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29 juin 2017 4 29 /06 /juin /2017 22:30
J'avais deux fils, de Sarah Leuenberger-Steiner

La narratrice s'est mariée jeune, avec Alessandro. A 23 ans, elle n'avait qu'un objectif, celui de fonder une famille. Aussi, après Nathan, a-t-elle eu un second enfant, Tobias, qui naît le 4 juillet 1973 et qui ressemble à un bout de ciel...

 

Au bout de quelques années elle en a cependant assez de n'être qu'une mère au foyer et d'être effacée du reste de la société. Les jours s'écoulent, monotones. Alessandro ne lui porte plus d'intérêt. L'éducation de ses enfants ne l'occupe guère.

 

Alors, tandis que Tobias n'a que 6 ans, elle décide de trouver un emploi. Et elle décroche un travail à temps partiel dans un cabinet d'avocat. Elle se dit, requinquée: Je ressuscite d'entre les ménagères pour renaître en femme libre.

 

De ses collègues, Lydie et Margareth, elle se fait des amies, à la vie, à la mort. Mais, à la maison, son mari lui reproche le désordre, les corvées ménagères négligées, ce que font toutefois oublier ses entrées financières.

 

Nathan est un garçon sans problèmes: Son assiduité à l'étude me conforte dans l'art de gérer ma famille et renforce mon sentiment de confiance. Tobias, lui, fait les quatre cents coups, mais il est si attachant, ses sentiments sont si purs...

 

Bref elle fait confiance à l'un et passe tout à l'autre. Celui-ci est-il chapardeur, à chaque fois je réduis l'importance des incidents d'un revers de main, l'insignifiance des vols l'absout et me préserve de mes responsabilités.

 

Cette famille est ordinaire, comme le ton délibérément adopté pour le récit, même si les parents font quelques écarts conjugaux et que Tobias tombe de Charybde en Scylla, puisqu'il aura maille à partir avec la justice et deviendra toxico.

 

Cette situation bascule dans l'horreur quand Tobias disparaît, le 30 mai 2003, peu avant ses 30 ans, l'année de la canicule, à l'issue d'une fête, la Goa Trance Psyclipse, où il s'est rendu avec son amie du moment, sans paraître s'y être défoncé.

 

Comme Tobias est connu des services de police, l'enquête conclut tout d'abord à une fugue, jusqu'au jour où, le 18 décembre 2003, des policiers sonnent à la porte de ses parents et leur annoncent qu'un de ses fémurs a été découvert...

 

Dès lors la narratrice de Sarah Leuenberger-Steiner pourra dire: J'avais deux fils, sous entendu: il m'en reste un, auquel elle n'a jamais su dire qu'elle l'aimait. Comment le second est mort lui permettrait de faire son deuil...

 

Francis Richard

 

J'avais deux fils, Sarah Leuenberger-Steiner, 152 pages L'Âge d'Homme

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28 juin 2017 3 28 /06 /juin /2017 22:20
Province, de Richard Millet

Ce roman de Richard Millet se passe en Limousin, à Uxeilles, une ville de 11 000 habitants, dépourvue du rang de sous-préfecture, contrairement à Ussel, sa voisine, son double triomphant, bien que le nom d'Uxeilles, qui signifie presque la même chose, sonne plus beau comme l'or royal ou celui des crépuscules...

 

La narratrice y fait le récit d'un revenant, d'un natif, qui a quitté jadis la ville pour les cieux toulousains, où il s'est fait connaître en tant que journaliste spécialisé dans la politique étrangère sous le pseudonyme un peu toc de Saint-Roch: ce qui faisait un peu salon de coiffure, mais qui lui permettait de respirer autrement.

 

Uxeilles est une ville de Province à trois étages: chez nous, il y a, principalement, les gens d'en haut et ceux d'en bas, entre lesquels hésitent ceux de la ville médiane. Une ville où s'opposent deux clans: ceux qui craignent que les étrangers ne prennent trop d'importance, et ceux qui redoutent surtout les conséquences du réchauffement climatique.

 

Louis Saint-Roch baptisera les deux camps, qui ne se confondent pas avec conservateurs et progressistes, de noms qui leur resteront, bien après que tout sera fini: ce seront les Lépantistes, parce qu'ils font profession de s'opposer aux musulmans en révérant la victoire de la chrétienté sur les Ottomans, et les Océaniques, ouverts aux influences atlantiques.

 

Pourquoi Pierre Mambre est-il revenu? Pour se marier? (A bientôt soixante ans, on ne se marie pas, en province) Pour une femme? Pour écrire? Pour s'occuper de son père? Les langues vont bon train. Une rumeur se propage, à la suite d'une de ses plaisanteries, ou d'un de ses propos provocateurs dont il va se montrer coutumier:

 

Je suis revenu à Uxeilles pour baiser le plus de femmes possible.

 

Quoi qu'il en soit, nous sommes en province: impossible de se cacher, chez nous, sauf au plus profond de soi, où ce que l'on dissimule est encore trop visible: tout passe par la place publique et finit dans le murmure. C'est-à-dire qu'on y raconte tout et n'importe quoi, mêlant le vrai et le faux sur ce vieux cerf bramant au fond des bois.

 

Car le héros du livre n'est pas seulement le revenant bien membré, attiré par de jeunes personnes, mais la province dont la narratrice désabusée dit d'emblée qu'elle est une dent particulièrement dure du temps: Car nous avons le temps, ici, comme on dit; et j'ajouterai que nous avons le temps pour nous, où cette dent nous cloue à nous-mêmes.

 

Cette anonyme, auquel Richard Millet prête sa plume, partage avec quelques-uns, y compris l'auteur, le goût d'une langue dont le respect de la syntaxe et du mot juste est un acte de foi qui dépasse nos maigres existences, et elle en fait la démonstration au lecteur ravi quand elle parle en ces termes d'elle-même et des siens:

 

Nous sommes des provinciaux qui avons fini par aimer la province pour elle-même, et non seulement la nôtre, en particulier, mais aussi le fait provincial, un peu comme on finit par s'habituer à l'idée de mourir et par désirer l'idée de la mort parce qu'elle est universelle et apaisante, comme la province, l'amour, la littérature, la maladie.

 

Francis Richard

 

Province, Richard Millet, 336 pages, Éditions Léo Scheer

 

Précédents billets sur des livres de Richard Millet:

La souffrance littéraire de Richard Millet (21 septembre 2012)

Trois légendes (21 novembre 2013)

L'Être-Boeuf (3 décembre 2013)

Une artiste du sexe (30 décembre 2013)

Le corps politique de Gérard Depardieu (25 novembre 2014)

Solitude du témoin (3 mai 2015)

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26 juin 2017 1 26 /06 /juin /2017 22:55
1,2 Milliard, de Mahesh Rao

1,2 Milliard, c'est grosso modo la population de la République de l'Inde en 2015. Si Mahesh Rao en a fait le titre de son recueil de nouvelles, paru cette année-là, sous le titre One Point Two Billion, c'est pour exprimer cette multitude.

 

Le faire en en faisant le tour en treize nouvelles est une gageure. Et, pourtant, ces treize nouvelles donnent bien un aperçu de l'Inde d'aujourd'hui à travers de nombreux personnages, universels, avec, toutefois, une touche singulièrement indienne.

 

Béatitude éternelle se passe dans l'état de Mysore, qui a donné son nom à un style de yoga. Il n'est pas étonnant que l'héroïne en soit Bindu, directrice du Paramaskha International Yoga Centre, saisie de nausées à l'annonce d'une inspection du DOSA:

 

Tous les instituts disposant d'une licence autorisant à dispenser des activités spirituelles et des disciplines morales devaient s'assurer que leurs locaux et leurs pratiques répondaient aux critères homologués par le gouvernement.

 

Avant que la narratrice de Tambours ne soit personne déplacée dans un camp par des soldats, deux faits se sont produits aux abords de son village: l'implantation de la raffinerie puis la venue des naxalites. Elle aperçoit dans ce camp celle qui lui a volé son mari:

 

Même en un lieu comme celui-ci, il y a de la musique. Les sons s'élèvent au-dessus du massif sal et entrent dans la tente. J'entends la conversation entre deux tambours. Il y a le gros, le mâle et son roulement puissant. Puis il y a le petit, la femelle et sa résistance.

 

Le narrateur du Supplice des feuilles (c'est l'agitation de la tasse quand l'eau bouillante est versée sur le thé) est, malheureusement pour lui, amoureux de [sa] belle-fille. Il prend ses petits déjeuners avec elle, à la plantation, située non loin de Coonoor:

 

J'ai dit que mes sentiments ne se fondaient pas sur le désir charnel et je le maintiens. Mais il faut ajouter que Meera est belle. Parfois quand elle est perdue dans son propre monde, son visage me rappelle l'une de ces reines de tragédies des années cinquante.

 

L'évocation de ces trois premières nouvelles donne un aperçu du recueil: il y est question de yoga, de rebelles maoïstes et de thé, mais aussi d'atteinte de son niveau d'incompétence, de vengeance féminine et d'amours interdites: singularités donc, et universalités.

 

Il en est de même dans les nouvelles suivantes:

- flirts croisés au restaurant, où deux couples dînent sous le ciel nocturne de Pondichéry;

- charnier découvert sur une propriété au Rajasthan;

- rivalité entre deux pratiquants du kushti, la lutte indienne;

- discorde tragique entre une jeune belle-mère et sa belle-fille;

- avocat coureur de jupons qui finit par tomber sur une femme bien différente des autres;

- ancien acteur de Bollywood, qui se fait mentor, sans conviction, mais non sans succès;

- vieux fou, au sang maudit, que sa femme quitte pour prêcher l'évangile;

- femme qui voudrait, puisqu'ils inventent des journées pour n'importe quoi maintenant, qu'une soit consacrée à Minu Goyari;

- abécédaire interdit par la police parce que la dernière lettre, zoi (zoi se zalim signifie tyran) est illustrée par l'image d'un homme avec un bâton;

- lancement d'un soda typiquement indien, Shakti-Cola après refus d'autorisations administratives par les régulateurs de la planification...

 

Dans ces nouvelles, l'effet produit est bien celui d'une multitude de destins, qu'il s'agisse de femmes ou d'hommes, dans le cadre d'une immense Inde contemporaine, qui n'a plus que de lointains rapports avec les poncifs de naguère et qui est entrée de plain pied dans le monde moderne (et ses lourdes réglementations), tout en gardant des spécificités.

 

Francis Richard

 

1,2 Milliard, Mahesh Rao, 272 pages Zoé (traduit de l'anglais par Christine Raguet)

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24 juin 2017 6 24 /06 /juin /2017 22:55
Quand sort la recluse, de Fred Vargas

Le commissaire Adamsberg se trouve à Grimsey, une petite île islandaise, quand il reçoit de Paris le message suivant:

 

Femme écrasée. Un mari et un amant. Pas si simple. Présence souhaitée. Informations suivent.

 

De mauvais gré - il se trouve bien dans ce pays brumeux - il rentre à Paris. Et dénoue cette affaire avec une simplicité déconcertante. Parce que le commissaire Adamsberg ne pense pas, mais a un don, celui de voir dans les brumes...

 

Dans la foulée de cette affaire réglée, c'est à une tout autre affaire qu'il va se consacrer, incidemment, au risque de susciter l'incrédulité d'une partie de son équipe, justement en raison de sa manière de voir, qu'il attribue à des bulles gazeuses se promenant dans son cerveau...

 

Il a remarqué que le lieutenant Voisenet avait masqué l'écran de son ordinateur avant de partir et ça l'avait intrigué. En fouillant l'ordinateur de ce collègue, sur la dernière page consultée, il avait vu la photo d'une petite araignée brune, sans nul intérêt apparent.

 

Alors il avait consulté, en les remontant une à une, les pages recherchées par le lieutenant sur la Toile. Il s'agissait d'articles sur les caractéristiques de ladite araignée et d'articles de journaux récents aux titres alarmistes:

 

Le retour de l'araignée recluse? Un homme mordu à Carcassonne - Faut-il avoir peur de la recluse brune? Un second décès à Orange.

 

Il faut croire que le mot recluse fait retentir quelque chose en lui parce que, du coup, il s'intéresse à ces morts (qui font le buzz sur les forums) et à l'araignée dont la morsure serait la cause. Or ce qu'il apprend rend suspectes ces morts prétendument accidentelles.

 

La recluse, comme son nom l'indique, est une araignée qui se cache. Elle est inoffensive. Elle ne mord que si elle y est contrainte et ses morsures ne sont pas mortelles. Il en faudrait un grand nombre, improbable, pour qu'elles le soient...

 

Alors, le commissaire Adamsberg, à l'insu de sa hiérarchie, enquête avec la garde rapprochée de son équipe, qui sait d'expérience que le patron, avec sa curieuse manière de voir les choses, est capable de résoudre les affaires les plus complexes.

 

Pour Fred Vargas - et pour son commissaire - les mots ont de l'importance. Quand elle parle de recluses, il faudra assez vite entendre le mot dans ses deux acceptions: celle des araignées et celle des femmes, qui se cloîtraient pour offrir leur vie à Dieu...

 

Aussi, une fois refermé Quand on sort la recluse, le titre à double sens du livre apparaît-il au lecteur comme un excellent résumé de l'histoire, où l'auteur prend un plaisir venimeux à entraîner le lecteur sur de fausses pistes.

 

Si le passé des deux victimes, puis des suivantes (il y en aura bien d'autres), lui permet de comprendre assez vite le mobile des meurtres, il faudra au lecteur attendre le dénouement pour comprendre qui les a commis, et, surtout, comment...

 

Francis Richard

 

Quand sort la recluse, Fred Vargas, 480 pages Flammarion

 

Livres précédents de l'auteur:

Temps glaciaires, 496 pages, Flammarion (2015)

L'armée furieuse, 430 pages, Viviane Hamy (2011)

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21 juin 2017 3 21 /06 /juin /2017 22:40
Un endroit d'où partir: 1. Un vélo et un puma, d'Aurelia Jane Lee

L'existence est ainsi faite, de périodes où tout suit son cours, où l'on a à peine le temps de penser, où l'on se sent comblé ou non, mais où, en tout cas, rien n'est remis en question parce que l'on vit selon ses habitudes, retenu par de vraies ou fausses obligations, aveuglé par ses peurs, entraîné dans une routine.

 

Le moins qu'on puisse dire est que l'existence de Juan Esperanza Mercedes de Santa Maria, le héros de ce premier volume de la trilogie Un endroit d'où partir, d'Aurelia Jane Lee, n'est pas routinière indéfiniment, quelques années tout au plus pour chaque période.

 

Rien n'est remis en cause, jusqu'au jour où une rencontre, un défi, une catastrophe [...] bouscule tout et amène souvent à revoir tout ce l'on croyait savoir jusque-là, l'image que l'on avait de soi et de son avenir, faisant saigner à nouveau des blessures que l'on croyait cicatrisées.

 

Dans ce premier volume, Juan, un esposito - enfant exposé - sur le seuil de l'église Santa Maria de los Siete Dolores, connaît trois périodes d'apprentissage de sa vie d'homme, pendant lesquelles il bénéficie curieusement de traitements de faveur de la part des autres.

 

De sa naissance incertaine - on ne savait ni où ni quand exactement il était né - jusqu'à l'âge de neuf ans, il vit dans un couvent: c'est la mère Esperanza qui l'a trouvé et l'y a emporté. Il y a été recueilli faute d'avoir pu être adopté par une des familles du village.

 

La plus jeune des religieuses du couvent, soeur Mercedes, surtout, s'est occupée de lui. Vraie mère pour lui, elle lui a appris à lire et à écrire à partir d'un abécédaire des plus pieux. Elle en fait une maladie quand un jour il disparaît en partant avec un vélo sans plus donner signe de vie.

 

En fait, sans le vouloir, Juan s'est perdu et n'a pas trouvé le chemin du retour au village. Il est trouvé endormi dans un village éloigné par un palefrenier et est cette fois recueilli dans une hacienda. Il y rend de nombreux services jusqu'au jour où il est remarqué par la maîtresse des lieux.

 

Celle-ci, Doña Rosa Garcia de Alvarez, trouve en Juan des qualités dont sa fille Clara Luz lui semble dépourvue. Elle le confie donc à un précepteur, Don Isaac Pérez Muños, qu'elle a pris sous son aile et qui transmet au jeune Juan de nombreuses choses.

 

Mais la connaissance, selon Don Isaac, n'est qu'un centième de l'intelligence: [ce sont] la justesse du jugement, la qualité du raisonnement, l'esprit critique, la discipline et les capacités d'analyse qui [font] la différence. Et c'est ainsi qu'il initie son élève brillant à la peinture...

 

La venue de saltimbanques, qui se donnent en spectacle plusieurs jours aux habitants de la plantation, met un terme à cette période d'apprentissage artistique et sentimental (Étant donné la fascination de Juan pour la lumière, il n'était guère étonnant qu'il fût tombé amoureux de la bien nommée Clara Luz).

 

Parmi les spectacles, il y aura celui, sulfureux, d'une jeune femme, très belle, brune et soyeuse, qui dansera sensuellement avec un puma, et, plus particulièrement encore, celui d'une chanteuse, qui, sans être vraiment belle, saura le fasciner par l'émotion pure que suscitera en lui l'onde vibratoire de sa voix...

 

Aux périodes d'habitudes discontinues que connaît Juan, répondent en contrepoint celles que connaissent soeur Mercedes et le père Gabriel, l'aumônier du couvent, que la présence puis l'absence de Juan ont rapprochés, si bien qu'ils voient leurs existences toutes tracées bousculées à leur tour...

 

Dans le cas de Juan, comme dans celui de Mercedes et de Gabriel, le monde chrétien occupe une place importante dans ce volume, dont le récit se passe dans un pays d'Amérique latine non précisé. Il sert de toile de fond aux aspirations contradictoires auxquelles sont sujets les êtres de par leur humaine condition...  

 

Francis Richard

 

Un endroit d'où partir 1. Un vélo et un puma, Aurelia Jane Lee, 256 pages, Éditions Luce Wilquin

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19 juin 2017 1 19 /06 /juin /2017 22:00
Amarres, de Marina Skalova

Un inconnu accoste sur une île. Il a fait davantage qu'y jeter ses Amarres: il a tiré son bateau sur le rivage. La langue des habitants ne lui est pas étrangère, mais il ne comprend pas leur accent, comme ils ne comprennent pas le sien.

 

Le jour déclinait. Il semblait rougir de devoir disparaître.

 

Il a faim, mais rien à manger n'est laissé dans les rues. La ville est d'une propreté immaculée. Pour dormir il s'installe dans l'entrée d'un immeuble. Où il fume, pour chasser sa faim. Par précaution il attache son sac à une grille d'égout.

 

Il a préparé son voyage. Il s'est renseigné sur les usages, sur les convenances. Pour ne pas se faire remarquer, pour que tout se passe bien, il a acheté un habit clair, discret. Il s'est efforcé de comprendre les croyances pour être plus proche.

 

Mais, dans une île, univers fermé sur lui-même, il est bien difficile d'abolir les distances entre les autres et soi quand on est pour eux l'étranger et qu'on est différent, de manière visible. Quelque effort qu'il fasse, il sent bien qu'il leur demeure suspect.

 

Trouver à se loger n'est pas aisé. La chance lui sourit pourtant. Il n'est pas surprenant qu'elle prenne le visage d'un vieil homme, l'un des seuls de l'île à avoir parcouru le monde, c'est-à-dire à s'être ouvert l'esprit et à parler une langue limpide.

 

Comme ce dernier veut reprendre la mer, il lui laisse son atelier, où le nouveau venu croit avoir trouvé refuge, mais les soupçons demeurent et l'hostilité continue de se manifester envers lui. Il est facile de lui imputer les éléments contraires qui surviennent...

 

La tension monte dans le récit que fait le narrateur de Marina Skalova, à peine freinée par le fait d'avoir été, un soir, invité à manger, chez des autochtones. Car il a ressenti, sans raison, quelque chose d'étrange en leur serrant la main.      

 

Ce ressenti est en réalité un pressentiment. Même s'il se sent heureux sur l'île, même s'il voudrait ne jamais en repartir, il sait bien, au fond de lui-même, que tout cela ne [durera] pas. Il ne peut pourtant pas imaginer le sort qui lui est promis, inéluctablement...

 

Francis Richard

 

Amarres, Marina Skalova, 80 pages, L'Âge d'Homme

 

Livre précédent:

 

Atemnot (Souffle court) Cheyne (2016)

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18 juin 2017 7 18 /06 /juin /2017 22:55
Les Mandible: Une famille, 2029-2047, de Lionel Shriver

2029. A la tête des États-Unis d'Amérique, le premier président latino, Alvarado, fait face à une chute sans précédent du dollar et à une hausse des taux d'intérêts. Le bancor, la monnaie concurrente, instaurée par des pays membres du FMI, est, selon lui, destinée à remplacer le dollar.

 

Pour contrecarrer cette offensive contre la monnaie nationale (les obligations américaines détenues par des investisseurs étrangers devront désormais être acquittées en bancors), le président Alvarado annonce lors d'une allocution télévisée une série de mesures temporaires, assorties de peines de prison ou d'amendes :

 

- il est interdit aux citoyens américains de détenir des bancors

- il est interdit aux entités américaines d'effectuer des transactions en bancors à l'étranger

- il est interdit de sortir du pays avec plus de cent dollars

- il est interdit aux particuliers (et aux bijoutiers) de détenir de l'or sous quelque forme que ce soit.

 

Le président Alvarado enfin déclare que les États-Unis, compte tenu de la conspiration ourdie contre eux par des puissances étrangères, proclament la réinitialisation de la dette nationale, c'est-à-dire sa dénonciation: dès lors, tous les bons, les billets, les obligations du Trésor sont déclarés nuls et non avenus.

 

En 2024, le pays avait déjà été secoué par L'Âge de pierre, expression contractée en Âge-pierre: c'était un cataclysme provoqué par la paralysie de [son] infrastructure Internet vitale par des puissances étrangères hostiles. On pensait naïvement qu'après une catastrophe pareille le pire était passé...

 

Eliott Mandible a fait fortune dans les moteurs Diesel. Son petit-fils, Douglas, qui a dirigé une fructueuse agence littéraire, en est le tuteur fiduciaire (son ex-femme Mimi n'a pas pu mettre la main dessus). Son fils, Carter, ancien journaliste au New York Times, en sera bientôt le dépositaire.

 

(L'Âge-pierre a donné le coup de grâce aux livres et aux journaux papier...)

 

Douglas a eu deux enfants avec Mimi: Carter et Enola. Il vit maintenant avec Luella, sa seconde épouse, beaucoup plus jeune que la première (vingt-deux ans de moins), mais, cette gracile et élégante intruse, qui plus est afri-méricaine, a été frappée de démence à l'approche de la soixantaine...

 

Carter et sa femme, Jayne, ont eu deux filles, Florence et Avery, et un fils, Jarred:

 

- Florence Darkly travaille dans un centre d'hébergement et vit avec son compagnon, Esteban, guide mexicain, et son fils, Willing, treize ans, dans une maison durement acquise à Brooklyn

- Avery est thérapeute et a épousé Lockwell Stackhouse, professeur d'économie (un technocrate keynésien) à l'université de Georgetown; ils ont une fille, Savannah, et deux fils, Goog et Bing, qui étudient dans les meilleures écoles

- Jarred est le rebelle de la famille, un écolo qui a viré survivaliste...

 

Enola, alias Nollie, est écrivain, soixante-treize ans. Elle s'est installée en Europe à la fin des années 1990. Un seul de ses livres s'est bien vendu (Mieux vaut tard). Sa nièce Florence dit qu'elle osait tout: Insolente, téméraire, vivant toujours des histoires d'amours torrides [...]. C'était une vraie bombe.

 

Les mesures prises en 2029 par le président Alvarado ne seront pas sans effets de ruine (décrite en détail) sur les Mandible: les cartes seront redistribuées dans les années suivantes. Il y aura surtout des perdants et ce ne seront pas ceux qui semblaient avoir les meilleurs atouts au départ qui s'en sortiront le mieux.

 

Au fil de cette saga, Lionel Shriver met dans la bouche de certains des personnages des propos tout simplement inaudibles aujourd'hui par les contemporains, sans doute parce que la pensée unique étatiste les empêche d'ouvrir les oreilles et qu'elle a encore, hélas, de beaux jours devant elle:

 

Dans les cent ans qui ont suivi la création de la Réserve fédérale en 1913, le dollar a perdu 95% de sa valeur - quand l'un des objectifs de la Banque centrale était justement de sauvegarder l'intégrité de la monnaie.  (Douglas à son fils Carter)

 

Tu me prêtes dix dollars. Je photocopie le billet quatre fois, te rends l'une des copies, et j'annonce que nous sommes quittes. C'est ça, monétiser la dette: je ne te dois rien, et tu te retrouves avec un bout de papier qui ne vaut rien. (idem)

 

L'inflation est un impôt. De l'argent pour le gouvernement. Un impôt que les citoyens ne considèrent pas comme un impôt. Pour les hommes politiques, il n'y a rien de mieux. Mais l'inflation n'est pas inévitable. (Willing à sa mère Florence)

 

C'est l'erreur que tout le monde fait en pensant que tout est plus cher. En fait, les prix sont les mêmes. Ils n'augmentent pas; c'est la valeur de la monnaie qui baisse. (idem)

 

On ne peut pas dénoncer une dette par un discours. On doit payer d'une manière ou d'une autre. (idem)

 

Tous les gouvernements volent leurs concitoyens. C'est leur raison d'être. Les rois et compagnie: eux aussi ils volaient leurs peuples. Le président l'a fait d'un coup, cette fois [avec la Dénonciation]. (Willing à son grand-père Douglas)

 

Le récit se termine, après un saut d'une quinzaine d'années, en 2047. Le meilleur des mondes étatiques est établi, c'est-à-dire que les citoyens américains ont accepté volontairement leur servitude, dont la technologie s'est faite le meilleur instrument, mais un État d'Amérique a fait sécession et y règne la liberté qui n'a là-bas rien d'une utopie...

 

Francis Richard

 

Les Mandible: Une famille, 2029-2047, 528 pages Belfond (traduit de l'américain par Laurence Richard)

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12 juin 2017 1 12 /06 /juin /2017 21:55
Le grand peut-être, de François Hüssy

Ce n'était qu'une illusion, peut-être - décidément, je ne cessais de me heurter aux petits peut-être qui peuplaient le grand peut-être, comme Rabelais ou Stendhal appelaient l'après-mort; j'étais peut-être le jouet d'une hallucination protectrice, mais les hommes que je voyais s'avancer vers moi, de l'autre côté de la haute grille de fer forgé, n'avaient rien de sinistre.

 

Cet extrait est tiré du deuxième volume, Le grand peut-être, de la trilogie du Voyage de tous les vertiges, et en explique le titre: le narrateur de François Hüssy raconte à une deuxième personne ce qui lui semble être l'au-delà, qui ressemble à bien des égards à l'au-deçà. Il vient peut-être de quitter ce dernier, mais rien n'est moins sûr, parce qu'il ne se souvient même pas de sa mort et que c'est vertigineux:

 

Dans l'au-deçà, même si elle m'obsédait, j'ai vécu heureusement sans rien savoir de ma mort future; ici, je survis malheureusement sans rien savoir de ma mort passée. En ignorant même à quel point elle est passée. Autrement dit, si j'ai fini d'y passer!

 

A la fin du premier volume, initialement intitulé Dans un reflet rouge sur l'eau noire, il se trouvait en compagnie de Léo et de sa chienne Loulou à l'intérieur d'une petite voiture grenat. Le vieil homme l'enjoignait de les quitter au moment de s'engager dans le monde souterrain situé au-dessous du monstrueux palais qui dominait la grande avenue, comme une montagne. Mais il n'avait pas voulu sauter du véhicule:

 

Dans n'importe quel monde on a besoin d'amis.

 

Au début du deuxième volume, le monde que les passagers du scarabée grenat découvrent est-il l'enfer? Ou n'est-ce que du cinéma? Quoi qu'il en soit, ils sont embarqués dans une aventure troublante où il est bien difficile de démêler le vrai du faux et où ils se posent de grandes questions existentielles: Y-a-t-il une vie après la mort? Est-ce Dieu ou le hasard qui régit l'un et l'autre monde? Si celui-ci existe et n'est pas néant... 

 

Dans ce monde-là tout paraît élastique: les êtres et les choses, l'espace et le temps. Le narrateur y mène une vie de mort débutant, à double nature: à égalité réalité partagée et rêve intime. Le rouge y est la couleur dominante, mais c'est un rouge qu'il n'a jamais vu dans le monde des vivants: le plus beau des rouges rencontrés, depuis le halo rouge d'un bateau de feu perçant le ciel noir d'une nuit de chagrin.

 

Dans ce monde, comme dans l'autre, il demeure incertain. Il est comme un wagonnet sur des montagnes russes intérieures: Je continuais de glisser sans trêve du désespoir à l'espérance et de l'espérance au désespoir, du doute à la foi et de la foi au doute...S'il doute, il lui semble tout de même que l'existence de Dieu peut être la garantie que l'amour est la loi suprême de l'univers, auquel elle donne un sens...

 

Dans ce volume l'aventure continue donc, mélange de réalisme et de surréalisme. La frontière entre les deux mondes supposés, que sont l'au-deçà et l'au-delà, semble ténue. Si bien que le lecteur peut se demander, à l'instar du narrateur, s'il existe une solution de continuité entre les deux. En tout cas, en partageant les tribulations de ce dernier, il pourra s'évader du monde réel pour un monde rêvé, tout en philosophant... 

 

Francis Richard

 

Le grand peut-être, François Hüssy, 160 pages, L'Âge d'Homme

 

Volume précédent (rebaptisé: La porte pourpre des étoiles)

Dans un reflet rouge sur l'eau noire (2012)

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9 juin 2017 5 09 /06 /juin /2017 22:30
Eclats de vie, d'Anne-Lise Rod

Éclats de vie, d'Anne-Lise Rod, est un recueil de quatre nouvelles. Si l'expression qui lui donne son titre n'apparaît que dans un dialogue de la dernière, elle résume bien pourtant ce qui advient aux personnages de toutes: il existe une bombe à retardement dans leur existence qui ne peut que conduire à son éclatement.

 

Dans Le pont de lumière, la mère agonisante de Joseph Kahn demande à son fils d'ouvrir un tiroir de sa table de nuit dans lequel se trouve une adresse, celle du Dr Emma Delacroix, et prononce ces ultimes paroles, énigmatiques, après lesquelles elle se tait pour toujours: Va la voir... j'ai attendu trop longtemps...pardon.

 

Dans Jaillissement de l'ombre, Pierre voit une femme dans la rue, à peine 25 ans, prête à s'effondrer, après avoir jeté quelque chose dans un container. Il l'invite à prendre un café, puis, l'emmène dans son appartement vide - sa femme l'a quitté six mois plus tôt. Pendant qu'elle dort, pris de doute, il va voir ce qu'elle a jeté: un bébé.

 

Dans La lumière éphémère de l'ange, Lia reçoit une confidence de son amie Maude. Dans son cabinet, Djarda lui a révélé être l'enfant d'un criminel et avoir vu son père tuer sa mère à coups de couteau. Elle se demande si elle doit en parler à ses parents adoptifs. Qui, le lendemain, meurent dans un accident, où Djarda est blessée.

 

Dans Les fils où se tissent l'aurore, Camille, en vacances à l'Ile-Rousse, en Corse, s'éloigne un peu trop du rivage. Le vent se lève. Les vagues déferlent. Elle est entraînée au large. Elle se débat dans l'eau. Heureusement le bateau de sauvetage quitte la plage et se dirige vers elle. Elle est secourue. Ses angoisses se rappellent à elle.

 

Dans ces quatre nouvelles, il est question d'ombres et de lumières (jusque dans les titres qui leur sont donnés), d'unions et de séparations, d'amours et de morts, de filiations et d'adoptions, de crimes et de châtiments, de bons et de mauvais tours que joue le destin, de chutes physiques, et morales, et de saluts métaphysiques, et artistiques.


En guise d'épilogue, un gypaète, qui a suivi les quatre récits, se fait leur oiseau de liaison. Recueilli par un humain, Marc, il comprend leur langage; il connaît leur écriture, que Joseph lui a apprise; il éprouve de l'empathie pour eux tous; cet oiseau de bonheur ne peut s'empêcher d'intervenir pour que l'un d'entre eux cesse de l'attrister.
 

Dans une de ces nouvelles, un poème, Amour, d'un métaphysique anglais, cité dans Attente de Dieu de Simone Weil, est reproduit. Or, dans ce livre, la philosophe parle de la joie et de la douleur. Ce qu'elle en dit pourrait permettre au lecteur de les transcender s'il était désemparé par les récits d'Anne-Lise Rod où l'une et l'autre sont bien présentes:

 

La joie et la douleur sont des dons également précieux, qu'il faut savourer l'un et l'autre intégralement, chacun dans sa pureté, sans chercher à les mélanger. Par la joie la beauté du monde pénètre dans notre âme. Par la douleur elle nous entre dans le corps.

 

Francis Richard

 

Éclats de vie, Anne-Lise Rod, 256 pages Hélice Hélas

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6 juin 2017 2 06 /06 /juin /2017 22:35
Catherine Safonoff, réinventer l'île, d'Anne Pitteloud

Catherine Safonoff n'a pas publié beaucoup de livres, une dizaine. Il y a à cela au moins deux raisons, semble-t-il: elle écrit beaucoup, mais elle réécrit, infiniment; quand elle écrit, il lui faut s'isoler, c'est-à-dire être voleuse de temps aux autres.

 

Dans le livre qu'elle vient de lui consacrer, Catherine Safonoff, réinventer l'île, Anne Pitteloud raconte, pour finir, qu'elle est descendue dans son oeuvre comme un mineur qui arpente les tunnels d'une mine de trésors d'écriture:

 

J'y ai creusé des galeries en quête de pépites; j'ai découvert des filons, je les ai suivis, curieuse de savoir où ils m'emmenaient, ce que peu à peu ils éclairaient jusqu'à finalement mettre au jour.

 

Et ce que suivre ces filons a finalement mis au jour, c'est surtout une continuité de l'oeuvre, sous une apparente discontinuité. L'image d'un archipel rend sans doute le mieux ce que la plupart de ses livres, romans et nouvelles, constitue:

 

Loin d'être clos sur eux-mêmes, ils puisent à un fonds autobiographique identique dont des éléments sont repris de l'un à l'autre, la réalité biographique qui infuse les textes étant accentuée par ce faisceau d'échos entre eux.

 

L'analyse que fait Anne Pitteloud est très fine et fidèle à Catherine Safonoff, avec laquelle elle a d'ailleurs échangé correspondance et qu'elle a rencontrée. Après une première partie de critique approfondie, la deuxième restitue ce qu'elle lui a dit.

 

Deux extraits donneront une idée de ce travail d'exploration souterraine qu'a accompli Anne Pitteloud et donneront envie, j'espère, à ceux qui ne connaissent pas l'oeuvre de Catherine Safonoff d'y plonger à leur tour, et aux autres d'y faire retour...

 

Le fond: L'invention est appelée à la rescousse pour pallier la difficulté de dire, elle se greffe sur le réel pour les besoins du récit: la justesse de la scène, sa logique littéraire et métaphorique, priment sur la stricte véracité des faits.

 

La forme, fragmentaire et elliptique: Trouée, ourlée de silence, l'écriture de Catherine Safonoff est ouverte à la relation, tournée vers le lecteur qui aura à en prolonger en lui l'écho, à entendre au-delà de ce qui est dit.

 

De s'aider de la fiction pour dire la réalité, de dire davantage que ce qui est exprimé, c'est-à-dire de remplir des trous et d'en creuser d'autres, forme, dans ces livres, un alliage rare et précieux, entre une très grande intimité et une très grande pudeur.

 

Il faut donc lire ce livre éclairant sur l'oeuvre originale de Catherine Safonoff, pour qui l'écriture prend sa source dans l'île: c'est l'île en elle qui écrit ses livres, elle encore qui ancre les récits dans le mythe, puisqu'il est "impossible de vivre sans magie".

 

Francis Richard

 

Catherine Safonoff, réinventer l'île, Anne Pitteloud, 240 pages Zoé

 

Les deux derniers livres de Catherine Safonoff, parus chez le même éditeur:

La distance de fuite (2017)

Le mineur et le canari (2012)

 

L'association littéraire Tulalu!? reçoit Catherine Safonoff le 12 juin 2017, à 20h, au Lausanne-Moudon, rue du Tunnel 20, à Lausanne.

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5 juin 2017 1 05 /06 /juin /2017 14:30
Coccinelle, jolie coccinelle, de Jean-Marie Reber

Les titres de polars jouent souvent avec les mots ou ont des airs de comptine... Coccinelle, jolie coccinelle ne faut pas à cette tradition, qui veut que plus le roman est noir plus il convient d'y apporter par le titre une touche d'humour ou de légèreté.

 

Dans ce nouvel opus de la série des enquêtes du commissaire Fernand Dubois, la vie des personnages créés par Jean-Marie Reber continue. Cette familiarité que le lecteur finit par avoir avec eux a la vertu de transformer cette fiction en réalité.

 

Le commissaire lui-même ainsi continue de se compliquer la vie entre une femme jalouse et aimante et une maîtresse aimante et jalouse. Ses enfants, les jumeaux Grégoire et Francine, deviennent de vrais ados, c'est-à-dire sont de plus en plus incontrôlables.

 

L'inspecteur Denis Moret continue de chercher l'âme soeur, maladroitement, aussi bien sur des sites de rencontres que dans la vraie vie. Les pépiements de ses deux oiseaux en cage, Rodrigue et Chimène, ne peuvent suffire à son bonheur.

 

Les inspecteurs Karen et Eric Riondel continuent de filer le parfait amour et aimeraient bien que leurs mères respectives les laissent mener leur vie comme ils l'entendent, sans s'en mêler. L'attente d'un enfant, hors mariage, ne peut que leur compliquer la donne.

 

L'inspecteur Jéus Minder continue son oeuvre de renouvellement des générations avec sa Julie et de surprendre les suspects qui n'imaginent pas que la police de la petite ville puisse comporter dans ses rangs ce beau métis au prénom biblique.

 

Tous ces personnages contribuent donc à donner un cadre familier au récit, si bien que le lecteur peut s'y croire, ne serait-ce que parce que les choses ne s'y passent pas tout à fait comme dans les habituels romans policiers.

 

Évidemment c'est tout de même un vrai polar puisqu'il y a des meurtres, en série, signés d'un timbre à l'effigie d'une coccinelle: le tueur doit aimer les coccinelles, ces petits insectes adorables qui nettoient la nature de mille sortes de pucerons indésirables...

 

Ici, comme dans la vraie vie, heureusement pour les enquêteurs, à la base de la très grande majorité des homicides, il y a des affaires de sentiments, sexe, jalousie et argent. Ce qui leur permet d'orienter leurs recherches et de les élucider:

 

Le criminel retors cher aux auteurs de romans policiers, qui agit de sang-froid, de façon préméditée en préparant méticuleusement son acte et qui s'emploie à lancer la justice sur de fausses pistes ne constituent dans la vie réelle qu'une rare exception...

 

Cela ne veut pas dire pour autant que les affaires soient toujours complètement éclaircies et que les pauvres enquêteurs obtiennent toujours des aveux: il arrive que la réalité soit plus complexe que les livres et les coupables présumés plus habiles qu'eux...

 

C'est pourquoi il est plaisant pour le lecteur, à chaque nouvel opus, de se retrouver dans cette petite région francophone d'Europe occidentale qui ne tient pas à être mise en vedette, étant donné le nombre de meurtres qui l'agitent: très proche, elle ne peut lui être étrangère...

 

Francis Richard

 

Coccinelle, jolie coccinelle, Jean-Marie Reber, 280 pages Nouvelles Éditions

 

Opus précédents:

Le parfum de Clara (2015)

Les meurtres de la Saint-Valentin (2015)

Rira bien qui rira le dernier (2016)

Le valet de coeur (2016)

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30 mai 2017 2 30 /05 /mai /2017 22:45
Laisse tomber les anges, de Nadine Richon

Plutôt que d'être classé dans le genre roman, Laisse tomber les anges l'est dans celui des récits. Est-ce parce que la part des digressions est belle et celle de l'intrigue mince? D'aucuns ne se seraient pourtant pas sentis gênés de lui trouver un air romanesque...

 

Dans ce récit de Nadine Richon, s'il y a débats et argumentations sur le milieu d'origine, sur la religion, particulièrement l'islam, sur les rapports parents-enfants etc., il y a aussi imagination et fantastique, deux époques éloignées se télescopant allègrement.

 

Jean-François Hauduroy a écrit un roman non publié dans les années 80-90. Son héroïne s'appelle Diane Thierry. Elle est née en 1915 et est morte, en principe, en 1938. En principe, car, justement, c'est une héroïne de roman et qu'elle peut vivre deux fois:

 

J'ai pour l'éternité une vingtaine d'années et je rêve d'un écrivain privé de matière, contraint d'épouser ma route et de réinventer mon histoire.

 

Cet écrivain, ce sera Sabine. La quarantaine. Mère d'une adolescente, Sedna, prénommée comme la dixième planète. Intéressée par deux écrivains qui ont rompu avec leur milieu, Didier Eribon et Laurence Tardieu, ce qui l'a fait délaisser Diane, en apparence...

 

Dans le cas de Diane, en effet, c'est le père, diplomate canadien, puis la mère, qui l'ont laissée seule à Paris, si bien qu'elle ne les a pas informés de sa maladie quand elle est survenue et qu'elle s'est expatriée en Suisse sous la pression du médecin de famille.

 

Dans le roman impublié, Diane Thierry, partagée entre deux hommes, Michel et André, comme elle atteints de phtisie, est la seule du trio à ne pas survivre. Maintenant, la nympho du sana vit une autre vie, reliée singulièrement à Sabine, par entente tacite. 

 

Cette distance rapprochée avec l'époque actuelle permet à Diane, dans le sillage de Sabine, après avoir été de son temps une rebelle déphasée d'être imprégnée de féminisme, ayant toutefois de la peine à suivre les débats récents qui occupent le mouvement...

 

Diane, Sabine, Edna s'expriment tour à tour. Elles ne voient pas les choses de la vie de la même manière. Il semble cependant que ce soit la voix de Diane, venue d'une autre époque, qui ait les accents les plus convaincants et qui soit la plus proche de l'auteur:

 

Si Dieu s'est écarté de lui-même pour engendrer le monde en imaginant ces êtres minuscules voués à le connaître, pourquoi, dès lors, ces créatures vivantes jetées sur Terre entre Vénus et Mars ne s'éloigneraient-elles pas un peu de Lui afin de concevoir, en ces parages encore accueillants où elles ont proliféré avec douceur et férocité, une société plus juste et équilibrée?

 

Francis Richard

 

Laisse tomber les anges, Nadine Richon, 168 pages Bernard Campiche Editeur

 

Livre précédent chez le même éditeur:

 

Crois-moi, je mens (2014)

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29 mai 2017 1 29 /05 /mai /2017 22:55
La distance de fuite, de Catherine Safonoff

Le titre La distance de fuite du livre de Catherine Safonoff est tiré du livre de Pascal Quignard, Critique du jugement: La distance de fuite est plus vaste que la distance d'attaque qu'elle comprend entièrement.

 

Catherine Safonoff explique ce que signifie cette citation qu'elle a mise en épigraphe: L'animal qui n'a comme défense que la vitesse de ses pattes doit garder constante la distance entre lui et l'ennemi.

 

(Les pratiquants d'un art martial penseront à maai, mot japonais qui exprime la distance juste, ce concept subtil qui comprend l'espace et le temps qui séparent deux adversaires et l'angle qu'ils font entre eux)

 

La distance de fuite est en fait une métaphore de ce que représente pour elle l'écriture: à la fois fuite et refuge. Si elle n'avait pas eu besoin de fuir ou de trouver refuge, elle se serait abstenue d'écrire, déclare-t-elle.

 

Elle dit ainsi à Iasémi, si j'avais connu un homme qui aime se promener avec moi, je n'aurais pas écrit. J'ajoute, enfin, j'espère... A quoi Iasémi lui répond en souriant: Tu n'aurais pas pu t'en empêcher.

 

Et c'est très bien ainsi, parce qu'elle est toute entière dans ce qu'elle écrit, aussi bien quand elle parle de ses hommes, Léon ou N., de ses analyses avec Z., ou raconte son atelier d'écriture avec des détenues de Champ-Dollon.

 

Elle y est toute entière quand elle reconnaît qu'elle ne peut plus écrire à la main, mais avec l'outil ordinateur: Le texte est traité, mais ma pensée n'est pas plus vive, pas plus fine, pas plus spontanée ou efficace.

 

Elle y est toute entière quand elle raconte comment elle lit Charles Ferdinand Ramuz, après avoir appris par un téléphone de l'université de Lausanne la nouvelle étonnante que le Prix lui a été attribué:

 

Lire comme une fourmi se promènerait dans les plis et rainures du cuir d'un grand éléphant mâle très ancien, très irascible, aux colères rouge sombre bien enfermées dans son manteau de cuir.

 

Elle y est toute entière quand les charmantes gardiennes de Curabilis l'inspirent: Les femmes sont belles quand elles cessent de vouloir séduire. Mais que deviendraient les hommes sans la séduction des femmes?

 

Si bien que tous ces récits de vie sonnent juste et qu'au lieu de les trouver chichiteux parce qu'ils sont très personnels et ne devraient pas regarder le lecteur, ils lui parlent comme des miroirs reflétant son humaine condition.

 

Lorsque Catherine Safonoff écrit pour fuir les autres, en réalité, elle s'en rapproche. Ressent-elle l'impossibilité grandissante d'écrire de la fiction, alors elle se rend compte que tout est fiction. Car la mémoire ne cesse de transformer les faits...

 

Francis Richard

 

La distance de fuite, Catherine Safonoff, 336 pages, Zoé

 

Livre précédent chez le même éditeur:

 

Le mineur et le canari (2012)

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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