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25 octobre 2024 5 25 /10 /octobre /2024 16:30
Houris, de Kamel Daoud

Dans la lumière, j'apparais comme une femme élancée, exténuée, à peine vivante, et mon immense sourire figé ajoute au malaise de ceux qui me croisent. Ce sourire, illimité, large, presque dix-sept centimètres, n'a pas bougé depuis plus de vingt ans. Il est un peu plus bas que le bas de mon visage et étire mes mots, mes phrases.

 

Cette jeune femme a vingt-six ans. Elle s'appelle Fajr dans sa langue extérieure, Aube dans sa langue intérieure. Dehors, elle est muette. Dedans, elle parle, à sa fille qu'elle porte dans son ventre.

 

Que s'est-il passé il y a vingt ans? Le 31 décembre 1999, à la fin de la décennie noire que l'Algérie a connue, elle a été égorgée sans être achevée, emmenée dans une ambulance jusqu'à Oran.

 

Depuis la loi de Réconciliation, s'il est interdit de parler de la guerre imprécise de 1990 à 2000, la sienne, il est licite de parler de la guerre de libération, du 1er novembre 1954 au 5 juillet 1962.

 

Khadija, cinquante-huit ans, trouvée le 5 juillet 1962 dans un berceau à la porte d'une mosquée à Alger, est sa mère depuis le 1er janvier 2000. Aube est née ce jour-là, Fajr morte la veille. 

 

Khadija est partie en Belgique à la recherche d'un chirurgien pour opérer Aube. Elle ne sait pas qu'elle attend une Houri 1, elle ne sait pas non plus qu'elle veut retourner sur les lieux du crime.

 

Fajr Djama habitait en haut du village de Had Chekala. Dans un hangar, elle et sa soeur Taïmoucha ont été égorgées, mais elle seule a survécu, après avoir fermé les yeux, comme morte.

 

Elle retourne sur place pour demander que faire à son Houri de soeur, décider si elle et son Houri d'enfant doivent vivre. Houris est le récit de ce périple, semé d'embûches, riche en rencontres.

 

La rencontre avec Aïssa, autre survivant, sera décisive. Il suffit de lui donner un chiffre pour qu'il raconte un massacre de la décennie dont le nombre de victimes correspond à ce chiffre.

 

Elle est pour lui un signe, la preuve, qu'il n'a pas inventé ce qu'il raconte sur les massacres des terroristes islamistes, faute de savoir en faire un livre. Sur place, elle comprendra, parlera enfin:

 

Tu es tombée du ciel un jour de l'Aïd et ce n'est pas pour être égorgée mais pour témoigner, lui dira Aïssa.

 

Francis Richard

 

1 - Houri, nom féminin: beauté céleste du paradis d'Allah (Larousse)

 

Houris, Kamel Daoud, 416 pages, Gallimard

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21 octobre 2024 1 21 /10 /octobre /2024 20:55
Au coeur de la bête, de Lorrain Voisard

- Sutter abattoirs.

- Oui, bonjour, Arthur Jolissaint. Euh, je vous appelle pour savoir si vous avez encore besoin de main-d'oeuvre.

- Du boulot, il y en a. C'est toi qu'es venu faire une journée à l'essai?

- C'est ça, le printemps passé.

 

Arthur va travailler six mois, à partir du début février, dans ces abattoirs moyens, passer par tous les postes.

 

Arthur rentre dans les détails de ce métier, où il est du bon côté, celui des vivants, et où les bêtes meurent.

 

Pour l'essentiel il s'agit de cochons qui sont menés à l'abattoir, mais il y a aussi des bovins et des ovins.

 

Compte tenu de sa dimension, cette usine ne fonctionne pas tous les jours et le travail commence dans la nuit.

 

Au début, les gens qui y bossent pensent qu'ils ne s'habitueront pas, mais peu à peu ils ne réagissent plus.

 

Arthur raconte leur vie de gens tout à fait ordinaires et qui, il le dit sans ambages, souffrent avec les bêtes.

 

Il est venu pour travailler, mais aussi pour savoir, et pouvoir raconter ce [qu'il aura] vécu, pendant six mois.

 

Quand, dehors, il raconte l'abattoir, les gens, ça les dégoûte, sachant que c'est nécessaire si on mange de la viande.

 

Alors il défend ceux qui y travaillent parce qu'il sait qu'ils font leur maximum pour que les bêtes ne souffrent pas.

 

Avec eux, certes il baigne dans l'horreur et le froid mais malgré tout ils s'amusent, ils sont tous vraiment ensemble:

 

Une bonne journée est une journée sans vagues. Un bref signe de tête suffit à se comprendre. On limite le mouvement, on limite l'émoi. On causera à la pause.

 

Ils perdent de vue le tableau qu'ils doivent donner à ceux qui, dehors, veulent de la viande sans se salir les idées... 


Alors Arthur se place Au coeur de la bête et raconte ce qui se passe dans les abattoirs, i.e. comment c'est vraiment:

 

Tout le monde devrait savoir, pour manger des bêtes, savoir ce que ça fait à ceux qui les tuent.

 

Francis Richard

 

Au coeur de la bête, Lorrain Voisard, 216 pages, Éditions d'en bas

 

N.B.

Ce roman a été sélectionné pour Le prix du livre de la ville de Lausanne. Une rencontre avec son auteur aura lieu le 7 décembre 2024 à l'Auditorium MCBA (Musée cantonal des beaux-arts), Plateforme 10, à 11h. Entrée libre sur inscription .

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16 octobre 2024 3 16 /10 /octobre /2024 19:45
L'enlèvement de Sarah Popp, de Rose-Marie Pagnard

Comme elle a aimé voyager à travers la Lituanie en compagnie d'autres écrivains! Aimé se battre contre le froid, venir à bout des nuits férocement noires, aimé aussi parler français, allemand, anglais, ses grosses lunettes de soleil sur le nez!

 

Sarah Popp, dans sa chambre d'hôte du vieux Vilnius, se réjouit cependant de retourner le lendemain chez elle, à Bâle, en Suisse, après avoir participé à ce Festival de littérature qui a pris fin ce soir.

 

Mais les lendemains ne chantent pas tous: À l'aéroport de Vilnius, tous les vols sont annulés. Trop de neige, trop de gel. Sarah devra patienter, trois jours. En attendant, elle prend un bus au hasard.

 

Elle joint son mari Tobie par téléphone pour le prévenir de ce contre-temps. Il n'a pas l'air de trop s'inquiéter, prend même la chose avec philosophie: il a répété promène-toi, accepte ce qui arrivera.

 

Elle espère que Tobie informera leur fille Matild qu'elle rentrera en Suisse un peu plus tard ... Plutôt que de profiter de ce temps libre pour écrire, elle préfère vagabonder, faire l'écriture buissonnière.

 

Dans un café en sous-sol où elle boit du thé et mange une crêpe à la confiture de fraise, la serveuse, Karola, qui parle français, lui propose de lui trouver une chambre pour la nuit chez l'habitant.

 

Le lendemain de cette onzième nuit en Lituanie, elle aperçoit par la fenêtre de sa chambre, qui est située au rez-de-chaussée, un homme tête nue marchant précipitamment tout au bord de la maison...

 

Cet homme est entré dans la maison et en sortant de sa chambre elle se trouve nez à nez avec lui dans l'étroit couloir. Ce n'est pas un inconnu, il n'est pas là par hasard, car c'est monsieur Anders...

 

Monsieur Anders est un ami de son père Andrik, un de leurs voisins dans la petite ville suisse où elle habitait enfant. Il n'a jamais cessé de s'intéresser à elle, à ses romans, en Suisse et Lituanie...

 

Anders, qui connaît et la serveuse et la logeuse, veut obliger Sarah à écrire les injustices qu'elle a subies quand [elle] était encore [sa] petite voisine et surtout plus tard [...] avec Tobie et son enfant:

 

Un écrivain peut les clouer dans l'officialité du livre.

 

Sous la menace, elle entre donc dans la maisonnette roulante, où ce bûcheron compte la contraindre à écrire son autobiographie de femme enceinte sans être mariée, dans leur petite ville, en 1963.

 

Pourquoi cet illuminé l'a-t-il enlevée pour écrire son autobiographie? Parce que, si elle n'est pas allée en prison comme sa mère à lui, ils ont été punis, elle et son amoureux, autrement, bien injustement.

 

Elle sera délivrée, lui rendra justice à sa mère. Mais peut-il la forcer à écrire des histoires si personnelles qu'elle voudrait les garder pour elle? Encore que ce soit toujours un réel bonheur pour elle d'écrire...

 

Francis Richard

 

L'enlèvement de Sarah Popp, Rose-Marie Pagnard, 192 pages, Zoé

 

Livres précédents chez le même éditeur:

 

Jours merveilleux au bord de l'ombre (2016)

Gloria Vinyl (2021)

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12 octobre 2024 6 12 /10 /octobre /2024 17:30
Le cahier d'Anthéa, de Marie Javet

Je m'immolerai dans cette maison que nous avons fait bâtir, mon défunt époux et moi, sur les hauts de Lausanne. Je partirai dans un grand feu de joie, et ce récit brûlera avec moi. Vous ne le lirez pas, mes fils, pas plus que vous, lecteurs.

 

Les lecteurs apprécieront donc d'être mis dans la confidence de ce récit en quatre actes, supposé détruit, qui se déroule de 1912, date de naissance de la narratrice, jusqu'en 1936, qui n'est cependant pas la date de sa mort1.

 

Le cahier d'Anthéa apprend aux lecteurs que c'est Rowena, la mère de la narratrice, qui a choisi ce prénom peu commun, qui signifie "fleur" en grec, que le château de Brocelane et son parc furent sa demeure et son jardin.

 

Brocelane, située en Occitanie, est une maison de maître plus qu'un château. Rowena est morte en 1918 et les deux frères aînés d'Anthéa, qu'elle n'a pas connus, sont  morts pour la France: Pierre, en 1916, Valéry, en 1918.

 

Anthéa est donc fille unique. Mais elle ne vit pas seule avec son père à Brocelane. Hormis la femme de ménage, Suzanne, et Marlène, la cuisinière, y vivent bientôt Nancy, fille-mère, accompagnée de sa fille, Éléonore.

 

Peu de temps après le décès de Rowena, son père a en effet ramené d'Angleterre Nancy pour qu'elle parle à Anthéa dans sa langue maternelle, l'école primaire publique qu'elle fréquente ne donnant pas de cours d'anglais.

 

Nancy et Éléonore, qui a six mois de moins qu'Anthéa, habitent séparément, dans un cottage, sur la propriété. Car Éléonore, de santé fragile, devenue asthmatique, doit vraiment éviter d'être contaminée par des maladies.

 

Bien que du même âge, Anthéa et Éléonore ne se rencontrent donc pas avant l'été 1922. Cette année-là, dans la bibliothèque Anthéa découvrit - ce ne fut pas sans conséquences - Racine, Molière, Corneille et Shakespeare:

 

Rien, pour moi, ne surpassa jamais la tragédie racinienne, que je trouvais bien plus puissante que le dilemme cornélien.

 

Le cahier que les lecteurs ne sont pas supposés lire un jour, mais qu'ils ont entre les mains, est le récit des relations tumultueuses entre Anthéa et Éléonore, celle-ci semblant trouver un malin plaisir à pourrir la vie de celle-là.

 

Quand leur antagonisme apparut pour une énième fois à la suite de la mort d'un chat qu'elles aimaient toutes deux mais était dangereux pour Éléonore, en raison de son asthme, son père avait toutefois cherché à calmer le jeu:

 

J'étais emplie d'espoir pour l'avenir: Papa avait raison, le monde était assez grand pour nous deux.

Je ne mesurais pas à quel point nous nous trompions.

 

Quel que soit l'endroit où elle ira, Éléonore s'y rendra et cherchera à rivaliser avec Anthéa et à lui nuire. En fait, son père, Anthéa, les lecteurs, et même Éléonore, eh oui, ne mesureront pas à quel point ils auront tous tout faux...

 

Francis Richard

 

1 - Les lecteurs fidèles de l'auteure savent, dans un autre livre, que ce fut bien plus tard, en 1968...

 

Le cahier d'Anthéa, Marie Javet, 296 pages, Plaisir de Lire

 

Livre précédent chez Gore des Alpes:

Tunnel pour l'enfer (2022)

 

Livres précédents aux éditions Plaisir de lire:

La petite fille dans le miroir (2017)

Avant que l'ombre (2018)

Les roses sauvages (2020)

 

Livre précédent aux éditions Solar:

Toute la mer dans un coquillage (2020)

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8 octobre 2024 2 08 /10 /octobre /2024 18:20
Divorce à la française, d'Éliette Abécassis

Monsieur Antoine Maurepas et Madame Margaux Lunel se sont mariés le 20 juin 2007 à Paris.

De leur union sont issus:

- Maxime, né le 2 juin 2008, à Paris (10e)

- Emma, née le 10 août 2012, à Paris (13e)

Le divorce des époux a été prononcé le 21 septembre 2015...

 

Dans un premier temps, le domicile des enfants a été fixé chez leur mère. Mais, en 2021, à la requête du père, il l'a été, en alternance, chez les deux parents. Enfin, la mère, devant déménager en province pour raisons professionnelles, a demandé qu'il soit à nouveau fixé chez elle.

 

Divorce à la française est le récit de la suite donnée à cette dernière requête. Mais Éliette Abécassis, pour ce récit, fournit les pièces du dossier, qui devraient permettre au lecteur de se faire une opinion sur le bien-fondé de la requête de Margaux Lunel pour vivre avec ses enfants.

 

Quelles sont ces pièces où la demanderesse est Margaux Lunel et le défendeur, Antoine Maurepas?

  • La déclaration orale à l'audience du 9 juillet 2023 de l'ex-mari, médecin de son état,
  • la déclaration écrite à la même audience de son ex-femme, écrivain de son état, naguère à succès,
  • l'audition du fils,
  • la lettre de la fille,
  • treize attestations, les unes produites par la demanderesse - dont une faite par une connaissance du lecteur -, les autres par le défendeur,
  • les plaidoiries de l'avocate de la demanderesse et de l'avocate du défendeur,
  • le jugement rendu le 4 janvier 2024,
  • les quatre pièces exclues des débats.

 

Après avoir lu toutes les pièces du dossier qui précèdent le jugement, le lecteur a du mal à se faire une opinion, parce que l'auteure lui donne des informations contradictoires sur les deux divorcés et sur lequel serait le plus à même d'assurer, pour leur bien, la garde des deux enfants.

 

Une fois lus le jugement, les pièces exclues des débats, l'épilogue, dernière pièce froide versée du dossier, le lecteur aura bien du mal à avoir jamais confiance en aucune justice humaine et se demandera peut-être si le fabuliste n'avait pas une nouvelle fois raison quand il disait crûment:

 

Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir

 

Francis Richard

 

Divorce à la française, Éliette Abécassis, 288 pages, Grasset

 

Livres précédents:

 

Chez Albin Michel:

Et te voici permise à tout homme (2011)

Le palimpseste d'Archimède (2013)

Alyah (2015)

Le maître du Talmud (2018)

L'envie d'y croire (2019)

 

Chez Flammarion:

Philothérapie (2016)

L'ombre du Golem (2017)


Chez Grasset:

Nos rendez-vous (2020)

Un couple (2023)

 

Chez Robert Laffont:

La transmission (2022)

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

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5 octobre 2024 6 05 /10 /octobre /2024 22:25
Le Lotus jaune, d'Hélène Jacobé

On m'appelait la sainte mère du Lotus jaune. J'ai eu un autre nom aussi, Lotus d'or, lorsque j'étais prostituée, mais ces années de boue ne sont pas celles que je préfère. Longtemps, j'ai été Lin Hei'er.

 

L'histoire se passe en Chine à la fin du XIXe siècle. La narratrice d'Hélène Jacobé est née en 1870. Elle est la fille du batelier Lin li. Sa mère est morte quand elle était si jeune qu'elle ne se souvient pas d'en avoir souffert.

 

À la suite d'une famine, son père s'adressa à une société d'entraide. Ayant été surpris à piocher dans les marchandises qui lui étaient confiées pour vivre lui et sa fille, il dut choisir entre la prison et un commerce illicite.

 

Ayant été remarqués au festival des chrysanthèmes, où, habitués à grimper aux mâts, ils participèrent au concours d'agilité, Li et Hei'er se firent embaucher l'hiver par un maître qui dirigeait une troupe de cirque ambulant:

 

Mon père resterait batelier pendant la belle saison.

 

Son père meurt lors d'une représentation, après avoir fait une chute de quatre mètres. Hei'er a quatorze ans et, pour lui donner une sépulture honorable, accepte d'emprunter une fortune à ce maître, de loin pas philanthrope:

 

Combien de temps mettrai-je à le rembourser? Probablement toute ma vie.

 

Un soir, la troupe donne une représentation privée chez un riche marchand de Tianjin. Seulement son public se réduit à ce concupiscent, à son maître et à un domestique. Elle n'est pas naïve et sait le sort qui l'attend:

 

J'étais en danger, pas seulement parce que j'allais de toute évidence être violée, mais parce que dans ce monde où les jeunes ont besoin de la protection des adultes, on trichait.

 

Submergée par l'émotion, prise de colère, elle envoie la lampe au visage de l'esclave et l'instrument de musique à celui du maître, et, parce que le gros monsieur rit, elle lui plante une épingle de son chignon dans la gorge.

 

Devenue criminelle, elle s'enfuit, trouve refuge dans un bordel, dont la maîtresse, qu'elle avait un jour éconduite, lui offre protection et ne la retient pas si elle veut s'en aller. C'est ainsi qu'elle prend le nom de Lotus d'or.

 

Cette maîtresse fait venir, à chaque nouvelle lune, une guérisseuse. Bien que, s'attendant à quelque chose de spectaculaire quand elle la rencontre, elle ne tarde pas à avoir une relation privilégiée avec Shi, qui lui révèle:

 

- Tu es médium.

- Médium?

- Tu peux parler aux esprits.

 

Dès lors, elles se voient tous les mois. Hei'er lui apporte à chaque fois une somme importante, cinq taëls, qui sont dans ses moyens. À partir de ce moment l'argent pleut sur Lotus d'or, ses prix ne décourageant pas ses clients:

 

Cinq taëls, c'est beaucoup, c'est ce que tu vaux et c'est le prix à payer pour racheter le contrat que tu as passé avec le destin.

 

Quand elle aura racheté ce contrat, elle quittera le bordel à vingt ans, sera guérisseuse à son tour et soignera les affligés de son temps, riches et pauvres, créera un refuge pour femmes, pour celles dont personne ne s'occupait.

 

Ce lieu, recevant des aumônes et de la nourriture de ses consultants, sera Le Lotus jaune, une école où ces femmes jardinent, préparent des nouilles, lavent le linge, font le ménage, cousent des vêtements, apprennent à boxer.

 

Pendant les années 1890, la Chine est en proie à de terribles convulsions entre rebelles, étrangers des huit nations, convertis au christianisme, armée chinoise, triades. Ce ne sont que trahisons, défenses de ses seuls intérêts.

 

Pour vaincre, ceux qui l'appellent désormais sainte mère, aimeraient qu'elle les fasse profiter de sa voyance, de ses facultés, de ses pouvoirs. Mais elle ne possède aucun de ces dons, pas davantage que celui de l'invincibilité:

 

La seule faculté utile à faire la guerre est le courage.

 

Car le surnaturel n'a pas sa place dans le monde. Hei'er aura délivré un enseignement millénaire, apporté un soutien, offert une protection, développé l'ouverture et les aptitudes. Aussi ce qu'elle a accompli ne disparaîtra pas:

 

Mon existence n'est qu'un souffle dans l'univers, mais ce souffle a fait de la place. À Tianjin, des filles ont appris la boxe et bien d'autres choses. Elles s'en souviendront. Elles seront habitées d'or et de souffle.

 

Francis Richard

 

Le Lotus jaune, Hélène Jacobé, 368 pages, Éditions Héloïse d'Ormesson & Favre

 

N.B.

Ce roman a été sélectionné pour Le prix du livre de la ville de Lausanne. Une rencontre avec son auteure aura lieu le 9 novembre 2024 à l'Auditorium MCBA (Musée cantonal des beaux-arts), Plateforme 10, à 11h. Entrée libre sur inscription.

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2 octobre 2024 3 02 /10 /octobre /2024 10:10
Les mensonges du pasteur Jacot, de Jean-Marie Reber

- J'aimerais que ta recherche se fasse dans la discrétion. Officiellement, je ne t'ai rien demandé. Je ne suis pas ton client. Tu ne fais jamais allusion à ma personne. Nous n'avons que des rapports officieux, les plus confidentiels possibles. Tu comprends, je suis pasteur et personne dans la paroisse ne doit être au courant de mon initiative.

 

C'est en ces termes que Samuel Jacot, pasteur de son état, s'adresse à Max, le narrateur, avocat de son état, avant que celui-ci n'accepte la mission insolite qu'il veut lui confier.

 

La mission? Retrouver sa locataire qui a disparu la veille... et qui lui a envoyé un texto de détresse auparavant. Pour honoraires, le pasteur Jacot lui a préparé une enveloppe.

 

Il l'accepte plus par curiosité que pour l'argent. En effet est bien cousue de fil blanc l'histoire de ce camarade qu'il n'aimait guère enfant et n'apprécie pas davantage adulte.

 

Redevenu détective pour l'occasion, Max démonte les uns après les autres Les mensonges du pasteur Jacot mais n'est pas plus avancé. Il le sera quand une vérité lui échappera...

 

En attendant, la disparition de Shirley Huguenin amène Max à s'entretenir avec les relations de cette dernière: les hommes de sa vie, une amie, sa mère et son ex-belle-mère...

 

Dans le même temps, la vie de Max est perturbée par l'annonce par sa compagne d'un heureux événement. Car, pour Jean-Marie Reber, Max est un homme comme les autres... 

 

Ce sont l'intimité et les motivations des êtres que ce romancier affectionne d'explorer. Certes l'intrigue, bien construite, a son importance mais elle n'est peut-être pas l'essentiel.

   

Le lecteur appréciera le ton ironique que son narrateur emploie pour décrire les situations et rapporter les dialogues entre des personnages ordinaires, qui, du coup, le sont moins.

 

Francis Richard

 

Les mensonges du pasteur Jacot, Jean-Marie Reber, 224 pages, Éditions Mon Village

 

Livres précédents aux Éditions Mon Village:

Relax Max ! (2021)

Le serment de Treptower Park (2023)

 

Livres précédents aux Éditions Attinger:

La vie de château (2009)

Le parfum de Clara (2015)

Les meurtres de la Saint-Valentin (2015)

Rira bien qui rira le dernier (2016)

Le valet de coeur (2016)

Coccinelle, jolie coccinelle (2017)

Un suspect bien maladroit (2017)

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30 septembre 2024 1 30 /09 /septembre /2024 19:10
Histoire de l'homme qui ne voulait pas mourir, de Catherine Lovey

Il était une fois un homme, un brave homme audacieux qui ne voulait pas mourir. Cet homme savait que la mort existe. Il savait même qu'elle se manifeste tous les jours. Seulement, il ne pouvait pas croire qu'elle le menaçait, lui, personnellement.

 

Cet homme habite l'immeuble dans lequel la narratrice emménage il y a quelques années. Ce n'est pas lui qu'elle rencontre en premier, sortant de chez lui, mais la femme qui vivait avec lui à l'époque et c'est le jour où elle le quittait.

 

Peu à peu ils font connaissance et deviennent de vrais voisins. La preuve en est qu'ils se confient les clefs de leurs appartements respectifs et qu'il lui dépose même le double de ses clefs de voiture pour le cas où elle en aurait besoin.

 

Un jour, elle vient lui faire signer une pétition pour sauver des arbres du quartier, il refuse, prétendant qu'elle ne peut pas comprendre, n'étant pas née sous un régime communiste, qu'il se méfie d'attirer l'attention des pouvoirs publics. 

 

Ce Hongrois d'origine n'en savoure pas moins que des citoyens d'authentiques démocraties signent des pétitions, des initiatives ou des référendums. Et promet, ce qu'il fera, d'aider ceux qu'il appelle sans ironie les Conjurés du Bosquet.

 

L'Histoire de l'homme qui ne voulait pas mourir est le récit de la maladie qui l'atteint un jour et de son comportement face à la dégradation de sa santé. Il se révèle être un battant, croyant en lui-même et en la science pour s'en sortir.

 

Que ce soit sa maladie ou la pandémie, Sándor continue à vivre comme si de rien n'était, pensant que les problèmes de l'une et de l'autre seront bientôt réglés, et à voyager aussi bien pour ses affaires que pour son divertissement.

 

Quand il est au plus mal et qu'il téléphone pour donner de ses nouvelles, il donne à ses interlocuteurs une version contraire aux faits. Ainsi, lorsqu'il fait un séjour à l'hôpital, leur dit-il, invariablement, qu'il retournera bientôt chez lui. 

 

Dès le début de leur relation de voisinage, la narratrice de Catherine Lovey a vu juste sur la façon de Sándor d'être au monde:

 

Ce qu'il pouvait apporter, lui, c'étaient des solutions. Son moteur consistait à en chercher et à en trouver. Des solutions à n'importe quels problèmes...

 

Francis Richard

 

Histoire de l'homme qui ne voulait pas mourir, Catherine Lovey, 176 pages, Zoé

 

N.B.

Ce roman a été sélectionné pour Le prix du livre de la ville de Lausanne. Une rencontre avec son auteure aura lieu le 5 octobre 2024 à l'Auditorium MCBA (Musée cantonal des beaux-arts), Plateforme 10, à 11h. Entrée libre sur inscription.

 

Livres précédents:

 

Un roman russe et drôle (2010)

Monsieur et Madame Rivaz (2016)

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28 septembre 2024 6 28 /09 /septembre /2024 17:10
D'or et de jungle, de Jean-Christophe Rufin

Lorsqu'on s'apprête à rencontrer un des hommes les plus riches du monde, il est vivement conseillé de se composer une attitude digne et même conquérante, surtout si on vient de sortir de prison.

 

À Los Angeles, Ronald Daume propose ses services à Marvin Glowic, le créateur du moteur de recherche Golhoo. Certes ils sont amis, mais ne se sont pas vus depuis trente ans.

 

Ronald ne veut pas rester sur l'échec du coup d'État manqué à Madagascar quand il était employé par l'agence Providence, dirigée par un homme exceptionnel, Archibald, Archie...

 

De se protéger contre l'État fédéral est ce qu'il suggère à Marwin, et à ses semblables1, qui ont un point commun: ce sont des libertariens2 convaincus, croyant à la liberté absolue.

 

Comment mieux se protéger contre l'État, sinon en ayant un, i.e. en prenant le contrôle d'un État existant, ce que, dans le jargon du métier, on appelle un coup d'État clefs en main:

 

Il faut choisir judicieusement sa cible, analyser les forces en présence et mettre en oeuvre toutes sortes de techniques de subversion.

 

Ronald a en effet quitté Providence, une agence spécialisée dans le métier, et a créé sa propre agence, basée à Nice, qui a la particularité, discrétion oblige, de n'avoir pas de nom.

 

Marwin et ses collègues acceptent sa proposition: la cible choisie est le sultanat de Brunei, où règne la charia, au moins de façade, et où la richesse repose sur les hydrocarbures.

 

Comme tout bon manager, Ronald sait s'entourer de spécialistes, si bien que l'agence sans nom grossit et qu'il peut bientôt envoyer des équipes de professionnels sur le terrain.

 

L'intérêt du livre de Jean-Christophe Rufin est que le récit, plein d'aléas, est tout à fait vraisemblable. L'équipe de Ronald, heureusement, réagit très rapidement à ces aléas. 

 

Dans ce genre d'opérations, faites nécessairement dans l'ombre, pertes et doubles jeux sont inévitables. Souvent, hélas, sans le savoir, on fait le travail d'un autre, alors que faire?

 

Il faut savoir se contenter de ce que l'on est.

 

Francis Richard

 

1 - Tels que les GAFAM, Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.

2 - En fait les libertariens défendent la liberté individuelle conçue comme un droit naturel ou comme le résultat du principe de non agression (voir Wikiberal)...

 

D'or et de jungle, Jean-Christophe Rufin, 450 pages, Calmann-Lévy

 

Livres précédents chez Flammarion:

Le Suspendu de Conakry (2018)

Le Flambeur de la Caspienne (2020)

La Princesse au petit moi (2021)

 

Livres précédents chez Gallimard:

Sept histoires qui reviennent de loin (2011)

Le collier rouge (2014)

Check-point (2015)

Le tour du monde du roi Zibeline (2017)

Les sept mariages d'Edgar et Ludmila (2019)

Les flammes de pierre (2021)

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25 septembre 2024 3 25 /09 /septembre /2024 20:30
Ozanges, de Richard Millet

Pourquoi avoir accepté ce qui était moins une invitation qu'une suggestion? La beauté de la jeune femme? Curiosité? Ennui? Remords de négliger ma terre natale? Ou bien pour le seul nom du château, Ozanges [...]?

 

Pascal Bugeaud est écrivain. Il n'a pas d'autre corde à son arc. S'il retourne dans le haut Limousin, c'est moins pour lire des extraits de son dernier livre, La Place forte, devant des lecteurs à présent peu nombreux que pour donner suite à la suggestion de la belle jeune femme.

 

Cette dernière, tchèque, se prénomme Milanka. Elle est venue, avec un enfant, le chercher en voiture à la gare d'Ussel où il est arrivé par l'autorail. Ozanges est le château où elle a vécu avec son mari et où leur enfant a grandi. Elle s'y rend de temps à autre par piété envers lui.

 

Après avoir franchi la grille, le château fut soudain là - le passé simple répondant à la solennité du moment à quoi les éléments participaient, puisqu'il avait cessé de neiger et que la lune entrouvrait les nuages: l'ancienne langue a encore son mot à dire, aurait-il pu susurrer ... 

 

Ozanges est le récit de la nuit que le narrateur passe seul dans ce château, afin d'être à pied d'oeuvre pour la séance de lecture prévue le lendemain à la librairie Tintignac à Uxeilles, non sans avoir pris préalablement un repas avec l'enfant et Milanka, fidèle lectrice de ses livres.

 

En fait il n'a pas osé dire à Milanka qu'il aurait préféré dormir ailleurs et qu'il appréhendait d'y être seul. Aussi l'a-t-il rassurée quand elle lui a demandé en partant si ça irait. Il lui aurait bien répondu qu'il était venu pour ça, sans préciser quoi, ne le sachant pas bien, ni Milanka:

 

Elle devait être tout simplement heureuse de [lui] offrir l'hospitalité dans un cadre hors du commun et aussi révolu que les mondes d'où [ils venaient], les derniers paysans, pour [lui], tout comme, pour elle, le communisme soviétique.

 

Il retrouve une solitude dont [il a] cessé de croire qu'elle est essentielle à l'écrivain. Il passe une mauvaise nuit, entendant des bruits, auxquels succède un silence qu'il n'ose pas troubler, épuisé, sans défense devant le sommeil comme dans la veille, murmurant des prières.

 

Puis il visite le château, pièce par pièce: [il partait] du principe [qu'il aurait] moins peur en questionnant respectueusement le château qu'en demeurant dans [sa] chambre. Peut-être aurait-il mieux fait de rester sur son lit... mais ne doit-il pas achever ce qu'il a entrepris?

 

Hanté cette nuit-là par des musiques et des livres, il va jusqu'au bout de sa visite et tâche d'écrire correctement, comme le lui recommandait sa mère, qui s'affligeait que, dans un monde presque déchristianisé, la langue était abandonnée à l'impiété et aux hérésies syntaxiques...

 

Francis Richard

 

Ozanges, Richard Millet, 128 pages, Samuel Tastet Éditeur

 

Précédents billets sur des livres de Richard Millet:

 

Fatigue du sens (17 décembre 2011)

La souffrance littéraire de Richard Millet (21 septembre 2012) :

- Langue fantôme, suivi de, Éloge littéraire d'Anders Breivik

- Intérieur avec deux femmes

- De l'antiracisme comme terreur littéraire

Trois légendes (21 novembre 2013)

L'Être-Boeuf (3 décembre 2013)

Une artiste du sexe (30 décembre 2013)

Le corps politique de Gérard Depardieu (25 novembre 2014)

Solitude du témoin (3 mai 2015)

Province (28 juin 2017)

Étude pour un homme seul (17 mai 2019)

Français langue morte suivie de l'Anti-Millet (30 juillet 2020)

Paris bas-ventre, suivi de, Éloge du coronavirus (22 juillet 2021)

Nouveaux lieux communs (8 juin 2024)

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23 septembre 2024 1 23 /09 /septembre /2024 18:45
Ce qu'il reste de tout ça, de Fanny Desarzens

Ce n'est ni la montagne, ni la mer. Ça se passe entre les deux, c'est un plateau dans ce niveau du monde. Et ce qui surprend d'abord c'est la couleur. La même teinte qui se déploie dans ce grand espace. Partout c'est vert.

 

Dans ce lieu, Marianne apparaît au début du roman. Avec deux autres personnes. Ce n'est pas fortuit. C'est en quelque sorte un prologue que le lecteur se devra de garder présent à l'esprit.

 

Le monde de Marianne est tout ce qu'il y a d'ordinaire. Il peut donc parler à tout lecteur humaniste, c'est-à-dire qui aime ses semblables, sans pour autant dénigrer les êtres d'exception.

 

Pour situer Marianne, Fanny Desarzens raconte, dans un style épuré, d'où elle vient, comment elle vit, ses parents, Francis et Josée, les lieux dans lesquels, enfant unique, elle a grandi.  

 

L'auteure raconte une autre famille, dans un autre village, où les parents n'ont pas moins de six enfants, s'attarde à décrire le petit dernier, Adrien, un débrouillard comme son père Jacques.

 

À un bal Marianne et Adrien se sont rencontrés. Sont-ils tombés amoureux l'un de l'autre? Que nenni. L'un et l'autre se sont simplement dits qu'ils allaient s'entendre, allaient se comprendre.

 

Il a fallu que son père à elle meurt pour que sa mère lui dise qu'il avait commencé tout jeune à mettre de côté, qu'il n'avait jamais arrêté, pour donner le tout à sa fille, avant qu'elle naisse. 

 

Adrien et Marianne ont un fils, Daniel, un autre, André. Ils grandissent. Alors il faut déménager, gagner davantage, travailler, travailler, pour avoir une retraite paisible, mais ce n'est pas tout:

 

Être capable d'économiser pour les enfants [...]. Avoir des sous pour quand ils seront grands.

 

Sans être colossale, l'épargne familiale grossit, reste à attendre, jusqu'au jour où, pour la santé de Marianne, se présente l'occasion de l'investir dans un terrain, sur lequel ils pourraient bâtir...

 

Il est dans la nature humaine de vouloir transmettre quelque chose à ses héritiers, des rêves et des réalités. Mais Ce qu'il reste de tout ça n'est pas forcément ce que l'on avait imaginé qu'il serait...

 

Francis Richard

 

Ce qu'il reste de tout ça, Fanny Desarzens, 160 pages, Slatkine

 

Livre précédemment chroniqué:

 

Galel (2022)

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16 septembre 2024 1 16 /09 /septembre /2024 17:25
Le sutra des damnés, d'Alexandre Sadeghi

Un détail la troublait plus que les autres: une particularité qu'un autre inspecteur aurait probablement ignorée, pas par maladresse ou manque d'attention, mais par différence de parcours. Les cinq mots se répétaient dans sa tête, rythmés et persistants: Cent huit coups de burin.

 

L'inspectrice Kong Ling a donné sa démission. Elle doit partir pour sa Chine natale dans deux semaines. Mais son patron, André Reynaz, chef de la brigade criminelle, lui a demandé instamment de s'occuper d'un meurtre inouï commis sur la personne de Marius Chollet:

 

Cinquante-huit ans. Professeur ordinaire d'informatique à l'École polytechnique fédérale de Lausanne.

 

La victime a en effet reçu cent huit coups de burin. Le patron a besoin de quelqu'un d'efficace et de têtu, qui lui obtiendra des résultats rapidement et sans chichi. Elle accepte. Il ne sait pas à quel point elle est la bonne personne, car, pour sûr, le nombre de cent huit lui parle:

 

De mémoire, Ling pouvait énumérer une douzaine d'exemples, tant dans la littérature et les arts martiaux que dans les coutumes bouddhistes et taoïstes de son pays natal.

 

Le patron lui donne toutefois un assistant pour l'épauler, l'appointé Nicostratus (sic) Braga. Malgré qu'elle en ait, elle finit par accepter qu'il soit en quelque sorte son ange gardien, ce qui, l'histoire le dira, était une bonne condition pour qu'elle mène l'enquête à son terme.

 

Commence alors une série de meurtres aussi cruels les uns que les autres. Seule Ling est à même de faire le lien entre eux. Car le tueur s'inspire de mythes bouddhistes, en particulier la symbolique des supplices de Naraka, un des six mondes de cette cosmologie orientale.

 

Ce monde comprend huit Enfers chauds. Chacun des meurtres commis semble l'illustration d'un de ces enfers. L'expression supplice chinois signifie au sens propre une technique de torture particulièrement cruelle. C'est bien le cas dans la commission de tous ces meurtres.

 

Le lecteur attentif remarquera qu'un personnage, que l'auteur désigne par l'acolyte, apparaît tout au long de ce récit infernal, croise les protagonistes et ponctue ses apparitions de citations bouddhistes du meilleur effet, tel que celui-ci qui sera, hélas, souvent de circonstance:

 

Toute chose créée meurt. Celui qui le comprend deviendra passif à la douleur. Ceci est la Voie de la Purification.

 

Le récit se déroule en divers lieux de Lausanne, la plus petite des grandes villes de Suisse, que ses familiers reconnaîtront mais qui prendra des couleurs auxquelles ils ne s'attendent pas: Même une bonne personne confondra le Bien et le Mal tant que ceux-ci n'auront pas mûri.

 

Dans Le sutra des damnés, comme la Roue de l'Existence, Alexandre Sadeghi entraîne le lecteur sans effort jusqu'au dénouement. S'il ne l'était, il sera convaincu qu'il existera toujours des victimes et des bourreaux, des démunis et des exploiteurs, des démons et des autres:

 

Que ce soit la vie ou la mort, la douleur ou la joie, tout se répète, tout revient...

Et rien ne se termine.   

 

Francis Richard

 

Le sutra des damnés, Alexandre Sadeghi, 434 pages, Slatkine

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13 septembre 2024 5 13 /09 /septembre /2024 19:30
Une singularité, de Bastien Hauser

Je reconnais les anneaux orangés du disque d'accrétion, le même que m'avait montré Cyril sur son portable.

Je reconnais M87*.

Je me redresse dans le canapé et reste un instant sans bouger. En dessous de l'image il y a un article qui dit que le 10 avril 2019 a été publiée la première photographie d'un trou noir. Je relis la date trois fois, je la connais déjà, c'est le jour que j'ai passé à l'hôpital, c'est le jour où on m'a montré l'intérieur de mon cerveau.

 

Abel Fleck a été victime d'un AVC hémorragique. À l'hôpital, on lui a montré la tache lumineuse au centre de l'image de son cerveau. 

 

Le 20 avril, Cyril lui a montré la photo de M87*, un trou noir, situé au centre de la galaxie elliptique supergéante M87, i.e. Messier 87.

 

Ce 25 avril, rentré chez lui, il retrouve sur son ordinateur la photo de M87*. Il ne peut simplement pas croire que ce soit une coïncidence.

 

Il est hautement improbable que la première photo d'un trou noir coïncide avec son observation d'un trou noir à l'intérieur de lui-même.

 

Les deux trous noirs sont forcément liés. Dès lors il est obsédé par les trous noirs et lit sur la toile tout ce qu'il peut trouver à leur sujet.

 

Ces trous de mémoire le font se couper du monde, tandis qu'un bourdonnement incessant dans sa tête le fait changer de comportement.

 

Il n'en est pas à Une singularité près. C'est ainsi que les scientifiques parlent du point noir auquel se réduit une étoile après avoir explosé.

 

Dans ce récit, il y a pour Abel un avant et un après le 21 juin 2019. Ce jour le plus long de cette année-là, il part de l'autre côté du monde.

 

En fait Abel change de continent. Il quitte Bruxelles et ses amis, qui ne le reconnaissent plus, et gagne Tucson sans se rappeler comment...

 

Car ses trous de mémoire fluctuent, de même que le bourdonnement qui résonne dans sa tête. Bientôt il n'est plus seul, se fait des relations.

 

Avec elles, il se rend à Kitt Peak, en contrebas de l'observatoire, l'endroit idéal pour voir l'éclipse du 2 juillet, phénomène en principe banal.

 

Le lecteur de Bastien Hauser devra alors faire un effort. Après tout, Abel ne délire peut-être pas. Mais il lui faudra admettre son assertion: 

 

La science dit que le cerveau et le ciel c'est pareil.

 

Francis Richard

 

Une singularité, Bastien Hauser, 272 pages, Actes Sud

 

N.B.

Ce roman a été sélectionné pour Le prix du livre de la ville de Lausanne. Une rencontre avec son auteur aura lieu le 26 octobre 2024 à l'Auditorium MCBA (Musée cantonal des beaux-arts), Plateforme 10, à 11h. Entrée libre sur inscription.

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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