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2 mai 2014 5 02 /05 /mai /2014 21:30
"Caprice de la reine" de Jean Echenoz

Qu'est-ce qu'un récit? C'est la question que je me suis posée, pour la énième fois, en lisant le recueil de sept récits que vient de publier Jean Echenoz, sous le titre de l'un d'entre eux, Caprice de la reine.

 

En l'occurrence ces récits sont courts. Le plus long, Génie civil, fait une trentaine de pages. Alors, pourquoi ne pas les avoir baptisés nouvelles? Peut-être parce qu'ils ne racontent pas tous des fictions et qu'ils n'ont pas tous une chute.

 

Ces sept récits, plus ou moins modifiés, ont tous été déjà publiés dans des ouvrages ou des périodiques. Ils sont très dissemblables, mais ont pour point commun d'évoquer des lieux géographiques.

 

Nelson est l'histoire en raccourci de l'amiral anglais tué lors de sa victoire de Trafalgar contre les Français. Elle tourne autour des liens que ce marin avait avec son manoir du Suffolk et autour de ses handicaps qui ne l'empêchaient pas d'avoir une vision d'avenir.

 

Caprice de la reine est un exercice de description d'un paysage vu d'une terrasse en opérant "un mouvement de rotation depuis le sud vers l'est puis vers le nord, etc., dans le sens contraire des aiguilles d'une montre", en procédant à un tour complet, pour finir par regarder à terre.

 

Babylone est basé essentiellement sur le récit de voyage d'Hérodote dans cette ville mythique. Jean Echenoz en fait une lecture critique, soulignant les exagérations et les lacunes de cette visite guidée, car Hérodote n'est pas toujours historien, mais explorateur, et ne comprend même peut-être pas toujours ce qui lui est dit sur place en assyrien.

 

Vingt femmes dans le jardin du Luxembourg et dans le sens des aiguilles d'une montre est la description précise, anthropométrique, des vingt statues de reines, régentes, duchesses et femmes célèbres situées autour du bassin de ce jardin qui jouxte le Sénat à Paris (il faudra que j'y retourne avec le bouquin d'Echenoz à la main): description générale, coiffure, bijoux éventuels, expression.

 

Génie civil est l'histoire d'un ingénieur en génie mécanique, Gluck, qui a passé une partie de sa vie à construire des ponts, puis, devenu veuf et entreprise vendue fortune faite, raconte l'histoire des ponts, puis en fait le tour des plus caractéristiques dans le monde entier pour affiner ses connaissances.

 

Nitrox est le récit d'une jeune femme, Céleste Oppenheim, qui, vêtue d'un équipement de plongée, quitte à la nage un petit sous-marin pour se rendre dans un endroit figurant sur une carte qui lui a été remise au départ, sa bouteille étant gonflée au Nitrox, en raison de la profondeur à laquelle elle doit évoluer.

 

Trois sandwiches au Bourget sont la nourriture qu'un narrateur, qui parle à la troisième personne, s'est décidé, à trois reprises, de consommer une fois sur place. Il ne s'embarrasse pas de dire pourquoi il se rend dans cette banlieue du nord-est de Paris, mais il l'a fait visiter au lecteur en notant ce qu'il n'avait pas remarqué les fois précédentes.

 

Chacun de ces récits se caractérise par des descriptions précises des êtres et des choses. Et il faut dire que Jean Echenoz excelle dans cet exercice. Le lecteur ne s'ennuie pas un instant, d'autant que l'auteur ne manque pas de malice.

 

Quand il explique pourquoi Gluck entreprend ses voyages autour du monde, il ne dit pas qu'il le fait pour oublier son veuvage:

 

"On ne saurait [...] se mouvoir qu'avec un but, un axe, un cap, une idée fixe en tête, sinon mieux vaut rester derrière ses fenêtres."

 

Quant à son narrateur du Bourget, il observe:

 

"Peut-être était-ce à cause du temps couvert, de la pluie par intermittence, tout cet environnement me donnait donc une impression assez triste, assez pauvre, et comme je passais devant un autre marchand de journaux, y voyant affichée la une du journal Les Echos qui posait la question: "Peut-on encore devenir riche en France?", cette question, ici, m'a paru fondée."

 

Francis Richard

 

Caprice de la reine, Jean Echenoz, 128 pages, Les éditions de minuit

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30 avril 2014 3 30 /04 /avril /2014 22:30
"Osbert & autres historiettes" de Christopher Gérard

Pour observer les humains d'une époque et d'une contrée, il existe plusieurs manières de faire.

 

Montesquieu avait fait venir des Persans, dans Les lettres persanes, Voltaire un Huron, dans L'Ingénu. La Fontaine faisait intervenir des bêtes dans ses fables, mais elles étaient moins là pour observer les humains que pour les personnifier. Christopher Gérard a pris le parti dans Osbert & autres historiettes de faire observer les humains par des bêtes, à qui il prête des réflexions anthropomorphes sur eux, considérés par elles comme des humains de compagnie.

 

Cette inversion des rôles et cette mise à distance permet à l'auteur de souligner les travers et les limites des humains avec humour, et particulièrement ceux de notre époque que l'auteur brocarde volontiers. Un des ses chats, par exemple, parle d'eux en ces termes:

 

"Mes maîtres se flattent de ne posséder aucun livre; ces rustres préfèrent les vidéogrammes de kung-fu et les disques d'infra-musique, qui m'ont trop longtemps cassé les oreilles et abîmé les yeux. Jusqu'à l'écoeurement j'ai dû subir leurs films aux dialogues niais avec les inévitables combats rapprochés, poursuites de bolides virtuels et ruts sonores. Et je ne dis rien des groupes "métalliques"qui me gâchaient mes siestes, qui interrompaient mes méditations sur mon radiateur en hiver, sur ma terrasse au soleil."

 

Aux yeux du bestiaire de Christopher Gérard, les humains deviennent des créatures naïves, primitives, sûres d'elles, dominatrices, pas toujours fiables ni recommandables, souvent inférieures et malodorantes, parmi lesquelles il est possible de jouer les mâles contre les femelles et inversement.

 

Le bestiaire de l'auteur comprend:

- l'écureuil Osbert, "Seigneur à huit dents", qui trouvent les mâles humains un cran au-dessus des femelles en raison de leur plus grande proximité avec le monde animal;

- le bouledogue Smiley, membre du MI7, au service de Sa Gracieuse Majesté depuis 15 ans, véritable bouledogue anglais, qui ne peut faire confiance à son humain d'agent;

- des chats, sur le compte desquels les humains se trompent en les considérant comme perdus alors qu'ils ont mené à bien leurs projets d'évasion;

- des canetons, qui, instruits par un vieux colonel des canards, évoluent sur la Tamise et observent des humains embarqués ou postés sur les berges, qu'ils trouvent dénués ou non d'intérêt;

- un goupil des villes, qui s'attriste que les humains ne veuillent pas de lui;

- un écureuil gris, qu'un fox-terrier rigolard voit aguicher une humaine en faisant le beau;

- un moineau, dont le terrain de chasse et le théâtre privé sont Les Deux Magots, à Paris, café fréquenté par des célébrités;

- un ours d'appartement, adopté, qu'emmène partout sa maîtresse et qui se demande quelles peuvent bien être ses origines.

 

Ne sont pas seulement anthropomorphes les réflexions, mais les expressions utilisées par les animaux, par exemple celles où le mot patte se substitue aux mots pied, main ou bras, telles que d'une patte assurée, un tournepatte, reprendre en pattes, les pattes croisées dans le dos, les pattes m'en tombent ou baisser les pattes... Dans le même temps, ces bêtes sont bien des bêtes dans leurs comportements, décrits avec précision...

 

Certaines de ces bêtes se retrouvent parfois d'une historiette l'autre, ce qui contribue à façonner tout un monde qui devient ainsi familier au lecteur et qui donnent une unité au livre, renforcée par l'unité de ton, satirique et humoristique. Ce qui n'empêche pas parfois l'auteur de tenir des propos plus profonds, sur la mort, notamment:

 

"Je tâcherai jusqu'à mon dernier souffle de faire bonne figure et saurai partir comme j'ai vécu, sur la pointe des pattes."

 

Question de dignité, qui n'est pas l'exclusivité des humains...

 

Francis Richard

 

Osbert & autres historiettes, Christopher Gérard, 112 pages, L'Age d'Homme

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29 avril 2014 2 29 /04 /avril /2014 22:50
"L'alphabet des anges" de Xochitl Borel

Qu'est-ce qu'un ange? Etymologiquement, c'est un messager. Dans les religions du Livre, c'est une créature céleste, resplendissante de beauté et de lumière, à qui Dieu demande de délivrer un message ou d'accomplir une mission auprès des êtres humains.

 

Avant que l'avortement ne soit légalisé, les femmes qui le pratiquaient, notamment avec des aiguilles à tricoter, étaient appelées faiseuses d'anges: des enfants innocents ne pouvaient que devenir des anges après leur mort...

 

Le roman de Xochitl Borel commence par un avortement pratiqué de cette manière dangereuse par une certaine Madame Margot, femme qui sous son air autoritaire se révèle d'une grande tendresse, sur une jeune femme prénommée Soledad, étudiante en droit, accompagnée par sa belle-mère, Anne, de dix ans plus âgée qu'elle.

 

Quand il avait appris qu'elle était enceinte, le père de Soledad lui avait dit: "Je ferai le nécessaire". Aussi le nécessaire avait-il été fait. Mais une fois qu'il avait été fait, Soledad avait dit: "Anne, c'est un garçon. Je l'aurais nommé Micha.", le deuxième prénom du père biologique. Un peu plus tard, alors qu'elle souffrait encore, elle avait dit: "Tu sais, Anne, j'aurais voulu le garder."...

 

Soledad avait peu saigné et... l'enfant avait survécu:

 

"Aneth était née malgré l'avis des hommes. La vie est un miracle, Aneth, une ange déchue de sa destinée. Elle avait préféré aux ailes que lui promettait la faiseuse d'anges le poids des jambes. Des aiguilles meurtrières, Aneth avait pourtant gardé des traces: une oreille atrophiée et un oeil, le gauche, crevé; qu'importe, mon Aneth vivait, elle était le fruit confit de mes pommes d'amour."

 

Soledad avait donné à son enfant le nom d'Aneth comme la jeune pousse verte qui avait grandi quand elle était rentrée chez elle une fois que le nécessaire avait été fait:

 

"Les plus grands miracles humains ne sont rien par rapport à ceux accomplis par les plantes."

 

Six ans plus tard, nous sommes en 1961, Aneth s'avère une petite fille prodigieuse, avec un sens de la répartie qui laisse pantois ceux qui portent des jugements désobligeants sur elle, avec des jeux de mots d'enfant qui sont confondants et qui sont d'une poésie désarmante, sans laquelle il n'y aurait pas de beauté au monde.

 

Ce n'est pas un hasard si Aneth choisit dans un refuge un petit chien de trois ans auquel elle donne le nom de Basilic et qui est borgne et bâtard comme elle...

 

Grâce à Aneth, Soledad rencontre Emile avec lequel elle commence par se disputer parce qu'il ne parle d'abord que de l'intelligence stupéfiante de cette enfant, au lieu de parler du bonheur auquel elle a droit comme tout être humain:

 

"Le contraire d'"intelligence", c'est "instinct". Il ne faut pas tout miser sur l'intelligence, sinon on meurt, vous entendez, on meurt. L'intelligence tue, opposée à l'instinct qui sait comment nous préserver."

 

Mais, au bout de six mois de fréquentation, "d'inconnu, il était devenu étranger, puis homme, puis amant, mais maintenant c'était encore autre chose, quelque chose proche de cet aimé en l'être confondu."

 

Avant lui, Soledad avait oublié que "les amours sont végétales; que comme les plantes, elles se suffisent d'un rien. Donnez-leur de l'eau et de la lumière, et qu'on les laisse tranquilles, c'est cela qu'elles demandent"...

 

Emile apprendra à Aneth l'alphabet, auquel elle finira par ressembler, "mais sans l'orthographe. Juste le mouvement des lettres."

 

Aneth, Soledad, Anne et Emile surmonteront ensemble une ultime vicissitude et découvriront que la beauté du monde n'a pas besoin d'être vue pour être ressentie et que l'aveuglement ne touche pas ceux que l'on croit.

 

Dans ce roman, un message de vérité sort de la bouche d'une merveille d'enfant handicapée, qui voulait vivre et y est parvenue. Xochitl Borel accomplit ce miracle de la faire aimer par le lecteur, ému au plus haut point par ses paroles poétiques et par l'amour que lui porte sa narratrice de mère.

 

Le père de cette enfant, disparu "sans savoir la graine d'Aneth qu'il avait semée", avait dédié à sa mère des feuillets intitulés Plumes pour un ange nommé Solitude, dont elle ne prend connaissance que tardivement. Il avait notamment écrit ces mots:

 

Stratégie des mésanges.

Je n'écrirai plus, mais chaque papillon sera, souviens-toi de Jules Renard, un billet doux à l'adresse d'une fleur.

Tu fus mon plus beau paysage. Mon horizon reste avec Solitude, mon amour.

Thomas

 

Les mésanges font semblant d'être mortes pour échapper à leur prédateur... A leur prédicateur, comme dirait Aneth...

 

Francis Richard

 

L'alphabet des anges, Xochitl Borel, 132 pages, L'Aire

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28 avril 2014 1 28 /04 /avril /2014 19:45
"Ruiz doit mourir" d'Etienne Barilier

La querelle entre les Anciens et les Modernes avait opposé à la fin du XVIIe siècle deux chefs de file, Nicolas Boileau et Charles Perrault, tous deux membres de l'Académie française.

 

Le premier soutenait que les auteurs de l'Antiquité étaient indépassables et qu'il convenait de les imiter, le second soutenait qu'ils étaient tout à fait dépassables et qu'il était même recommandé d'innover.

 

Une querelle, du même genre que celle qui avait secoué le monde académique littéraire deux siècles plus tôt, devait, à la fin du XIXe, au début du XXe, ébranler les certitudes des Anciens en matière picturale et voir triompher les Modernes.

 

Dans son dernier roman, Ruiz doit mourir, Etienne Barilier met en scène deux peintres aux conceptions opposées, John William Godward  et un certain Pablo Ruiz, qui n'est autre que Pablo Picasso.

 

Le premier est un Ancien qui éprouve un pur amour pour la Grèce antique, le second est un Moderne, qui innove et est capable de tout, même du beau, aux dires du premier.

 

Le premier pense que l'art doit être spirituel, qu'il doit magnifier le corps et que la vérité doit être voilée, tandis que le second peint la vérité sans voiles, détruit les corps dans sa peinture et "prétend tirer de la laideur une beauté nouvelle, ou pire, dépasser l'opposition de la laideur et de la beauté, les anéantir l'une et l'autre."

 

John William Godward est né en 1861 et Pablo Ruiz en 1881, 20 ans les séparent. En fait, bien davantage les sépare donc. De plus, l'un a dû lutter pour devenir artiste, tandis que l'autre a eu somme toute la partie facile; l'un est timide et respectueux face aux femmes, tandis que l'autre est conquérant et sans retenue face à elles, ce dès le plus jeune âge.

 

En 1917, Godward et Ruiz se trouvent tous deux à Rome. Godward aimerait rencontrer Ruiz, son ennemi, pour lui dire son fait sans trembler, parce qu'il le considère comme un destructeur de l'art - il ne peint pas l'amour, il peint la mort. Et il raconte cette quête dans son journal, qu'il commence le 21 février et termine le 13 avril de cette année-là.

 

Cette quête est l'occasion pour Etienne Barilier de parler savamment de peinture, de restituer le monde des Ballets russes qui se produisent alors à Rome, loin du front, de raconter Ruiz, peintre de décor de ballets et amoureux transi d'une danseuse, d'évoquer les figures de Diaghilev et du jeune Cocteau, de peintres loués alors et bien oubliés depuis.

 

A la fin, ce roman, aux bases historiques solidement établies et aux lacunes historiques comblées avec vraisemblance, réserve deux surprises. Qui n'en sont pas tout à fait, à la réflexion.

 

Les comportements personnels de Godward et de Ruiz laissaient présager la première de ces surprises. La seconde est davantage inattendue, sans l'être pourtant tout à fait. En effet, la querelle entre Anciens et Modernes n'est certes pas une querelle infondée, mais n'est-elle pas excessive, c'est-à-dire insignifiante à certains égards?

 

En matière d'art, il ne faut désespérer de rien...

 

Francis Richard

 

Ruiz doit mourir, Etienne Barilier, 320 pages, Buchet Chastel

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23 avril 2014 3 23 /04 /avril /2014 21:15
"L'échappée libre" de Jean-Louis Kuffer

Le monde n'aura jamais fini de livrer ses secrets.

 

Chacun ne perçoit qu'une partie de ce tout. Cette partie n'étant pas la même pour tous, la perception diffère, d'une personne l'autre. De plus les lunettes de lecture des uns et des autres ont des verres divergents.

 

Au lieu de s'en affliger, il faut s'en réjouirCar différences et divergences sont richesses humaines.

 

Jean-Louis Kuffer rappelle que le Charles-Albert Cingria qu'on aime disait qu'"observer c'est aimer". Il convient donc d'observer et... d'aimer.

 

JLK dit ne pas se contenter, comme François Mégroz, de lire la Commedia de Dante, livre qui contiendrait tout:

 

"Ce qui est probablement vrai, pour lui, ne l'est pas tant pour moi, qui entends plutôt prendre partout un peu de ce qui alimente le Livre du monde."

 

Dans L'échappée libre, JLK nous livre donc ses lectures du monde sur la période qui va du 1er janvier 2008 au 30 juin 2013. C'est un récidiviste de ce genre de lectures, peu soucieux d'ailleurs d'ordre chronologique et de continuité dans leur publication.

 

Ces lectures du monde, alimentées un peu partout, font suite à d'autres, publiées chez d'autres éditeurs, avec des interruptions parfois de quelques années. Mais, telles quelles, elles me ravissent, même si, parfois, les verres de nos lunettes divergent.

 

En guise d'avant-propos, intitulé A la vie à la mort, JLK écrit, entre autres:

 

"La première révélation de la mort est de nous découvrir vivants, la première révélation de la vie est de nous découvrir mortels, et c'est de ce double constat que découle ce livre."

 

Et effectivement il est question de vie et de mort dans ce livre, que j'ai lu deux soirs de suite "jusqu'à point d'heure", puis "tôt l'aube".

 

La vie? "La vie continue dans l'alternance du poids du monde et du chant du monde." Ce poids et ce chant ressortissant à sa complexité.

 

La mort? L'oncle de Maurice Chappaz avait confié à ce dernier: "Il n'y a qu'une bonne mort, la mort subite." Mais la mort n'est pas toujours bonne. Thierry Vernet, le peintre, disait:

 

"La mort, ma mort, je veux la faire chier un max à attendre devant ma porte, à piétiner le paillasson. Mais quand il sera manifeste que le temps est venu de la faire entrer, je lui offrirai le thé et la recevrai cordialement."

 

JLK se demande cependant avec "le philosophe russe Léon Chestov interrogeant le paradoxe d'Eschyle":

 

"Et si ce que nous appelons la mort était la vie, et ce que nous appelons la vie une sorte de mort?"

 

JLK cite un passage du dernier livre de Maurice Chappaz, Le Roman de la petite fille, interrompu par sa mort le 15 janvier 2009:

 

"Voici une heure que je rédige des lettres à des camarades dans l'existence. Sur une enveloppe j'écris le nom d'un ami qui dort au cimetière. Pour un peu je mettrais l'adresse du cimetière..."

 

Pendant ces cinq ans de lectures du monde, les morts se succèdent: Maurice Chappaz, justement, Hugo Claus, Thierry Vernet, Jean-Claude Fontanet, Jacques Chessex, Georges Haldas, Vladimir Dimitrijevic.

 

A propos de ce dernier, JLK s'était éloigné de Dimitri pendant quinze ans, faisant passer sa liberté avant l'amitié, préférant poursuivre son chemin de traverse "à côté", restant du moins fidèle à la Maison Littérature.

 

Cette fidélité à la Maison Littérature a inspiré de fort belles chroniques à JLK, sur les oeuvres des écrivains morts comme sur celles des vivants, dont certaines sont reproduites dans L'échappée libre.

 

Y alternent aussi des réflexions personnelles et intimes, des réflexions plus générales et "extimes" sur de grands thèmes, des correspondances - celle qu'il a avec Pascal Janovjak résidant à Ramallah occupe une place importante -, des notes de voyage - en Italie, au Cap d'Agde, à Paris, au Congo -, des rencontres, notamment celles "inoubliables que permet le sésame d'une carte de presse":

 

"La rencontre est à mes yeux l'un des mystères de l'existence, au même titre que ce qu'on appelle la création."

 

Celle avec Philippe Sollers (dont j'approuve le podium du siècle passé: Proust, Céline, Morand) est un morceau d'anthologie...

 

La profession de foi de JLK, intitulée Ecriture mode d'emploi, qu'il a écrite à l'occasion de son parrainage de Max Lobe, lors du Salon du Livre de Genève 2013, commence ainsi:

 

"Vivre, lire et écrire ne représentent à mes yeux qu'une seule démarche. Ecrire m'est devenu aussi vital que respirer, mais écrire sans vivre ou sans lire, qui renvoie à la vie et à l'écriture des autres, me semblerait tout à fait vain."

 

Cette citation résume très bien ce qu'est ce livre. Puisse-t-elle donc inciter.

 

A la suite de Charles-Albert, JLK pense en effet:

 

"Que c'est par la citation qu'on parvient à l'incitation."

 

Sur la littérature qui permet cette échappée libre à JLK, donnons le mot de la fin à Dimitri à qui ce livre est dédié, conjointement avec sa femme Geneviève et avec la bonne amie de l'auteur, parce que ce mot est d'une rare profondeur:

 

"La littérature, comme toute forme d'art, a une limite. A celle-ci, nous sommes confrontés par le mystère de la souffrance. Cette incroyable évidence que les sentiments puissent faire souffrir..."

 

Francis Richard

 

L'échappée libre, Jean-Louis Kuffer, 412 pages, L'Age d'Homme

 

Livres précédents:

 

Riches heures Poche suisse (2009)

Personne déplacée Poche suisse (2010)

L'enfant prodigue Editions d'Autre Part (2011)

Chemins de traverse Olivier Morattel Editeur (2012)

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21 avril 2014 1 21 /04 /avril /2014 16:30
"La fête de l'insignifiance" de Milan Kundera

Vous en avez assez de ceux qui vous disent à tout propos: "Cela fait sens".

 

Vous avez envie de ne plus prendre les choses au sérieux parce que cela vous fait du mal et parce que la vie est trop courte, surtout celle qui vous reste promise.

 

Vous êtes captivé par ce qui est non-sens, justement parce que cela n'a aucun sens.

 

Alors faites La fête de l'insignifiance avec Milan Kundera.

 

Vous verrez, vous en sortirez de bonne humeur, une bonne humeur infinie pour peu vous ne vous preniez pas non plus au sérieux.

 

Il faut être un écrivain reconnu et n'ayant plus rien à prouver pour écrire un tel roman, où le regard sur les êtres et les choses compte davantage que l'intrigue.

 

Quoi que vous écriviez, dans ces conditions, est alors empreint d'une légèreté, celle de  l'esprit qui s'est, au long d'une vie, allégé de toutes ses scories.

 

Plus que jamais Milan Kundera est le démiurge des personnages qui évoluent dans son monde rêvé et leur fait dire ce qui lui passe par la tête; leur fait faire ce que sa fantaisie ordonne. Ils savent qu'il est le maître de leur existence et il s'adresse avec bonheur au lecteur pour le prendre à témoin de leurs facéties.

 

Cela commence très fort, dès les deux premières pages, quand Alain médite sur le nombril:

 

"Il observait les jeunes filles qui, toutes, montraient leur nombril dénudé entre le pantalon ceinturé très bas et le tee-shirt coupé très court. Il était captivé; captivé et même troublé: comme si le pouvoir de séduction ne se concentrait plus dans leurs cuisses, ni dans leurs fesses, ni dans leurs seins, mais dans ce petit trou situé au milieu du corps."

 

Si Alain a des mots pour décrire et définir l'orientation érotique correspondant à ces parties anatomiques, considérées comme des centres classiques de séduction féminine, il reste coi pour le faire s'agissant du nombril.

 

Que peut-on dire d'ailleurs du nombril sinon qu'il est la trace du fait d'être né d'une femme. Un ange, qui n'a pas de sexe, est sans nombril itou...

 

Nombre de villes ont été rebaptisées et rebaptisées au XXe siècle, mais il en est une qui ne sera plus jamais rebaptisée: Kaliningrad, l'ex-Königsberg d'Emmanuel Kant. Elle a été rebaptisée une fois pour toutes. Pourquoi? Parce que l'insignifiance de Kalinine, l'obscur et fantoche président du Soviet suprême sous Staline, ne fait de l'ombre à personne...

 

Si vous n'êtes pas brillant en société, sachez qu'il est inutile de l'être pour séduire une femme:

 

"Quand un type brillant essaie de séduire une femme" explique Ramon, "celle-ci a l'impression d'entrer en compétition. Elle se sent obligée de briller elle aussi. De ne pas se donner sans résistance. Alors que l'insignifiance la libère. L'affranchit des précautions. N'exige aucune présence d'esprit. La rend insouciante, et partant, plus accessible."

 

Ces deux trois exemples d'insignifiance montrent qu'il faut aimer l'insignifiance ou apprendre à l'aimer. Elle est en effet évidente, innocente et belle. Elle est non seulement la clé de la bonne humeur, mais aussi celle de la sagesse.

 

Francis Richard

 

La fête de l'insignifiance, Milan Kundera, 144 pages, Gallimard

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17 avril 2014 4 17 /04 /avril /2014 03:30
"Ezra enigma" de Jean-Pierre Keller

Pour apprécier une oeuvre à sa juste valeur, il faut la séparer de l'homme et faire appel à son instinct. Car, comme le disait Proust, contre Sainte Beuve, une oeuvre est le produit d'un autre moi parmi les diverses personnes superposées qui composent une personne morale.

 

Avant d'attribuer à Guilleragues, les cinq Lettres portugaises, était-il important de savoir qui en était l'auteur pour dire de ce petit livre: Attention, chef-d'oeuvre!?

 

Cette démarche d'appréciation littéraire n'exclut évidemment pas de s'intéresser à la personne morale qui contient cet autre moi, parce que tout être humain est digne d'intérêt, compréhension ne valant cependant pas caution.

 

Cette recommandation se vérifie a fortiori quand il s'agit d'apprécier l'oeuvre d'une personne à la vie ou aux idées sulfureuses. Le cas Céline  en est l'illustration la plus emblématique. Mais il n'est pas le seul et Jean-Pierre Keller, dans son dernier livre, Ezra enigma, attire l'attention sur un autre cas, celui d'Ezra Pound.

 

Ezra Pound est bien sûr l'homme qui, pendant la Deuxième Guerre mondiale, dans des émissions à Radio Roma, a fait l'apologie du fascisme et tenu des propos antisémites, les Juifs représentant surtout à ses yeux la puissance financière (il l'a payé de 12 ans d'internement psychiatrique aux Etats-Unis...), mais il est aussi le grand poète que l'on sait.

 

Fabrizio Ballarin est un étudiant qui a du mal à trouver sa voie. N'ayant pas la vocation médicale, comme papa, ce bamboccione, éternel enfant, fait, à l'université de Venise, des études de droit, qui, comme on sait, mène à tout, même au journalisme.

 

Fabrizio doit un jour faire un exposé sur l'usure, sujet dont il n'a aucune idée. C'est alors que le hasard fait bien les choses. Mais est-ce le hasard? En voulant attraper un livre en haut d'une pile de la bibliothèque paternelle, sept ou huit volumes lui dégringolent sur la tête. Il n'arrive à en sauver qu'un seul de la chute, l'ABC de l'économie, d'Ezra Pound.

 

Ce livre opportunément tombé sur lui va changer le cours de son existence. Sans savoir qui en est l'auteur, il s'en inspire pour faire la présentation qui lui a été demandée. Ce qui lui vaut d'être sévèrement chahuté par une partie des étudiants de sa classe. Devant son incompréhension, l'assistant lui conseille d'aller voir un professeur de littérature, Madame Lauren Davidson.

 

Madame Davidson? "Une grande blonde de trente-cinq ans environ aux lèvres pulpeuses rehaussées d'un rouge vif", aux "longues mèches frisées reposant sur [les] épaules". Pas du tout l'image qu'il se faisait d'un professeur. Elle lui apprend que l'auteur de l'ABC de l'économie est un poète génial et lui conseille la lecture des Cantos scelti, "un choix de Cantos traduits par sa fille" et lui révèle son passé sulfureux.

 

Six ans plus tard, en faisant un des mots croisés paru dans un numéro de 1952 de La Settimana enigmistica, la définition du dernier mot en quatre lettres de cette grille sur les personnages religieux le remet sur le chemin d'Ezra: "Scribe antique et poète". Ezra est en effet à la fois un personnage de l'Ancien Testament, dit le Scribe, et le poète qui lui a valu d'être chahuté.

 

A partir de ce moment-là Fabrizio s'intéresse à nouveau à Ezra Pound, dont il lit d'autres oeuvres que l'ABC de l'économie. Ce qui le conduit à mettre ses pas dans les siens. C'est ainsi qu'il fera la rencontre d'Amalia devant le Nid caché, à Venise, où Ezra Pound abritait ses amours avec sa maîtresse, Olga Rudge. C'est ainsi qu'il rencontrera à nouveau Lauren Davidson, chez Mary, la fille d'Olga et d'Ezra, sur les hauteurs dominant Merano.

 

La vie personnelle de Fabrizio tourne désormais autour du poète. Elle est ponctuée de nombre de ses vers inspirés. Elle se nourrit des lieux dans lesquels il s'est rendu. Elle le conduit même un moment dans une antre où d'aucuns se réclament indûment de lui. Mais le mot Pound est devenu un sésame dans son existence. 

 

Il est décidément très poundien ce personnage de Fabrizio, pour qui "les mots comptent plus que les choses", ce qui n'est pas pour déplaire à  celles qui l'aiment. Et qui ne déplaira pas non plus à ceux qui ont la fibre poétique, c'est-à-dire musicale.

 

Jean-Pierre Keller aime les mots et il s'en sert pour raconter les choses avec beaucoup d'agrément pour le lecteur. Sous sa plume le ménage à trois, à consonance bourge, devient amours triangulaires, à consonance italienne...

 

Francis Richard

 

Ezra enigma, Jean-Pierre Keller, 192 pages, L'Age d'Homme

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16 avril 2014 3 16 /04 /avril /2014 06:00
"Le Ciel identique" de Stéphane Blok

Le roman est décidément un genre qui échappe à toute définition.

 

Le livre de Stéphane Blok, Le Ciel identique, est un roman. Mais il l'est par défaut. En effet, de par sa longueur, il pourrait être une nouvelle. Et pourtant, cela ne tient pas la route.

 

Certes il ne comporte pas plus de nonante pages et nombre d'entre elles sont loin d'être noircies de mots, mais il n'est pas condensé comme une nouvelle devrait l'être, en principe. Au contraire il serait plutôt expansé, comme s'il était la caisse de résonance des trois questions ouvertes que représentent ses trois chapitres et ses trois épilogues en un seul.

 

Comme c'est bien une oeuvre de fiction, il n'est pas d'autre genre que le roman qui puisse lui être attribué. Comme l'esprit humain a besoin de catégoriser pour se rassurer, il affuble un qualificatif accolé au mot roman pour lui trouver une identité. Et celui qui vient au même esprit humain, en l'occurrence, pourrait bien être poétique. Ce qui tombe bien puisqu'il est suivi de quelques poèmes, intitulés Chants entre les immeubles.

 

Trois chapitres, trois personnages, Aurélie, Silverio et Marc. Sous le même ciel. Les deux premiers proches. Ils se croisent même à un carrefour de la ville. Le troisième, plus loin, dans une vallée, se trouve sous la pluie depuis onze jours.

 

Aurélie n'a pas dormi. Elle vient de quitter deux hommes. Les trottoirs sont mouillés, mais le ciel est bleu. Elle déambule dans la ville, après avoir pris un café et un verre d'eau dans un établissement. Elle se dévêt un peu, parvenue au bord du lac. Chemin faisant elle a vu cette scène:

 

"Un jeune homme en veste de cuir beige traverse au rouge le passage clouté tandis que deux femmes, cabas en main, attendent que le feu passe au vert. [...] Deux pigeons se suivent sur le pavé taché."

 

Silverio est sur le départ. Il essaie de ne rien oublier. Il prépare ses affaires, tout en accomplissant les tâches quotidiennes du matin, le thé vert, les ablutions, les opérations naturelles. Une fois dans la rue, il assiste à cette scène:

 

"Une jeune femme blonde en talons hauts et habits de soirée déambule nonchalamment devant lui: ses cheveux retenus laissent apparaître une nuque fine et de petites oreilles, légèrement décollées. Deux femmes, cabas en main, attendent que le feu passe au vert. [...] Il [...] traverse au rouge le passage clouté en direction du métro, porté par un enthousiasme qu'il sent contagieux [...]. Deux pigeons se suivent."

 

Marc se trouve sous la pluie incessante depuis onze jours, qui imprègne tout, les êtres et les choses. Il réside dans une masure, dont le toit ne retient que partiellement l'eau, située en périphérie d'un petit bourg. Avec ce temps, il y fait nuit en plein jour. Il doit se trouver dans cette vallée que devine Aurélie depuis le bord du lac:

 

"Tout au fond, entre deux massifs, des nuages obstruent la vallée. Et sous les nuages, deux parallèles grises, obliques, des trombes d'eau qui tombent du ciel, de l'eau qui chute, lâchée dans le vide, du haut vers le bas, jusqu'au sol. Là-bas les gens sont sous la pluie, dans le brouillard. Dans la tempête."

 

Dans ce roman il n'y a donc pas vraiment d'intrigue, mais trois personnages, qui, confrontés à la réalité du réveil, se livrent à des réflexions poétiques sur ce qu'ils font, sur ce qu'ils vont faire, sur ce qui les environne.

 

Et le lecteur, sous le charme, comble de lui-même, emporté par son imagination, les lacunes poétiques laissées par l'auteur et fait siens, alors, ces vers de Stéphane Blok poète:

 

Depuis longtemps déjà, depuis longtemps j'ignore

si au-delà des toits, des toits s'étendent encore.

 

Francis Richard

 

Le Ciel identique, Stéphane Blok, 128 pages, Bernard Campiche Editeur

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14 avril 2014 1 14 /04 /avril /2014 22:45
"Carnets noirs" de Christophe Vauthey

Dans son journal, Jules Renard donne la définition suivante de l'arriviste:

 

- Qu'est-ce qu'un arriviste?

- Un futur arrivé.

 

L'arriviste est une espèce qui sévit de tous temps et qui est présente dans toutes les organisation humaines, qu'elles soient économiques, sociales ou politiques.

 

Dans son roman, Carnets noirs, Christophe Vauthey en dépeint un de première catégorie.

 

Pierre Mignon, quadra "qui n'a de mignon que le nom", est cadre supérieur chez Toys International Ltd. Il se présente comme un tueur de cadres et, à ce titre, comme un ardent défenseur du libéralisme extrême dont il vante la vision amorale de la société:

 

"L'avènement du libéralisme outrancier nous a décomplexés, nous autres les bleus, qui entrions de nos deux pleins pieds dans le monde professionnel. Nous nous sentions légitimés dans nos combats quotidiens pour faire plus de profit et grimper les échelons de nos carrières." 

 

Le lecteur averti de ce qu'est le libéralisme ne doit pas se laisser influencer par cette acception du terme. Qui n'est même pas caricaturale. Qui est parfaitement erronée, fantasmée, ce qui n'est pas en contradiction avec le fait qu'elle soit largement répandue.

 

Car le libéralisme n'est ni néo, ni ultra, il est. Et il repose, aujourd'hui, comme hier ou demain, sur le respect des droits naturels des individus que sont la liberté, la propriété, la sécurité. D'où tout le reste découle. Ce qui n'a rien à voir avec l'acception que lui donne Pierre Mignon.

 

Le lecteur doit donc passer outre et s'amuser de cette fable sur l'arrivisme (qui est le véritable sujet du livre et non pas le libéralisme extrême), qui, comme toutes les fables, se termine par une morale, qu'un libéral digne de ce nom ne peut qu'approuver.

 

Le CEO de Toys International Ltd , Denis de Coulon, se rend compte que la multinationale qu'il dirige doit restructurer son service des ventes pour faire face à la crise. Il charge quatre collaborateurs de réfléchir à un nouveau concept d'organisation des ventes et de le lui présenter en début de semaine suivante. Celui qui le convaincra que son concept est le plus applicable et qu'il est la meilleure personne pour l'appliquer disposera d'un siège permanent à la Direction générale de la firme.

 

Pierre Mignon fait partie de ces quatre concurrents au poste, avec Francine Bourrin - une trentenaire effrontée, en tailleur Chanel -, Pierre-Marie Missel, alias Fred Austaire - il est austère, comme son surnom l'indique -, et Albert Mutable, alias Tolstoï - qui pourrait en raison de ses dérangements intestinaux être l'auteur de Guerre et pets.

 

Depuis dix ans Pierre Mignon prend des notes dans des carnets noirs sur les faits et gestes de ses collègues et sur ses supérieurs. Ces notes sont destinées à lui servir pour grimper les échelons de la hiérarchie. Ils constituent une arme fatale sur laquelle il compte pour prendre l'avantage sur ses concurrents à la Direction générale.

 

En effet, grâce à ces carnets noirs, qui lui servent de mémoire supplétive aux défaillances de la sienne, il connaît les points faibles des autres et compte bien les utiliser pour les désintégrer et les ridiculiser aux yeux du boss. Mais les choses ne se passent pas comme prévu...

 

Le ton du livre est réjouissant et assez potache. Il se lit avec bonheur, d'autant que certaines expressions sont de véritables trouvailles. L'auteur emploie également dans la même phrase des expressions dans des sens différents qui suscitent l'hilarité par des rapprochements incongrus, notamment quand un sens somme toute prosaïque côtoie une allusion d'ordre sexuel.

 

Le personnage de Pierre Mignon, qui se croit supérieur aux autres, est grotesque. Cet arriviste arrive bien quelque part, mais peut-être pas où il s'y attendait. Du coup, on hésite. Est-ce bien une fable? Ne serait-ce pas plutôt une farce? Mais, après tout, l'une n'empêche pas l'autre.

 

Francis Richard

 

Carnets noirs, Christophe Vauthey, 144 pages, Xenia

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13 avril 2014 7 13 /04 /avril /2014 16:15
"Le collier rouge" de Jean-Christophe Rufin

Pendant les années qui viennent, on lira et relira des livres qui ont un rapport plus ou moins étroit avec la Grande Guerre, cette guerre qui devait être la der des der et qui quelque vingt ans plus tard est réapparue, sous une autre forme, plus meurtrière encore pour certains peuples.

 

Le collier rouge, le dernier roman de Jean-Christophe Rufin se passe dans l'immédiate après-Grande Guerre, en 1919. Il est l'occasion de revisiter cette guerre sous un angle original. Ce qui n'est pas étonnant puisque basé sur une histoire vraie. Comme on sait, les histoires vraies - c'est un truisme - dépassent souvent les meilleures fictions.

 

En cette fin d'été 1919, un homme, Jacques Morlac, croupit en prison, dans une sous-préfecture du Bas-Berry, pour avoir commis un outrage à la Nation le 14 juillet de cette année-là. Quel outrage? On ne le saura qu'en fin du livre et c'est tant mieux.

 

Jacques Morlac est le seul prisonnier d'"une ancienne caserne transformée en prison pendant la guerre pour les déserteurs et les espions". Il est gardé par un seul homme, le sous-off Dujeux. Un juge militaire, le commandant Hugues Lantier du Grez, est venu spécialement s'installer dans cette petite ville pour instruire son dossier et comprendre pourquoi ce héros de la guerre des Balkans a commis son acte.

 

Jacques Morlac a un chien, Guillaume, qui le suit partout et qui ne cesse d'aboyer, jours et nuits, depuis que son maître est au trou. Or Jacques Morlac ne semble pas vraiment touché par la fidélité de cet animal qui l'a suivi pourtant partout au cours de ses périgrinations guerrières et dont le corps plusieurs fois blessé garde les cicatrices.

 

La vie du prévenu Jacques Morlac offre au commandant Lantier bien d'autres sujets d'étonnement.

 

Bien qu'ayant été décoré de la Légion d'Honneur, Jacques Morlac ne regrette pas son acte et souhaite même être condamné, sans circonstances atténuantes. Bien qu'il ait conçu un enfant avec Valentine, une jeune femme du coin, pendant une permission, il ne semble pas se préoccuper de son sort ni de celui de son enfant depuis son retour. Bien qu'ayant quitté l'école de bonne heure, il aime lire et semble cultivé.

 

Au cours de son enquête le commandant Lantier va démêler cet écheveau d'apparentes contradictions.

 

Comme elle ne dévoile pas les véritables secrets de l'intrigue, je me permets de lever la dernière parce qu'elle éclaire tout le livre et lui donne toute sa luminosité humaine.

 

Jacques Morlac est un humble paysan, alors que Valentine est d'un milieu plus aisé, plus instruit. Or Jacques a donné à Valentine une preuve d'amour qui l'a émue et qui valait toutes les belles paroles qu'il ne savait pas dire. Quand ils se sont connus, il savait à peine lire: il a appris pour lui faire plaisir....

 

Le père de Valentine parlait de lutte des classes. Elle acceptait cette idée, mais elle se rendait compte que ce n'était pas suffisant:

 

"Il y a les êtres, aussi. Leur histoire peut les faire changer de classe [...]. Et puis, il y a ceux qui semblent vivre en dehors de tout cela, par eux-mêmes, en quelque sorte."

 

C'est cet aspect humain qui ressort du livre une fois refermé: il y les êtres, aussi.

 

Quelles que soient les valeurs auxquelles les êtres croient, ils ont leurs faiblesses. Ce sont bien souvent les émotions qui les guident au plus profond d'eux-mêmes dans leurs actions et c'est souvent par elles qu'ils s'avèrent attachants, n'agissant finalement pas comme des bêtes, ce que d'aucuns aimeraient pourtant qu'ils soient, pour mieux les contraindre.

 

Francis Richard

 

Le collier rouge, Jean-Christophe Rufin, 160 pages, Gallimard

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13 avril 2014 7 13 /04 /avril /2014 00:40
"Transe, Dostoïevski, Russie, ou la philosophie à la hache" de Cezary Wodzinsky

La Russie reste largement hermétique à l'esprit occidental. L'occidental a du mal à comprendre que des Russes éminents acceptent depuis le XIXe siècle les technologies occidentales, synonymes du bien-être qu'elles apportent, tout en s'affligeant de ce qu'ils considèrent comme ses conséquences, le matérialisme et le socialisme athée, qui portent atteinte à l'âme russe éternelle.

 

Si, au XVIe siècle, les guerres de religion entre catholiques et protestants en Occident y sont relativement connues, il n'en est pas de même du Raskol qui a secoué l'orthodoxie russe au cours de ce même XVIe siècle, divisée entre, d'une part, les raskolniki, c'est-à-dire les vieux-croyants, avec à leur tête Avvakum, et les sectateurs, et, de l'autre, les orthodoxes, partisans de Nikon, le patriarche réformateur, inspiré par la culture occidentale, grecque en particulier, donc étrangère, incompréhensible, illisible.

 

Or, dans son essai, Cezary Wodzinsky raconte que ce schisme - raskol signifie schisme - n'a pas eu seulement des conséquences religieuses mais également politiques.

 

"Le Raskol", selon Nicolas Berdiaev "fut une évasion de l'histoire, car l'histoire était dominée par le prince d'ici-bas, l'antéchrist qui s'était hissé à la tête de l'Eglise et de l'Etat."

 

Le synode orthodoxe, où les étrangers dominent, "condamne les raskolniki comme hérétiques" et les raskolniki "désignent comme Antéchrist tout d'abord le patriarche, puis bientôt le tsar".

 

Cette époque, autour de 1666 (dans l'Apocalypse, 1'000 est le "nombre d'années d'emprisonnement de Satan et 666, le chiffre de la Bête") est le "Temps des troubles", qui voit les raskolniki hérétiques persécutés se réfugier dans des sous-sols, avec, pour conséquence de ce renoncement au monde, des suicides collectifs et massifs, et l'apparition des usurpateurs du tsar, de l'imposture généralisée.

 

La création par Ivan le Terrible de l'opritchnina, corps d'élite à sa dévotion, renforçant son autocratie et la centralisation du pouvoir, a précédé cette période d'usurpation et en a préparé le terrain. La conséquence en sera l'effacement des "frontières qui établissent la différence entre comportement et anticomportement, ordre et anti-ordre":

 

"Le véritable Christ ne peut se manifester que comme faux Antéchrist, ce qui signifie en retour que le véritable Antéchrist vient au monde sous la forme d'un faux Christ dont l'effet (in)visible, aussi visible qu'invisible, est justement le Raskol, c'est-à-dire la situation où ni vrai ni faux ne sont reconnus à aucune des parties."

 

Depuis l'époque du Raskol, la Russie est en état de transe permanente:

 

"C'est-à-dire qu'elle est devenue un champ d'expérimentation dans l'histoire de la perte de capacité à distinguer le bien du mal. Qu'elle est une possibilité chronique de confusion entre salut et condamnation, grâce et péché, paradis et enfer, en bref entre Christ et Antéchrist..."

 

Et Dostoïevski dans tout ça? Eh bien son monde est "un essai de représentation de la Russie en transe", un monde sans issue, qui le mobilise. Car il est bien conscient qu'une restauration de l'ordre ancien est trop simpliste. La beauté sauvera-t-elle le monde? Non, car elle est à la fois diabolique et divine. Alors peut-être faut-il approfondir le gouffre:

 

"Plus on est au désespoir, plus grand est l'espoir de salut en raison du contraste "optique"."

 

D'où son eschatologie active puise-t-elle sa force?

 

"De son refus de la mort, sa vitalité anti-mort, à partir entre autres d'une vision qui d'une manière sans précédent fait du cimetière un lieu bouillonnant de vie."

 

Cette vision est celle de Nicolas Fiodorov, qui a mis au point "un projet de ressuscitation de tous les morts". La mort ne serait pas inéluctable. Elle pourrait être vaincue. Il serait possible de transformer le plus grand mal en plus grand bien.

 

Pour vaincre la mort, il ne manque pas d'imagination sur les moyens technologiques, un véritable visionnaire, et son eschatologie est celle d'un ingénieur, tandis que celle de Dostoïevski, séduit par celle de Fiodorov, est chaotique et fait appel à la grâce qui "n'est ni bonne ni mauvaise":

 

"Elle n'est pas non plus bonne-et-mauvaise, mais silencieuse. Et ...d'or."

 

Aussi les moyens de Fiodorov de parvenir à la ressucitation sont-ils différents de ceux de Dostoïveski:

 

"Les descriptions "maladroites" de la grâce chez Dostoïevski se transforment en projet d'ingénierie fantastique de ressuscitation de tous les morts. La grâce devient plastique, ouvrage et instrument nimbé de grâce dans les mains du fils de l'homme."

 

Friedrich Nietzsche recommandait de "philosopher au marteau". Au début du livre, l'auteur, encouragé par Dostoïevski propose d'empoigner une hache, pour démolir un certain ordre, "pour déterminer la possibilité d'une autre constellation composée à partir des fragments de la démolition".

 

A la fin du livre, l'auteur constate que Dostoïveski a bien fait usage de la hache dans son oeuvre, "recueil de crimes et de meurtres, de viols et de péchés en tous genres, de souffrances innocentes et de passions mortelles, d'actes de violence et de brutalité, de suicides par désespoir ou par idolâtrie, de projets déments ourdis pour l'extermination de l'humanité, et ainsi de suite". Ainsi a-t-il fait "des trous dans le monde" pour "que réapparaisse son "au-delà" à sa frontière mobile":

 

"Toucher la grâce à coups de hache, qui d'autre que Dostoïevski aurait l'audace d'une telle entreprise? Qui aurait pensé que de telles trouées feraient les ouvertures que la grâce se choisit pour se glisser dans le monde?"

 

Cezary Wodzinsky, lui, dans cet essai, avec sa hache, a fait des trous dans la surface de l'oeuvre de Dostoïevski pour se glisser dans son monde et lui donner un sens.

Francis Richard

 

Transe, Dostoïevski, Russie, ou la philosophie à la hache, Cezary Wodzinsky, 136 pages, L'Age d'Homme

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8 avril 2014 2 08 /04 /avril /2014 20:20
"Crois-moi, je mens" de Nadine Richon

Dans un monde de plus en plus virtuel, donc de plus en plus désincarné, les êtres humains restent cependant des êtres qui ont besoin d'aimer et d'être aimés. Seulement l'amour suppose qu'il y ait rencontre. 

 

Parmi les possibilités de rencontres qu'offrent les nouvelles technologies de l'information, il y a les sites de rencontres, bien sûr, mais également les réseaux sociaux tels que Facebook, qui offrent de grandes possibilités.

 

Les personnages de Crois-moi, je mens, le roman de Nadine Richon, évoluent sur ce réseau social.

 

Violette habite la Belgique. Elle est secrétaire. Mais elle a été licenciée. En songeant aux autres, elle s'est investi dans une lutte syndicale pour un plan social qui va s'avérer tout juste acceptable. Divorcée depuis quinze ans, sans enfants, elle vit seule. Elle lit. Elle aime au cinéma "les sentiments, les héros poignants, mais aussi les méchants bourlingueurs". Elle se découvre un goût pour le dessin. Facebook est le lieu où elle partage "son trait de crayon avec un groupe d'amis virtuels".

 

Antonio fait un jour irruption dans sa vie sur ce réseau social. Il lui demande de faire sa connaissance. Sa vie en est changée. Elle recommence à s'aimer elle-même. Elle voit en ce quinquagénaire d'origine sicilienne un futur amant qui ne lui a rien celé de son corps. Car il a fini par lui envoyer en pièce attachée "une photographie exhibant son sexe érigé".

 

Catherine habite Genève. Son mari travaille dans la finance. Ils ont un grand fils, qui fait des études supérieures. Ils n'ont pas de soucis pécuniaires. Ce sont des nantis. Ils ont d'ailleurs un chalet auquel ils peuvent monter quand l'envie leur en prend:

 

"Notre famille appartient aux heureux qui savourent les bienfaits d'une Suisse enchantée où l'on hérite, presque sans effort, d'une résidence secondaire dans un paysage vert et bleu sorti d'une toile de Ferdinand Hodler."

 

Mais, il y a un mais. Au seuil de la cinquantaine, Catherine souffre de constater sur elle des ans l'irréparable outrage, bien qu'elle s'entretienne au fitness et qu'elle y ait découvert un programme de "randonnée vallonnée". Aussi lorsqu'elle fait la rencontre de Mike sur Facebook  finit-elle par être flattée que cet homme lui adresse des poèmes, dont elle n'est pourtant pas sûre qu'ils soient de lui. Elle reste donc sur ses gardes.

 

Le point commun entre ces deux femmes est qu'elles ont reçu toutes deux un message privé de la part d'un homme qui s'est montré très intéressé par elles et qui, au fil des conversations, a eu le don de susciter en elles de sérieux fantasmes. Au point de leur donner envie d'une rencontre réelle et charnelle. Qu'il s'agisse d'Antonio ou de Mike, cet homme, objet de leurs fols désirs, se révèle avoir peu d'activités sur son mur et avoir peu d'amis...

 

En dessous du titre de ce roman, entre parenthèses, se trouve un sous-titre: "Une fable moderne". Et c'est bien d'une fable dont il s'agit, avec sa morale, également moderne.

 

En exergue de son livre, Nadine Richon a mis cette citation d'André Comte-Sponville:

 

"Quoi de plus passionnant que d'aimer ou d'être aimé?"

 

Mais, dans un cas, comme dans l'autre, encore faut-il se méfier des apparences...  L'avertissement vaut autant pour les hommes que pour les femmes.

 

Nadine Richon a adopté pour cette fable le ton qui convient, plein d'autodérision de la part des personnages. Elle a ainsi des bonheurs d'expression qui ne peuvent que ravir le lecteur.

 

Elle dit de Violette:

 

"Pas suffisamment belle, jadis, et déjà trop vieille aujourd'hui, elle s'était définitivement crue inapte au service amoureux [...]"

 

Elle fait dire à Catherine:

 

"Ma pomme se ratatine, ma figure se fissure, ma jeunesse s'accroche encore, mais sa décision est prise, définitive: demain, elle se barre..."

 

Aussi puis-je me permettre de dire au futur lecteur de cette fable:

 

"Crois-moi, je ne mens pas. En la lisant, tu t'instruiras peut-être, mais, sûrement tu ne t'ennuieras pas."

 

Francis Richard

 

Crois-moi, je mens, Nadine Richon, 176 pages, Bernard Campiche Editeur

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5 avril 2014 6 05 /04 /avril /2014 18:45
"Le mascaret des jours" de Claudine Houriet

Pour peu que l'on adopte un certain regard, on peut voir que, dans la vie des gens ordinaires, se passent des choses qui ne le sont justement pas.

 

Claudine Houriet a ce regard, qui n'est malheureusement que très peu partagé.

 

Qu'elle mette cette citation de Cingria en exergue à son livre n'est donc pas insignifiant:

 

"Si l'on ne trouve pas surnaturel l'ordinaire, à quoi bon poursuivre?"

N'est pas non plus insignifiant le titre donné à son recueil de nouvelles: Le mascaret des jours.

 

Sans être surnaturel, le mascaret (terme gascon) est un phénomène naturel exceptionnel. Il se produit au moment des grandes marées, quand des vagues venues de la mer montante l'emportent sur le courant d'une rivière ou d'un fleuve, et la ou le remontent à grande vitesse sur des kilomètres à l'intérieur des terres, élevant de beaucoup le niveau des flots .

 

L'image qu'évoque le titre est donc bien celle d'un phénomène qui, en quelque sorte, transcende les jours et leur confère ce surnaturel qui donne un sens à la vie et permet de la poursuivre.

 

En les lisant de près, qu'elles soient empreintes de rêve ou de poésie, toutes ces nouvelles transportent le lecteur et l'élèvent. Et pourtant aucun des personnages n'est  extraordinaire dans l'acception habituelle de ce terme. Il s'agit toujours de gens simples à qui il arrive quelques merveilles.

 

Comme il y a trente nouvelles, il serait lassant pour le blogueur de les résumer toutes et démotivant pour le lecteur de lui en déflorer toutes les histoires. Quelques exemples devraient suffire à se faire une idée de ce recueil enchanteur et inciter à le lire.

 

Un chauffeur de poids lourd, sans penser à mal, finit par aimer platoniquement une petite fille en rouge qui se tient tous les jours au bord de sa route et à qui il donne un jour une poupée. Ce cadeau est mal interprété par le père, qui le traite de pédophile. Des années plus tard, devenue serveuse dans un estaminet, elle le reconnaît à son tatouage. Ils se souviennent... et il lui ouvre les bras.

 

Avec sa gorge resplendissante et son épaisse chevelure châtain, Viviane attire les hommes comme les fleurs les abeilles. Pendant quatre ans elle échappe au tuteur qui lui a été imposé à la suite des bêtises auxquelles sa candeur l'a conduite. Pendant cette échappée, elle s'est installée dans la maison dont elle a hérité et dont les titres de propriété lui ont été directement remis par erreur par le notaire. Elle y a élevé seule les enfants fruits de ses premières amours et ceux qu'elle a eus depuis avec des beaux gars de passage. Jusqu'au jour où son tuteur la retrouve. Pour lui échapper encore, elle épousera le boucher du coin qui est amoureux d'elle depuis des années...et lui fera peut-être "un bébé rose et grassouillet".

 

Une fois à la retraite, Hervé et sa femme Angèle se sont offert l'abonnement général des CFF et sillonnent le pays. Angèle est passionnée par les lieux, les paysages et les curiosités touristiques. Hervé, lui, s'intéresse à la destinée des gens. Il imagine leur existence et trouve des solutions à leurs problèmes. Après le décès de sa femme, il continue à sillonner le pays, mais cette fois il donne réellement des petits coups de pouce aux destins des gens qu'il rencontre et, le soir, rentré chez lui, par écrit, il en dit "l'essentiel en quelques phrases composées avec soin". Au moment de prendre le dernier train, pour son dernier voyage, en direction de la ligne montagneuse d'un "bleu d'une douceur infinie", il y a foule sur le quai pour lui dire adieu...

 

Avec Le mascaret des jours, Claudine Houriet ouvre dans la vie du lecteur autant de parenthèses heureuses qu'il y a de nouvelles, sans mièvrerie, en racontant tout simplement et en empruntant souvent les voies du rêve ou de la poésie, parfois celles de la peinture ou du surnaturel. Aussi le lecteur ne peut-il y être insensible. Il ne peut que se réjouir de ces parenthèses, à condition, bien sûr, qu'il ait le coeur ouvert aux instants de bonheur qui font la beauté du monde, et qui font que la vie vaut la peine d'être vécue.

 

Francis Richard

 

Le mascaret des jours, Claudine Houriet, 288 pages, Editions Luce Wilquin

 

En librairie dès le 12 avril 2014.

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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