dire un peu ce que je lis, ce que je vis, pourquoi, comment."

 

Dire quelles réflexions lui viennent à l'esprit telles que celle-ci:

 

"Grandir et vieillir, ce n'est pas pareil. On peut toujours grandir ou rapetisser, c'est à choix. On ne peut pas vieillir ou rajeunir."

 

Ou cette autre, que j'aime:

 

"On peut aimer le travail, la raideur des gestes obligatoires. On peut aussi aimer le chaos, l'hésitation, la maladresse, l'erreur. On peut aimer ne pas choisir, ou même choisir de ne pas choisir."

 

Frédéric Pajak parle aussi de l'année 1933, de l'avant et de l'après 30 janvier de cette année-là, et reparle inévitablement de Walter Benjamin et de ses rapports à l'Histoire:

 

"L'Histoire ne peut exister en tant que telle qu'à la condition que le présent répare le traumatisme du passé [...]. Le marxisme voit dans le prolétariat la classe détentrice de la puissance révolutionnaire. Il incarne le "sujet de l'Histoire", sa force ascendante. Benjamin, lui, plaide pour la faiblesse, pour les laissés-pour-compte, les victimes. Il n'est pas loin d'approuver le message chrétien: "Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort." Ainsi, contre le marxisme, il se prononce pour une utopie totale."

 

Dans les dernières pages du livre, l'auteur évoque les Esprits qui "portent chacun le nom d'un sentiment puissant", tels que le Bonheur, le Désespoir, l'Appétit, la Fatigue, la Douleur, la Joie, la Peur, le Chagrin, la Bêtise, l'Impatience, la Bonté, la Pitié etc.

 

Il voit à l'intérieur d'une maison une autre maison, comme il voit à l'intérieur du ventre d'une femme un autre ventre, dans les arbres d'autres arbres, dans les mains d'autres mains, dans la femme une femme cachée...

 

Comment être insensible, pour finir, à cette évocation du terme qui est notre lot à tous, dont l'enveloppe corporelle est au fond bien peu de chose:

 

"La Mort est toujours en chasse. Elle passe sur nous sans un bruit, nous embrasse du bout des lèvres avant de nous avaler. Elle ne laisse de nous que des os sous la terre, des corps gonflés d'eau, échoués sur le rivage et grignotés par les oiseaux, ou parfois rien, un peu de cendre dans le vent."

 

Aussi ai-je hâte de trouver le temps de lire le tome 2, de me remplir les yeux de mots et d'images en noir sur blanc, qui se mélangent et se répondent, pour leur plus grand bonheur...

 

Francis Richard

 

Manifeste incertain 1, Frédéric Pajak, 192 pages, Les Editions Noir sur Blanc

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12 janvier 2014 7 12 /01 /janvier /2014 18:35

Et la France se réveilla TREMOLET STAINVILLEQuel est l'engagement que François Hollande aura tenu au cours de la première année de son mandat, et dont je n'ai pas parlé dans mon article, publié le 6 mai 2012 par lesobservateurs.ch, sur l'avenir radieux que le président de la République française promettait aux Français une fois élu? L'engagement 31:

 

"J'ouvrirai le droit au mariage et à l'adoption aux couples homosexuels."

 

Cet engagement devait passer comme une lettre à la poste. Cela a été le cas dans l'Espagne des rois catholiques et en Grande-Bretagne anglicane. Mais, en France déchristianisée, pourquoi cela ne le fut-il pas?

 

Vincent Trémollet de Villers, rédacteur en chef du Figaro Hors-Série et du Figaro Histoire, et Raphaël Stainville, journaliste politique au Figaro Magazine, ont mené l'enquête sur la révolution des valeurs qui explique cette énième déconvenue socialiste, qui pourrait s'avérer à la longue une bien amère victoire.

 

Cette enquête montre qu'avec des moyens dérisoires une petite cohorte de personnes déterminées peut soulever des montagnes. 

 

Un beau soir de septembre 2012, cette cohorte se réunit. Parmi elles, deux personnalités médiatiques, qui ne se s'aiment pas: un bouquiniste belge, Alain Escada, à la tête d'un mouvement inconnu deux ans plus tôt, Civitas, et l'ineffable Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot.

 

Les autres personnes déterminées ne sont pas encore connues médiatiquement, mais ce seront elles les véritables chevilles ouvrières d'un mouvement qui sera d'une amplitude inconnue depuis près de trente ans et qui sera comparable à celui pour l'école libre sous François Mitterand.

 

Ce 5 septembre 2012, Frigide Barjot, Béatrice Bourges, présidente du Collectif pour l'enfant, et Jean-Eudes Tesson, président de la Fondation pour la famille, ont réuni une cinquantaine de personnes à Paris, dans un local du Mouvement pour l'unité, 1 place Saint-Sulpice.

 

Cette cohorte de cinquante-six personnes, en se quittant, se promet de conjuguer les efforts pour lutter contre la loi Taubira sur le mariage gay en préparation. Or, dès le lendemain, Alain Escada fait cavalier seul et annonce que ses troupes descendront dans la rue le 18 novembre 2012...

 

La riposte des personnes restantes ne tarde pas. Le nom de "Manif pour tous" pour ce mouvement est trouvée par Ludovine de la Rochère, directrice de la communication de la Fondation Lejeune et actuelle présidente du mouvement. Et, le 14 septembre 2012, une conférence de presse est tenue par Frigide Barjot, Laurence Tcheng, Xavier Bongibault, nouvelle trinité des opposants au mariage homosexuel:

 

"La catho déjantée, la gaucho et l'homo."

 

Le projet de loi Taubira est présenté en Conseil des ministres le 23 octobre 2012, puis adopté par ce dernier le 7 novembre 2012. Dans l'intervalle et après - le rôle de Frigide Barjot sera déterminant -, les opposants à cette loi se mobilisent à travers tout le pays. Ils doivent manifester à Paris et dans toute la France le 17 novembre 2012.

 

Le résultat de cette première journée de manifestations dépasse toutes les espérances des organisateurs: 200'000 manifestants à Paris selon eux, 70'000 selon la préfecture de police, 500'000 dans toute la France. Le lendemain, Civitas rassemble 20'000 personnes, 8'000 selon la préfecture de police.

 

Pourquoi ces premiers succès? Parce que la très grande majorité de ceux qui manifestent n'ont pas pour cible l'homosexualité et parce qu'il ne s'agit pas, comme tenteront de le faire croire les médias aux ordres, d'un mouvement homophobe. C'est ce que soulignent les auteurs du livre:

 

"En neuf mois d'enquête, il nous est apparu que l'homosexualité n'était pas la préoccupation de la très grande majorité des manifestants mais bien la filiation, puis le mépris dont les manifestants considèrent avoir été l'objet."

 

En effet les autorités socialistes minimiseront les manifestations monstres du 13 janvier 2013, qui a réuni vraisemblablement 600'000 personnes, du 24 mars 2013, qui en a réuni au moins un million et du 26 mai 2013 500'000 - un mois pourtant après que la loi Taubira a été votée définitivement le 23 avril 2013 par l'Assemblée nationale.

 

Le premier ministre socialiste, Jean-Marc Ayrault, consulté par le président du Conseil économique, social et environnemental, Jean-Paul Delevoye, lui demandera de déclarer irrecevable le 26 février 2013 la pétition signée par plus de 700'000 personnes demandant d'examiner les conséquences de la loi Taubira sur le plan éducatif comme sur le plan économique...

 

La façon, dont des manifestants pacifiques seront plus maltraités par la police que des délinquants violents et condamnés judiciairement, l'incarcération abusive du jeune Nicolas Bernard-Buss, précédée d'une arrestation inutilement violente, les amalgames faits avec l'extrême-droite pour discréditer ce mouvement populaire, le refus de l'objection de conscience aux élus devant célébrer des mariages homosexuels achèveront de discréditer ce régime liberticide.

 

Parce que de très nombreux jeunes, qui ont participé à la "Manif pour tous", ont placé une loi morale au-dessus de la loi civile et parce qu'ils ne lâcheront rien, les auteurs pensent que cette loi sera remise en cause un jour:

 

"Quand ils se découragent, ils songent à Antigone et aux gamins de la Rose Blanche. Quand ils ont soif ils vont puiser chez Saint-Exupéry, chez Camus, chez Bernanos. Quand ils sont impatients, ils se souviennent de Mandela, de Walesa, de Vaclav Havel. Quand ils souffrent de la bêtise qui écrase parfois leur époque, ils murmurent Baudelaire: "Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille."

 

Entre-temps, Xavier Bertrand travaille "avec des juristes pour savoir, comment, avec les contraintes de la Cour européenne des droits de l'homme, il serait possible d'atteindre trois objectifs: maintenir une union solide sur le plan fiscal et patrimonial qui consacrerait l'amour entre personnes de même sexe; empêcher l'adoption; sanctuariser la filiation."...

 

Francis Richard

 

Et la France se réveilla - Enquête sur la révolution des valeurs, Vincent Trémolet de Villers, Raphaël Stainville, 288 pages, Editions du Toucan

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9 janvier 2014 4 09 /01 /janvier /2014 22:00

Ecolos FONTENOYLe titre du livre de Maud Fontenoy est ambigu. S'agit-il dans ce livre d'un ras-le-bol de la part des écolos ou d'un ras-le-bol à leur égard?

 

Pour en avoir le coeur net, je l'ai donc lu. Et je ne suis pas sûr que l'ambiguïté ait été complètement levée pour autant. Car la réponse à cette question est: "Les deux, mon colonel!"

 

D'une part, l'auteur exprime son ras-le-bol de la part des vrais écolos, dont elle fait partie, cela va de soi, à l'encontre des 2% de climato-sceptiques qui remettent en cause le réchauffement climatique d'origine humaine, d'autre part elle dit son ras-le-bol à l'égard des écolos qui font de l'écologie politique au lieu de faire de l'écologie en politique:

 

"Ne laissons pas ce combat essentiel pour chacun d'entre nous être pris en otage, écartelé entre des visions extrémistes rétrogrades et un négationnisme suicidaire."

 

Il faut donc bien penser que le titre a un double sens et que ce jeu de mots voulu sert à renvoyer dos à dos des positions extrêmes.

 

Evidemment Maud Fontenoy est beaucoup plus crédible dans ses propos quand elle dénonce, par exemple, la pollution du Grand Bleu, qu'elle a sillonné à la rame, ou à la voile à contre-courant:

 

"Six millions de tonnes de déchets sont rejetés à la mer partout à travers le monde. Produits chimiques toxiques, polystyrènes, bouteilles, objets flottants non identifiés, hydrocarbures, etc. Des milliards de détritus qui jonchent le fond des océans et traînent désespérément en surface dans l'attente  d'une bonne âme pour les ramasser."

 

Cette adepte de la religion du réchauffement climatique d'origine humaine prétend donc que ceux qui n'adhèrent pas à sa foi sont des négationnistes ultra-minoritaires, 2% contre 98% de vrais scientifiques... comme l'affirme également un certain Barack Obama...

 

Cette charmante personne, qui a certainement prouvé qu'elle avait de grandes qualités de navigatrice, semble ne pas savoir que depuis quinze ans la température moyenne à la surface de la Terre n'augmente plus, en dépit de l'augmentation de la teneur en CO2 et en gaz à effet de serre dans l'atmosphère, après une légère augmentation, il est vrai, dans les trente dernières années du XXe siècle.

 

Mais, au fait, que signifie une moyenne scientifiquement? Rien. C'est un indicateur, manipulable à souhait. Quand je fais, caricaturalement, la moyenne entre la température de New-York qui était hier de - 18°C et celle de Biarritz qui était le même jour de 18°C, je trouve 0°C, ce qui ne m'apprend rien du tout sur le climat hivernal dans l'hémisphère nord.

 

Un récent sondage au sein des météorologistes américains montre que 48% d'entre eux ne pensent pas qu'on assiste à un changement climatique d'origine humaine... Les fervents du réchauffement climatique sont donc en réalité faiblement majoritaires dans cette honorable compagnie... On est très loin du consensus sur lequel l'auteur s'appuie.

 

Maud Fontenoy est convaincue des bienfaits et de la rentabilité de l'agriculture bio et rejette toute contamination par les OGM. Soit. Mais, d'un autre côté, elle dit qu'"investir dans la recherche est indispensable"... Dans son esprit scientifique, il y a donc recherche et recherche. Et toutes les voies de recherche ne sont donc pas pénétrables et à pénétrer...

 

Comment voit-elle la transition énergétique? Sans doute pour se conformer à son image, qui la situe à égale distance entre des extrêmes, elle ose dire très clairement:

 

"La solution du nucléaire n'est pas à rejeter."

 

On ne lui donnera donc pas tort quand, avec beaucoup de bon sens, elle dit que toutes les solutions doivent être explorées et qu'il faut réconcilier écologie et économie:

 

"La construction d'éoliennes, de panneaux solaires, le reboisement, la fabrication de voitures électriques, le développement de nouvelles techniques d'irrigation, la gestion du recyclage, la création de produits durables, la construction du bâtiment du futur... Tout cela va créer de nouvelles industries autant que de nouveaux emplois."

 

Que préconise-t-elle cependant pour aboutir à cette réconciliation? Des mesures étatiques nationales et supranationales, essentiellement, énoncées à la fin de chacun des dix chapitres du livre.

 

Florilège:

 

"Créer une banque de la transition écologique."

 

"Nous devons mettre en place de nouveaux accords internationaux fixant des cadres environnementaux clairs avec des incitations mais aussi des sanctions, tout en tenant compte des capacités moindres des pays en voie de développement."

 

"Instaurer une fiscalité verte efficace qui permettra, pour encourager le changement, de taxer les produits polluants."

 

"Réduire les subventions aux activités néfastes à l'environnement."

 

"Adopter au niveau mondial un ambitieux plan d'éducation à l'environnement, des enfants comme des grands."

 

"Aider au développement des véhicules électriques et des aménagements nécessaires à leur utilisation."

 

Il n'est question que d'interventions, de crédits ciblés, d'aides, d'incitations, de sanctions, de taxes, de plans etc.

 

Qui déciderait de tout ça? Maud Fontenoy y répond par une autre question qui ne surprendra personne:

 

"Et si la solution au niveau mondial était la création d'une grande agence internationale, d'une Organisation mondiale de l'environnement?"

 

Tentation mondialiste quand tu nous tiens...

 

Et si, au lieu de privilégier ces solutions qui ne marchent pas, et ne marcheront jamais, on laissait les acteurs économiques explorer eux-mêmes des solutions écologiques, en abandonnant les mauvaises pour adopter les bonnes, au bout d'un processus de découverte qui a fait ses preuves et que d'aucuns appellent marché... à la faveur d'un renouvellement des droits de propriété qui les responsabiliseraient?

 

Francis Richard

 

Ras-le-bol des écolos - Pour que l'écologie rime ave économie, Maud Fontenoy, 240 pages, Plon 

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7 janvier 2014 2 07 /01 /janvier /2014 00:45

On dirait toi BAECHLERComment lit-on un livre? De bout en bout, comme je le fais, scrupuleusement, quitte à relire? En diagonale, comme les gens pressés qui cherchent l'essentiel et le manquent? En lisant depuis la fin jusqu'à la première page, pour, une fois l'histoire dévoilée, reprendre depuis le début si les mots vous ont plu?

 

C'est de cette dernière façon que la narratrice du livre de Sonia Baechler lit les livres et qu'elle fait connaissance avec l'existence des absents et des vivants qui peuplent ses nuits.

 

Dans un tel désordre apparent, elle se meut avec aisance pour raconter Marie-Adèle, son arrière-grand-mère, et se raconter elle-même, qui ressemble tant à sa bisaïeule qu'elle peut se dire en la voyant en pensée: On dirait toi.

 

Le récit n'est donc pas chronologique, ni unidimensionnel. Il remonte à la verticale, part à l'horizontale, s'installe à une époque, puis redescend le temps. Il se passe dans la Vallée, en échappe par le Tunnel, puis revient. Ces allers et retours dans l'espace et le temps sont très bien évoqués par la narratrice quand elle s'interroge sur ses racines:

 

"Et si mes racines n'étaient pas seulement linéaires, si elles ne suivaient pas seulement une hiérarchie verticale? S'il était aussi question de racines horizontales comme pour ces plantes capables de refaire sur une même branche, à partir d'un bourgeon, de nouvelles racines? Je serais alors en devenir et capable de me ramifier en n'importe quel point, de m'élargir, de garder la mémoire verticale tout en suivant mon chemin à l'horizontale."

 

Les deux femmes, Marie-Adèle et la narratrice, sont des "libres-penseuses", des esprits libres, indifférentes aux convenances. Il faut dire que, dans leurs gènes, "circulent sans vergogne des chromosomes frondeurs"...

 

Toutes deux lisent, écrivent et décrivent la Vallée et ceux qui l'habitent.

 

Leur univers est celui des vignes:

 

"Le fendant et la gnole me sont pour ainsi dire tombés dessus." dit la narratrice.

 

C'est un univers catholique, où la ferveur et la crainte de l'enfer n'empêchent pas d'écouter la Chenegauda la nuit tombée:

 

"La légende parlait de ces nuits de tempêtes pendant lesquelles les rivières pleuraient, les arbres s'enlaçaient et les prières s'élevaient. Elles rôdaient les âmes damnées; et il était interdit de lever le regard sur leur voile blanc."

 

C'est un univers où tout le monde ne peut pas avoir la vocation monastique et où l'on peut préférer se marier... et ne pas trouver saint de diviser le corps et l'esprit.

 

C'est un univers où les femmes n'ont pas droit de cité. Le beau-père de Marie-Adèle, par exemple, juge de son état, pense ainsi:

 

"Le vote des femmes? Une hérésie! Ça nous tient déjà suffisamment par le pantalon! Un jour ça pense là, le suivant ça pense ici, moi je dis qu'elles saboteraient toute la Vallée."

 

C'est un univers communautaire:

 

"Naître dans et de la Vallée c'était faire partie d'un clan, lui-même divisé en une infinité de sous-clans."

 

C'est un univers qu'il est donc difficile de quitter et où un héritage peut vous coller "à l'âme et au corps tellement fort que vous ne pouvez que l'aimer"...

 

Dans cet univers évoluent des personnages hauts en couleur. Ils appartiennent à une parentèle qui se montre peu déférente envers la moindre autorité et vit au cours des deux temps éloignés de Marie-Adèle et de son arrière-petite-fille. Laquelle en vient pourtant à écrire que ces deux temps se confondent, voire se dissolvent:

 

"Nous empruntons le même ciel mais pas le même chemin, nous marchons côte à côte dans deux temps différents , deux temps qui ne font qu'un seul, deux temps qui n'ont jamais existé, n'existent pas, n'existeront jamais. Deux temps qui se touchent seulement par la pointe de mon stylo qui a de la peine à s'arrêter, de la peine à reprendre son souffle."

 

Ce récit apparemment chaotique, en réalité très construit, trouve son origine dans la photo d'une femme - qui porte le même nom et le même sourire que la narratrice -, et y retourne:

 

"Je la tiens entre mes mains et j'ai l'impression de voir le monde de là-haut. Je monte et je tourne. Je tourne et je monte jusqu'à fendre l'espace et le temps. Toujours dans le même sens, à l'intérieur d'un cercle parfait.

Comme un vertige..."

 

Un vertige étourdissant... et fascinant.

 

Francis Richard

 

On dirait toi, Sonia Baechler, 224 pages, Bernard Campiche Editeur

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2 janvier 2014 4 02 /01 /janvier /2014 21:15

 

Anges KHADRAIl est des livres qui, dès le début, annoncent la couleur de la fin, sinistre. Le dernier livre de Yasmina Khadra est de ceux-là. Le héros et narrateur de l'histoire, Turambo, s'apprête à être décollé par Dame Guillotine. D'après son gardien, il ne devrait rien sentir...

 

Comment en est-il arrivé là? On se le demande et on va tarder à le savoir parce que l'auteur, qui tient pendant quelque 400 pages le lecteur en haleine, conte par le menu toutes les péripéties que Turambo va traverser pendant les 15 ans précédant ce prologue. L'occasion pour lui de restituer l'Algérie de l'entre-deux-guerres, sans manichéisme, mais sans fard non plus, dans son contexte, qui a toute son importance du fait que les mentalités ont - en tout cas faut-il l'espérer - considérablement changé.

 

Amayas est né en 1910 dans un petit village d'Algérie, Arthur-Rimbaud, Turambo pour faire court, d'où le surnom qui lui est donné par un boutiquier de Graba, un ghetto de Sidi Bel Abbes.

 

Sa famille s'y est réfugiée, alors qu'il avait onze ans. En effet son village natal venait d'être rayé de la carte à la suite d'un glissement de terrain... Toute sa famille? Non, parce que son père n'est pas revenu de la Grande Guerre, sans qu'on sache ce qu'il est devenu.

 

En fait, ils sont cinq, lui compris. Il y a sa mère, Taos, sa tante, Rokaya, dont le mari, colporteur, parti vendre des samovars, n'est pas réapparu depuis une décennie, son oncle Mekki, de quatre ans son aîné, devenu chef de famille, Nora, sa cousine, du même âge que lui et dont, les années passant, il va devenir amoureux.

 

Turambo n'a pas fait d'études. Il est analphabète. Il va donc tenter de gagner sa vie en faisant des petits boulots. C'est ainsi qu'il va travailler entre autres pour Zane, le boutiquier qui lui a donné son surnom, et qui est tout à la fois "contre-bandier, maître chanteur, receleur, indic et maquereau", c'est-à-dire une belle âme...

 

Puis sa famille déménage à Oran, dans le quartier de Médine Jdida. Turambo désespère d'y trouver du travail quand il rencontre Pierre, qui se propose de lui en procurer à condition d'empocher la moitié de ses gains. Turambo accepte. Sa mère, de son côté, fait le ménage chez une femme impotente, dont le fils, Gino Ramoun se lie avec lui.

 

Pierre n'aime pas Gino et demande de choisir entre ce "youpin" et lui. Turambo rompt avec Pierre et se retrouve de nouveau sans travail. Gino arrive à le faire embaucher par son patron, Bébert, un garagiste. Les malheurs s'enchaînent alors: il étale d'un coup de poing un client de Bébert, qui lui manque de respect, et se fait virer avec Gino; la mère de Gino décède; Nora, sa cousine est mariée, grâce à des entremetteuses, à un riche féodal de Frenda...

 

Turambo a l'impression que les tuiles n'arrêtent pas de lui tomber sur la tête... Le client de Bébert qu'il a allongé est un boxeur connu. Il ne s'est pas plaint à la police. Le directeur d'une écurie de boxeurs, DeStefano, ayant appris cet exploit, lui a proposé de le prendre avec lui. Il a d'abord refusé. Maintenant que Nora refuse ses avances parce qu'elle est mariée depuis six mois, il accepte:

 

"Il n'y avait pas mieux qu'un ring pour s'autoflageller."

 

A partir de 1932, il entame alors une carrière de boxeur à succès. Un organisateur de matchs de boxe, Michel Bolloq, dit Le Duc, le remarque et investit beaucoup sur lui. De match en match, il va connaître la gloire...

 

Côté coeur, il s'amourache d'une prostituée de luxe, Aïda, qui lui fait bien comprendre que, malgré toute la sympathie qu'elle a pour lui, il n'est pas question pour elle de l'épouser pour la sortir de ce qu'il appelle une vie indécente:

 

"Tu trouves décent de te faire casser la figure sur un ring? Ce n'est pas vendre ton corps aussi? La différence entre ton métier et le mien est qu'ici, dans ce palais, je ne reçois pas de coups, je reçois des cadeaux."

 

Quand il confie son éviction à son ami Gino, ce dernier lui répond:

 

"Tu as un problème affectif Turambo. Tu as été très mal materné. Aïda n'a pas tort. Tout compte fait, tu lui dois une fière chandelle. Ne tombe pas amoureux de chaque femme qui te gratifie d'un sourire."...

 

Pendant un an il va être chaste et se consacrer à ses entraînements. Jusqu'au jour où il rencontre Hélène, la fille d'un ancien boxeur qui a fini en chaise roulante et qui sait ce que boxer entraîne comme dégâts dans une famille.

 

Hélène a six ans de plus que Turambo et, quand il lui propose le mariage, elle lui explique ce qu'elle veut, car elle le sait très bien:

 

"Je n'aime pas dépendre de quelque chose qui m'échappe, soupira-t-elle. Je veux rester maîtresse de mon couple, tu comprends? N'avoir pas à me ronger les sangs parce que mon mari joue notre vie à pile ou face sur un ring..."

 

Quand quelqu'un veut les séparer en évoquant son passé, elle lui répond:

 

"Dans ton monde à toi, la femme est le bien de son époux. Ce dernier lui fait croire qu'il est son destin, son salut, son maître absolu, qu'elle n'est qu'une côte issue de son squelette, et elle le croit. Dans mon monde à moi, les femmes ne sont pas une excroissance des hommes et la virginité n'est pas forcément un gage de bonne conduite. On se marie quand on s'aime, ce qui appartient aux jours d'avant ne compte pas."

 

Turambo et Hélène, un court moment fâchés, se réconcilient. Mais tous les éléments du drame sont maintenant réunis. Plus dure sera alors la chute pour Turambo... qui pourra dire finalement à son autre lui-même, enténébré:

 

"Sais-tu pourquoi nous n'incarnons plus que nos vieux démons? C'est parce que les anges sont morts de nos blessures."

 

Francis Richard

 

Les anges meurent de nos blessures, Yasmina Khadra, 408 pages, Julliard

 

Livre précédent:

 

L'équation africaine, 336 pages, Julliard

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30 décembre 2013 1 30 /12 /décembre /2013 16:00

Sexe MILLETRichard Millet a une liberté d'expression et de ton qui me ravissent toujours, surtout quand il aborde le côté obscur de l'âme humaine et en fait le sujet d'un texte somptueux comme il sait en écrire, se gardant bien "d'écrire comme on parle, encore moins comme on croit qu'on doit parler".

 

Ce n'est évidemment pas une façon de se faire des amis que d'écrire ainsi et de refuser d'être abruti "par la sous-culture américaine et la déchristianisation".

 

Même s'il feint de n'en avoir pas cure, je ne suis pas sûr cependant qu'il ne soit pas atteint par "la détestation quasi unanime dans le monde littéraire français" dont il jouit. Ce n'est pas son dernier roman qui devrait le faire rentrer en grâce.

 

Un jeune américain débarque à Paris. Il est venu "en France, muni d'une bourse de la fondation T. Miller, pour écrire en anglais et honorer les Etats-Unis". Mais il change d'avis sous l'influence d'une jeune femme, Rebecca Mortensen, et d'un écrivain, Pascal Bugeaud - un écrivain qui ressemble à l'auteur puisque, comme lui, il a combattu dans les milices chrétiennes au Liban et ne paraît pas tout à fait sorti du monde rural, le Limousin, où il a vu le jour...

 

Grâce à eux il a compris "qu'écrire c'est apprendre à mourir au coeur de cette illusion qu'est la vie" et qu'il ne pourra le faire qu'en optant pour la rigueur des langues, notamment la française, où il écrit ce qu'il ne peut dire en anglais.

 

Le narrateur a rencontré Pascal Bugeaud à la brasserie Le Luxembourg, place Edmond Rostand, à Paris. Il imagine qu'il l'a intéressé parce que, souhaitant écrire en français, il constituait "un contre-exemple au sein de la mondialisation anglophone qu'il dénonçait comme une oeuvre de mort". Toujours est-il que c'est Bugeaud qui lui a trouvé un emploi de lecteur de livres anglais dans une petite maison d'édition, où il était conseiller littéraire.

 

Un jour, le directeur de cette petite maison d'édition, sise rue Corneille, demanda au narrateur de lire un bref récit rédigé en français par Rebecca Mortensen. Il l'avait trouvé remarquable, témoignant d'une étonnante maîtrise de soi, mais inabouti. Du coup le directeur avait laissé tombé... Mais cette rencontre avec Rebecca n'allait pas rester sans lendemain.

 

Une artiste du sexe est une grande note sur l'amour du narrateur et de Rebecca. Mais c'est un étrange amour. Parce qu'on ne sait pas si vraiment ils s'aiment. En tout cas, s'ils s'aiment, ce n'est pas en même temps. Leur relation est ambiguë. Cette relation et celles que le narrateur a, parallèlement, avec d'autres femmes le conduisent à des réflexions désabusées sur lui-même:

 

"Je ne serais jamais rien dans la vie d'aucune femme, sinon un hôte de passage, un cavalier intermédiaire, un lot de consolation, une sorte de frère, nullement un mari, encore moins un père."...

 

Leur première fois s'est traduite par un fiasco, terme que le narrateur a appris dans Stendhal, dont Bugeaud lui a fait découvrir le journal intime. Il faut dire qu'ils ne se sont pas embrassés, qu'ils n'ont eu aucun geste tendre et que Rebecca n'a parlé que de ses démons. De plus, ayant la hantise des MST, Rebecca lui a demandé de se protéger, ce qui a provoqué la panne définitive...

 

Cette fois, comme les fois suivantes, l'abandon de Rebecca relevait plus de l'art que de l'amour ou du désir, car elle pratiquait "le sexe hors sentiment". Il faudra du temps au narrateur pour comprendre que "sa faculté d'abandon (ou de ne pas savoir refuser) touchait au sacré plus qu'au simple divertissement sexuel".

 

Ce qui faisait de Rebecca une artiste, c'était surtout la damnation, une conception de la fidélité impensable sans les écarts amoureux. La grande différence avec le narrateur, resté en quelque sorte innocent, "qui ne se damnerait pas, n'écrirait rien de vrai, [...] n'aimerait jamais":

 

"J'oubliais qu'elle était une artiste, plus encore qu'un écrivain, et une artiste du sexe, c'est-à-dire imprévisible, et faisant loi de l'inattendu, voire de l'inacceptable, ou de l'injustifiable."

 

Le livre se termine toutefois sur une note d'espoir après un dénouement quelque peu amer - un amour insolite qui meurt en triomphe:

 

"Le bonheur amoureux ne nous arrive que dans la mesure où nous y avons renoncé, provisoirement ou à jamais, et que, dès lors, rien ne se passe comme nous l'espérions."

 

Après avoir subi le charme dionysiaque, le narrateur redevient apollinien...

 

Francis Richard

 

Une artiste du sexe, Richard Millet, 238 pages, Gallimard

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28 décembre 2013 6 28 /12 /décembre /2013 23:30

Les laids CANTEROLa nature ne fait pas toujours bien les choses. Aussi d'aucuns essayent-ils de redresser ses torts et de s'occuper de donner du bonheur à ses laissés pour compte du corps et de l'esprit.

 

L'intention est louable, mais le risque est de tomber de Charybde en Sylla et de "contrôler les pensées et les actes" de ceux que l'on ambitionne de soulager, voire de guérir.

 

Les laids est une fiction qui raconte une telle tentative utopique. C'est l'histoire d'un institut médical de traitement et de recherche qui se donne pour objet de procurer du bonheur à des malmenés de l'existence, qui sont laids dans leurs corps et/ou dans leurs esprits.

 

Cet institut va donc recevoir une petite vingtaine de patients, entre 1983 et 2000 - leurs fiches médicales figurent au milieu de l'ouvrage. Il a été fondé par le professeur Hermann Waldherr, dont on fête en 2013 le centenaire de la naissance.

 

Au cours du temps, deux docteurs en médecine vont se succéder pour dialoguer avec les patients, leur prescrire les médicaments dont ils ont besoin, suivre leur évolution, faire des ajustements en fonction des résultats obtenus ou encore opérer des greffes: Nenad Grabic, puis Juan Huarte.

 

En principe tous les patients sont volontaires et forment avec le personnel de l'établissement une petite communauté rurale auto-suffisante, hormis l'approvisionnement de matériel médical, même s'il existe un laboratoire où sont élaborés des médicaments pour les divers traitements.

 

Le livre se compose de 13 chapitres, qui comportent chacun une introduction sous forme de description du domaine situé au milieu d'une forêt et qui semble alors vide d'habitants. Après cette introduction, 11 d'entre eux reproduisent en partie les scripts de cassettes audio. Dans un bureau de l'institut déserté, en effet, se trouvent des cartons:


"Un des cartons contient une multitude de cassettes de bande magnétique, chacune dans son étui en plastique sur la tranche duquel est inscrit un code de deux lettres (la seconde étant toujours A, B, C ou D) et d'un nombre entre 1 et 13, puis une date et enfin un ou plusieurs prénoms complétés par une initiale. Elles sont dans un parfait désordre, entassées pêle-mêle."

 

Et Serge Cantero reproduit les scripts dans ce joyeux désordre. A la fin de l'ouvrage, toutefois, une page indique l'ordre chronologique avec les numéros des pages correspondantes...

 

Ce procédé me rappelle mon DVD de Mulholland Drive de David Lynch qui comporte une version aléatoire des chapitres...

 

Les scripts partiels de ces cassettes reproduisent les dialogues des patients avec l'un des deux docteurs, mais également des dialogues entre des membres du personnel, dont le professeur-fondateur. Car, à l'institut, tout le monde est surveillé...et enregistré.

 

Le livre est illustré de quarante dessins à l'encre de Chine, qui auraient inspiré à l'auteur cette fiction, mais qui n'ont pas de rapport direct avec l'histoire, encore qu'ils se trouvent dans une des chambres en désordre de l'institut:

 

"Il y a aussi un cartable contenant une quarantaine de portraits de personnages difformes, effrayants ou grotesques, un bloc-notes vierge à couverture noire et deux stylos-billes, un rouge et un noir."...

 

L'introduction descriptive d'un des chapitres est suivie du journal, tenu épisodiquement par Emilie, la fille d'un des membres du personnel. Celle de l'avant-dernier chapitre est suivie par un texte du professeur-fondateur qui éclaire toute l'histoire et qui en est en quelque sorte l'épilogue, permettant de reconstituer l'ensemble du puzzle.

 

Il va sans dire que ce livre est non seulement original de par sa composition - le lecteur inattentif peut s'y perdre un peu -, mais également de par le micocosme qu'il dépeint avec toutes les relations, parfois conflictuelles, parfois sexuelles, entre les membres de cette petite communauté isolée, sous surveillance technique et médicale.

 

La fin de l'aventure confirme que l'enfer est toujours bien pavé de bonnes intentions...

 

Francis Richard

 

Les Laids, Serge Cantero, 238 pages, L'Age d'Homme

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26 décembre 2013 4 26 /12 /décembre /2013 20:00

Sur fond blanc LAMOTHLa photographie, et le cinéma, puis la télévision ont commencé par ce que l'on appelait le noir et blanc, avant de bénéficier du spectre entier des couleurs.

 

Aujourd'hui on revient volontiers aux nuances de gris sur fond blanc.

 

Ce retour aux sources n'est pas anodin. A la réflexion, il ne s'agit pas de nostalgie. Il semble plutôt qu'on veuille revenir au dessin et à l'esquisse plutôt qu'au tableau saturé de couleurs.

 

Car les couleurs cachent l'essentiel; elles dissimulent les lignes; elles tuent l'imagination, tandis que les lignes la favorisent, grâce à leur pureté, aux creux qu'elles créent, que l'esprit comble.

 

En passant dans une rue de Lausanne, le narrateur découvre dans une galerie d'art des photographies de paysages hivernaux, de maisons, de toits couverts de neige.

 

Alors que rien ne le précise dans le texte, pourquoi imaginé-je que ces photographies ne puissent être qu'en noir et blanc?

 

Sous chacune de ces photographies, un bristol en donne un court descriptif, daté, localisé.

 

Le narrateur arrive devant la dernière d'entre elles:

 

"Deux visages sur un fond blanc, un drap plissé. Les yeux fermés, côte à côte sur le même plan. Deux femmes qui dormaient dans le même lit et dont le sommeil semblait transformer la réalité en rêve."

 

Ces deux femmes portent leurs vêtements de jour. Sur la tempe gauche de l'une d'elles, une marque, comme une ancienne cicatrice. On ne sait si elles sont mortes ou si elles dorment...

 

Alors le narrateur, qui écrit un livre sur le mythe de Merlin, et ses liens avec la fée Nimuë, et qui observe, un peu plus tard, la rencontre de deux femmes dans un café lausannois, ébauche, en les voyant, une histoire qui se terminerait par la photographie de "ces deux femmes assoupies qui semblent attendre le prince charmant".

 

Il leur donne deux noms qui traduisent leur complicité et leur divergence, Diane pour celle qui vient de la nuit, Claire pour celle qui attend dans la lumière. Il imagine qu'elles se revoient vingt ans après s'être perdues de vue au sortir de l'école hôtelière. Du café lausannois elles se rendent chez Diane, où se trouve un tableau préraphaélite de Merlin et Nimuë... Elles se racontent et se souviennent.

 

Le père de Diane était juriste, sa mère femme au foyer. Du temps de leurs études, Diane dessinait, mais elle a rangé ses crayons. Elle est le modèle de Jürgen, le photographe des deux femmes assoupies, et vit avec lui. Elle se rend une semaine par an en Asie où elle retrouve Paul, son mari. C'est elle qui a une cicatrice à la tempe.

 

Les parents de Claire tenaient un restaurant sur les hauts de Montreux, mais elle ne voulait pas prendre leur suite. Elle travaille maintenant dans un centre de congrès à Evian. Elle sortait avec Franck. Maintenant elle est avec Conrad, un informaticien. Ils habitent Génolier.

 

Elles se souviennent notamment de Lorenzo, un jeune homme, beau et chauve, rencontré sur un quai de gare. Il avait une leucémie. Il est mort depuis quelque vingt ans. Lorenzo possédait dans sa chambre d'hôtel une photo d'une inconnue, au dos de laquelle il y avait une inscription en italien:

 

"Amore...Nave senza nocchiere sul mare calmo della sera..." (Amour...Navire sans timonier sur la mer calme du soir...)

 

Destiné à la prêtrise, Lorenzo avait renoncé à sa vocation. Ses expériences sexuelles avaient été désastreuses. Il s'était révélé impuissant, son désir se volatilisant à chaque fois qu'il s'agissait de passer à l'acte.

 

Lorenzo, Diane et Claire forment un temps un trio improbable. Ils jouent respectivement les rôles du patient, de l'infirmière et de la lectrice:

 

"La maladie, le corps, l'esprit, trois formes, trois expressions d'une même substance, avec des visages bien distincts."

 

Diane et Claire se confient à son sujet ce qu'elles ne se sont pas dit à l'époque. Elles n'ont pas été bien loin avec lui, ni l'une ni l'autre, en raison de son impuissance, alors qu'elles croyaient chacune le contraire...

 

Le narrateur raconte enfin comment Diane s'est fait sa cicatrice, comment elle et Claire se sont retrouvées dans le même lit et comment Jürgen les a prises en photo dans cette situation.

 

Le livre se termine dans l'attente de la neige:

 

"Elle viendrait. Peut-être déjà ce soir ou pendant la nuit. Elle précéderait l'aube, avec le silence et le gel, elle se condenserait comme les dernières visions d'un rêve, elle effacerait toute trace."

 

Et l'on se dit que sur le fond blanc des pages qu'il a écrites, Frédéric Lamoth laisse une trace onirique qui, elle, ne s'effacera pas...

 

Francis Richard

 

Sur fond blanc, Frédéric Lamoth, 144 pages, Bernard Campiche Editeur

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24 décembre 2013 2 24 /12 /décembre /2013 12:15

Je m'en vais BERCOFF Paul Verlaine a composé ces vers inoubliables, tirés de Chanson d'automne:

 

Et je m'en vais

Au vent mauvais

Qui m'emporte

Deça, delà

Pareil à la

Feuille morte

 

C'est dans ce poème que figurent ces autres vers bien connus pour avoir donné le signal du débarquement des forces alliées en Normandie au printemps 1944:

 

Les violons

De l'automne

Blessent mon coeur

D'une langueur

Monotone.

 

Ce poème a inspiré à Serge Gainsbourg une chanson tout aussi inoubliable:

 

Je suis venu te dire que je m'en vais

Et tes larmes n'y pourront rien changer.

Comme dit si bien Verlaine, "au vent mauvais",

Je suis venu te dire que je m'en vais.

 

Le titre du dernier livre d'André Bercoff, écrit avec Deborah Kulbach, provient bien sûr de cette chanson de Serge Gainsbourg, à qui cet essai est dédié en ces termes:

 

A Serge Gainsbourg

qui ne fut jamais exilé fiscal ni expatrié,

mais étrange étranger en son pays lui-même.

 

Ce livre, placé sous l'égide du chant poétique, est, on l'aura compris, ou pas, un essai prosaïque sur la fuite de leur propre pays d'un nombre toujours plus grand de Français, phénomène qui s'est accentué depuis que François Hollande, le président français qui n'aime pas les riches, a accédé à la fonction suprême.

 

Bien que d'autres livres aient abordé ce thème, Sauve qui peut d'Eric Brunet et Pourquoi je vais quitter la France de Jean-Philippe Delsol, il faut enfoncer ce clou, d'autant plus que médias et politiques français font l'autruche ou minimisent ce phénomène:

 

"Selon les chiffres officiels, 1 600 000 Français sont inscrits aujourd'hui dans les consulats de la centaine de pays d'accueil où ils résident et l'on en compterait en outre plus de 800 000 qui ne se sont pas déclarés. PricewaterhouseCoopers prédit qu'ils seront plus de 3 millions d'ici à 2020."

 

La particularité de ce livre par rapport aux précédents est de donner largement la parole à ceux qui vont faire le pas de quitter la France ou qui l'ont déjà franchi au cours des dix dernières années.

 

Pourquoi veulent-ils partir?

 

Il leur suffit de regarder le bulletin de santé du grand corps malade de la France, qui vit à crédit depuis plus de trente ans (la dette dépasse les 90% du PIB), selon un schéma de Ponzi, auquel les politiques ne veulent surtout pas toucher (après eux, le déluge), avec, au bout des comptes, la faillite assurée:

 

"Dépense publique qui atteint 56% du PIB; déficit à près de 4% du PIB; prélèvements obligatoires à 46,3% alors qu'ils étaient à 30% en 1960; chômage à plus de 10% de la population active."

 

Le fait est que la faillite est d'autant plus assurée que le modèle français est rigide, qu'une "gérontocratie sclérosée [...] tient tout et se congratule, se coagule et s'accouple à l'intérieur de la famille énarque et grandes écoles, telles les Ménines de Vélasquez":

 

"Ceux qui sont en place se protègent et prônent l'immobilisme, créant les conditions de l'exclusion pour les autres."

 

Il y a d'un côté des privilégiés - ceux qui ont un emploi public, les retraités, les cadres supérieurs du secteur privé, ceux qui ont droit aux minima sociaux - et de l'autre ceux qui ne le sont pas. Il y a d'une part les revenus protégés et de l'autre les revenus à risques. Les auteurs parlent de monarchie bananière...

 

On sait ce qu'il advient de tels pays, quelle que soit la forme que revêtent leurs institutions: ils coulent. Alors il est préférable de mettre les voiles non seulement pour échapper à l'exclusion et à l'absence de perspectives, mais pour échapper au naufrage.

 

Pour maintenir à flot le bâteau qui coule, l'augmentation de la pression fiscale, employée pour colmater les brèches, ne fait que les agrandir et n'incite pas à créer son entreprise en France, mais à la créer ailleurs:

 

"Quand on vous demande de payer des impôts alors que vous avez à peine commencé de créer votre entreprise, vous vous demandez si l'herbe n'est pas plus verte ailleurs. Quand vous entendez des politiques proclamer qu'au-delà de 300 000 euros par an l'Etat vous prendra tout, vous vous dirigez vers le consulat le plus proche en espérant qu'il y a encore de la place."

 

Dans leur ensemble ceux qui partent ne le font pourtant pas pour des raisons fiscales ou pour des raisons économiques, mais par désillusion, par lassitude morale, pour changer d'air:

 

"Gagner de l'argent est une honte dans ce pays [...]. Dès que que quelqu'un sort du rang, il suscite l'envie et la jalousie de ses voisins qui préfèrent le voir crever plutôt que réussir."

 

Lors de leur enquête, les auteurs ont fait une découverte à laquelle ils ne s'attendaient pas:

 

"C'est le nombre de parents non seulement résignés au départ de leurs enfants, mais qui les encouragent à partir en dépit de la tristesse naturelle causée par la perspective de la séparation."

 

La plupart des jeunes qui vont partir, qui partent ou qui sont déjà partis, ne sont pas des nantis:

 

"Ils ne sont, ceux-là, ni fortunés ni héritiers et ne comptent pas sur papa-maman pour les récupérer en cas d'échec à l'étranger. Ceux-là, qui ne rêvent pas de devenir fonctionnaires dans l'administration ni de végéter dans le cocon familial jusqu'à 40 ans, savent que rien n'est joué, que personne ne les attend et qu'ils ne seront engagés ni pour leurs beaux yeux ni pour leurs relations et encore moins pour leur nom. Certains - et c'est heureux - ont des diplômes qu'ils comptent bien faire fructifier, mais d'autres n'ont que leur talent et leur capacité de débrouille et d'adaptation, ce qui devrait d'ailleurs, en France, être considéré comme des vertus au moins aussi importantes que les résultats scolaires et universitaires."

 

Et puis "il est aussi d'autres raisons à certains départs, que l'on avoue moins de peur de se faire taxer de réactionnaire voire de raciste par la bien-pensance aussi généralisée que dominante":

 

"Certains affirment sans ambages qu'ils ne se sentent plus bien dans leur propre pays à cause du climat d'insécurité, d'un communautarisme provocateur et envahissant, des sommes prodiguées aux primo-arrivants voire aux immigrés clandestins, alors que des millions de Français souffrent de pauvreté, non seulement dans les cités, mais plus encore dans la Creuse, le Cantal et ailleurs."...

 

Une fois partis, tous ces expatriés reviendront-ils? Un grand nombre ne reviendra jamais. Et ceux qui reviendront, ne le feront que que si les mentalités changent en France, ce qui n'est pas demain la veille et pourrait demander des décennies, à moins que le baril de poudre n'explose entre-temps...

 

Francis Richard

 

Je suis venu te dire que je m'en vais, André Bercoff avec Deborah Kulbach, 176 pages, Michalon

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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