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9 janvier 2015 5 09 /01 /janvier /2015 01:00
"Soumission" de Michel Houellebecq

Le mot d'islam veut dire soumission. Le titre du dernier roman de Michel Houellebecq n'est donc pas choisi par hasard. Car il est effectivement question d'islam dans Soumission et de... soumission.

 

Nous sommes en 2022. En 2017, François Hollande a été réélu et son deuxième quinquennat a été aussi médiocre que le premier. L'histoire débute au moment du premier tour des élections présidentielles qui lui donneront un successeur.

 

Le narrateur, François, aura bientôt 44 ans. Pendant sept ans il a fait une thèse sur Karl-Joris Huysmans, qu'il a soutenue en juin 2007 et qui lui a valu les félicitations du jury à l'unanimité. C'est une thèse de poids - sept cent quatre-vingt huit pages -, devenue depuis lors un ouvrage de référence.

 

Sa voie était toute tracée: "Les études universitaires dans le domaine des lettres ne conduisent comme on le sait à peu près à rien, sinon pour les étudiants les plus doués à une carrière d'enseignement universitaire dans le domaine des lettres - on a en somme la situation plutôt cocasse d'un système n'ayant d'autre objectif que sa propre reproduction, assorti d'un déchet supérieur à 95%."

 

Il est parmi les plus doués. Il deviendra donc professeur de lettres à l'Université Paris III, qui est juste un cran en-dessous de Paris IV...

 

Jeune, François n'a pas eu d'ambition matrimoniale, et considère qu'à son âge il est maintenant trop tard pour y songer. A ses relations amoureuses annuelles et épisodiques d'étudiant avec une de ses petites camarades d'études ont succédé des relations amoureuses annuelles tout aussi épisodiques de professeur avec une de ses étudiantes. Il fait la jonction estivale avec des escort girls...

 

Pendant la soirée électorale du premier tour des élections présidentielles, la candidate du Front national, Marine Le Pen, étant arrivée largement en tête avec 34,1 % des voix et celui de la droite traditionnelle étant éliminé avec 12,1% des voix, il faut attendre minuit pour départager le candidat qui lui sera opposé au second tour: celui du PS ou celui de la Fraternité musulmane, parti créé cinq ans plus tôt. C'est ce dernier candidat, Mohammed Ben Abbes, qui finit par l'emporter, dans un mouchoir, avec 22,3% des voix contre 21,9%.

 

La relation de François avec Myriam, 22 ans, qui ne semble pas l'avoir remplacé, serait-elle plus sérieuse que les autres? Voire. En tout cas il lui est reconnaissant pour tout le plaisir qu'elle lui a donné... Myriam vit chez papa maman. Or, ces derniers sont inquiets de la tournure que prennent les événements en France et décident de partir en famille pour Israël, Myriam comprise, laquelle est bien triste de quitter François, mais lui donne, en guise de cadeaux d'adieu, des plaisirs que de bons musulmans pourraient considérer comme des dépravations... François, pas rassuré non plus - les Universités ont été fermées sine die -, quitte Paris par la route et rejoint Martel dans le Lot...

 

Dans l'entre-deux tours des troubles éclatent. Il est bien difficile de savoir s'il faut les attribuer à des groupes djihadistes ou à des groupes identitaires. Le jour même du second tour, des bureaux de vote sont saccagés, ce qui va conduire à son invalidation et en reporter la tenue à une date ultérieure. Entretemps l'UMP, l'UDI, le PS se rallient à Mohammed Ben Abbes, musulman modéré, pour faire échec au Front national et obtenir des ministères dans le futur gouvernement, qui sera présidé par François Bayrou... Avec ces ralliements les jeux sont faits et l'élection ne se sera finalement pas faite sur l'économie mais sur les valeurs...

 

Avec l'élection de Mohammed Ben Abbes, qui s'avère être un président fort habile et qui ambitionne de reconstruire l'Empire romain en négociant l'entrée dans l'Union européenne du Maroc et de la Turquie, les choses évoluent, mais en douceur, grâce à la participation au pouvoir de tous les partis à l'exception du Front national, c'est-à-dire grâce à leur soumission: la délinquance baisse, le chômage itou ("C'était dû à la sortie massive des femmes du marché du travail - elle-même liée à la revalorisation considérable des allocations familiales"), de même que les dépenses sociales, dont la réduction de 85% est prévue sur trois ans.

 

D'autres changements majeurs interviennent, dans les domaines de l'éducation et de l'économie. La scolarité obligatoire s'arrête à la fin de l'école primaire. Le financement de l'enseignement secondaire et supérieur devient entièrement privé. La Sorbonne, par exemple, Paris III et Paris IV, est désormais financée par les Saoudiens et ne pourront y enseigner que des musulmans. Mohammed Ben Abbes a choisi en matière économique le distributivisme, troisième voie entre le capitalisme et le communisme. Il se traduit, dans la pratique, par la suppression des aides de l'Etat aux grands groupes industriels, par l'adoption de mesures fiscales en faveur des artisans et des auto-entrepreneurs.

 

Absent de Paris pendant plus d'un mois, François a été démis d'office de ses fonctions de professeur d'université. Il touchera en compensation la retraite qu'il aurait touchée à soixante-cinq ans. Cette démission est regrettée par le nouveau président de Paris III, Robert Rediger, qui va employer les grands moyens pour qu'il revienne enseigner dans son université.

 

A cette fin, dans un premier temps, il lui fait proposer par Gallimard de s'occuper de l'édition des oeuvres de Huysmans dans la Pléiade, en qualité de spécialiste reconnu; dans un deuxième temps, il le reçoit chez lui dans son hôtel particulier de la rue des Arènes à Paris où ils ont tous deux une longue discussion sur la religion et la philosophie - Robert s'est converti à l'islam et François fait chez lui la connaissance de ses deux épouses -, et il lui offre un ouvrage de vulgarisation de son cru, Dix questions sur l'islam.

 

Lors d'une réception, Robert explique à François pourquoi il convient de rejeter aussi bien l'athéisme que l'humanisme (là il n'a pas de mal à le convaincre parce que ce mot seul fait vomir François) et lui vante la nécessaire soumission de la femme - les marieuses existent pour trouver aux hommes les épouses qui leur conviennent -, et le retour au patriarcat. Il ne reste plus à François qu'à se convertir, c'est-à-dire à faire soumission aux lois du Créateur, s'il veut meilleur traitement, ne pas avoir à se préoccuper de trouver celles qui partageront sa couche et trouver le bonheur.

 

Ce livre est une fiction qui pourrait pourtant bien se produire un jour en France, pour des raisons purement démographiques (2022 est peut-être une échéance un peu trop proche toutefois pour être plausible). Dans cette hypothèse, Michel Houellebecq construit un scénario on ne peut plus probable, compte tenu de ce qu'on peut savoir des pays dirigés par des musulmans, qui ne sont de loin pas des islamistes radicaux.

 

A lire ce livre superbement écrit, qui a la vertu de le faire rire par moments ("le confit de canard ne paraissait pas compatible avec la guerre civile"), le lecteur ressent cependant un malaise, parce qu'il ne sait pas très bien où l'auteur veut en venir avec ce récit. Mais le sait-il lui-même? Il semble que cette histoire, à partir du moment où il en avait posé les prémices, lui ait échappé et acquis son autonomie de créature littéraire. Quoi qu'il en soit, elle donne matière à réflexion.

 

Son  narrateur de personnage, incapable de vivre pour lui-même, se sent, dit-il au début, "aussi politisé qu'une serviette de toilette". Il semble surtout, ce qui n'est pas incompatible, au contraire, vouloir saisir sa chance quand elle se présente et il n'est pas mécontent, après tout, avec ce changement paisible de régime, d'appartenir à la gent masculine, ce qui est bien confortable et lui permettra d'oublier Myriam...

 

Francis Richard

 

Soumission, Michel Houellebecq, 304 pages, Flammarion

 

Publication commune avec lesobservateurs.ch

 

Livres précédents de l'auteur chez le même éditeur:

 

Configuration du dernier rivage (2013)

La carte et le territoire (2010)

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7 janvier 2015 3 07 /01 /janvier /2015 23:55
"Pensées en chemin" d'Axel Kahn

Le terme de barbare a été utilisé au cours de l'histoire dans plusieurs acceptions: pour les Grecs, barbaros était celui dont le langage non-grec était incompréhensible; pour les Romains, les peuples barbares étaient ceux qui vivaient en dehors des limites de l'Empire; à l'époque moderne, le barbare est l'opposé du civilisé. Et de nos jours, par extension, un barbare est quelqu'un d'inhumain.

 

Comme la barbarie, dans le sens d'inhumanité, est de retour, si elle s'est jamais absentée, il est urgent, pour ne pas devenir barbare à son tour, de se retremper dans l'humanisme. Au-delà des divergences (qui ne se manifesteraient pas sans liberté de pensée et d'expression), la lecture du dernier livre d'Axel Kahn, Pensées en chemin - Ma France des Ardennes au Pays Basque, est susceptible d'y contribuer, tout en étant roborative.

 

En 2013, le généticien, le médecin, l'homme politique Axel Kahn, à soixante-huit ans, a déjà eu une vie bien remplie, mais il va pour la parachever accomplir, sans que ce soit le dernier, un projet vieux de vingt-cinq ans. A la fin des années 80, il lit un livre de Jacques Lacarrière paru en 1977, Chemin faisant, qui raconte le périple de l'auteur, de Saverne dans les Vosges jusqu'aux Corbières:

 

"Aussitôt lu le récit de Jacques Lacarrière, je fis le projet de traverser la France sur ses traces, en une grande diagonale que j'imaginai d'emblée nord-est/sud-ouest mais plus ample que la sienne."

 

Quelles sont ses motivations? Principalement la recherche de la beauté et le partage.

 

La beauté? "La qualité du beau n'a de signification qu'en référence à une espèce capable de l'éprouver, c'est-à-dire en première analyse, aux êtres humains. Est belle toute perception ou sensation susceptible de provoquer une émotion agréable sans lien direct avec une quelconque fonction d'utilité et sans qu'il soit nécessaire d'en fonder l'origine en raison."

 

Le partage? Résolu à marcher seul, il n'en veut pas moins partager son expérience, en différé en publiant un livre à l'issue du périple, mais également pendant celui-ci:

 

"Aussi avais-je pris la décision de susciter des rencontres au-delà de celles liées au hasard, de donner des conférences à certaines étapes et de permettre aux habitants intéressés à me rencontrer d'être informés de ma venue."

 

Il va également utiliser les réseaux sociaux et nourrir son blog de textes - via une tablette - et de photos prises avec un smartphone de dernière génération.

 

Et le 8 mai 2013, c'est le grand départ, après s'être sérieusement préparé physiquement. Car il va parcourir au total deux mille kilomètres, à raison de trente kilomètres par jour, parfois bien davantage, de Givet dans les Ardennes à Saint Jean-de-Luz au Pays Basque (où il arrivera le 1er août 2013). Il part en dépit d'une fracture au poignet qu'il s'est faite l'avant-veille, renversé qu'il a été par un cycliste à Paris...

 

Ce livre n'est pas un récit de voyages comme un autre. Axel Kahn fait part au lecteur de "l'émotion et tout ce qui peut la susciter", notamment la beauté: "Cette dilatation de l'âme que l'on éprouve seul se partage pourtant, elle est don et quête qui requièrent un autre, ici ou ailleurs, prêt à recevoir ou à donner."

 

Le marcheur solitaire n'est pas un pur esprit: "Il y a lui, "je", ses perceptions et ses souvenirs, ses pensées par conséquent et, en plus de tout ça, son corps, un incorrigible bavard!".

 

Il traverse des régions sinistrées, d'autres qui le sont moins, et se demande comment il est possible de considérer la mondialisation comme "heureuse": "Pour un petit nombre de bénéficiaires en France, peut-être, mais pour la masse de citoyens?".

 

Il sent bien que la mondialisation est inéluctable. Mais, si elle cause autant de dégâts en France, n'est-ce pas parce qu'on a refusé de la considérer comme une réalité depuis trop longtemps, et parce qu'on n'a pas cherché à s'adapter en fonction d'elle, comme dans bien d'autres pays? C'est une question qu'Axel Kahn ne se pose pas.

 

De même quand il se pose cette question: "Il faut travailler pour récolter, mais qui sera en mesure d'assurer que, dans ce cas, on pourra en effet moissonner, et que, peut-être, la moisson sera belle?", il n'évoque à aucun moment la confiscation par l'Etat-providence d'une grande part des fruits de ceux qui travaillent. Cela n'est pas surprenant de la part de quelqu'un qui reconnaît que John Maynard Keynes est son "libéral préféré"...

 

Cela dit, il n'est pas loin de comprendre ce qui ne fonctionne pas, quand il parle, pour s'en sortir, de "possibilités dans l'innovation", quand il évoque "des mots-clés de valeur sans doute générale", telles que "diversification" ou "niveau de formation". Mais tout cela n'est possible que si la liberté d'entreprendre n'est pas bridée comme elle l'est en France.

 

De constater que la situation est plus favorable dans les régions "qui n'ont jamais été massivement industrialisées" apporte un argument supplémentaire: les régions massivement industrialisées sont celles où l'Etat est intervenu en faveur d'industries devenues non rentables, avec l'argent de celles qui l'étaient encore, et n'a fait que retarder et accentuer par là-même le désastre, en masquant la nécessité de se reconvertir plus tôt. 

 

Axel Kahn parle davantage au lecteur, me semble-t-il, avec des considérations intemporelles telles que celle-ci: "Ma grande angoisse ne touche pas tant à la vitesse qu'à l'utilisation qui en est faite pour soumettre les esprits à un flux continu de sollicitations, d'informations, d'alertes auxquelles il est important de réagir dans l'instant, de sorte qu'il n'y a plus de temps nécessaire au déploiement de la pensée."

 

Mazarin ne disait-il pas: "Le temps défait toujours ce qui se fait sans lui"?

 

De même le lecteur peut-il communier avec Axel Kahn lorsqu'il définit le patriotisme comme la reconnaissance consciente de chacun, quelle que soit sa patrie, du tribut qu'il lui doit pour avoir été "édifié au sein d'une culture inscrite dans une histoire": "De plus, du fait de mon profond humanisme, il m'apparaît essentiel que chacun puisse offrir aux autres le témoignage des richesses multiples de la société qui l'a accueilli et dans laquelle il s'est construit."

 

Comment ne pas être ému non plus par l'émotion que cet agnostique, qui n'est pas un "combattant de l'athéisme", ressent à Vézelay? "Il émane de Vézelay un faisceau de signes, de symboles dont les sens, celui qu'ont voulu donner les bâtisseurs de la basilique et ceux qui naissent continuellement de la rencontre entre l'oeuvre et l'esprit des visiteurs, ne peuvent qu'être perçus, non connus."

 

Enfin, Axel Kahn, en observateur averti des êtres et des choses, sait les décrire avec beaucoup de sensibilité, de finesse et de style, ce qui est un véritable ravissement pour l'esprit. Il n'a donc pas trompé le lecteur quand il lui affirmait d'emblée que le sens profond de son périple était d'"inscrire dans le chemin d'une existence ce trajet particulier qui veut être une phrase poétique, c'est-à-dire un énoncé dont le but principal est de faire ressortir tout ce qui dans le monde peut engendrer une émotion esthétique".

 

Francis Richard

 

Pensées en chemin - Ma France des Ardennes au Pays Basque, 288 pages, Stock

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5 janvier 2015 1 05 /01 /janvier /2015 01:00
"La Trinité bantoue" de Max Lobe

Le diplôme n'est pas tout dans la vie. Certes c'est, en principe, un passeport pour l'emploi quand on est jeune et qu'on débute dans la vie active, mais pas toujours, même en Suisse, où le chômage est très faible en comparaison des pays voisins. Mwána Matatizo, 24 ans, le héros et narrateur de La Trinité bantoue, de Max Lobe, va en faire la triste expérience et connaître la galère avec son compagnon Ruedi Baumgartner, de cinq ans son cadet. L'existence lui paraîtra tout de même un peu "caillou"...

 

Frais émoulu de l'Uni de Genève, il a tout d'abord trouvé un emploi chez un bantou comme lui, Monsieur Nkamba, qui dirige une petite entreprise de cosmétiques, Nkamba African Beauty, mais il a été licencié par lui. Depuis qu'il a obtenu sa naturalisation et est devenu helvète, en renonçant à la nationalité bantoue, Monsieur Nkamba se prétend helvète de souche et a l'intransigeance des tout fraîchement convertis. Plus helvète que lui, tu meurs...

 

Nous sommes à l'été 2007, année d'élections fédérales. Alors qu'il se rend au Tessin, où sa soeur Kosambela habite et travaille pour les Soeurs-Managers, Mwána a l'oeil attiré par une affiche: "On y voit trois moutons blancs sur un paisible pré carré rouge marqué d'une croix blanche. Un de ces moutons blancs, souriant, chasse de cet espace, à coups de pattes arrière, un mouton noir." Ce qui lui rappelle que son père, militaire dans l'armée régulière du Bantouland, employait cette expression de "mouton noir" pour qualifier les traîtres ou les mauviettes...

 

Comme Ruedi, auquel le lie un partenariat enregistré, ne cherche pas de travail, Mwána accepte, pour survivre, un stage de trois mois dans une ONG, mais, entre-temps, en attendant d'être payé - c'est-à-dire de recevoir du "gombo" - au bout de son premier mois, il leur faudra, à lui et à Ruedi, pour joindre les deux bouts, aller chercher des vivres aux Colis du Coeur et faire une demande au Service Social, où ils seront reçus par un présumé bantou, Mazongo Mabeka, devenu aussi helvète que Monsieur Nkamba...

 

L'ONG, World Peace and Love Organisation, chez laquelle Mwána est devenu stagiaire, est justement partie en guerre contre le MNL, parti propagateur de l'affiche au mouton noir, "qui occupe toutes les bouches", à l'époque, et que l'on "mange à toutes les sauces": "D'aucuns disent qu'il n'y a rien de méchant là-dedans. C'est juste une expression commune, ils argumentent. Un mouton noir, c'est simplement une personne plus ou moins différente de ses congénères. Rien de plus. D'autres en revanche soutiennent qu'il y a, là-dedans, une manifestation flagrante de discrimination envers les étrangers."

 

Toujours est-il que Mwána, à un moment donné, voyageant dans un train, cherche "à sortir de ce monde où une affiche peut tant remuer les esprits". Il raconte de même le décalage qu'il y a entre lui, dont le ventre "chante", et ceux qui manifestent à Lausanne "contre l'affiche de la discorde", à l'appel notammment de l'ONG pour laquelle il travaille et pour laquelle il a créé un site Internet avec forum...

 

Dans le même temps, la santé de la mère de Mwána et de Kosambela, Monga Míngá, qui se trouve au Bantouland, se dégrade. Elle est atteinte par le crabe. C'est du moins ce que les "docta" de là-bas ont diagnostiqué. Comme Kosambela est dans les bonnes grâces des Soeurs-Managers qui l'emploient, elle parvient à faire entrer sa mère dans la clinique San Salvatore qu'elles administrent au Tessin et où le diagnoctic cancéreux est confirmé par le "docta" Bernasconi.

 

Mwána, dans la suite de ce roman, fait le récit de ce qui lui arrive une fois son stage terminé dans son ONG et de ce qu'il advient de sa mère aux prises avec la maladie, avec pour toile de fond le climat politique de cette fin d'année 2007. Ce qui lui donne l'occasion de souligner les ressemblances et différences entre les bantous et leurs "cousins" helvètes... et de relever les préjugés qui caractérisent les uns comme les autres.

 

Le manège des croyances n'est pas absent du récit. Bien au contraire. Monga Míngá continue de parler en Suisse de la Trinité bantoue, "de Nzambé, Dieu le père. De Élôlombi, Dieu des esprits, qui planent sur nos âmes, entre ciel et terre. Et des Bankóko, nos Ancêtres qui veillent sur nos vies et répondent à nos désirs les plus profonds".  Et, bien que catholique, Kosambela ne craint pas de prier également cette trinité africaine...

 

La fin inattendue de l'histoire, qui se lit d'une traite, ne manque pas d'humour. Un humour d'ailleurs présent tout le long du récit, écrit dans un style imagé, très coloré, où la langue française s'enrichit pour le plus grand plaisir du lecteur, d'expressions "bantoues"... telles que "laisse l'affaire-là par terre", pour dire laisser tomber, ou "les états dames", pour évoquer des amours particulières...

 

Francis Richard

 

La Trinité bantoue, Max Lobe, 208 pages, ZOE

 

Livre précédent chez le même éditeur:

 

39 rue de Berne

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2 janvier 2015 5 02 /01 /janvier /2015 23:55
"Jacques Laurent à l'oeuvre" d'Alain Cresciucci

Jacques Laurent (1919-2000)? Connais pas. C'est la réponse à laquelle il faut s'attendre de la part des contemporains. Car, aujourd'hui, qui connaît Jacques Laurent, hormis les happy few qui l'ont lu de son vivant? Jacques Laurent n'est d'ailleurs pas méconnu, il est oublié. Lui qui n'était pas vaniteux, mais qui avait l'orgueil de penser non pas que lui-même, mais qu'une partie de son oeuvre passerait à la postérité...

 

Pourtant, comme le rappelle Alain Cresciucci, dans le prologue du livre qu'il consacre justement à son oeuvre: "Jacques Laurent est certainement un des rares romanciers dont personne ne se vante d'avoir lu les oeuvres complètes. Sa production est impressionnante."

 

Sous son nom il a en effet publié onze romans de 1947 à 2000 (auxquels il faut ajouter onze essais et deux autobiographies), et, de 1948 à 1987, sous celui de Cecil Saint-Laurent, trente-neuf romans (en principe, car sa bibliographie est "embrouillée") sans compter ce qu'il a publié sous ses dix-sept autres pseudonymes répertoriés à la Bibliothèque Nationale de France.

 

Pourquoi cet oubli? Parce qu'il était qualifié d'"écrivain de droite". Pourquoi? Parce qu'il avait un passé de fonctionnaire de Vichy et qu'il avait été Algérie française... Des crimes impardonnables pour la bien-pensance, qui, quand ça l'arrange, confond l'homme et l'oeuvre pour rejeter commodément cette dernière, fût-elle d'importance. On n'a curieusement pas de tels scrupules pour le passé trouble d'écrivains dits de gauche...

 

A ces taches biographiques infâmantes, il faut ajouter une tache supplémentaire: Jacques Laurent a prôné après-guerre, au contraire d'un Jean-Paul Sartre, le désengagement en littérature, qui, selon lui, ne devait pas être mise au service d'une politique. Alors qu'il s'est engagé personnellement dans l'affaire algérienne, dans les romans qu'il lui a consacrée, Laurent, conséquent avec lui-même, a "essayé de comprendre tous les combattants et non décidé d'arroser les uns de crème fraîche, les autres de savon noir".

 

Quand, dans les années 50, il crée La Parisienne de ses deniers - grâce au succès de Caroline chérie -, cette revue "est un modèle rare de libéralisme: ses contributeurs venaient de presque tous les bords, en tout cas ne furent jamais choisis en fonction des prédilections réelles ou supposées du patron. Jacques Laurent aimait à le souligner, on pouvait dans le même numéro émettre des opinions opposées sur un sujet ou exercer un droit de réponse... et les controverses externes et internes n'ont pas manqué..."

 

Bien que représentant de la droite la plus réactionnaire, disait-on, Jacques Laurent a pris des positions sociétales on ne peut plus libérales (sur la libération sexuelle, le divorce, l'avortement) et s'est avéré féministe: "Dès Caroline, Laurent est fasciné par le pouvoir féminin face à l'illusoire puissance masculine; même dans les situations subies ou désirées de soumission, la femme reste paradoxalement, maîtresse du jeu alors que l'homme, mécanique et cérébral, est toujours à la merci du fiasco (grand thème stendhalien)."

 

Le livre d'Alain Cresciucci a le mérite de faire visiter ou revisiter l'oeuvre méconnue ou oubliée de Jacques Laurent. Quand il signe sous son nom, ses livres sont plus exigeants littérairement parlant que quand il les signe Cecil Saint-Laurent: même s'ils sont le fruit d'une documentation historique importante, ne les dicte-t-il pas à deux dactylos?

 

S'appuyant sur les romans de Jacques Laurent et de son double, ainsi que sur ses oeuvres autobiographiques Histoire égoïste et Moments particuliers, l'auteur montre la proximité, voire l'intrication entre les premiers et les secondes. Ce que Jacques Laurent, de son côté, avait relevé chez Henri Beyle, dans son Stendhal comme Stendhal.

 

Cresciucci souligne également ce trait commun entre Laurent et Stendhal, "le besoin de littérature pour "dramatiser son quotidien"". Ces rapprochements permettent de voir à quel point Jacques Laurent, tout comme Stendhal, a essayé de faire de sa vie une oeuvre et inversement.

 

S'il fallait recommander des livres de Jacques Laurent, peut-être faudrait-il citer Les Corps tranquilles, que Laurent considérait comme son roman, Les Bêtises (Goncourt 1971), que Cresciucci considère comme un livre difficile (mais que j'ai lu deux fois de suite à l'époque pour en faire une recension), L'Inconnu du temps qui passe.

 

Le stendhalien (celui qui est attaché aux plaisirs que procure la lecture de Stendhal) pourrait bien sûr préférer aux livres précédents, La fin de Lamiel, signé Jacques Laurent, auquel Gérard Genette rend justice à sa parution: "Tout cela me semble fort bien venu et d'un esprit plus stendhalien que Stendhal lui-même."

 

S'il fallait recommander des livres de Cecil Saint-Laurent, peut-être faudrait-il citer, plutôt que Caroline chérie, Hortense 14-18: Kléber Haedens ne disait-il pas, dans Une histoire de la littérature française, qu'il reste "le meilleur roman sur la Grande Guerre"?

 

Alain Cresciucci termine son livre en évoquant la fin tragique de l'écrivain: "Jacques Laurent s'est suicidé le 29 décembre 2000. La version officielle des agences signalait simplement sa mort à son domicile parisien."

 

Cresciucci ne cite pas que le 27 mars 2003, Frédéric Vitoux y fait allusion dans son discours de réception à l'Académie française, où il succède au siège de Jacques Laurent:

 

"À un journaliste, quelques semaines plus tard, il avoua qu’il venait de lire Le Vicomte de Bragelonne.

Celui-ci ne comprit sans doute pas la portée d’un tel aveu. Une façon à peine déguisée de laisser prévoir que le 29 décembre 2000, à trois jours d’un nouveau millénaire dont il se souciait bien peu, un grand écrivain allait prendre congé de nous."

 

En effet Jacques Laurent, grand admirateur d'Alexandre Dumas, s'était toujours refusé, jusque-là, à lire ce livre "pour ne pas voir mourir Porthos"...

 

Mais Cresciucci cite le discours d'hommage d'Hélène Carrère d'Encausse lors des obsèques de Bertrand Poirot-Delpech, le 17 novembre 2006, où elle fait cette allusion sans ambiguité à la mort volontaire de l'écrivain:

 

"Nous nous sommes trouvés tous deux, seuls, un jour d'hiver auprès de Jacques Laurent, qui avait décidé d'en finir avec la vie. Arrivés trop tard pour l'en empêcher, nous sommes restés plusieurs heures à son chevet, assurant une veillée funèbre fraternelle pour tenter de compenser la solitude et le désespoir qui avaient conduit notre confrère à la mort."

 

Christophe Mercier, ami de Jacques Laurent, en septembre 2011, dans L'Atelier du roman n°67, dévoile cet ultime secret: Jacques Laurent avait décidé, dès 1999, de ne pas franchir le seuil du troisième millénaire...

 

Quand les querelles se seront tues, le troisième millénaire redécouvrira l'oeuvre de Jacques Laurent et lui assurera une gloire posthume...

 

Francis Richard

 

Jacques Laurent à l'oeuvre - Itinéraire d'un enfant du siècle, Alain Cresciucci, 384 pages, Pierre Guillaume de Roux

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31 décembre 2014 3 31 /12 /décembre /2014 15:45
"Oona et Salinger" de Frédéric Beigbeder

Le roman est un genre littéraire indéfinissable, multiforme, que chaque auteur façonne à son image, que chaque lecteur s'approprie comme il l'entend. Le roman est, au fond, essentiellement, libertaire.

 

Qu'importe le nombre de pages, le contenu ou la forme, pourvu qu'il comporte une dose de fiction, fût-elle modeste, et qu'il éveille l'intérêt du lecteur par sa richesse humaine. C'est dire son élasticité.

 

Dans Oona et Salinger, Frédéric Begbeider, se permet ainsi des licences, que seul le genre romanesque autorise. Et il le fait avec beaucoup de sympathie communicative pour ses personnages.

 

En effet, à partir de quelques documents seulement, l'auteur raconte la brève, et longue, liaison chaste, et sensuelle, entre Oona O'Neill, fille du prix Nobel de littérature (1936), le dramaturge américain Eugene O'Neill, et  J.D. Salinger, auteur britannique de nouvelles et du célèbre roman The Catcher in the Rye - L'Attrape-coeurs (1951).

 

Frédéric Beigbeder a écrit son livre à Guéthary, Pau et Genève, de 2010 à 2014. Il s'agit donc d'une oeuvre qui a mûri pendant quatre ans, en même temps que l'auteur, dont quelques épisodes personnels se mêlent au récit et le fondent.

 

L'affaire, au sens anglais du terme, entre les deux jeunes gens, se passe principalement entre 1940 et 1945, sur fond de Deuxième Guerre Mondiale. Ils font connaissance à New-York, au Stork Club, en 1940. Elle a quinze ans, lui vingt et un. Elle est entourée de deux riches héritières, Gloria Vanderbilt et Carol Marcus, lui est seul.

 

Jerry a le coup de foudre pour Oona. Pourtant, lors de cette première rencontre, ils ne se parlent pas vraiment: "De temps en temps, l'un ouvrait la bouche pour commencer une phrase, mais ne la prononçait pas. L'autre essayait à son tour mais rien ne sortait, hormis quelques volutes de Chesterfield. Ils cherchaient des choses à se dire qui ne soient pas des banalités. Ils sentaient qu'il leur fallait être digne l'un de l'autre. Que parler ensemble devait se mériter."

 

Oona ne sait pas aimer mais veut bien se laisser aimer par Jerry. Cela tombe bien: "Jerry a cette vision de l'amour à vingt et un ans, quand il rêve d'Oona la nuit: l'amour est plus beau quand il est impossible, l'amour le plus absolu n'est pas réciproque. Mais le coup de foudre existe, il a lieu tous les jours, à chaque arrêt d'autobus, entre des personnes qui n'osent pas se parler. Les êtres qui s'aiment sont ceux qui ne s'aimeront jamais."

 

Pendant le temps que durera leur relation, ils s'embrasseront, se caresseront, dormiront ensemble, mais n'iront jamais plus loin: "Bien que très attirés l'un par l'autre, Jerry et Oona étaient complètement tétanisés sexuellement, parce que personne ne leur avait expliqué comment on faisait l'amour, ni comment sortir de leur abominable blocage énamouré. Trop respectueux, Jerry n'osait pas la brusquer et de son côté, Oona était trop intimidée pour l'encourager (et très effrayée à l'idée de tomber enceinte)."

 

Le tournant de cette idylle est pris quand Jerry décide de s'engager sous les drapeaux alors qu'il aurait pu échapper, pour raisons de santé, au service militaire obligatoire décrété par Roosevelt: "Lors de sa visite médicale, le médecin des armées lui avait diagnostiqué une insuffisance cardiaque." En fait, il ne veut pas reprendre l'entreprise de son père... et puis "Salinger, amoureux d'Oona, écrit qu'il faut détruire l'autre avant d'être détruit. Aimer est beaucoup trop dangereux.".

 

En fait, Jerry ne se fait pas d'illusion: "Jerry a choisi de partir à la guerre avant d'être tenté de faire souffrir Oona, ou de souffrir à cause d'elle. Il se doutait bien qu'Oona ne l'attendrait pas. Cela ne l'empêcha pas d'être brisé quand elle le remplaça." Il sera d'autant plus brisé parce qu'elle le remplacera par Charlie Chaplin, qui est âgé de cinquante-quatre ans... et qu'elle épousera à tout juste dix-huit.

 

Beigbeder fait, à propos de la différence d'âge entre Oona et Charlie, un plaidoyer, qui pourrait bien être pro domo - il s'est remarié cette année avec Lara Micheli de vingt-cinq ans sa cadette (il parle d'elle à la fin du roman): "Je ne comprends pas pourquoi les hommes mûrs attirés par la chair fraîche choquent certaines personnes alors que c'est le couple idéal prôné par Platon dans Le Banquet."

 

En dehors de celles qu'il consacre à la relation d'Oona et de Jerry (les dialogues entre eux sont des morceaux d'anthologie), les plus belles pages du livre de Beigbeder, sont peut-être, même si elles sont dures et cruelles, celles où, se substituant à Jerry (dont la famille Chaplin a refusé de lui donner accès à la correspondance), il raconte épistolairement à Oona la guerre terrible qu'il vit en Europe pendant les années 1944-1945, et dont il sortira à jamais traumatisé, incapable même d'en parler.

 

Francis Richard

 

Oona et Salinger, Frédéric Beigbeder, 336 pages, Grasset

 

Frédéric Beigbeder recommande le premier et dernier essai d'Oona comme comédienne, accessible sur YouTube. Il s'agit d'un casting filmé par Eugene Frenke pour The Girl from Leningrad. Elle a dix-sept ans.

 

Beigbeder commente: "Avouez qu'elle mange litéralement l'écran. La caméra est amoureuse de ses traits enfantins, le réalisateur en bafouille. Il s'adresse à elle comme s'il parlait à une orpheline trouvée au bord de la Volga. Il lui demande de tourner la tête pour voir ses deux profils qui sont exquis. Elle rit, d'un rire embarrassé, timide, mutin et craquant. Elle a une fragilité qui aspire le regard, malgré ce fichu absurde qui cache sa crinière brune de femme fatale. Regardez ses sourcils posés comme deux apostrophes sur son regard pétillant. Ecoutez sa voix cristalline quand elle demande, avec la politesse d'une reine: "Shall I turn over here?" Soudain, l'équipe qui se permet de lui donner des ordres semble une bande de grossiers malotrus. Ils sont tous conscients de l'honneur qu'ils ont de respirer dans le même studio que cet ange radieux et réservé..."

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22 décembre 2014 1 22 /12 /décembre /2014 21:55
"Le Raid américain" de Charles-Henri Favrod

Les insurgés d'Amérique du Nord ont déclaré leur indépendance le 4 juillet 1776, après une guerre menée contre la mère-patrie, qui décidait du sort de ses citoyens du Nouveau Monde sans les consulter, qui, surtout, leur infligeait taxes et impôts toujours plus lourds et tentait "de leur imposer des monopoles pour certains produits comme le thé au détriment des négociants américains".

 

Depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu'au début du XXe, les Etats-Unis se sont constitués progressivement, particulièrement en conquérant les territoires situés à l'ouest des treize colonies britanniques originelles, ce que la Grande-Bretagne leur avait toujours interdit d'entreprendre quand elle les tenait en son pouvoir.

 

Charles-Henri Favrod appelle cette prodigieuse aventure Le Raid américain et lui consacre un livre illustré de photographies qu'il a réunies dans les années 1960, livre qui pourrait être une excellente idée de cadeau pour ceux que fascine l'épopée américaine et qui aiment les documents photographiques révélateurs.

 

Comme le dit Edith Bianchi dans sa préface, l'auteur ne prétend pas à l'exhaustivité avec cette rétrospective (le document le plus ancien est un daguerréotype de 1844, le plus récent une photo de 1918): "Le choix de ces images résulte de l'intérêt pour des photos singulières, leur capacité à évoquer des moments d'histoire, des espaces vides de toute présence humaine, des situations quotidiennes qui constituent en quelque sorte des preuves à l'appui."

 

Ces images, en grand nombre, sont bien en effet des preuves à l'appui des textes de Charles-Henri Favrod, où il est bien entendu question:

 

- de la Constitution américaine: "Texte qui a fait ses preuves, puisqu'il a survécu à une guerre civile et à deux conflits mondiaux pour devenir la doyenne des Constitutions du monde.";

 

- de l'esclavage: "L'esclave était le produit de la société qui le maintenait sous le joug.";

 

- de la Guerre de Sécession: "la première des guerres modernes" et "la dernière des guerres traditionnelles";

 

- de la religion protestante, dominante sous la forme de ses multiples sectes, telles que le puritanisme: "Le puritanisme enseignait que le travail et l'initiative d'un individu sont bénis du Ciel.";

 

- des amish: "Non conformistes et rigoureusement pacifiques, les amish ne reconnaissent ni le pouvoir judiciaire ni celui de la police et refusent le service militaire.";

 

- de l'extrordinaire expansion urbaine et industrielle américaine de l'après-guerre civile grâce aux innovations, à l'"union de la science et de la machine", à l'organisation méthodique du travail et à l'immigration;

 

- de la poussée vers l'Ouest, de la lutte contre les Indiens et de la ruée vers l'or;

 

- des conducteurs de troupeaux: "C'était un dur, un épique travail car il fallait rester des jours et des nuits en selle.";

 

- des chemins de fer: "En enrichissant la prairie, le train assurait la prospérité de toute la nation.";

 

- du pétrole qui, "à partir de 1859, commence à remplacer l'huile de baleine dans les usines et les foyers domestiques".

 

Charles-Henri Favrod termine ainsi sa belle rétrospective, servie par une précieuse et riche  iconographie:

 

"En 1918, c'est la victoire! Le raid américain de l'Eastern et du Western s'achève. Le canal de Panama relie l'Atlantique et le Pacifique. Et peut donc commencer le raid universel, toute la planète et même la Lune incluse."...

 

Francis Richard

 

Le Raid américain, Charles-Henri Favrod, 160 pages, Bernard Campiche Editeur

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21 décembre 2014 7 21 /12 /décembre /2014 22:30
"Le crépuscule des hommes" de Philippe Testa

Comme toutes les époques de grandes mutations, la nôtre suscite des peurs collectives. Ces peurs sont alimentées par des Cassandre, qui se déclarent incomprises et inaudibles du grand public, alors qu'elles trouvent au contraire des échos complaisants et massifs dans tous les médias, friands de sensations qui font vendre. "Fais-moi peur" est en effet plus vendeur que "Fais-moi un câlin". Aussi les médias orchestrent-ils en boucle des rengaines serinées depuis des années.

 

Il en est ainsi, par exemple, du prétendu dérèglement climatique (comme s'il existait un ordre climatique), qui serait prouvé par des études scientifiques. Quand on y regarde de plus près, il s'agit d'études commanditées par des organismes internationaux qui ne peuvent justifier de leur existence qu'en jouant les prophètes de malheur sous peine de se voir priver des mannes gouvernementales.

 

Les médias sont tellement acquis à ces Cassandre qu'ils se gardent bien de parler des milliers de scientifiques, principalement anglo-saxons, qui, sans qu'il soit possible de les qualifier de climato-sceptiques ni même de les accuser d'être financés par des lobbys pétroliers, s'opposent à la pensée unique en matière de climat.

 

Ces scientifiques confirment, très clairement, avec l'humilité qui sied aux vrais chercheurs, par des études scientifiques celles-là, que la science du climat n'est pas une science établie et qu'il reste plus d'incertitudes que de certitudes à son sujet.

 

Dans Le crépuscule des hommes, Philippe Testa reprend à son compte les justifications pseudo-scientifiques de ces peurs climatiques, et y ajoutent d'autres visions apocalyptiques (l'étymologie d'apocalypse est révélation), qui relèvent d'une nouvelle religion révélée aux hommes par de nouveaux prêtres.

 

Le roman de Philippe Testa comprend en effet quatre sortes de chapitres: des chapitres où il met en scène Beat Hofner et son ami de trente ans, Alder Delgado; des chapitres qui sont consacrés à l'un ou à l'autre de ces deux protagonistes; des chapitres où l'auteur traite de quelques grands thèmes.

 

Ces quelques grands thèmes ont trait aux menaces qui planent sur l'humanité (surpopulation, puis extinction de l'espèce humaine etc.) et sur la planète (réchauffement etc.) et qui engendrent des peurs irrationnelles. Il faut reconnaître que l'auteur s'est documenté, mais qu'il a tout de même privilégié certaines sources, celles du mainstream, plutôt que d'autres.

 

Pour rester dans la pensée unique, d'autres chapitres mettent en cause le système économique qualifié de libéral (marketing de masse, croissance obligée, progrès indéfini, technologie incontournable etc.), qui conduirait à l'appauvrissement général, à la servitude (grégarisme, individualisme trompeur, consumérisme) et à des inégalités de plus en plus criantes.

 

Philippe Testa est plus convaincant quand il aborde la vie quotidienne, qui reflète bien notre époque, d'Alder (marié à Livia, père de Matteo) et de Beat (divorcé d'Erika, père de Delia et d'Adam), que ce soit chez eux ou dans leur milieu professionnel. Le premier étant un féru de technologie tout en étant conscient qu'il est devenu accro comme la multitude, le second étant adepte de la religion réchauffiste.

 

Alder comme Beat connaissent, de même que nombre de leurs semblables, un mal être qu'ils ont du mal à analyser eux-mêmes et qu'ils résoudront en prenant du recul, chacun à sa manière. Aux peines d'amour perdues, succèderont des joies d'amour gagnées. Comme quoi, il est des permanences dans les dédales de l'âme humaine.

 

Les chapitres de déclamations générales pourraient nuire à ce roman touffu, qui a, entre autres qualités, d'être une peinture fidèle de l'esprit du temps. Mais, comme Philippe Testa les a écrits avec beaucoup de souffle et beaucoup de style, ces égarements crépusculaires lui seront pardonnés par le lecteur qui n'est pas du tout convaincu par ses élucubrations.

 

Francis Richard

 

Le crépuscule des hommes, Philippe Testa, 372 pages, L'Âge d'Homme

 

PS

 

Le roman de Philippe Testa se passe principalement à Lausanne. Comme le solstice d'hiver se produit cette nuit, pour contrebalancer la couverture du livre qui représente un squelette blanc sur fond noir, voici une photographie en couleur du crépuscule de ce soir sur le Léman, à Ouchy:

"Le crépuscule des hommes" de Philippe Testa
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19 décembre 2014 5 19 /12 /décembre /2014 23:45
"L'assassinat de Rudolf Schumacher" de Bastien Fournier

L'assassinat de Rudolf Schumacher est un polar. C'est d'accord. Mais c'est surtout un roman à grosses clés. Certes, dans quelques décennies, pour peu qu'il soit encore lu, ses grosses clés n'intéresseront plus personne, et ce sera tant mieux.

 

Car de telles clés ouvrent des serrures de circonstance et portent préjudice aux qualités de style de son auteur, Bastien Fournier, en détournant sur elles l'attention de celui qui le lit, comme de celui qui se dispense de le lire, pour le débiner ou l'encenser.

 

Les lieux où se déroulent l'intrigue, présentés comme imaginaires ne tromperont personne. Du moins en Suisse. Le polar commence en effet, tout de go, par cette description:

 

"Imaginez, je vous prie, une vallée encaissée, large de trois à quatre kilomètres, enserrée de part et d'autre par deux barrières de montagnes de trois à quatre mille mètres, traversée d'un bout à l'autre par un fleuve au cours contraint dans deux digues parallèles et comparable à la grande arête d'un poisson."

 

La ressemblance de la victime de l'assassinat, Rudolf Schumacher, avec un homme politique, récemment élu au gouvernement de cette vallée encaissée ne peut être fortuite. Il suffit de lire cette autre description, pour être fixé sur l'identité de cet homme, croqué dans sa salle de bains:

 

"Le bruit de la douche résonna dans l'appartement. Il défit l'élastique qui formait un catogan sur sa nuque. Ses longs cheveux s'épanouirent sur ses épaules. On aurait dit une publicité pour un savon masculin, un motard à la douche après une longue et dure journée de route dans les sables du désert."

 

En l'occurrence la victime est présentée comme ayant bien mérité le sort qui lui échoit.

 

D'abord, c'est un méchant, proche des milieux d'extrême-droite et révisionnistes. Ensuite c'est un démagogue: "La simplification des discours lui valait d'être compris. La mauvaise foi de ses arguments rencontrait celle de nombreux citoyens." Enfin c'est un pseudo homme de lettres: "Des textes abasourdissants de fadeur rencontrèrent des applaudissements nourrris."

 

Bref, cet homme, au grand destin, serait en fait "un nul et un médiocre".

 

Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que ce Rudolf, totalement déconsidéré dans le livre, finisse son existence répugnante en recevant en plein front une balle tirée à courte distance: "On avait tué Rudolf Schumacher. On avait osé." Son comportement avec les femmes achève d'ailleurs d'en faire une belle ordure, puisqu'il est capable aussi bien de séduire et d'être tendre que de harceler. 

 

Alors le lecteur est invité à ne pas verser de larmes sur sa dépouille, à se réjouir que l'auteur du crime ne soit pas puni et que ce forfait soit mis sur le dos de quelqu'un d'autre qui ne pourra pas se défendre, et pour cause. A défaut d'aboutir à la vérité, cette fin arrange tout le monde. L'ordre public, un moment fortement troublé, après cet "assassinat politique", par des violences partisanes, est rétabli.   

 

Pourtant ce polar n'est pas seulement un réquisitoire caricatural et radical contre le modèle dont il s'inspire. Les projecteurs dirigés sur le personnage de Rudolf Schumacher n'en éclipsent heureusement pas d'autres, plus crédibles parce que dépeints avec humanité et nuances. "Tout ce qui est excessif est insignifiant", disait Talleyrand, à juste titre... 

 

Ainsi le policier, Armand Fauchère, ne se remet pas de la mort de sa femme Florence: "Il pensait à Florence. Elle continuait de lui manquer, lui manquait de plus en plus, comme si le temps, au lieu d'estomper le souvenir du bonheur, l'augmentait, nous faisait voir la tristesse où nous laisse sa privation et n'accentuait guère que le regret de ce qui n'est plus."

 

Marguerite, amante de Rudolf, a été attirée par sa "puissance brute, animale": "Ça n'avait été à l'origine qu'un jeu de séduction, un défi qu'elle s'était lancé à elle-même. Pourrait-elle approcher cet homme que tout le monde haïssait ou adulait, mais face auquel personne ne demeurait indifférent? Il y eut un premier rendez-vous, puis un deuxième, un troisième et elle n'avait plus compté."

 

Les descriptions de lieux, comme celle citée plus haut, sont d'un écrivain: "L'endroit était sinistre, mal éclairé, coincé entre la voie ferrée, d'un côté, et la zone industrielle de l'autre. Du béton partout. Les silhouettes des grues donnaient dans la nuit l'impression d'un peuple immobile. La seule végétation était celle des forêts qu'on devinait sous la neige striée par les branches des sapins."

 

Dans sa préface de novembre 1969 au roman La pêche miraculeuse de Guy de Pourtalès, François Nourissier écrivait:

 

"Quand un roman est loyalement daté, il ne vieillit pas. il ne prend pas de rides, mais une patine."

 

Celui de Bastien Fournier prendra certainement quelques rides, mais aussi de la patine.

 

Francis Richard

 

L'assassinat de Rudolf Schumacher, Bastien Fournier, 160 pages, L'Aire

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18 décembre 2014 4 18 /12 /décembre /2014 23:45
"Tournez manège!" de Dominique Brand

Le monde virtuel est comme tous les mondes. Il peut être aussi bien le lieu de belles rencontres que de mauvaises. Aussi, pour se garder de ces dernières, faut-il y adopter des comportements similaires à ceux qu'il convient d'avoir dans la vie réelle: avoir confiance mais ne pas être naïf, ne pas se fier aux apparences, garder le sens de la mesure etc.

 

Dans les nouvelles de Tournez manège!, qui se passent dans cette bonne ville de Lausanne, Dominique Brand, qui connaît bien la capitale vaudoise, où il vit et travaille, explore le côté noir du monde virtuel des sites de rencontres sur Internet et du monde réel où le sexe est roi. Comme il est publié chez BSN Press, cela n'étonnera pas l'habitué de cette maison d'édition, qui s'en est fait une belle spécialité et dont les couvertures des livres annoncent d'ailleurs franchement cette couleur.

 

La première de ces nouvelles, dont le titre est celui du livre, met en ligne Jérôme, un divorcé, qui renoue par hasard, ou par chance, dans la vraie vie avec Véronique, une ex. Mais, comme leurs ébats s'espacent dans le temps et qu'elle est mariée avec Sylvain, cet intermittent du pajot consulte à nouveau le site libertin qu'il fréquentait auparavant. Sa vie se résume alors à "métro, boulot, sexnet et dodo". Jusqu'au jour où il fait la rencontre de trop...

 

Dans L'automne de Vénus, Jean-Raymond rencontre dans la vie réelle Marine, dont le pseudo est Féline, après avoir chatté avec elle sur un site où il se présentait sous le pseudo de Mustang 69. Marine n'est pas vraiment son genre de femmes. Il aime les "petits gabarits, femmes sportives, parfois avec de délicieuses rondeurs", alors qu'elle est "grande, charpentée, des solides cannes, la cuisse robuste, les fesses imposantes". Pourtant le courant passe et ils se retrouvent chez lui. Jean-Raymond va alors de surprise en surprise...

 

Dans Le toboggan sous gare, Ariane, secrétaire de direction, est tombée enceinte il y a quinze ans des oeuvres d'un jeune homme plein d'avenir qu'elle a épousée, mais qui mettra quelques années à obtenir le poste qui lui était promis. Aujourd'hui son mari l'ignore "au point de ne plus même lui avoir fait l'amour au cours des deux dernières années". Alors, à ses moments perdus, Ariane, qui heureusement travaille, se connecte au site "j'ai du plaisir avec toi.com". Sa première rencontre réelle avec son amant de ligne, Jacques, s'avère plus qu'aventureuse...

 

Ceylan est une transexuelle d'origine turque qui, juchée sur son tabouret-bar, a une connaissance approfondie des hommes qui fréquentent les cabarets. Vers trente-deux, trente-trois ans, elle songe à se ranger, mais les sites de rencontre ne l'inspirent pas. Aussi finit-elle par emménager avec un pilier de cabaret, un paysan bernois, divorcé, la trentaine solide, père de deux fillettes. Mais cet homme aime le cabaret et y retourne de plus en plus souvent: Capri c'est fini. Si bien qu'un jour Ceylan fait ses valises. La suite montre que le monde réel peut, aussi bien que le monde virtuel, réserver bien des vicissitudes à celle qui le parcourt...

 

Les sites de rencontres sur le Net ne sont plus ce qu'ils étaient. De toute façon, depuis qu'il a rencontré Rebecca, il y passe moins de temps et roucoule "mollement à des oreilles virtuelles afin d'entretenir la flamme de son désir". En fait, lui et Rebecca sont très dissemblables et, quand elle décide d'aller passer des vacances Sous le ciel de Toscane, un accident de moto survient, semble-t-il, opportunément, puisqu'il l'empêche d'aller s'y ennuyer. Pour peupler son ennui devenu lausannois, il se remet toutefois à "draguer en virtuelle". Sa rencontre réelle avec Délice, c'est-à-dire, Anne va lui permettre de faire d'instructives comparaisons...

 

Jean-Jacques, la soixantaine, est Le vieux qui lisait le Net. Sa femme l'a quitté. Ses deux filles ne se soucient guère de lui. "Après quelques semaines végétatives de retraite", il débarque sur le Net:  "Il a bien le droit, après tant de frustration et de solitude, de se refaire une vie courte, intense, cure de jouvence avant l'échafaud. Et puis, le type d'un certain âge qui s'acoquine avec une jeunette, c'était courant.". Seulement, s'il ne laisse pas indifférent l'élément féminin dans le monde réel, il ne connaît visiblement pas les codes du monde virtuel, et il va dès lors errer d'un site l'autre, son addiction grandissant au fur et à mesure qu'il échoue...

 

La valse à trois temps est la plus courte des nouvelles du recueil. Un fonctionnaire, dont la maladie est devenue la compagne, aimerait passer du bon temps pendant celui qui lui reste à vivre: "Il avait lu, beaucoup, travaillé, comme beaucoup, affronté les dangers comme peu en avait vécu. Et malgré tout, sans jamais y avoir pris un réel plaisir. De vie amoureuse? Un néant. A peine quelques prostituées au compteur, contractées dans des pays lointains. Toujours décevant.". Sans croire à l'amour avec un grand A, il espère tout de même beaucoup de sa rencontre réelle avec Aline, femme délaissée par son mari, qu'il a rencontrée sur le Net...

 

Sexe mic-mac est la plus longue des nouvelles. Deux histoires parallèles se déroulent. Lui est un employé modèle que la fréquentation du site "seyplaisirs.com" sur le Net rend complètement accro et que ses dernières relations virtuelles, avec ça me manque, perturbent au point de mettre en péril son emploi. Dans le bois de Sauvabelin, dans les hauts de Lausanne, Madame Romano, qui promène son chien Timmy, découvre grâce à ce dernier une "femme, allongée, partiellement dévêtue, mais surtout lacérée de coups de couteau, portés au visage, à la gorge et au sexe". Suspense: ces histoires parallèles vont-elles se rencontrer?

 

Le point commun des personnages de ces nouvelles est leur misère morale - la solitude les accable tous, qu'ils soient divorcés, délaissés ou esseulés - et leur misère sexuelle - ils sont en proie à des frustrations et ont envie de s'éclater après s'être excités et contenus trop longtemps. Il faut se rendre à cette évidence: que ce soit dans le monde virtuel ou dans le monde réel, les choses ne sont jamais aussi simples qu'imaginées.

 

Francis Richard

 

Tournez manège, Dominique Brand, 136 pages, BSN Press

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14 décembre 2014 7 14 /12 /décembre /2014 23:40
"Comment je suis oiseau" de Paul Ardenne

Qui n'a pas rêvé un jour d'être un animal? Philippe Sollers, dans un entretien avec Dominique Rollin, le 15 décembre 2005, disait que, s'il était un animal, il serait un oiseau. Comme Paul Ardenne.

 

Sauf que, dans Comment je suis oiseau, Paul Ardenne raconte qu'enfant il ne rêve pas d'être oiseau, il ne veut pas être oiseau, il est oiseau. Aujourd'hui, d'ailleurs, ne l'est-il pas toujours, quelque peu?

 

Son livre commence ainsi: "Je suis né oiseau. Quand? Je ne saurais le dire. Où? Je n'en ai pas d'idée formée. Pourquoi? Je l'ignore, à dire vrai. Mais enfin, le fait est: je suis né oiseau, c'est oiseau que je suis né."

 

C'est grave, docteur? C'est la première question que le lecteur pose. A la réflexion, poursuivant sa lecture, il se demande si ce n'est pas un gag. Mais la suite lui montre que non. Et les dialogues de l'auteur avec son ami turc Ali Kazma, à Istanbul, qui égrènent le récit, ne manquent pas de rationalité.

 

Le lecteur finit donc par prendre l'auteur aux mots. Comment pourrait-il d'ailleurs révoquer en doute l'affirmation de Paul qu'il est oiseau alors que tous les éléments qu'il apporte la corrobore?

 

D'abord il a passé les dix-sept premières années de sa vie à la campagne, en Aunis, cette ancienne province de France, dont La Rochelle est la capitale. Il a eu tout le temps d'observer les oiseaux et de se reconnaître en eux. Il est un oiseau, en dépit de sa forme humaine.

 

Son oncle Henri se méprend donc quand il conclut que, s'il se sent oiseau, c'est qu'il veut être ornithologue. Il ne comprend pas qu'il faut prendre l'expression au pied de la lettre. Paul est-il fou ou normal? Il ne se pose pas la question. Il est oiseau, c'est tout.

 

A l'âge de six ans, Paul sait reproduire le chant des oiseaux. Il ne veut pas les mimer, leur ressembler. Ce serait pathétique, car il est et se sent oiseau, désolé de constater que sa croissance physique l'éloigne de leur physionomie.

 

Il tente donc d'accepter d'être humain, c'est-à-dire d'accepter sa condition d'oiseau "mal oiseau", "en exploitant tout ce qui d'humain en [lui] [peut] travailler à acomplir [son] "devenir oiseau"", en se déshumanisant en quelque sorte, en se défaisant d'une dignité pour en conquérir une autre.

 

Dans sa campagne, d'autres enfants se dédoublent. Il les appelle des "transformistes". Ce n'est pas ce qu'il veut être. Ils lui paraissent ""jouer" une image, s'installer dans une image rêvée d'eux-mêmes, en mimes doués et appliqués". Cela dit, il est, comme "les transformistes", en proie aux vexations des "normaux":

 

"La loi du plus grand nombre que l'on vous impose comme la loi de tous et comme la loi tout court, celle qu'on n'amende pas. L'horreur légale."

 

Comment cet amour des oiseaux lui est-il venu? Il ne sait pas. Ce fut vraisemblablement un coup de foudre: "L'amour c'est la bascule, on y tombe - on y tombe, comme le pendu dans le vide, une fois la trappe retirée, voyez-vous."

 

S'il devait se présenter un jour devant l'assemblée des oiseaux de l'Avipatrie, ce serait modestement, en "oiseau minimal", ou si ce n'était pas plausible, en homme défenseur de la cause aviaire, pourquoi pas en tenue d'Adam plutôt que d'être déguisé en oiseau.

 

En fait il est oiseau, mais reste humain. Tous les épisodes qu'il raconte confirme cette position ambiguë entre deux états: quand il cherche à s'accoupler comme le font les oiseaux avec une petite camarade, quand il renonce à voler - enfant, il aime le dodo de l'Ile Maurice parce que c'est un oiseau sans ailes... -, quand il reconnaît qu'il a le vertige.

 

Faute d'être totalement oiseau, il imite, mais "le fin du fin tel que je le percevais, c'était l'imitation s'effaçant devant l'incarnation, une mobilisation totale du corps dans l'acte qui consiste à devenir autre, pas le mime des gestes et des attitudes d'autrui".

 

A la fin, le lecteur ne s'étonne plus de rien et s'attend à une improbable incarnation absolue Les derniers épisodes du récit le détrompent pourtant sur la possibilité d'une telle métamorphose. S'il est déçu, il n'est pas surpris que l'auteur dise: "Si je suis oiseau, encore, c'est peut-être comme un vieillard considère le jeune homme qu'il a été."

 

Francis Richard

 

Comment je suis oiseau, Paul Ardenne, 286 pages, Le Passage

 

Une lecture d'extraits de ce livre a lieu ce mercredi 17 décembre 2014, à 19 heures, dans l'atelier d'Eric Winarto, à l'Atelier Kugler, 19 avenue de la Jonction, à Genève.

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13 décembre 2014 6 13 /12 /décembre /2014 21:30
"Gatti's Variétés" d'Anne Cuneo

Carlo Gatti (1817-1878) est un entrepreneur tessinois du XIXe siècle qui a émigré tout jeune à Paris, en 1830, puis, en 1847, à Londres, où il s'est lancé dans des activités de grandes variétés. Dans les dernières années de sa vie, tout en s'occupant de ses activités londoniennes, il est devenu un homme politique tessinois conservateur atypique, puisqu'il a tourné libéral.

 

Sur ce personnage fascinant, les sources historiques immédiates sont ténues. Aussi Anne Cuneo s'est-elle beaucoup documentée sur l'époque et sur le personnage pour écrire sa biographie. Mais, elle a dû tout de même en combler un grand nombre de lacunes - notamment l'entière période parisienne - par des épisodes probables, sinon avérés, d'où la forme romanesque prise par son récit.

 

Une biographie de Carlo Gatti a existé, mais il n'en reste pas trace. Elle a été interdite de publication, par voie judiciaire anonyme, pour atteinte à la sphère de la vie privée, sans doute à la demande de membres de la famille qui ne souhaitaient pas que soient révélées les origines modestes de leur parent, alors que, grâce à fortune faite par lui, ils tenaient le haut du pavé.

 

Dans Gatti's variétés, le narrateur s'appelle Nicolas Martin. Il a été recueilli dans une rue de Londres par Carlo Gatti, alors qu'il n'avait que cinq-six ans. A ce moment-là Zio Carlo ne connaît pas les parents de Nicolas. Il découvre seulement que ce petit bonhomme sous-alimenté, qui a bien du mal à s'exprimer, possède un don extraordinaire pour son âge: il sait étonnamment compter, et juste.

 

Sans, donc, vraiment lui faire de faveur, Carlo Gatti va lui donner sa chance et lui faire tenir la caisse d'un café français qu'il a ouvert à Londres. En allant à l'école du dimanche, destinée aux enfants démunis, le petit Nicolas va s'instruire et étonner des clients du café de son père adoptif. Ce qui lui vaudra d'obtenir une bourse pour Christ's Hospital, école pour élèves désargentés, où il passera neuf années, avant de poursuivre des études supérieures au Polytechnicum de Zürich.

 

Nicolas Martin raconte donc à la fois sa vie et celle de son protecteur, qui sont très liées. Il va assister au développement des affaires de Carlo Gatti, qui en a un sens inouï, prenant des risques qu'il sait calculer et qui sont considérés comme fous par d'autres. Il s'agit, comme on dit aujourd'hui, d'une incroyable success story. Parce que, finalement, il surmonte des épreuves qui auraient mis d'autres à terre et que tout lui réussit.

 

L'idée de départ de Carlo Gatti aura été de mettre à la portée de la classe moyenne des établissements, qui n'existent alors que pour la haute société, en y vendant du chocolat et des glaces en petites portions. A partir de là, cet homme pressé va se diversifier et fera preuve d'une créativité que seuls les grands entrepreneurs possèdent.

 

Au cours de sa vie dans la capitale anglaise, il aura ainsi créé, ou aider à créer, des dizaines de restaurants, de cafés, de music-halls, et autres entreprises, procurant du travail non seulement à la population locale mais à des centaines de jeunes Tessinois de sa vallée d'origine. Il n'aura pas omis pour autant de venir en aide aux plus démunis et de faire bénéficier ses compatriotes exilés de mutuelles de secours.

 

Dans sa postface Anne Cuneo écrit:

 

"Carlo Gatti est de ces figures dont on fait les légendes.

J'ai écrit la légende de Carlo Gatti. Une des légendes possibles."

 

Certes, mais cette légende de Carlo Gatti a tous les accents de l'authenticité. Elle est, en quelque sorte, un hymne à l'esprit d'entreprise d'un homme d'exception, d'un homme foncièrement bon, d'un homme qui travaille inlassablement et qui en récolte les fruits, d'un homme qui ne renie pas ses origines et qui aime, de temps à autre, renouer avec la terre, pour se les rappeler.

 

Francis Richard

 

Gatti's variétés, Anne Cuneo, 360 pages Bernard Campiche Editeur

 

Livres précédents de l'auteur, chez le même éditeur:

 

Un monde de mots (2010)

La tempête des heures (2013)

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9 décembre 2014 2 09 /12 /décembre /2014 21:45
"Helvétiser la France", de Dominique Bourg, entretiens avec Philippe Dumartheray

Dominique Bourg vient de publier un livre d'entretiens avec Philippe Dumartheray, dont le titre ne peut qu'interpeller le franco-suisse que je suis: Helvétiser la France.

 

A quinze ans, en 1968, pour échapper au mépris des enfants de cadres et d'ouvriers de la cité Solvay, près de Tavaux, où son père dirige une coopérative, Dominique Bourg se tourne vers les livres, plus particulièrement de philosophie, et il lit comme un fou.

 

Sur cette lancée, il fera des études d'histoire de l'art, de théologie et de philosophie à l'Université de Strasbourg et enseignera. Pas question pour lui d'être commerçant ou ingénieur...

 

Il enseignera donc. D'abord, dans un lycée, à Mulhouse. Deux thèses plus tard, d'où naîtront deux livres, Transcendance et discours (dans une collection de théologie) et L'homme artifice (sur les problèmes environnementaux), il deviendra professeur, à quarante ans, à l'Université de technologie de Troyes, et, sept ans plus tard, à l'Université de Lausanne.

 

Le professeur Bourg a écrit une quinzaine de livres avec pour thème dominant l'environnement. Politiquement, il est issu de la gauche (il a été membre du PSU de Michel Rocard), et il est écologiste (il est l'ami de Nicolas Hulot). Mais il est sévère à l'égard des Verts français qui se soucient comme d'une guigne du réchauffement climatique et préfèrent se consacrer à la défense de ce qu'ils appellent les minorités.

 

Dominique Bourg pense que le système institutionnel français est néfaste et qu'il devrait s'inspirer du système suisse où il n'existe pas d'alternance pour entretenir les divisions, où les convictions de chacun n'empêchent pas de travailler ensemble, où la diversité de l'exécutif (tous les partis, de la gauche à la droite, y sont représentés), des cantons et des cultures est un atout maître.

 

Car la Suisse comprend des populations qui parlent des langues différentes, qui pratiquent des religions différentes, qui ont des cultures différentes. Seulement, ces populations ont appris à vivre ensemble et leurs représentants à trouver des compromis. Comment? Grâce à un mélange de démocratie représentative et de démocratie directe.

 

S'inspirer du système suisse pour la France, selon Dominique Bourg, c'est:

- supprimer le poste de Président de la République;

- cantonaliser les régions françaises: ministres élus au suffrage universel majoritaire, parlements élus à la proportionnelle;

- accroître le pouvoir des communes, notamment celui des grandes villes;

- instaurer un système de péréquation du type cantonal suisse;

- donner au Sénat un rôle nouveau, de représentation véritable des régions comme le Conseil des Etats suisse, qui fait jeu égal avec le Conseil national, l'Assemblée nationale helvétique;

- introduire la démocratie directe.

 

Dominique Bourg a aussi l'idée d'"une troisième chambre, spécialisée dans les enjeux du long terme" qui pourrait s'opposer provisoirement à une décision du Parlement.

 

On peut rêver...

 

En fait, Dominique Bourg pense que le débat gauche-droite est dépassé. Pourquoi? Pour deux raisons:

- "notre problème n'est plus de continuer à maximiser la production de richesses matérielles";

- "la croissance matérielle se nourrit des inégalités de revenus".

 

En fait, à partir de là, Dominique Bourg cauchemarde:

 

"Deux lectures de notre futur s'affrontent: l'une dans le prolongement du XXe siècle, l'autre en rupture. "Oui, effectivement, nous sommes la force primordiale sur Terre, nous allons le rester et petit à petit, on va tout dévorer", ou, à l'opposé, "Non, nous allons être confrontés à des difficultés insurmontables qui nous contraindront à changer profondément nos modes de vie.""

 

On l'aura compris, pour Dominique Bourg, la première lecture c'est le néolibéralisme à l'oeuvre, la folie néolibérale. Il s'en fait une idée qui ne correspond pourtant pas, ni de près ni de loin, au libéralisme, qu'il soit néo, ultra ou classique, comme ils disent.

 

Quand il stigmatise "l'Union européenne, la plus grande construction néo-libérale au monde, avec ses règles tatillonnes pour mettre en concurrence parfaite des centaines de millions de personnes", il donne en fait une définition parfaite du... socialisme. Et j'épargne au lecteur sa vision du marché d'un simplisme étourdissant, qui prouve qu'il ne comprend rien à son fonctionnement. 

 

Comme il fait sienne la deuxième lecture du futur, Dominique Bourg veut helvétiser la France parce que le système français "ne pourra tenir face à un environnement qui ne peut que se dégrader, et selon un rythme géométrique".

 

Dominique Bourg est en effet adepte de cette religion du réchauffement climatique selon laquelle les températures vont monter inexorablement, le régime des pluies changer, les phénomènes extrêmes se multiplier, le niveau des océans monter, etc. Ce qui est contredit pourtant par les toutes dernières données scientifiques...

 

Au secours! Les ressources vont manquer, la biosphère se dérègler, la démographie se montrer de plus en plus inquiétante etc. Refrains connus, qui ne vont pas cesser d'être entonnés d'ici la fin 2015, histoire de préparer les esprits à la grand-messe de l'ONU, COP21, qui aura lieu à Paris à ce moment-là.

 

Face à un tel tableau, apocalyptique, Dominique Bourg ne peut qu'être pessimiste: "L'humanité a laissé passer sa chance. Désormais la question est de savoir comment les dégâts peuvent être réduits." Il croit que les meubles qui peuvent être sauvés le seront cependant grâce à "un renouveau démocratique puissant", à "une résurgence du sens athénien de la liberté".

 

Il conclut: "En attendant, que faire? Répandre du levain pour qu'un jour la pâte puisse lever. Semer des graines, à savoir des idées, des expériences concrètes et collectives de durabilité, des institutions plus ou moins expérimentales, etc. Je veux à ma façon contribuer à ces ensemencements!"

 

Francis Richard

 

Helvétiser la France, Dominique Bourg, entretiens avec Philippe Dumartheray, 96 pages, L'aire / Ginkgo

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8 décembre 2014 1 08 /12 /décembre /2014 20:45
Patrick Modiano à Stockholm

Quarante-huit heures se sont écoulées depuis que Patrick Modiano s'est rendu à Stockholm pour recevoir le prix Nobel de littérature. Ce 6 décembre 2014, donc, l'écrivain français y a prononcé son discours de réception devant une nombreuse assemblée, non sans appréhension. J'en tire ci-après quelques extraits qui me parlent.

 

La parole hésitante de celui qui écrit

 

Quand Patrick Modiano était invité chez Bernard Pivot, il y a quelques années, il était l'illustration même des propos qu'il a tenus à Stockholm, et qui me touchent, sans doute parce qu'atteint de la même infirmité qui fait naître chez les autres incompréhension et quiproquos - sans pour autant être écrivain, encore moins romancier:

 

"Un écrivain - ou tout au moins un romancier - a souvent des rapports difficiles avec la parole. Et si l'on se rappelle cette distinction scolaire entre l'écrit et l'oral, un romancier est plus doué pour l'écrit que pour l'oral. Il a l'habitude de se taire et s'il veut se pénétrer d'une atmosphère, il doit se fondre dans la foule."

 

Un peu plus loin, il précise: "Il a la parole hésitante, à cause de son habitude de raturer ses écrits. Bien sûr, après de multiples ratures, son style peut paraître limpide. Mais quand il prend la parole, il n'a plus la ressource de corriger ses hésitations."

 

Le romancier et le lecteur

 

Patrick Modiano est conscient qu'"un romancier ne peut jamais être son lecteur", que son livre le quitte à peine a-t-il tracé le dernier mot et que le lecteur le révèlera à lui-même. D'où le sentiment d'avoir été abandonné quand le livre fait son chemin sans lui et l'envie d'écrire le suivant pour rétablir l'équilibre rompu.

 

Pour avoir un rapport plus intime encore, et plus complémentaire, avec celui à qui s'adresse une oeuvre, Patrick Modiano aurait aimé être musicien - les musiciens lui "semblaient pratiquer un art supérieur au roman" -, ou poète - les poètes "sont plus proches des musiciens que les romanciers". En écrivant des poèmes dans son enfance, il a compris cette réflexion lue quelque part: "C'est avec de mauvais poètes que l'on fait des prosateurs".

 

Une nuit originelle

 

Patrick Modiano est né en 1945. Sa date de naissance et son temps l'ont marqué de manière indélébile. Le Paris de l'Occupation était une ville étrange: "Ce Paris-là n'a cessé de me hanter et sa lumière voilée baigne parfois mes livres." En effet, "des amours précaires naissaient à l'ombre du couvre-feu sans que l'on soit sûr de se retrouver les jours suivants":

 

"Et c'est à la suite de ces rencontres souvent sans lendemain, et parfois de ces mauvaises rencontres, que des enfants sont nés plus tard. Voilà pourquoi le Paris de l'Occupation a toujours été pour moi comme une nuit originelle. Sans lui je ne serais jamais né."

 

La relève

 

Patrick Modiano appartient à une génération intermédiaire entre les romanciers qui vivaient à une époque où le temps s'écoulait lentement et ceux qui vivent à l'époque actuelle où "le temps s'est accéléré et avance par saccades".

 

Il veut rester optimiste sur la relève, qui n'a pas failli depuis Homère. Mais il ne peut s'empêcher de s'interroger: "je serais curieux de savoir comment les générations suivantes qui sont nées avec l'internet, le portable, les mails et les tweets  exprimeront par la littérature ce monde auquel chacun est "connecté" en permanence et où les "réseaux sociaux" entament la part d'intimité et de secret qui était encore notre bien jusqu'à une époque récente".

 

L'homme et l'oeuvre

 

Comment ne pas hésiter avant de lire la biographie de tel ou tel écrivain admiré? "Seule la lecture de ses livres nous fait entrer dans l'intimité d'un écrivain et c'est là qu'il est au meilleur de lui-même et qu'il nous parle à voix basse sans que sa voix soit brouillée par le moindre parasite."

 

Il y a un mais, pour Modiano, pourtant plus proche, semble-t-il, de Proust que de Sainte-Beuve: "Mais en lisant la biographie d'un écrivain, on découvre parfois un événement marquant de son enfance qui a été comme une matrice de son oeuvre future et sans qu'il en ait eu toujours une claire conscience, cet événement marquant est revenu, sous diverses formes hanter ses livres."

 

Les annuaires des rues de Paris

 

La ville a beaucoup d'importance pour Patrick Modiano: "Pour ceux qui y sont nés et y ont vécu, à mesure que les années passent, chaque quartier, chaque rue d'une ville, évoque un souvenir, une rencontre, un chagrin, un moment de bonheur. Et souvent la même rue est liée pour vous à des souvenirs successifs, si bien que grâce à la topographie d'une ville. c'est toute votre vie qui vous revient à la mémoire par couches successives, comme si vous pouviez déchiffrer les écritures superposées d'un palimpseste."

 

Paris a été cette ville pour lui et, dans sa jeunesse, pour s'aider à écrire, il en feuilletait de vieux annuaires, "surtout ceux où les noms sont répertoriés par rues avec les numéros des immeubles": "J'avais l'impression, page après page, d'avoir sous les yeux une radiographie de la ville, mais d'une ville engloutie, comme l'Atlantide, et de respirer l'odeur du temps."

 

La mémoire et l'oubli

 

Patrick Modiano est très sensible aux thèmes de la mémoire et de l'oubli. Il pense que le fait d'être né en 1945 y est pour beaucoup, d'être né "après que des villes furent détruites et que des populations entières eurent disparu":

 

"J'ai l'impression qu'aujourd'hui la mémoire est beaucoup moins sûre d'elle-même et qu'elle doit lutter sans cesse contre l'amnésie et l'oubli. A cause de cette couche, de cette masse d'oubli qui recouvre tout, on ne parvient à capter que des fragments du passé, des traces interrompues, des destinées humaines fuyantes et presque insaisissables.

Mais c'est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l'oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l'océan."

 

Francis Richard

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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