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23 juillet 2014 3 23 /07 /juillet /2014 08:00
"L'horreur fiscale" de Sylvie Hattemer et Irène Inchauspé

Pourquoi l'horreur fiscale? Parce que la véritable rafle fiscale à laquelle les Français sont soumis depuis deux-trois ans - 84 impôts nouveaux, générant 60 milliards d'euros de recettes supplémentaires - ne sert à rien, ni à boucher les trous publics, ni à stopper la dette publique, encore moins à la réduire. Les Français ont donc raison d'être en colère et ils sont de plus en plus nombreux à voter avec leurs pieds.

 

Les auteurs rappellent qu'en vertu de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 "les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée".

 

En fait le consentement à l'impôt a toujours été tacite en France. A-t-on jamais directement demandé aux citoyens leur avis sur le sujet? Peuvent-ils seulement compter sur leurs représentants pour se faire entendre et les défendre, puisque ce n'est pas leur intérêt?

 

"Le pacte social doit être solide pour que les citoyens acceptent de payer l'impôt." remarquent les auteurs, sans préciser qui, parmi les dits citoyens, a jamais signé ce pacte...

 

Quoi qu'il en soit, ne serait-ce que depuis 1789 jusqu'à nos jours, l'Histoire montre que "la créativité fiscale est depuis fort longtemps une spécialité française" et qu'une fois un impôt adopté, il souffre de nombreuses exceptions, ce qui le rend opaque... Il existe ainsi aujourd'hui 460 dispositions fiscales "dérogatoires", les fameuses "niches"...

 

Cette créativité exceptionnelle française se traduit dans les chiffres. La France est numéro 1 pour les prélèvements obligatoires: 45% du PIB en 2012 et 46,3% probables en 2013...

 

Cette créativité est débordante et furtive. Quatre exemples récents le prouvent:

- la cotisation employeur des complémentaires de santé a été rajoutée subrepticement au salaire imposable de l'employé, au moment même où avoir une complémentaire santé est devenu obligatoire,

- l'exonération d'impôt sur le revenu des majorations de retraite ou de pension pour charges de famille a été supprimée en douce,

- le plafond du quotient familial a été une nouvelle fois abaissé (à ce train-là, il n'en restera bientôt plus rien),

- les taux de TVA ont été augmentés...

 

La TVA et la CSG, toutes deux inventions françaises, sont les deux impôts furtifs qui rapportent le plus: "Silence on tond!", disent les auteurs. Car leurs augmentations sont discrètes et efficaces.

 

(La CSG est tellement discrète que tout en étant un impôt, elle ne figure pas dans les recettes de l'Etat, et pour cause: elle est versée à l'URSSAF, l'organisme de recouvrement de la sécurité sociale...)

 

Si les citoyens sont accablés d'impôts, les entreprises ne sont pas de reste avec les 153 taxes qui les frappent et les tuent...

 

L'impôt de solidarité sur la fortune, ISF, et les droits de transmission, sont un autre moyen fiscal de tuer les entreprises familiales, pas toujours lentement, mais en tout cas sûrement, en s'en prenant à leurs dirigeants, à leurs actionnaires et à leurs héritiers...

 

Les auteurs révèlent que, pas de chance pour les Français, François Hollande est le roi des gabelous:

 

"Cet ancien professeur d'économie est un fanatique des questions fiscales depuis qu'il est tout petit ou presque."...

 

Et comme il n'aime pas les riches, il a, par exemple, fait surtaxer l'ISF. Comme, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, cet impôt n'était plus plafonné, le résultat a été à la hauteur des espérances de les ruiner nourries par le Président français:

 

"En 2012, 8 000 foyers fiscaux ont payé plus de 100% de leurs revenus en impôts, 9 910 ont été imposés à plus de 85%, et 11 960 à plus de 75%..."

 

Cette créativité, qui est celle, entre autres, des 6 000 fonctionnaires de Bercy, cette bâtisse de verre qui abrite sept ministères, se traduit par une production de lois et de textes qui n'a pas d'équivalent ailleurs:

 

"Le Code général des impôts compte plus de 4 000 articles. Connaître la règle applicable à un cas particulier suppose en outre de se référer aux 40 000 pages de circulaires et instructions fiscales diverses."

 

Cette prolifération de réglementations est évidemment pain béni pour les 5 000 vérificateurs qui multiplient, comme à plaisir (sadique?), les contrôles fiscaux dans les entreprises de l'hexagone. Et cette hyperactivité vérificatrice rapporte gros:

 

"En 2012, les contrôles fiscaux ont rapporté à l'Etat 18 milliards d'impôts, soit 21% de plus qu'en 2011!"

 

Les chefs d'entreprise se plaignent de cette croissance folle des contrôles fiscaux, comme ils se plaignent à juste titre de l'incertitude de l'environnement fiscal, qui les empêche de programmer investissements et projets de développement à moyen et à long terme.

 

L'administration centrale n'est pas la seule à dépenser sans compter. Les collectivités locales itou. Certes l'Etat leur a transféré certaines des dépenses sociales qui lui incombaient jusque-là, tel que le financement du RSA, l'aide sociale à l'enfance ou l'aide aux personnes handicapées sans en transférer toutes les ressources correspondantes. Mais les dites collectivités locales n'ont pas cherché pour autant à diminuer leurs dépenses de personnel, au contraire:

 

"Le mille-feuille [territorial] se porte bien. Il est même crémeux à souhait: les "produits fiscaux locaux" ont ainsi augmenté de 170% entre 1982 et 2012 (en euros constants), alors que la population n'augmentait que de 20%. Sur les seules dix dernières années la hausse a été de 40%, alors que le PIB ne progressait que de 10,6%."

 

L'endettement dudit mille-feuille s'en est suivi:

 

"L'alerte endettement a déjà viré au rouge vif, puisqu'il s'élève à 154 milliards d'euros, soit 10% de la dette publique globale."...

 

Cette horreur fiscale généralisée provoque non seulement la colère de ceux qui restent ou leur renoncement à se battre, mais elle justifie pleinement la décision de ceux qui partent et qui ont quelques biens à sauver du désastre:

 

"Chaque durcissement de la fiscalité française sur le patrimoine a entraîné sa vague d'exilés."

 

La chasse aux "mauvais Français" - ceux qui partent - a été ouverte, mais, l'arsenal répressif renforcé contre eux (notamment l'exit tax), n'a pas dissuadé tous les plus fortunés de fuir l'enfer fiscal qu'est devenue la France pour les cieux plus cléments de la Belgique et de la Suisse.

 

Londres, avec ses 300 000 résidents français, est "devenue la sixième ville française" et porte bien son surnom de Paris-sur-Tamise et, parmi ces résidents français, il y a nombre de petits patrons:

 

"Un climat délétère pour les affaires, une fiscalité jugée confiscatoire, des lourdeurs administratives, le sentiment d'être les mal-aimés du gouvernement Hollande ont poussé les "Pigeons" à traverser la Manche."

 

Le Portugal est la destination tendance des retraités: ils y sont exonérés d'impôt sur le revenu s'ils n'ont pas été résidents pendant les cinq années précédant leur arrivée...

 

Inévitablement le travail au noir et la fraude sont souvent la contrepartie de cet "assommoir fiscal"...

 

Sylvie Hattemer et Irène Inchauspé semblent attachées à une certaine forme d'Etat-providence. Comme ce qui a été fait en matière fiscale en France n'a pas réussi à empêcher déficit et dette d'être des puits sans fond, elles ont étudié comment des pays s'en sont sortis.

 

Tous les pays qui s'en sont sortis, ou qui sont en bonne voie de l'être, ont joué sur les leviers d'augmentation des recettes et de diminution des dépenses, dans des proportions diverses. Mais, quel que soit le pays, les dépenses ont diminué davantage que les recettes n'ont augmenté. A cet égard l'exemple de la révolution suédoise est éloquent.

 

Il y a quelque vingt ans, la situation de la Suède était aussi catastrophique que celle de la France aujourd'hui. En cinq ans la Suède a recréé les conditions d'une spirale vertueuse:

- augmentation légère des impôts sur les ménages et diminution de l'impôt sur les sociétés,

- réorganisation de l'administration en 13 ministères et 300 agences, où ont été transférées de nombreuses missions de l'Etat avec obligations de résultat et d'équilibre budgétaire,

- privatisations d'un grand nombre de fonctions,

- réduction de moitié du nombre des fonctionnaires,

- réduction du mille-feuille administratif à deux échelons, communes et régions,

- privatisation de l'hôtellerie des hôpitaux,

- introduction d'une dose de capitalisation dans le système de retraite,

- déréglementation de tous les transports en commun,

etc.

 

A la fin de leur livre, les auteurs exposent quelles conditions, selon elles, sont requises pour parvenir à recréer en France une telle spirale vertueuse et elles proposent une mesure exceptionnelle pour l'amorcer, avec pour objectif de ne pas détruire le système français de prestations sociales. Mais est-ce bien raisonnable de vouloir le conserver, au lieu de chercher du côté de voies alternatives et libérales?

 

Francis Richard

 

L'horreur fiscale - Les raisons de la colère, Sylvie Hattemer et Irène Inchauspé, 288 pages, Fayard

 

Première publication sur Contrepoints

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19 juillet 2014 6 19 /07 /juillet /2014 22:55
"L'ami barbare" de Jean-Michel Olivier

Ce n'est pas un secret: la vie du héros du nouveau livre de Jean-Michel Olivier, Roman Dragomir, est largement inspirée de celle de Vladimir Dimitrijevic, Dimitri pour les intimes, le fondateur des éditions de L'Age d'Homme.

 

Peut-être la forme romanesque permet-elle à l'auteur de rendre plus libre et meilleur son hommage à ce Barbare, venu de l'Est. Les autres Barbares venant du Sud, c'est bien connu.

 

Mais que cette histoire soit largement inspirée de la vie d'un homme que l'auteur a bien connu ne veut pas dire qu'elle ne soit pas imaginaire sous sa plume de romancier, comme toute vie d'ailleurs, de toute façon:

 

"Toute vie est imaginaire, Roman, et la tienne encore plus que les autres puisque tu n'écris pas et que tu comptes sur les autres pour écrire ta vie !"

 

Roman, L'ami barbare, vient de mourir. Des témoins de sa vie défilent devant son cercueil: Milan Dragomir, Johanna Holzmann, Georges Halter, Christophe Morel, une femme voilée, Pierre Michel et Véronique Donnadieu. Et Roman, qui a toujours pensé que la mort n'existait pas, se livre à des réflexions personnelles au passage de chacun d'eux, qui ne se privent pas de lui faire part des leurs, comme en retour.

 

Milan, le frère de Roman, évoque leur enfance et leur adolescence dissipées dans la Belgrade de l'ex-Yougoslavie, pendant la Seconde Guerre mondiale et dans l'immédiate après-guerre. Roman vivait déjà parmi ses livres et ses images, en dehors de la vie réelle...

 

Un jour, ne supportant pas le régime communiste, surtout après l'incendie de la librairie qu'il fréquente et l'arrestation de la libraire, Natalia Kostelic, il part, ce que Milan ne lui a jamais pardonné. Pourtant, "Partir, ce n'est pas oublier. Au contraire." lui a dit Roman.

 

C'est à Trieste, un peu plus tard, que Roman fait la connaissance de Johanna Holzmann, juive rousse, dans une librairie, La Paolina, où elle travaille. Johanna et Roman très vite s'aiment. Mais Johanna sait dès le début de leur histoire que le temps leur est compté et qu'il s'en ira, "parce qu'aucun femme, ni aucun homme ne peut [l'] arrêter":

 

"Pour être soi, il faut partir. Pour être libre, il faut couper ses racines.

La seule terre qui compte, c'est la terre promise de l'exil..."

 

Il part pour la Suisse. En 1954, dans le stade du Wankdorf, à Berne, Georges Halter et lui sont dans le public qui assiste à un match de football entre la Hongrie et l'Allemagne. Ils se revoient "par hasard" à Lausanne, puis à Granges. Tous deux finissent par jouer dans la même équipe de football locale, qui est cosmopolite et multilingue:

 

"Pour jouer pas de besoin de langage. Le foot abolit les frontières. On se comprend avec les pieds. Sans ouvrir la bouche."

 

Un accident, lors d'un match, met fin à sa carrière prometteuse de footballeur...

 

Christophe Morel et Roman Dragomir se rencontrent à Paris, dans une librairie - quelle surprise! - où travaille le premier, qui est aussi écrivain. Avec l'aide de Christophe, à partir de 1966, Roman va bâtir une maison dont les pierres sont des livres, la Maison (4'000 livres publiés en 35 ans), et se faire notamment "l'éditeur inconscient qui veut abattre le rideau de fer", en publiant les dissidents.

 

La femme voilée a rencontré Roman dans la librairie que ce dernier a ouverte à Moscou. Ils se sont revus plusieurs fois à des années d'intervalles. Roman est en effet toujours en mouvement - toujours "en vadrouille, sans port d'attache, sans domicile fixe", dit de lui Christophe Morel:

 

"Car s'arrêter, c'est mourir!"

 

Et elle l'accompagne dans ses équipées en camionnette sur les petites routes de France...

 

Quand sa terre natale est à feu et à sang, il rêve de partir là-bas. Finalement il s'y rend et découvre une réalité qui détruit ses rêves... En rentrant par la route du Grand Saint-Bernard il a un accident.

 

Dans une clinique du Lavaux où il suit une rééducation de son corps fracassé, sur la terrasse, il adresse la parole à son voisin de chambre, Pierre Michel, en convalescence après une opération de l'oeil, qui lui a miraculeusement redonné la vue:

 

"Il faut croire aux miracles! Même la main du chirurgien le plus habile est guidée par une force qui le dépasse."

 

C'est le début d'une amitié. Elle commence au moment où, suite à ses positions pendant la guerre des Balkans, "les compagnons fidèles, les amis écrivains, les gens qui [lui] faisaient confiance [le] quittent les uns après les autres".

 

Pierre Michel sait qu'ils se trompent sur son compte:

 

"Tu aimes les livres et les écrivains. Les écrivains  du monde entier. Comme c'est bizarre! Tu ne serais donc pas raciste, nationaliste, fanatique de la Grande Serbie?"

 

Il aime tellement les livres qu'il ne prend jamais de repos et, comme il n'arrive pas à dormir, il lit des manuscrits jusqu'aux premières heures de l'aube:

 

"Le repos, c'est la mort." a-t-il cent fois répété à Christophe Morel.

 

Maintenant il repose. Il est mort à la suite d'un énième accident, fatal celui-là, provoqué involontairement par Véronique Donnadieu à qui il a murmuré, en expirant, ces deux mots mystérieux:

 

"On continue."

 

Depuis son cercueil Roman Dragomir donne ce conseil à Pierre Michel:

 

"Même dans la fournaise, tu portes cette longue écharpe rouge qui est ta marque de fabrique! Pourtant, il ne suffit pas de porter une écharpe rouge pour être un écrivain, tu le sais bien, Pierre: il faut écrire des livres. Et de bons livres..."

 

Je ne sais si Dimitri a donné un jour ce conseil à Jean-Michel, mais ce livre prouve qu'il l'a suivi... à la lettre.

 

Comme dit Johanna:

 

"On n'est jamais seul quand on lit un bon livre."

 

Aussi, une fois commencé, n'est-il pas possible de se priver en cours de route de la compagnie de ce livre... Il est l'illustration même d'une pensée prêtée à Roman, dont l'histoire (comme celle de Dimitri), est un véritable roman, et rapportée par Christophe Morel:

 

"Le vrai sujet du livre, c'est le style. Et le contraire est vrai aussi: le style d'un livre est d'abord son sujet."

 

L'un et l'autre, le sujet et le style de ce livre, sont excellents...

 

Francis Richard

 

L'ami barbare, Jean-Michel Olivier, 304 pages, Editions de Fallois / L'Age d'Homme (sortie en librairie: le 19 août 2014)

 

Publication commune avec lesobservateurs.ch

 

Après l'orgie de Jean-Michel Olivier est disponible dans Le livre de poche depuis le 2 juillet 2014.

"L'ami barbare" de Jean-Michel Olivier
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15 juillet 2014 2 15 /07 /juillet /2014 22:30
"42 voyages extraordinaires et solidaires dans le monde" d'Isabelle Alexandrine Bourgeois

Il y a plusieurs formes de tourismes sur la planète Terre. Le guide d'Isabelle Alexandrine Bourgeois n'est en tout cas pas destiné aux adeptes du tourisme de masse ou des voyages organisés - les prix s'en ressentent, même s'il y a un large éventail de tarifs. Il s'adresse à ceux "qui ont l'élan de servir de belles causes tout en se faisant immensément plaisir", et qui connaîtront donc immanquablement des temps forts.

 

L'auteur a regroupé ses 42 voyages extraordinaires et solidaires dans le monde en quatre thèmes: les hommes, l'environnement, les animaux, l'insolite. Il y en a donc pour toutes les sensibilités et la lecture du guide, illustré de très belles photos et de très belles citations, ne peut qu'enchanter le lecteur:

 

"Les grands voyages ont ceci de merveilleux que leur enchantement commence avant le départ même."

Joseph Kessel 

 

Comme j'ai fait mienne la sentence de Térence: "Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger.", je me réjouis qu'elle soit citée dans ce guide, que plus de la moitié de ces voyages - dix-neuf sur quarante-deux - relèvent du premier thème et qu'ils aient pour destinations des pays dans lesquels il est possible d'apporter de l'aide concrète à des êtres humains en situation souvent précaire sans passer par des circuits étatiques.

 

Les voyages du premier thème s'adressent donc à ceux qui ont l'âme altruiste et qui veulent être solidaires non pas en demandant aux autres de bourse délier à leur place mais en le faisant eux-mêmes de leur plein gré - une part du prix versé au voyagiste est affectée au financement de projets précis - et en mettant la main à la tâche dans les lieux d'accueil, qui se trouvent sur les quatre continents américain, européen, africain et asiatique.

 

Les mots de responsable, d'équitable - je ne suis pas convaincu que le seul commerce éponyme se fasse directement, sans intermédiaire, avec le producteur -, de volontaire trouveront un écho chez eux. Mais les mots qui leur parleront peut-être le plus seront ceux de rencontre - "Celui qui diffère de moi, loin de me léser, m'enrichit" disait Antoine de Saint-Exupéry -, d'échange - ils offriront et ils recevront - et de respect des autres, en adoptant ce que l'auteur appelle une "positive attitude".

 

Les onze destinations du deuxième thème se situent pour moitié en France et en Suisse: il n'est pas besoin de voyager loin pour se sensibiliser ou être sensible à l'environnement... Dans le Nord vaudois, une particularité a attiré mon attention parce qu'elle correspond à la philosophie de l'homme qui est mienne, c'est-à-dire faire confiance à l'homme a priori: la vente de produits de terroir s'y fait en libre-service, "sans encaissement de main à main ni caméra de surveillance"...

 

Les cinq voyages du troisième thème intéresseront ceux qui souhaitent sauvegarder ou protéger des espèces d'animaux en voie de disparition ou menacées: gibbon Hoolok en Inde, tortues vertes aux Comores, baleines et dauphins en Méditerranée ou en Mer Rouge, éléphanteaux orphelins au Kenya.

 

Les amateurs d'insolite ont six propositions de voyages à leur disposition dans ce guide, que je laisse le soin au lecteur de découvrir, en ne lui en donnant que des mots-clés: écovillage, sans-abri, mafia, revenants, aide humanitaire à cheval, raffinement nippon.

 

Le 42ème et dernier voyage consiste à accompagner le pianiste Marc Vella et son piano à queue dans une des pérégrinations de sa Caravane Amoureuse: ce printemps, il s'est rendu pendant deux semaines en Tunisie, où, comme les autres fois, il a mis en avant "le coeur de l'homme, patrimoine de l'humanité".

 

Parmi les très belles citations de ce guide singulier, je terminerai par celle de Michel Déon, qui me parle, parce que je l'ai mise en application à chacun de mes voyages:

 

"Pour bien aimer un pays il faut le manger, le boire et l'entendre chanter."

 

Francis Richard

 

42 voyages extraordinaires et solidaires dans le monde, Isabelle Alexandrine Bourgeois, 320 pages, Editions Favre

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11 juillet 2014 5 11 /07 /juillet /2014 08:00
"Comment j'ai vengé ma ville" de Philippe Lamon

De nos jours, il est de bon ton de dénigrer la compétition, la concurrence. Il ne faut pas qu'une tête dépasse les autres. Il faut uniformiser. Il ne faut pas se distinguer pour ne pas faire de tort aux autres. Il ne faut plus noter les enfants à l'école etc. Où l'obsession égalitaire ne va-t-elle pas se nicher?

 

Dans le même temps, et contradictoirement, tout est occasion de classement et il n'est question que de tops (en bon français), tops 10 ou 100: top des PIB des pays, top des ventes de livres, top des équipes de foot ou de rugby, top des joueurs de tennis, top des artistes, top des hommes politiques, top des managers, top des occurrences dans Google, top des blogs...

 

C'est pourquoi, quand sa ville d'origine est classée, depuis cinq ans consécutifs, au dernier rang des villes suisses de plus de 10'000 habitants (par des Zurichois), Benjamin Mercey est interpellé au niveau de son vécu personnel. Et dans Comment j'ai vengé ma ville, Philippe Lamon raconte justement comment il va s'y prendre pour que sa bonne ville de La Rotte n'occupe plus cette fichue dernière place.

 

Lui-même n'est pas un exemple de réussite. Il a abandonné ses études pour écrire un roman. Puis, il a arrêté son roman. Maintenant, il végète dans son job de correcteur au quotidien 30 secondes. Bref, c'est un loser, qui aurait l'embarras du choix s'il voulait faire ressortir les échecs les plus significatifs de sa vie.

 

Sa seule réussite, c'est sa copine, Johanna, une hollandaise, grande, belle, brillante, dont la libido est stimulée par les succès de Roger Federer et ne l'est plus du tout quand le numéro un mondial de tennis essuie un échec... Mais Ben sait que, de toute façon, il ne boxe pas dans la même catégorie que Johanna. Et l'imposture de leur relation improbable ne peut que faire long feu...

 

Pierre, le frère de Ben, préside aux destinées de La Rotte Tourisme et se fait donc du souci. Il est sur la pente savonneuse avec cette dernière place au classement de la ville. Ben, avec l'aide de son colocataire  Dédé, pour Georges-André Chappuis, décide de l'aider à redresser l'image de La Rotte, ce trou du cul du Pays de Vaud, situé à une quarantaine de minutes de route de Lausanne, "enfin, avec une voiture normale"...

 

En vengeant sa ville, Ben espère bien ne plus trouver dans le triste sort de celle-ci une piètre excuse au sien. Si La Rotte gagne ne serait-ce qu'une petite place au classement, il prouvera une bonne fois pour toutes qu'il n'est pas cet éternel adolescent immature que  son frère aîné considère de haut et qui a déçu sa copine.

 

Tour à tour, Ben et Dédé vont donc créer un événement extraordinaire susceptible de faire parler de La Rotte, organiser une soirée gloubi-boulga dans les anciens abattoirs de la ville, faire battre par les habitants de La Rotte et des villes environnantes un record qui sera inscrit dans le Guiness Book, tenter de faire rétrograder une ville située une place au-dessus. Cela sera-t-il suffisant pour que La Rotte ne finisse pas bonne dernière comme l'année précédente?

 

L'épilogue inattendu est le dernier trait d'humour, quelquefois noir, de ce récit désopilant, parfois burlesque, souvent satirique, qui en est truffé. Car le livre de Philippe Lamon fait beaucoup rire le lecteur. Il lui apporte beaucoup de soleil, surtout quand il le lit par temps maussade, accompagné de fortes intempéries.

 

Un des passe-temps de Ben est la lecture. Que lit-il? Schopenhauer et Cioran. Après avoir imaginé un dialogue entre ces deux joyeux drilles, à coup de citations, il conclut:

 

"A côté de ces lascars, même dans mes mauvais jours je fais figure de joyeux luron."

 

Philippe Lamon était-il dans des bons ou dans des mauvais jours quand il a écrit ce roman? Je ne sais, mais je sais après l'avoir lu avec bonheur que c'est un joyeux luron.

 

Francis Richard

 

Comment j'ai vengé ma ville, Philippe Lamon, 206 pages, Faim de siècle et Cousu mouche

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7 juillet 2014 1 07 /07 /juillet /2014 16:40
"L'innovation destructrice" de Luc Ferry

Le dernier livre de Luc Ferry est l'illustration de ce qu'est un pur sophisme.

 

En effet, dans L'innovation destructrice, le philosophe, et ancien ministre, part d'un constat juste et aboutit par un raisonnement qui peut être séduisant, mais qui est biaisé, à des conclusions fausses.

 

Luc Ferry constate en effet que, du fait de la mondialisation, l'innovation est vitale pour les économies et que la France en soustrait les moyens financiers à ses entreprises et que, de toute façon, les Français en ont peur. Pourquoi les Français ont-ils peur de l'innovation? Parce que, du moins dans un premier temps, toute innovation peut créer du chômage, des inégalités - ce qui n'a pourtant pas d'importance en soi du moment que la pauvreté recule -, et, même, de la décroissance.

 

Il constate que, du fait de la mondialisation, les relances keynésiennes par la consommation sont inopérantes et que les Français sont condamnés à innover sans fin, bref que Schumpeter et sa destruction créatrice ont raison contre Keynes et ses relances.

 

A partir de là Luc Ferry introduit dans sa démonstration deux éléments qui répondent à une logique perpétuelle. Il y aurait, selon lui, désormais, innovation pour l'innovation et, par conséquent, rupture incessante avec toutes les formes d'héritage, de patrimoine et de tradition. C'est pourquoi il préfère l'emploi de l'expression innovation destructrice à celle schumpetérienne de destruction créatrice.

 

Le problème, toujours selon Luc Ferry serait que "nous ne savons ni quel monde nous construisons, ni pourquoi nous y allons":

 

"Il ne s'agit plus de viser la liberté et le bonheur, de travailler au progrès humain [...], mais tout simplement de survivre, de se battre et de "gagner" dans un monde de compétition devenu féroce"

 

Cette logique perpétuelle serait le propre du capitalisme chimiquement pur, amoral, dénué de sens.

 

Comme exemple, Luc Ferry donne celui-ci:

 

"Qui peut croire sérieusement qu'on sera plus libre et plus heureux parce qu'on disposera d'une nouvelle version de son smartphone dans six mois? Personne, mais nous l'achèterons tous [sauf moi]. Tel est le monde dans lequel nous sommes entrés."

 

L'innovation destructrice (et son corollaire, la rupture incessante) ne serait pas le propre de l'économie. Elle s'étendrait à tout, notamment aux moeurs, à l'art moderne, dont Luc Ferry dit pis que pendre et qui aurait adopté cette logique perpétuelle, aux dépens du bon, du vrai, du beau.

 

Pour pouvoir redonner vie aux politiques nationales, c'est-à-dire, sous-entendu, redonner leurs chances aux relances keynésiennes, toujours selon Luc Ferry, il faudrait faire en sorte que la mondialisation n'ait plus de prise et, pour cela, il  faudrait faire un détour par l'Europe pour retrouver des marges de manoeuvres.

 

Le problème majeur de la démonstration de Luc Ferry est que les politiques nationales qu'il appelle de ses voeux ne marchent pas, mondialisation ou pas. En effet elles ne font que se traduire par la spoliation de certains au profit d'autres sans jamais créer la moindre richesse.

 

L'autre problème est que l'innovation pour l'innovation n'existe pas en réalité. Une innovation n'a de succès que si elle répond à un besoin. Prenons l'exemple du smartphone. Le smartphone que d'aucuns changeront à chaque évolution leur apportera de nouveaux degrés de liberté, qui diffèreront d'une personne à l'autre, parce que tous ceux qui le changeront, c'est-à-dire certains mais pas tous, n'en feront pas le même usage.

 

En réalité, une innovation n'est pas obligatoirement adoptée par tous ceux auxquels elle s'adresse, au grand dam d'ailleurs des innovateurs. La sélection entre les innovations s'opère avec le temps et c'est le consommateur qui décide en dernier ressort, parfois de manière inattendue. L'innovateur qui échoue apprend alors davantage que s'il avait eu du succès avec son innovation.

 

Prenons l'exemple des vidéos. En 2012, les ventes de DVD baissent. Celles de Blue Ray augmentent, mais elles restent très loin derrière et ne compensent pas la baisse des DVD. Celles des VoD (vidéos à la demande) augmentent considérablement. Mais l'ensemble de la vidéo, physique ou numérique, baisse tout de même par rapport à 2011.

 

Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie peut-être que les téléchargements pirates augmentent, mais peut-être, plus vraisemblablement, que les consommateurs n'ont plus le temps de regarder de films sur ces supports et qu'ils préfèrent passer leur temps autrement, en allant sur Internet, en faisant des jeux vidéo, en regardant une des nombreuses chaînes télé, et, pourquoi pas, en retrouvant les joies de la lecture...

 

Mondialisation ou pas, on innove depuis la nuit des temps parce que les hommes ont une intelligence différente de celle des autres êtres vivants et qu'ils la développent dans la mesure où ils sont libres de le faire. Ce faisant ils créent des richesses et de la prospérité.

 

Il ne faut pas demander au capitalisme d'autre sens que celui de donner à chacun les moyens d'exercer sa liberté et d'échanger une de ses créations, quelle qu'elle soit, contre  une autre. C'est à chacun de donner un sens à sa vie et ce n'est certainement pas aux politiques nationales de le faire à sa place. Il en va de sa dignité d'être humain.

 

Francis Richard

 

L'innovation destructrice, Luc Ferry, 140 pages, Plon

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4 juillet 2014 5 04 /07 /juillet /2014 14:30
"Le pyromane" de Thomas Kryzaniac

Qu'est-ce qu'un pyromane? Dans le langage courant il s'agit d'un incendiaire, occasionnel ou habituel, quelqu'un de dangereux de toute façon. En fait  le passage à l'acte n'est pas une obligation. Un pyromane peut être tout simplement fasciné par le feu. 

 

Dans Le pyromane , le narrateur de Thomas Kryzaniac relèverait de la catégorie des sujets simplement fascinés par le feu. Encore qu'il est bien difficile de ne parler que de fascination dans son cas. Il s'agirait plutôt d'une obsession et le récit ne permet même pas d'être absolument sûr qu'il n'y a jamais eu de sa part de passages à l'acte, tant imagination et réalité peuvent se confondre dans son esprit.

 

D'ailleurs n'est-il pas passé d'une obsession l'autre? Avant que d'être obsédé par le feu, il l'était, enfant, par les chats écrasés sur la route traversant son petit village d'Alsace. Il en tenait registre dans un cahier. Son obsession n'avait cessé que quand il avait découvert que quelqu'un en avait fait périr une vingtaine sur un bûcher, dans un grand feu de joie, au milieu d'un champ:

 

"Personne ne brûlait les chats dans le village. C'était l'acte d'un homme isolé, étranger à nos manières, un homme excédé, comme moi, par ces satanées bêtes, et qui avait voulu exprimer sa colère. Il n'y avait aucun indice à proximité, rien qui pût permettre d'identifier mon allié, mon ami."

 

Parvenu à l'âge adulte, le narrateur vit reclus dans un appartement à Strasbourg, comprenant un salon, une chambre, une cuisine et une salle de bains. Il est tellement obsédé par le feu qu'il l'a vidé de tout ce qui peut s'enflammer facilement: "les papiers, les plantes, les meubles et même les livres", ne gardant que le strict nécessaire pour subsister.

 

Il est tout le temps sur le qui-vive. Il dort mal:

 

"Je vérifie sans arrêt si ma gazinière est bien coupée, si je n'ai pas laissé une casserole sur le feu. Cette routine transforme mon mode de vie. Parfois je me sens si mal que je n'arrive pas à sortir de chez moi: je vérifie, je vérifie encore, mais sitôt le pas de la porte franchi, je me demande si j'ai vraiment bien vérifié, si je ne me suis pas mis ça en tête pour une raison ou une autre, alors je rentre chez moi, et comme je sais que ce manège peut durer des heures, je renonce finalement à sortir."

 

Il aurait bien besoin d'un allié, d'un ami pour conjurer cette menace d'incendie. Après que son canari est mort, en qui il avait fondé beaucoup d'espoirs, il croit un moment l'avoir trouvé en la personne de son nouveau voisin du dessus, Eric Reuner, un artiste-peintre, qui peint des visages de femmes "noyées sous des couches de détritus et des matériaux de récupération collés à même la toile":

 

"La beauté de ces femmes est suggérée derrière la souillure, par un contraste maladroit; je prends pitié d'elles, trop anxieux pour ne pas m'identifier à une représentation du malheur."

 

Mais le courant ne passe pas entre ces deux solitaires, volontiers lunatiques, en dépit de plusieurs tentatives, qui émaillent le récit. Peut-être sont-ils au fond trop semblables ou, au contraire, trop dissemblables. Et l'obsession du feu ne cessera pour le narrateur, comme ce fut le cas avec celle des chats que par une rupture qui ne se produira qu'à la toute fin du livre et dont il prendra, cette fois, l'initiative.

 

Le roman de Thomas Kryzaniac est obsédant. L'obsession de son narrateur, qui ébranle sa confiance en lui-même, est communicative. Il la communique en décrivant ses états d'âme et le dénuement dans lequel il vit et qui ne laisse place qu'à son obsession. Le récit introspectif, servi par un style dépouillé, ressemble à un examen clinique. De quoi frissonner en le lisant. Comme l'eau fait au contact du feu.

 

Tout autour de son personnage, les êtres et les choses prennent des côtés sinistres, qu'il s'agisse des lieux de Strasbourg qu'il arpente, de l'accumulation des faits divers sordides qu'il lit dans les journaux, de la musique de jazz, du hard bop, qu'écoute Eric Reuner et qui pollue son univers sonore, des révélations que ce dernier fait involontairement sur lui-même et que fait également sur lui un visiteur, Arthur Grünewald, qui se présente comme son psychiatre...

 

Quand la rupture se produit, quelque terrible qu'elle soit, le lecteur pousse un soupir de soulagement et comprend que le narrateur, délivré, puisse exprimer le sien en ces termes:

 

"A partir de là je ne me suis plus beaucoup soucié du feu."

 

Francis Richard

 

Le pyromane, Thomas Kryzaniac, 208 pages, L'Age d'Homme

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26 juin 2014 4 26 /06 /juin /2014 23:45
Coffret "Au fil de l'Encre" 6/6, aux éditions Encre Fraîche

Cela fait six semaines que je retire peu à peu des trésors d'écriture du coffret Au fil de l'Encre, que les éditions Encre Fraîche ont publié pour célébrer le dixième anniversaire de leur existence et qui est sorti à l'occasion du dernier Salon du Livre de Genève.

 

Parmi les 22 auteurs de ce coffret, il en est dont je connaissais des écrits, un plus grand nombre dont ce n'était pas le cas. Quoi qu'il en soit, je me suis considérablement enrichi à les lire au fil de ce temps et de leur encre et je les en remercie tous, de tout coeur.

 

Dès le début, je m'étais donné pour règle épicurienne de savourer ce coffret pendant ces six semaines, qui prennent, hélas, fin aujourd'hui, et de rendre compte des nouvelles qu'il contient pendant le même laps de temps, pour ne pas en perdre toute l'essence chemin faisant.

 

Cette semaine, pour la dernière fois, je présente donc des nouvelles du coffret, au nombre de trois seulement cette fois, les dernières, toujours dans l'ordre où elles s'y présentent. Et je n'ai qu'un regret, celui d'être arrivé au bout de l'aventure...

Coffret "Au fil de l'Encre" 6/6, aux éditions Encre Fraîche

Anne-Marie se demande pourquoi sa mère a choisi son prénom, qu'elle trouve ridicule:

 

Un prénom composé. Elle se trouvait justement composée de beaucoup de choses qu'elle n'avait pas choisies. Décomposée aussi, les jours où elle se regardait dans la glace et prenait acte de l'oeuvre du temps sur son corps.

 

Elle imagine que son mari Damien doit lui préférer des jeunes femmes... et elle déteste la vie insipide qu'elle mène maintenant, aussi bien avec lui qu'au cabinet où elle est avocate.

 

Sa vie, toute insipide qu'elle est, va pourtant basculer, à la suite d'un accident de voiture, dont elle semble être sortie indemne, puisqu'elle sait encore comment elle s'appelle, sauf qu'elle dit au médecin qui l'interroge que son prénom ne s'écrit pas avec un Trait d'union, comme le titre de cette nouvelle de Laura Maxwell...

 

Anne-Marie n'est pas seulement décomposée quand elle se regarde dans la glace. Par moments, elle se décompose maintenant en Anne et Marie, Anne l'avocate trépidante et boulimique de stupre, Marie la petite fille, souffre-douleur de la maîtresse et de ses petits camarades de classe, qui ne doit pas ouvrir la porte aux inconnus.

 

Anne-Marie a un malaise lors d'un exposé sur le dossier Durand, devant ses collègues du cabinet d'avocats. Que lui arrive-t-il donc?

 

C'est finalement un pychiatre qui lui en donne les clés, après l'avoir mise sous hypnose.

Coffret "Au fil de l'Encre" 6/6, aux éditions Encre Fraîche

On sait que La recherche commence par cette phrase:

 

Longtemps, je me suis couché de bonne heure.

 

Peut-être Nadia Peccaud s'en est-elle inspirée, inconsciemment ou pas. Car Evangéline, veuve d'Andréas, doit passer quelques jours chez son fils Jonas et sa valise est prête. C'est pourquoi Demain elle se lèverait de bonne heure...

 

Mais aujourd'hui ses jambes pèsent des tonnes:

 

Elle était contrariée, elle n'avait pas l'habitude de rester inactive et acceptait mal que son corps lui rappelle le temps qui passe, le temps qui reste serait plus juste.

 

Maya a trouvé un journal intime sur son lieu de travail et ne résiste pas à la tentation de le lire. Une lettre adressée à une certaine Stefa par un certain Ralph est collée sur ce banal cahier d'écolier. C'est une magnifique lettre d'amour entre deux jeunes gens que sépare depuis un an le mur de Berlin.

 

L'auteur apprend peu à peu au lecteur qu'Evangéline, trouvée inconsciente à côté de sa valise, a été admise à l'hôpital Saint Vincent où Maya travaille au service de réanimation; qu'Andréas est le frère de Stefa; que Stefa, souffrant d'être séparée de Ralph a mis fin à ses jours; qu'on ne sait pas trop ce qu'est devenu Ralph.

 

L'épilogue de cette histoire, dont les morceaux s'assemblent les uns après les autres comme ceux d'un puzzle, semble confirmer que la vie n'est que question de destin. Autrement dit qu'il n'y a pas vraiment de hasard.

Coffret "Au fil de l'Encre" 6/6, aux éditions Encre Fraîche

Grégoire passe ses vacances d'été en famille, au bord de la mer.

 

Sa famille? Son père Louis, sa mère Nicole, son oncle Gérald, sa tante Brigitte et son cousin Fabien.

 

Louis et Gérald sont frères, mais ils sont très différents. Le premier serait plutôt pudibond, le second volontiers exhibitionniste. Et leurs fils sont à leur image. Fabien, un peu plus âgé que Grégoire, est déluré et ne se prive pas de chambrer son cousin sur son ignorance des choses de la vie. Il sait par exemple que Grégoire ne comprend pas pourquoi il appelle "change-shower-branlette-et-gogues" ce que leurs parents appellent "cabine de plage"...

 

Cette différence de maturité provient vraisemblablement de l'éducation qu'ils reçoivent de leurs parents respectifs. Fabien se plaint d'ailleurs que sa tante Nicole ait une mauvaise influence sur sa mère Brigitte et que les deux belles-soeurs s'entendent pour que les deux cousins ne puissent rien faire quand ils se voient l'été:

 

Il enrageait d'autant plus que la visite de son cousin équivalait toujours à une restriction de sa liberté. Après son départ, l'étau restait serré quelque temps. Et puis, semaine après semaine, il parvenait à assouplir l'étreinte et à recouvrer ses droits. Jusqu'à l'été suivant, où sa mère succombait aux nouvelles manies de sa belle-soeur.

 

Guy Chevalley raconte cependant comment, un beau jour, Grégoire va finalement faire Peau neuve, tout seul, comme un grand, dans ce lieu de puanteur aux relents d'urine qu'est une "cabine de plage"...

 

Francis Richard

 

Episodes précédents:

 

Episodes précédents:

 

Coffret "Au fil de l'Encre" 5/6 aux éditions Encre fraîche

Coffret "Au fil de l'Encre" 4/6 aux éditions Encre fraîche

Coffret "Au-fil de l'encre" 3/6 aux éditions Encre fraiche

Coffret "Au fil de l'encre" 2/6 aux éditions Encre fraîche

Coffret "Au fil de l'encre" 1/6 aux éditions Encre fraîche

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24 juin 2014 2 24 /06 /juin /2014 22:20
"Le Milieu de l'horizon" de Roland Buti

En 1976, il n'était pas encore question de réchauffement climatique. Ce n'était pas tendance. Et pourtant l'Europe a connu cet été-là une canicule mémorable, et isolée. La preuve, je m'en souviens...

 

Le roman de Roland Buti, Le Milieu de l'horizon, se passe à ce moment-là, dans cette chaleur improbable, propice aux ruptures de temps, dans les deux acceptions du terme.

 

Auguste Sutter a treize ans, cet âge incertain où l'on n'est bientôt plus un enfant, sans être pour autant un adulte, où l'on est adolescent, cet entre-deux. Auguste est encore Gus pour les siens et lit le Journal de Spirou.

 

Le père de Gus, Jean, est paysan et fier de l'être:

 

Pour lui, les historiens avaient toujours minimisé le travail têtu des paysans qui avaient modelé le paysage et nourri ceux qui pouvaient alors se consacrer à d'autres tâches plus visibles et plus prestigieuses.

 

Il a une exploitation qui comporte des terres cultivées, des prés et surtout une poussinière, dans laquelle il a investi des centaines de milliers de francs:

 

Papa pensait que le poulet rôti jusque-là servi cérémonieusement le dimanche à la table familiale des bourgeois ne pouvait que se démocratiser.

 

Il voyait juste. Mais si voir juste est nécessaire, c'est insuffisant pour réussir...

 

Pour l'aider, il a Rudolf Biedermann, Rudy, le fils demeuré d'un cousin éloigné du Seeland. Qui a dépassé la trentaine et vit seul, mais ne désespère pas de trouver l'âme soeur:

 

Chaque femme qu'il avait l'occasion de croiser, jeune ou vieille, belle ou laide, était celle qui depuis si longtemps lui était destinée, mais qu'un malheureux concours de circonstances avait jusque-là tenue loin de lui.

 

La mère de Gus, à trente-quatre ans, a l'air d'une fillette. Pourtant elle mène une vie étriquée. Elle souhaiterait qu'elle le soit moins pour ses enfants:

 

Maman était en permanence occupée à une multitude de tâches accaparantes qui devaient l'empêcher de trop désespérer.

 

La soeur de Gus, Léa, est son aînée de quatre ans. Elle est musicienne. Elle fait un distinguo entre culture et nature. Son frère relève de la deuxième catégorie...

 

Le grand-père de Gus, Annibal, que tout le monde appelle Anni, a pris sa retraite:

 

Depuis qu'il avait remis l'exploitation à papa, c'était pour lui un point d'honneur de ne plus se mêler de rien, de laisser à son fils la maîtrise totale des affaires; lorsqu'il passait à la maison, il ne faisait jamais aucune remarque sur la marche de la ferme, exactement comme si elle ne lui avait jamais appartenu.

 

Bagatelle est la jument de la ferme. Elle a vingt-sept ans et a l'air d'attendre la mort sans jamais fermer les yeux ni pouvoir se coucher pour dormir.

 

Sherif est le chien de la ferme. Il a une fâcheuse tendance à tourner de l'oeil... sous cette chaleur caniculaire.

 

Madeleine, Mado, est une fille de l'âge de Gus. Elle tourne autour de lui. Elle se colle et se frotte à lui, comme un petit animal...

 

Non seulement les éléments - un violent orage succède un jour à la sécheresse estivale -, mais le comportement des êtres - notamment l'irruption de Cécile, l'amie de sa mère, dans leur vie -, vont perturber leur univers et Gus, bien malgré lui, sera obligé de grandir pour devenir Auguste.

 

Et puis treize ans est, à l'époque, l'âge des premiers émois, et le corps de Gus réagit à la vue nocturne de Cécile, en chemise de nuit, venue boire du lait à la cuisine, ou quand le corps de Mado se frotte à lui dans l'eau froide du réservoir qui alimente les robinets du village...

 

Roland Buti, très naturellement, restitue cette atmosphère lourde de la campagne écrasée de soleil, puis accablée sous un ciel dur, prêt à se déchirer. Sous la pression qui monte, les êtres se font plus violents et les senteurs qui émanent d'eux plus fortes. Quand la pression retombe, il ne reste plus qu'à faire l'inventaire des dégâts...

 

Francis Richard

 

Le Milieu de l'horizon, Roland Buti, 192 pages, Zoé

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19 juin 2014 4 19 /06 /juin /2014 22:30
Coffret "Au fil de l'Encre" 5/6, aux éditions Encre Fraîche

Au jeu du coffret je suis parvenu en cinquième semaine. Je poursuis la chasse au trésor du contenu d'Au fil de l'Encre, que les éditions Encre Fraîche ont publié pour célébrer le dixième anniversaire de leur existence et qui est sorti à l'occasion du dernier Salon du Livre de Genève.

 

Dès le début de cette aventure, je me suis donné pour règle épicurienne de savourer ce coffret pendant six semaines et de rendre compte des nouvelles qu'il contient pendant le même laps de temps, pour ne pas en perdre toute l'essence chemin faisant.

 

Cette semaine, pour la cinquième fois, je présente donc des nouvelles du coffret, au nombre de quatre cette fois encore, dans l'ordre où elles s'y présentent, un ordre comme un autre. Et je suis ravi, comme chaque semaine, de ce que je découvre.

Coffret "Au fil de l'Encre" 5/6, aux éditions Encre Fraîche

La nouvelle d'Anna Gold est de circonstance, puisque le ballon rond y joue un rôle qui, multiplié, serait salutaire. But. Un conte pour la paix se déroule en Israël, cette terre sainte où les trois religions du Livre se donnent rendez-vous et se manquent.

 

Un jeune adolescent, Daniel, d'origine française, y vit avec ses parents et sa soeur, dans un kibboutz, au sud, à la lisère du désert, dont il est complètement fou:

 

Il me fascine. Il me permet de rêver, d'imaginer des formes. Le sable immobile crée l'infini. Le sable agité forme des dunes au gré du vent. Le sable furieux aveugle et engloutit.

 

C'est aussi en face du désert que son ami Samuel, orphelin de père peut le pleurer... en s'adressant au sable qui, parfois, enterre.

 

Dans ce pays, les relations entre parents et enfants sont faussées:

 

A cause de la guerre latente qui règne ici, les pères israéliens confrontés quotidiennement avec la mort, veulent donner le meilleur à leurs enfants. Sans poser de limites. Sans franchement endosser le rôle de l'homme sévère qui distribue parfois les punitions.

 

Aussi les enseignants ont-ils beaucoup de mérite à essayer d'éduquer les enfants qui leur sont confiés, tels Daniel ou Samuel à qui leur pères, naturels ou adoptifs, font des cadeaux et pas de reproches.

 

Un jour, leurs profs, Rachel et Sarah, organisent un voyage scolaire à Jérusalem en application des cours de religion:

 

[Elles] tentent désespérément de nous faire comprendre que Jérusalem est sainte pour les grandes religions monothéistes. Elles donnent des exemples, simplifient l'histoire pour que nous comprenions que, ce qui devrait unir, divise.

 

Samuel est l'auteur d'une plaisanterie au détriment de Ronit et Tali, deux filles qui se croient supérieures. Daniel est alors saisi d'un fou rire qui lui vaut d'être puni à sa place et de rester tout seul à l'arrière. C'est alors qu'il a l'oeil attiré par une jolie cour intérieure, où un ballon traîne.

 

Le groupe s'est arrêté. Daniel en profite pour aller jouer au ballon en attendant que la file ne reparte. Mais, quand il a fini de jouer, le groupe a disparu. Il n'arrive pas à le retrouver et revient sur ses pas. Dans la jolie cour intérieure quelqu'un joue avec "son" ballon...

Coffret "Au fil de l'Encre" 5/6, aux éditions Encre Fraîche

C'est le printemps. Madame Watanabe, prénommée Estelle, a suivi le traitement de Patrice, son tendre allergologue, contre son allergie aux pollens et, pour la première fois, depuis des années, elle prend du plaisir à son avènement.

 

C'est le matin. Estelle se tourne dans le lit du côté de son mari, prénommé Makoto. Elle pousse un hurlement et saute du lit. Il a été remplacé par une carpe:

 

Pas n'importe quelle carpe. Un poisson décoratif des étangs nippons, une  koï blanche, tachetée de rouge. Elle mesurait plus d'un mètre et demi, à peine moins que Monsieur Watanabe qui n'était plus là, remplacé qu'il était par le poisson qui ouvrait et fermait sa gueule.

 

La femme à la carpe, imaginée par André Ourednik, se demande ce qui s'est passé:

 

Estelle rationnalisa. Hypothèse A: son mari s'était caché et avait mis un poisson à sa place. Hypothèse B: on avait enlevé son mari et laissé la carpe en guise de menace. Ces deux hypothèses étaient incongrues. Pour B, Makoto n'avait pas d'ennemis originaux. Pour A, Makoto n'était pas original ou alors des années auparavant, et jamais à ce point.

 

Estelle doit se rendre à l'évidence. Son mari s'est transformé en carpe... Elle demande conseil à Monsieur Sekisawa, qui tient un bouiboui à Ouchy, et qui lui explique que les koïs sont de gros mangeurs. Lui et trois acolytes transportent Makoto dans la baignoire de la salle de bains, bien filtrée et aérée.

 

Cinq mois plus tard, Makoto a pris du poids. Estelle n'est toujours pas sûre que c'est bien lui ou qu'on l'a remplacé. Elle ne pense pas que le bien de Makoto soit dans cette baignoire et prend une décision irréversible, rendue d'autant plus facile qu'elle aime son allergologue de Patrice...

Coffret "Au fil de l'Encre" 5/6, aux éditions Encre Fraîche

Vifka se rend pour la première fois à un cours de cuisine, recommandé par son amie Lhassa, raconte Catherine Cohen. Ce cours a lieu à L'Ecole de l'Etang, sa première école avant qu'elle n'aille à l'orphelinat.

 

Nâ, la jolie chef, la met avec Zaza, pour faire équipe. Elles se racontent leurs histoires de recettes de famille et Zaza plaisante Vifka, qui cherche à rencontrer de nouvelles têtes à ce cours de cuisine et qui, avec ses yeux perçants, son visage de chat, ne devrait avoir aucun problème à décrocher le monsieur.

 

Mais le garder n'est-il pas le plus dur? La cuisine de Vifka lui permettra-t-elle de le garder? Elle ne croit pas vraiment que la cuisine permette de retenir les petits maris qui se débinent, comme il est dit dans la chanson interprétée par Juliette Gréco:

 

Les cours de cuisine seraient pleins à craquer si c'était vrai...

 

La semaine suivante, Lhassa est là cette fois, avec son Zoroastre, parce qu'il est arrivé comme Zorro et qu'il est beau comme un astre... En fait, il s'appelle Julian et a amené Ulysse, un Appolon... qui ne laisse pas indifférente Vifka et qui, lui-même, n'est pas indifférent à ses charmes.

 

Comme par hasard, à la fin du cours, les élèves sont tous partis, sauf Vifka et Ulysse:

 

Ils sont seuls. C'est le silence. Tout près l'un de l'autre. Leur respiration s'entend. Le corps de Vifka brûle soudain. Son plexus chauffe. Le désir monte. Elle est hors d'haleine. C'est tellement grisant ce qui se passe dans cette cuisine. C'est la vraie rencontre. Elle s'étonne de sa transformation. En une seconde, elle a tout oublié, tout envoyé loin...

 

Lors de la troisième leçon, Ulysse ne devrait pas être là. La semaine précédente, il avait remplacé quelqu'un... Mais il est là et l'emmène après le cours faire une balade en moto sous l'orage ...

Coffret "Au fil de l'Encre" 5/6, aux éditions Encre Fraîche

Nora , le vendredi soir, traverse la ville à pied. Elle escalade le mur du cimetière. Elle se rend sur la tombe de son frère Frédéric. Elle lui parle, nous dit Jean-Luc Chaubert:

 

Elle lui raconte sa semaine. Elle lui dit sa peine et son inquiétude de voir leur mère s'assombrir toujours davantage, le regard souvent perdu dans la fumée de ses cigarettes et les vapeurs de gin ou de vodka. Elle lui murmure aussi sa révolte contre leur père. Puis elle sort de son sac à dos le cabas contenant une barre de chocolat, une pomme, des biscuits, un sachet de bonbons. Elle le dépose sur le gravier blanc. Elle embrasse la sépulture et s'enfuit entre les cyprès.

 

Le cabas a disparu. Il a été remplacé par un petit papier plié sur lequel a été écrit le mot: merci. Ce n'est pas l'écriture de Frédéric. Nora découvrira que c'est celle de Joáo, un jeune homme qui a eu des problèmes - sa mère, enfuie en Suisse avec un autre homme, a dû le reprendre - et qui, lui aussi, est révolté contre son père... Elle fera sa connaissance dans le pavillon des croque-morts du cimetière, où il passe ses nuits.

 

Nora et Frédéric sont chez Mariette, la copine de leur père. Ce dernier avait promis de les emmener au cinéma puis au restaurant, mais il les plante seuls devant la télé pour aller bouffer une fondue avec des potes. Alors le sang de Frédéric ne fait qu'un tour et il se casse pour ne plus revenir. Et, effectivement, il ne reviendra plus, puisqu'il meurt au guidon de son vélo sans lumière quelques instants plus tard...

 

Peu de temps après la mort de son frère Frédéric survient celle de sa grand-maman Anna:

 

Sa grand-mère qui lui a appris la langue que l'école ne lui a pas apprise, qui lui a raconté les histoires que son père ne lui a pas racontées, qui lui a donné l'amour que sa mère ne lui a pas donné.

 

Sa rencontre avec Joáo change alors la vie de Nora, qui n'arrive pas à construire son corps de femme, flottant entre enfance et adolescence:

 

Paradoxalement, sur la sépulture de son frère ou dans la nuit du pavillon des croque-morts, auprès de Joáo, Nora a l'impression de connaître une forme de résurrection. Elle a le sentiment d'être à nouveau quelqu'un pour quelqu'un, d'être écoutée, d'être considérée pour ce qu'elle pense et ce qu'elle est.

 

Mais la vie est pleine de désappointements...

 

Francis Richard

 

Episodes précédents:

 

Coffret "Au fil de l'Encre" 4/6 aux éditions Encre fraîche

Coffret "Au-fil de l'encre" 3/6 aux éditions Encre fraiche

Coffret "Au fil de l'encre" 2/6 aux éditions Encre fraîche

Coffret "Au fil de l'encre" 1/6 aux éditions Encre fraîche

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18 juin 2014 3 18 /06 /juin /2014 19:10
"Journal d'un Blanc" d'Arnaud Robert

Le titre du livre peut surprendre, Journal d'un Blanc. C'est sous ce titre qu'Arnaud Robert a tenu une chronique dans Le Nouvelliste, le plus ancien quotidien d'Haïti:

 

Quand j'ai choisi le titre Journal d'un Blanc, je voulais relever avec ironie le paradoxe d'un étranger qui se mêle, au fond, de ce qui ne le regarde pas. D'inombrables fois, en Haïti, on m'a renvoyé à ma condition de Blanc, cette frontière hermétique qui interdit, à la fin, de saisir ce dont il retourne. Je ne m'étais jamais senti blanc avant d'aller en Afrique, avant d'aller en Haïti. Je n'avais pas compris qu'il n'était pas question véritablement de couleur de peau quand on m'appelait blan. Se manifestait dans la formule, des siècles de rapport de force, une assignation à la puissance économique, le dégoût d'une hiérarchisation dont rien, encore, n'est venu à bout.

 

Le livre reproduit donc une cinquantaine de ces chroniques, auxquelles a été ajouté un texte où l'auteur parle des dix années pendant lesquelles il a fait des rencontres dans ce pays qu'il aime et dont il aime la singularité. Ce qui n'est pas pour me déplaire.

 

Dans son avant-propos, il donne le ton. Il parle d'une jeune femme rousse qui se trouve dans l'avion à destination de Port-au-Prince et qu'il imagine se réjouir à l'avance des bonnes paroles qu'elle prononcera pour sauver des tombereaux d'âmes:

 

Mais en arrivant, elle a filé directement dans les bras d'un Haïtien aux tresses rasta. On ne souhaite que cela, au fond. Le jour où les Blancs ne viendront plus seulement sur cette île pour la sauver. Mais pour l'aimer.

 

Ces chroniques font apparaître Haïti sous un jour différent des clichés habituels, peut-être parce qu'Arnaud Robert est suisse et qu'il porte un regard nécessairement complice sur ce pays dans lequel se mire le sien:

 

Pour moi la Suisse et Haïti sont des terres qui se reflètent, deux poids qui équilibrent ma balance intérieure. Je n'ai jamais ressenti la Suisse comme le pays le plus riche du monde, comme je ne considère pas Haïti comme le plus pauvre du monde. Ce sont deux pays infinitésimaux, dont les ambitions sont démesurées, excessives, deux pays qui pensent leur naissance comme une bénédiction, deux îles au fond qui ont dû sans cesse se rebeller contre leurs propres rivages et qui utilisent leur culture comme un outil d'expansion du territoire.

 

Dans ces chroniques Arnaud Robert parle donc des êtres et des choses en Haïti avec amour. Il le fait à la faveur de détails vrais, et singuliers, qui sont bien plus révélateurs que n'importe quelle démonstration argumentée. Les Haïtiens portent, par exemple, beaucoup de soins à l'état de leurs chaussures:

 

On dit souvent que Haïti est un chaos. Mais, la manière dont les Haïtiens traitent leurs chaussures, la façon qu'ils ont de se lire les uns les autres par les pieds, prouvent qu'il existe ici un ordre impérieux. Une injonction à marcher droit.

 

Ce n'est pas un hasard, s'il emploie la même expression, ordre impérieux, à propos d'une tradition haïtienne, qui [pour les décideurs de la société haïtienne] porte les stigmates d'une africanité honnie:

 

Il y a dans le vodou un ordre impérieux, une cohérence supérieure qu'on appelle le sacré...

 

Pourquoi Arnaud Robert aime-t-il Haïti? Il le dit au détour d'une chronique sur les efforts prodigués, pour le promouvoir, par la ministre du tourisme haïtien, femme de trente ans, belle comme une fleur d'hibiscus, en essayant de vendre un pays dont elle rêve mais qui n'existe pas:

 

Ce que j'aime en Haïti, ce n'est probablement pas ce que le touriste de masse aime. J'aime mesurer mon petit créole minable face à une marchande, j'aime une cérémonie sous la lune, j'aime des artistes qui ne travaillent pas en série, j'aime des écrivains qui ont mauvais caractère et des plages si mal aménagées qu'on a l'impression qu'on les foule pour la première fois.

 

Un exemple de détail. De même que la Suisse a ses marques bien de chez elle telles que le Cenovis, le Rivella ou l'Aromat, Haïti a les siennes, les cigarettes Comme Il Faut et la bière Prestige:

 

C'est un détail. Mais un pays dont la seule image exportée est celle de la misère crasse et de l'instabilité maladive, accorde à ses marques une propriété presque magique. Elles sont, plus que les canons sur le drapeau, le signe irréfutable qu'Haïti ne vit pas seulement dans l'imaginaire de ceux qui l'ont quittée et de ceux qui veulent la fuir. Haïti est aussi contenue, entre mille autres lieux, dans de petites bouteilles et du papier à rouler.

 

Il donne un autre exemple de ce qu'est Haïti avec l'histoire d'un jeune homme qui, après s'être acquitté de toutes ses dettes, se retrouve sans un sou en poche:

 

Pour passer le mois, il devra s'endetter encore auprès de banquiers informels qui, eux-mêmes, sont harcelés par des créanciers plus fortunés. Et, dans cette chaîne sans fin des nécessités palliées et des usures de proximité, quelque chose se joue de l'identité haïtienne. L'essentiel de ce peuple vit à crédit. Chacun doit à son voisin de pouvoir continuer. On pourrait voir cette forme de solidarité comme l'ultime définition de la rapacité libérale. Taxer le plus possible celui qui en a besoin, exiger d'un plus pauvre que soi qu'il paie indéfiniment les intérêts d'une dette dont il a depuis longtemps oublié l'origine. Mais ce pays, dont on dit souvent qu'il respire encore grâce à l'aide internationale, évite quotidiennement la révolution grâce à ses usuriers improvisés.

 

Faut-il s'en réjouir?

 

On regrettera, également, au passage, l'emploi conformiste de cet oxymore, rapacité libérale, que l'on retrouve formulé semblablement quand l'auteur énumère de quoi étouffe Haïti:

 

Haïti étouffe du néolibéralisme rapace, mais aussi de l'assistanat par les ONG, de ses élections clientélistes et de ses putschs permanents.

 

Cette conception caricaturale du libéralisme est en effet fausse monnaie courante. Il ne vaut cependant pas la peine de s'attarder sur de telles contre-vérités. Il vaut mieux retenir que le livre d'Arnaud Robert est une peinture amoureuse d'un pays lui-même victime de bien des caricatures et qui apparaît sous sa plume dans une tout autre lumière. 

 

Francis Richard

 

Journal d'un Blanc, Arnaud Robert, 220 pages, L'Aire

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15 juin 2014 7 15 /06 /juin /2014 19:00
"Ils ont perdu la raison" de Jean de Kervasdoué

Jean de Kervasdoué vient du Parti socialiste français - il a participé aux premières réunions de sa "commission recherche". De militant, il est devenu simple compagnon, se disant et se pensant toujours de gauche, parce qu'engagé "pour une société plus juste".

Son éloignement est dû à l'abandon par le parti de ses convictions en matière de progrès, notamment scientifique. Il sait très bien, comme ceux de sa génération, qui n'ont pas perdu la mémoire - il est né en 1944 -,  tout ce que l'humanité lui doit.

 

Selon lui, la gauche, après la droite, a perdu la raison à son tour: tous ils ont perdu la raison.

 

Pour le montrer, dans son livre éponyme, il aborde plusieurs thèmes, où cette perte de raison a des conséquences véritablement néfastes pour la France.

 

Cette perte de raison vient de la confusion des ordres, de la confusion entre ce qui ressort de la physique et ce qui ressort de la métaphysique:

 

"Le sort des hommes, voire leur salut, et la marche du monde ne se "répondent" [...] pas, et pour cause: ils sont d'une autre nature."

 

La démarche scientifique est de faire des hypothèses, de douter, voire de réfuter, et non pas de croire:

 

"Une hypothèse n'est jamais un dogme, mais une manière abstraite de voir le monde dont le scientifique va chercher à savoir si elle "marche". Si elle est fausse, ne serait-ce que dans un cas, cela suffit à la rejeter, d'où l'importance de la réfutation."

 

La tribu des scientifiques surmonte ses divergences et corrige ses erreurs d'elle-même:

 

"Pour assouvir leur curiosité, [les scientifiques] étudient en détail le travail des autres (bibliographie), essayent de montrer les limites des recherches des collègues, dupliquent leurs expériences, mais quand les découvertes "tiennent", la compréhension du phénomène progresse et la discipline avance."

 

C'est ainsi qu'elle a transformé le monde et qu'elle continue de le faire. La civilisation qui est née de cette transformation a cependant fait apparaître l'aléatoire:

 

"L'aléatoire exige un agnosticisme de l'esprit: pour lui, l'homme n'est qu'un objet d'interrogation, comme le monde l'est pour la science." (Elie Arié, Marianne, 18 mars 2013)

 

Nos contemporains ont horreur de ce vide ainsi créé sous leurs pas: c'était mieux avant!

 

Dans son livre, l'auteur montre qu'à l'épreuve de la science, sur bien des sujets, tels que le diesel, les OGM, les pesticides - ces médicaments des plantes -, l'énergie nucléaire, le gaz de schiste, le risque réel n'a rien à voir avec le risque perçu. Et le principe de précaution s'applique alors inconsidérément, après avoir été introduit indûment dans la Constitution...

 

Le mécanisme utilisé, dans le cas du diesel (dans les autres sujets, il est similaire), pour donner cette perception biaisée du risque est de se baser sur des "chiffres aussi fantaisistes que malhonnêtes":

 

"On s'appuie sur une peur profondément ancrée, quoique peu fondée. On prend pour argent comptant les conclusions d'une étude discutable, mais suffisamment technique pour que personne ne la lise. On généralise à la France la situation de pays autrement pollués. On fait donc peur sans raison et on condamne une partie de l'industrie française."

 

Et, ce faisant, on oublie de mettre en regard des risques réels, connus et mesurés, les considérables bénéfices que l'on retire, en s'appuyant davantage sur des croyances que sur des analyses empiriquement fondées.

 

L'auteur cite un magnifique article paru dans La Petite République du 31 juillet 1901, signé Jean Jaurès, qui devrait donner matière à réflexion à ses successeurs socialistes, devenus conservateurs, et, même, pourquoi pas, aux écolos, défenseurs patentés de la nature, et dont j'extrais quelques lignes:

 

"Ni le blé, ni la vigne n'existaient avant que quelques hommes, les plus grands génies inconnus, aient sélectionné et éduqué, lentement quelque graminée ou quelque cep sauvage. [...] Il n'y a pas de vin naturel; il n'y a pas de froment naturel. Le pain et le vin sont un produit du génie de l'homme. La nature est elle-même un merveilleux artifice humain."

 

Jean de Kervasdoué rappelle qu'il ne faut pas confondre santé et médecine:

 

"Plus de médecine ne veut pas dire systématiquement plus de santé."

 

Il précise:

 

"Comme les Français pensent que plus de médecine conduit systématiquement à plus de santé, quand il y a déficit des comptes de l'assurance maladie, c'est donc que l'argent manque et pas que cet argent est mal employé. Jusque-là, c'est, dans cette logique, "évident"; ce qui l'est moins c'est que l'on n'évoque pour traiter des questions financières que le volet des recettes nouvelles ou des baisses de remboursement, mais ni celles de l'organisation des soins ou du bien-fondé des prescriptions."

 

Dans chacun des thèmes que Jean de Kervasdoué aborde, il relève le même processus:

 

"L'opinion dicte son point de vue, l'Etat offre une légitimité à ceux qui l'influencent - pour ne pas dire le manipulent - et les mêmes se portent juges de la décision politique."

 

A propos de la santé, l'auteur fait un pas remarquable vers la liberté - de devoir créer une entreprise lui a sans doute entrouvert les yeux sur la nécessaire liberté d'entreprendre -, mais ses origines socialistes l'empêchent d'aller jusqu'au bout du raisonnement et de remettre en cause l'intervention de l'Etat dans des fonctions qui ne sont pas régaliennes, mais régulatrices, injustifiées et inopérantes:

 

"Jusqu'où est-on prêt, individuellement et collectivement, à abandonner la liberté au nom de la santé? Quand personne d'autre n'est concerné, l'Etat ne devrait pas s'en mêler; en revanche quand le comportement de l'un peut nuire à l'autre, l'Etat devient légitime, à la condition toutefois que les mesures soient fondées et efficaces, ce qui est loin d'être toujours le cas."

 

Qui détermine quand le comportement de l'un peut nuire à l'autre?

 

Toujours est-il, que, dans cet esprit, il rejette la concurrence des compagnies d'assurances en matière de maladie, qui aurait échoué à faire baisser les dépenses de santé aux Etats-Unis, en Allemagne et aux Pays-Bas,  et se prononce contre la liberté de prescription sans contrôle, qui aurait vécu.

 

Mais, dans l'ensemble, ce livre a un mérite, celui de montrer de manière argumentée, que notre époque est bien celle de l'avènement des sophistes et que "ce qui compte, ce n'est pas de dire le vrai, mais de convaincre" :

 

"On comprend alors qu'il suffise que l'opinion renvoie à l'opinion du moment et que ceux qui écoutent soient convaincus par les faiseurs d'opinion pour qu'une analyse devienne "vraie" et que les contradicteurs empiristes soient, au mieux, qualifiés de provocateurs."

 

Ce n'est pas un mince mérite... par les temps qui courent.

 

Francis Richard

 

Publication commune avec lesobservateurs.ch

 

Ils ont perdu la raison, Jean de Kervasdoué, 240 pages, Robert Laffont

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12 juin 2014 4 12 /06 /juin /2014 22:55
Coffret "Au fil de l'Encre" 4/6, aux éditions Encre Fraîche

Pour la quatrième semaine, je poursuis la présentation du contenu du Coffret Au fil de l'Encre que les éditions Encre Fraîche ont publié pour célébrer le dixième anniversaire de leur existence et qui est sorti à l'occasion du dernier Salon du Livre de Genève.

 

Le mot coffret m'avait d'emblée fasciné. Je savais que ce petit coffre noir ne pouvait renfermer que des écrits de valeur.  Et j'ai été déçu... en bien.

 

Je m'étais donné pour règle épicurienne de savourer ce coffret pendant six semaines et de rendre compte des nouvelles qu'il contient pendant le même laps de temps, pour ne pas en perdre toute l'essence chemin faisant. Ce n'est pas un devoir que d'observer cette règle. C'est un plaisir, que je prolonge...

 

Voici donc, pour cette quatrième fois, le compte-rendu de quatre nouvelles, dans l'ordre où elles se présentent dans le coffret.

Coffret "Au fil de l'Encre" 4/6, aux éditions Encre Fraîche

Lucie, l'héroïne de Silvia Härri, a décidé de se rendre en pèlerinage sur le lieu de leurs dernières vacances avec leur fils Jonas, une île, qui sera désormais L'île de Jonas.

 

Philippe, son mari, a refusé de l'accompagner. Il n'a pas compris qu'elle veuille ainsi retourner le couteau dans la plaie.

 

Lucie, en fait, ne veut pas que certaines bribes de son passé deviennent cotonneuses, qu'elles s'effilochent, qu'elles disparaissent dans l'obscurité. Pour ne pas les perdre, il faut qu'elle y retourne, sans délai:

 

Un jour, elle ne saura plus si ses yeux verts tiraient sur le gris ou sur la noisette, si son parfum préféré était chocolat ou citron, le nom de sa meilleure amie Magali ou Anna, s'il supportait plutôt Messi que Neymar.

 

Philippe veut oublier que Jonas est mort, au moins un peu:

 

Il faut passer à autre chose, on ne peut pas vivre perpétuellement dans le passé. Il faut s'autoriser à vivre, même si c'est difficile.

 

Lucie part donc seule pour cette île dont les noms de lieux, Markopoulo, Kastro, Dhrogarati, que Philippe, Jonas et elle, ont visité ensemble, indiquent qu'elle est grecque. Elle remet ses pas dans les leurs de cet été-là, y compris dans cette église où le pope brandit un encensoir. Mais elle la quitte, en rogne:

 

Elle ne brûlera pas de cierge à un dieu aveugle et sourd. Elle ne rendra pas hommage à celui qui laisse vivre les mères plus longtemps que leurs enfants en inversant l'ordre qu'il a lui-même établi dans sa si grande sagesse, pas plus qu'elle ne rendra grâce à celui qui creuse une fosse entre maris et femmes, sans rien faire pour les rapprocher.

 

Au terme de ce pèlerinage, elle prend une décision irréversible, qui s'impose à elle, comme une évidence.

Coffret "Au fil de l'Encre" 4/6, aux éditions Encre Fraîche

Ueli n'est ni un héros, ni un martyr. Il a vécu A l'abri des bruits et des hommes. Et Arthur Brügger se souvient de lui. Peut-être est-ce parce qu'autrement personne d'autre ne se souviendra de lui, comme on ne se souviendra pas de la majorité d'entre nous qui menons une vie insignifiante, sans la moindre chance de laisser aucune trace.

 

Pourtant Ueli, tout insignifiant qu'il est, n'est pas comme les autres:

 

Il est né gueule-de-loup, la lèvre inférieure fendue jusqu'aux narines.

 

Sa mère avait voulu le faire disparaître à sa naissance. Comme, pour se faire pardonner ce premier mouvement d'humeur, elle le couvera, tant et si bien qu'il deviendra trop gros pour courir comme les autres gamins. Alors, il regardera tout avec une patience et une fascination fabuleuses:

 

Il avait ce regard simple sur les choses, et cet émerveillement rare pour tout ce qui existe. Mieux: il s'émerveillait du simple fait que la chose existe.

 

De là à dire qu'il est simple d'esprit, il n'y a qu'un pas que d'aucuns franchissent.

 

En fait, il prend son temps pour comprendre les choses, mais il les comprend. Ce qui lui permet de faire un apprentissage d'électricien et de passer brillamment les examens, mais ce qui ne peut faire l'affaire d'un employeur soucieux de rentabilité. Il vivra donc de subsides versés par les assurances sociales...

 

Il vivra toute sa vie à la ferme familiale et survivra à tout le monde, à son grand-père qui avait abattu devant lui son cheval, vieux et fatigué; à son père, mort dans un accident; à ses deux frères, l'un mort de maladie et l'autre de suicide; à sa mère, avec laquelle il aura vécu une sorte de concubinage étrange pendant plus de quarante ans, sans connaître d'autres femmes.

 

Chaque être humain, aussi insignifiant soit-il, n'est-il pas unique et ne devrait-on donc pas se souvenir de son court passage sur terre?

Coffret "Au fil de l'Encre" 4/6, aux éditions Encre Fraîche

Entre gens de bonne volonté il y a toujours moyen de s'entendre. N'est-ce pas?

 

Pour l'Europe, sur un esquif surchargé, Fouad a quitté son pays natal africain, où la monoculture du coton a conduit à la famine. Il est porté par les espoirs qu'ont placé en lui sa parentèle.

 

Ueli a accepté un poste de maton. Il doit exécuter un prisonnier. Heureusement qu'il tire avec précision. Le prisonnier s'écroule définitivement.

 

Silvio est directeur de prison. On l'appelle d'urgence pour un soulèvement de matons au moment où il va s'accorder un moment de détente avec une pute dans les dix-huit ans, un espace entre les dents, signe de chance paraît-il et de longs cheveux noirs qui lui caressent la raie des fesses.

 

Madame la Conseillère fédérale triomphe. Le référendum a échoué. La loi sur l'asile sera appliquée, avec tout le ménagement et la prudence nécessaires...:

 

Une solution plus consensuelle aurait naturellement été encore plus payante en termes de popularité. Mais qu'y peut-elle s'ils choisissent tous de s'exiler? A trop ménager le mouton et la scarole, elle aurait fini par passer pour une molle.

 

Jean-Hubert est philosophe et vit de ses placements bancaires. Son conseiller va le faire profiter de la baisse du coton...

 

A la terrasse d'un restaurant, Silvio attend impatiemment sa fille de vingt ans, Mirabelle, qu'il ne voit qu'à rythme mensuel.

 

Au fil de son récit, Sabine Dormond présente d'abord tous ces gens de bonne volonté, puis dévoile peu à peu ce qui les relie les uns aux autres...

Coffret "Au fil de l'Encre" 4/6, aux éditions Encre Fraîche

Ludovic vient de tuer son père, raconte Gwendoline Allamand. Il gît sur le carrelage de la salle de bains. Sa mère pousse un cri qui fait accourir son petit frère Alex depuis le jardin, où il retournait la terre du potager, comme le lui avait demandé leur père.

 

Que s'est-il passé?

 

Il s'est passé ce qui se passe d'habitude, sauf que d'habitude Ludovic ne tue pas:

 

Papa était fâché contre maman, alors papa a tapé maman.

 

Alors il s'est interposé, en se mettant entre lui et elle:

 

La routine en somme, vraiment comme d'habitude, je ne comprends même pas comment ça a pu dégénérer à ce point.

 

Ça a dégénéré parce que pour la première fois il a eu le dessus et qu'il n'a pas hésité. Sa colère, accumulée pendant des années, s'est épanchée sur le corps de son père. Il s'est retrouvé assis sur son torse et a heurté sa tête le plus fort possible contre le sol.

 

Cela devait arriver. C'était à Ludovic de régler le problème, de protéger sa mère et son petit frère.

 

Cela tombe mal. Ludovic venait de décrocher un rôle au théâtre, dans une pièce de Racine. Il avait passé Le seuil de la maison plein d'espoir ces dernières semaines:

 

Je savais que j'allais quitter cette maison, que j'allais retrouver une troupe, que j'allais m'enfuir à travers cette pièce, parce que j'avais été choisi.

 

Mais, maintenant? A moins que...

 

Francis Richard

 

Episodes précédents:

 

Coffret "Au-fil de l'encre" 3/6 aux éditions Encre fraiche

Coffret "Au fil de l'encre" 2/6 aux éditions Encre fraîche

Coffret "Au fil de l'encre" 1/6 aux éditions Encre fraîche

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10 juin 2014 2 10 /06 /juin /2014 22:45
"Muscles" et "La maison" de Julien Burri

Bernard Campiche vient d'éditer deux livres en un, signés Julien Burri. Il suffit de faire tourner ce bel objet de 180° dans le sens longitudinal pour passer de l'un à l'autre; de La maison, dont la couverture est illustrée d'une photo de Philippe Pache, aux Muscles, dont la couverture est illustrée d'une photo de Yann Amstutz, et vice-versa.

 

Dans les années 1960, Berger-Levrault avait édité une collection Pour ou contre, qui utilisait le même dispositif pour servir à de vifs débats, solidement argumentés, qui permettaient de voir les choses sous au moins deux angles différents, donnaient matière à réflexion et ouvraient l'esprit à des possibles inenvisagés...

 

En l'occurrence Muscles ne répond pas à La Maison. Ils n'ont qu'une opposition spatiale. Ils ont même un point commun, singulier. Le narrateur, dans l'un et l'autre livre, parle à la deuxième personne du... singulier. Ce qui rappelle ces femmes qui commençaient naguère par dire, en se parlant à elles-mêmes: Ma fille, tu devrais...

 

Quoi qu'il en soit, ce procédé narratif présente l'avantage, mieux qu'à la première personne, de mettre le lecteur dans la confidence et, même, de lui permettre de s'identifier au protagoniste, celui du roman Muscles ou celui des morceaux de La maison.

 

Le narrateur de Muscles est un bodybuilder, dont le corps rend incrédule et donne envie de toucher. Il est marié à Amélie, qui a de belles fesses, rondes, imparfaites, certes, ce qui n'empêche pas qu'elle soit très excitante... C'est lui qui décide cependant quand cela doit avoir lieu, en général le dimanche après-midi...

 

Il a été élevé par ses grands-parents parce qu'un jour sa mère a tiré sa révérence en restant dans le garage, porte fermée, laissant tourner le moteur... Il se souvient d'elle venant le croquer dans son lit le soir, lui préparant une tresse russe les mercredis ou entrant dans sa chambre pour l'écouter respirer, tandis qu'il faisait semblant de dormir.

 

C'est en rentrant d'un camp de ski où il avait peur d'aller, surtout parce que c'était la première fois qu'il quittait sa mère, qu'il a appris qu'il ne la reverrait plus. Il y avait des signes avant-coureurs. Elle ne lui rendait plus visite la nuit; elle n'écrivait plus dans son cahier de poèmes; une nuit, elle s'était sentie étouffer, s'était levée et avait déclenché l'alarme en traversant le salon...

 

Il a le corps trop léger - son père le trouve maigre à faire peur -, ce qui commence à devenir pesant. Alors, après s'être acheté des haltères, il commence, dans sa chambre, comme jadis son père, à faire des exercices qu'il a vus dans des magazines ou sur Internet. A seize ans, avec son ami Cody, il se rend dans un fitness, où il craint les moqueries, mais où son corps se transforme petit à petit, à la faveur d'un régime alimentaire rigoureux:

 

Tu étais en deux dimensions, tu entres dans la troisième. Ton corps saint, purifié par l'exercice - quelque chose se joue en toi - un destin.

 

Trois ans plus tard, cette transformation de son corps marque le pas. Pour augmenter sa masse musculaire, il se laisse tenter et prend du Dianabol...

 

Quand il fait la connaissance d'Amélie, une des premières choses qu'il lui demande est ce qu'elle pense de son physique. Plus tard, elle comprend pourquoi il l'a choisie:

 

Pour paraître encore plus volumineux à côté d'elle, par contraste.

 

Même si l'histoire ne se répète pas, elle bégaille souvent. Fût-elle personnelle... L'épilogue demeurant toutefois imprévisible...

"Muscles" et "La maison" de Julien Burri

Le narrateur de La maison s'y rend avec son compagnon, Jaël. La maison est entourée de volières. Jaël passe son temps libre à en construire un peu partout dans le pays, et à l'étranger. Sinon, il travaille à l'hôpital.

 

Lui, il reste à la maison, à attendre Jaël, avec le grand chien. En l'attendant, il lit et écrit, si possible dehors, c'est-à-dire si le temps le permet, devant la grange; il entend des voix dans la forêt; il aime repasser les vêtements de Jaël.

 

Il s'est fait tatouer son prénom sur l'annulaire gauche:

 

Son écriture manuscrite, prolongement de sa main, du flux de son sang. Le trait du "l" final monte et s'efface progressivement - nuage de poussière sur une route de terre battue.

 

Avant lui, il y a eu Vincent dans la vie de Jaël. Ce dernier l'attend toujours, bien qu'il soit mort et que son corps ait été rendu par le glacier quatre ans après sa disparition...

 

Tout a une fin, y compris les amours particulières. Mais, ont-elles seulement existé? Qu'est-ce qui est vrai dans leur histoire, à lui et à Jaël?

 

Même si l'histoire ne se répète pas, elle bégaille souvent. Fût-elle personnelle... L'épilogue demeurant toutefois imprévisible...

 

Francis Richard

 

Muscles, 232 pages, La Maison, 128 pages, Julien Burri, Bernard Campiche Editeur

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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