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22 mars 2024 5 22 /03 /mars /2024 23:00
L'île de la Française, de Metin Arditi

Saint-Spyridon, située entre Kalymnos et Kos, est une île toute proche de la ville turque de Bodrum. C'est L'île de la Française. En 1950, Odile Lang, ladite Française, y passe son cinquième été, le deuxième sans André.

 

André, âgé de trente-trois ans de plus qu'elle, et Odile ont eu une fille, Pénélope, qui est venue avec sa mère cet été-là. André était amoureux de la Grèce et de la photo: La photo, c'était la mémoire, et la Grèce, l'éternité.

 

Saint-Spyridon est pauvre, vidée par la guerre et par la mer. Quand Clio perd sa mère, elle décide d'entrer dans son monastère pour survivre: elle y sera prise en charge, vêtue, logée, nourrie, mais coupée du monde et d'Odile.

 

Odile a employé Clio pendant l'été. Elle a fait des photos d'elle qui ont excité la jalousie de Pénélope qui les a déchirées, si bien qu'elle n'a pas pu les lui remettre. De toute façon elle n'aurait pas pu les prendre avec elle...

 

Au monastère, l'higoumène, Andonia, impose à ses moniales sa conception de la foi: elles doivent chercher à imiter le Christ sur la Croix, cloué aux pieds et aux mains, en se mutilant sans que cela nuise à leurs tâches...

 

Trois ans plus tard, à la fin de l'été 1953, Pénélope, qui est restée sur l'île après le départ d'Odile pour Paris, disparaît. Par un télégramme, Lakis, le policier de l'île et le fils de Yorgos, le patron du café, l'en informe.

 

Pour connaître la vérité Odile retourne sur l'île. À la demande du maire, Aristidis, l'higoumène prie Clio de travailler à nouveau chez elle. Quand elles se revoient, Odile est horrifiée en découvrant son corps supplicié:

 

Réduire ton corps au silence, c'est étouffer tes pensées les plus humaines! s'exclama Odile. C'est taire ton âme.

 

Odile va redonner leurs voix aux corps et âmes des moniales, à commencer par Clio, d'une façon hétérodoxe, en faisant ce qu'elle sait faire de mieux: les photographier, et en transmettant son art à Clio, qui a des dispositions.

 

Leur vie à toutes en sera bouleversée et Odile sera même bannie. Plus tard, quand la vérité éclatera dans ce microcosme imaginé par Metin Arditi, leur péché sera considéré comme véniel comparé à celui commis envers elle. 

 

Francis Richard

 

L'île de la Française, Metin Arditi, 234 pages, Grasset

 

Romans précédemment chroniqués:

Le Turquetto, 288 pages, Actes Sud  (2011)

Prince d'orchestre, 380 pages, Actes Sud (2012)

La confrérie des moines volants, 350 pages, Grasset (2013)

Juliette dans son bain, 384 pages, Grasset (2015)

L'enfant qui mesurait le monde, 304 pages, Grasset (2016)

Carnaval noir, 400 pages, Grasset (2019)

Rachel et les siens, 512 pages, Grasset (2020)

L'homme qui peignait les âmes, 304 pages, Grasset (2021)

Tu seras mon père, 368 pages, Grasset (2022)

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17 mars 2024 7 17 /03 /mars /2024 18:00
Bitume d'août, de Sandra Maeder

La mère et le fils vivent dans le même appartement depuis longtemps. Dans son salon sans fenêtre, il y a un aquarium avec un poisson aux nageoires déchirées.

 

C'est un jour particulier du mois d'août: Il fait chaud. Il fait tellement chaud. Les seuls bruits que l'on entend sont ceux des ventilateurs et de l'autoroute proche.

 

C'est un jour particulier: Il a toujours fait très chaud le jour de leur anniversaire. Comme il n'y a que la mère et le fils, le lecteur pense d'abord qu'il s'agit du leur.

 

Il y a, au présent, un matin, un après-midi et un soir. Mais il y a aussi plusieurs passés qui resurgissent au long du récit et dans lesquels l'auteure noie le lecteur.

 

Le lecteur doit y faire le tri, distinguer les parts de rêve et de réalité dans ce que ressentent ou expriment la mère et le fils, flou que l'auteure entretient volontiers.

 

Alors le lecteur se doit de relever les quelques indices qui devraient lui permettre de comprendre ce qui se trame ce jour anniversaire où il fait tellement chaud:

 

  • La mère attend des invités: son fils lui demande à quelle heure, tout en affirmant qu'ils ne viendront pas.
  • La mère attend le frère de son fils qui ne viendra pas non plus puisqu'elle lui a dit qu'il était parti sur la Lune avec les astronautes de la Mission Apollo 17: un aller sans retour.
  • Son fils ne veut plus que sa mère l'appelle Pierrot et demande à sa mère comment s'appelait son frère.
  • La mère a préparé des ballons multicolores et une banderole Joyeux Anniversaire, fait un de ces gâteaux au chocolat et au sirop, comme lui et son frère les aiment.
  • Le poisson manque de nourriture et Pierrot a oublié de lui en acheter.

 

Un des passés évoqués ne se répétera pas, il balbutiera. Rien ne sera plus jamais comme avant ce jour présent ni après un autre anniversaire dont le souvenir reste vif.

 

Francis Richard

 

Bitume d'août, Sandra Maeder, 160 pages, Éditions Encre Fraîche

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16 mars 2024 6 16 /03 /mars /2024 18:50
La Gingolaise, de Laurence Voïta

Lors d'une recherche, Laurence Voïta, par hasard, a croisé l'extraordinaire destin de Charles Garain, qui en réalité était une femme, La Gingolaise1. À la fin de son roman, l'auteure publie le texte source de trois quatre pages en espagnol, à partir duquel elle a reconstitué l'histoire du petit Charles.

 

L'auteure se défend d'avoir écrit un roman historique. Ce serait plutôt le roman d'une vie singulière de femme que, femme du XXIe siècle, elle a voulu comprendre. Car, si l'Histoire avec un grand H a toute sa place dans ce roman, cette place, bien que très documentée, n'y est pas majuscule.


Le début de l'histoire? Cette Suissesse en habits d'homme a capitulé 2 pour cinq ans à Monthey, le 26 décembre 1780, pour aller combattre les Anglais en Espagne et leur reprendre, avec d'autres soldats suisses, l'île de Minorque.

 

La fin de l'histoire? Ce Suisse meurt d'une fracture ouverte à la jambe, le 26 décembre 1781, après y avoir reçu, sur un champ de bataille, un boulet, tiré dans son dos. C'est à ce moment-là qu'il s'avère que le petit Charles est une femme.

 

Si, grâce au texte source, le début et la fin d'une année de la vie de Charles sont connus, encore ignore-t-on, sinon dans les grandes lignes, l'entre-deux, qui permettrait de répondre aux deux questions que se posent la romancière:

  • Pourquoi une femme a-t-elle choisi de se travestir en homme?
  • Comment ce travestissement a-t-il pu duper son monde, un monde masculin?

 

À ces deux questions, l'auteure répond par la fiction, c'est-à-dire par des conjectures, qui, bien qu'élaborées plus de deux siècles plus tard par une femme d'un autre temps et d'autres moeurs, sont tout à fait plausibles. Pour les besoins de sa cause, elle baptise Charles Marie-Anne:

  • Marie Anne voulait être libre, pour échapper à sa condition, nonobstant sa petite taille, qui était en principe rédhibitoire pour les recruteurs, mais qu'elle fera oublier par sa bravoure dans les exercices et batailles militaires, d'où son surnom de petit Charles.
  • À seize ans, Marie Anne est imberbe et n'a toujours pas de saignements qui pourraient la démasquer; elle échappe par trois fois aux examens médicaux et parvient, ce qui n'est pas étonnant à l'époque, surtout dans la soldatesque, à ne jamais dévoiler sa nudité; mais comment Marie Anne faisait-elle pour pisser? Mystère.

 

L'entre-deux? C'est le voyage effectué par les recrues, depuis le lac Léman jusqu'à Minorque, par voie lacustre, fluviale, puis terrestre, enfin maritime. Ce sont les exercices militaires avant le départ le 18 juin 1781 pour Majorque et avant l'engagement contre les Anglais: comme pourrait dire Lao Tseu, l'important dans ce roman, ce n'est pas le voyage mais un destin qui a fasciné l'auteure et qui fascine le lecteur à son tour.  

 

Au début de l'histoire, Charles se lie d'amitié avec Martin, un homme de son âge, imaginé par l'auteure. Martin réapparaîtra les dernières semaines, ayant suivi les traces de Charles, qu'il admire; il sera certainement contrit qu'il lui ait menti sur son sexe, et devra comprendre que cette femme libre ne voulait certainement pas de sa protection, ni d'aucune autre.

 

Francis Richard

 

1- Native de Saint-Gingolph.

2- La capitulation est à l'époque un engagement militaire moyennant solde.

 

La Gingolaise, Laurence Voïta, 176 pages, Favre

 

Livres précédents aux Éditions Romann:

Vers vos vingt ans (2019)

... Au point 1230 (2020)

Personne ne sait que tu es là (2022)

 

Livre précédent aux Éditions Favre:

Aveuglément (2023)

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14 mars 2024 4 14 /03 /mars /2024 19:40
La fille de diamant, d'Olivier Rigot

La soirée était torride, la musique, l'alcool, la température estivale et les tenues aidant, les buissons du jardin n'avaient pas tardé à bruisser de mille murmures pas forcément bucoliques.

 

Lors de cette soirée, Tim, Timothée Bastiant, fait la connaissance de Melania, une fille de l'Est. Il l'a ramenée chez lui pour un coup d'un soir qui n'a pas lieu, tous deux étant fortement alcoolisés. Quand Tim se réveille le dimanche matin, il est seul.

 

Tim est le rédacteur en chef et propriétaire de Time & Watches, une revue consacrée à l'industrie horlogère. Des entretiens avec les patrons de cette activité typiquement helvétique y sont publiés. Il n'a qu'une collaboratrice, Muriel, divorcée, deux enfants.

 

Plusieurs semaines après, alors que Tim a perdu la trace de Melania, il tombe sur elle lors d'un cocktail organisé par la boutique Chuberer, rue du Rhône. Une amie lui a donné son invitation. Ils boivent un verre, se séparent, mais elle lui demande sa carte.

 

Melania est sans le sou. Elle était hôtesse de l'air mais ne travaille plus dans l'aérien depuis la pandémie de Covid. Comme Tim s'est bien comporté avec elle, un jour, sans le sou et à la rue, au bout de ses droits au chômage, elle vient trouver refuge chez lui.

 

Pour lui venir en aide, Tim l'héberge en tout bien tout honneur, l'embauche dans sa revue, où cette polyglotte fait merveille auprès des patrons horlogers, notamment auprès d'Igor Petrakov, qui dirige la manufacture Georges Meyer jusque-là inconnue.

 

Petrakov lui propose un job qu'elle ne peut refuser: responsable de toutes les boutiques du groupe, disséminées dans des lieux insolites à travers la planète, ce qui va la faire voyager le plus clair de son temps, et la rendre indépendante, du moins le croit-elle.

 

L'essor de Georges Meyer est tel qu'il ne peut s'expliquer par la seule fabrication et vente de ses garde-temps1. Les trafics de diamants, qui les ornent, ou de cocaïne, ne sont-ils pas à l'origine de cet essor fulgurant et inexplicable par le seul management?

 

Olivier Rigot, parallèlement à l'histoire tumultueuse de Tim et Melania, raconte que Petrakov n'en est pas le réel patron et suggère que dans les lieux où l'entreprise tient boutique, elle pourrait bénéficier de ces activités qui sont autrement plus lucratives.

 

Melania, de par ses fonctions, va se trouver impliquée. Ce qui fera d'elle, malgré qu'elle en ait, La fille de diamant qui donne son titre au livre, dont le dénouement, après des péripéties rocambolesques, surprendra le lecteur: ce n'était pas ce qu'il croyait.

 

Francis Richard

 

1 - Horloges de haute précision.

 

La fille de diamant, Olivier Rigot, 278 pages, Slatkine

 

Livre précédent:

La fille aux cerfs-volants (2021)

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12 mars 2024 2 12 /03 /mars /2024 19:50
L'écriture racontée à mon père et autres essais, de Claire Genoux

Ce volume est composé de quatre essais relatifs à l'écriture:

  • L'écriture racontée à mon père
  • Jacques Chessex (1934-2009). Dans la classe d'écriture
  • La romancière est-elle une mère qui désobéit?
  • Discours de réception du Prix Eugène Rambert - Le 9 juin 2022.

 

Ils ont en point commun non seulement l'écriture, mais la clarté: l'auteure porte bien son prénom. Car clair est le style, claire la pensée, clairs les hommages à l'écriture, qui apporte aussi bien de la peine que de la satisfaction à celui qui tient la plume.

 

Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu Claire Genoux et je me rends compte qu'en ne lisant pas ses trois derniers livres, j'ai manqué quelque chose, d'autant que le quatrième essai du présent volume a récompensé le premier d'entre eux, Giulia1.

 

Dans le premier essai, l'auteure dit tout ce que l'écriture lui apporte et le dit, en imaginant que son père l'écoute et ordonne, poétiquement, ce qui est un réel ravissement pour le lecteur qui boit littéralement ses mots comme à une source d'eau pure.

 

Aussi le chroniqueur n'a-t-il que l'embarras du choix pour en donner un exemple. Car il est évidemment impossible de tout citer, bien que l'envie ne manque pas. Alors il choisit quelques extraits pour illustrer le propos et faire voir la texture:

 

  • Écrire n'est pas coudre des points de croix sur un coton délicat mais livrer une bataille. Car l'écrivain d'abord s'oppose à la langue et en est malheureux.

 

  • Les règles du bien écrire sont à disposition dans les manuels, non la musique, non la patience et non la grâce. Non l'engagement et la fidélité.

 

  • La vérité, l'écrivain ne la doit pas à son lecteur. Ce que ce dernier est en droit d'attendre est une révélation, dont la grande voile est l'imagination.

 

De Jacques Chessex, qui fut son prof, l'auteure révèle qu'il n'enseignait pas l'écriture, mais, une heure durant, disait à ses élèves: écrivez. Si bien que certains de ses élèves avaient l'impression de n'avoir rien fait, tandis que lui s'isolait:

 

  • vous plongé, concentré à vos pages une heure passait au calme, une heure avec les oiseaux, une heure avec les mots et vous, pas la peine de vous parler demander quoique ce soit, vous écriviez

 

Est-il compatible d'être mère et écrivain? L'auteure en est la preuve, car elle a su concilier les deux femmes en elle, celle qui s'occupe du ménage et des vaisselles, des taches quotidiennes, de son enfant, et celle qui écrit, ce qui exige du silence et du temps:

 

  •  Elle a désiré l'enfant, elle a choisi de ne pas s'en tenir à l'écriture seule parce qu'une mère a déjà déposé en elle la matière d'une langue. Un trésor. Grâce à la présence de l'enfant elle en déchiffre les infinis secrets.

 

Dans son discours de réception du Prix Eugène Rambert, cette grâce qui lui a été faite, elle revient sur le combat que l'écrivain livre quand il se met à écrire, ce qui est d'autant plus vrai pour Giulia, qui occupe une place particulière dans son parcours:

 

  • Écrire est une aventure à ses risques et périls. On n'écrit pas avec des idées mais avec des mots et les mots ne travaillent pas toujours en notre faveur, les mots parfois travaillent contre nous. Ils sont remplis comme des outres prêtes à exploser. Prêts à bondir comme des fauves qu'il ne s'agit pas de dompter, ni de domestiquer, il faut leur laisser leur liberté sauvage, leur fureur, leurs aspérités et leurs angles.

 

Il y a quelque chose de merveilleux dans la rencontre entre un écrivain et un lecteur. Finalement, les deux y trouvent leur compte. En dépit des difficultés à écrire ou à lire que l'un et l'autre connaissent, le bonheur de l'un fait le bonheur de l'autre. 

 

Francis Richard

 

1 - Je ne l'ai jamais reçu en service de presse et j'ai la mauvaise excuse du surcroît de travail de ma dernière année d'activité professionnelle pour ne pas avoir pris le temps de l'acquérir...

 

L'écriture racontée à mon père et autres essais, Claire Genoux, 136 pages, BSN Press

 

Livres précédents chez Bernard Campiche Éditeur:

Faire feu (2013)

La barrière des peaux (2014)

Orpheline (2016)

 

Livre précédent aux Éditions Corti:

Lynx (2018)

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11 mars 2024 1 11 /03 /mars /2024 19:40
Un Animal Sauvage, de Joël Dicker

Les animaux sauvages sont comme les hommes. On peut les amadouer, les grimer, les déguiser. On peut les nourrir d'amour et d'espoir. Mais on ne peut pas changer leur nature.

 

Dans Un Animal Sauvage, Joël Dicker illustre ce constat essentiel de manière inattendue, car il faut que le lecteur prenne sa lecture en patience pour découvrir quel est l'animal sauvage de l'histoire.

 

La patience du lecteur n'est toutefois pas mise à trop lourde épreuve parce que l'auteur sait très bien comment s'y prendre pour qu'il ait envie d'aller jusqu'au bout du voyage, un voyage d'agrément.

 

Il y a en fait cinq personnages qui se disputent son attention: deux couples et un tiers perturbateur qui se double d'un manipulateur hors pair: ce fut jadis le dompteur de l'animal sauvage en question.

 

L'histoire est celle d'un braquage opéré à Genève le 2 juillet 2022, des vingt jours qui le précèdent et de faits situés bien plus loin dans le temps et qui en sont en quelque sorte la genèse explicative. 

 

Les deux couples habitent la commune huppée de Cologny. Ils sont voisins, mais ils ne sont pas du même monde, ce qui ne va pas les empêcher de bientôt se fréquenter et de mêler leurs existences.

 

Sophie et Arpad Braun vivent dans un grand cube, tout en verre, qui est entouré par un jardin impeccable, avec piscine et grande terrasse: le couple idéal, les parents comblés de deux enfants merveilleux.

 

Sophie et Arpad travaillent dans le centre de Genève, elle comme avocate à la tête de son propre cabinet, lui comme cadre dans une banque privée: c'est lui qui assure le train de vie du couple, un grand train.

 

Karine et Greg Liégean, plus modestes, vivent avec leurs deux enfants dans une résidence pour classe moyenne, une petite grappe de maisons mitoyennes, que les autres habitants du lieu surnomment la verrue.

 

Karine travaille dans une boutique de mode au centre de Genève, située pas loin du cabinet de Sophie. Greg est policier, le meilleur élément du groupe d'intervention, dont il aspire à devenir un jour le chef.

 

Sous des apparences respectables, tous ces personnages, hormis peut-être Karine, ont leur part d'ombre: ces ombres vont générer les péripéties d'un roman qui n'est pas un remède lénifiant pour insomniaques. 

 

Francis Richard

 

Un animal sauvage, Joël Dicker, 400 pages, Rosie & Wolfe

 

Livres précédents:

 

Les derniers jours de nos pères (2012)

La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert (2012)

Le Livre des Baltimore (2015)

La Disparition de Stephanie Mailer (2018)

Le Tigre (2019)

L'Énigme de la Chambre 622 (2020)

L'affaire Alaska Sanders (2022)

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5 mars 2024 2 05 /03 /mars /2024 23:05
La Saison des mouches, de Daniel Abimi

Bis repetita non placent1, voilà ce que le lecteur a envie de dire après avoir lu, en hors d'oeuvre, le fait divers qui donne tout de suite le la au roman de Daniel Abimi, lequel connaît bien le sujet des heures les plus sombres...

 

Le 19 février 20022, en effet, une tuerie avait déjà eu lieu dans le cinéma Moderne à Lausanne, où sont projetés des films X. Cette fois, un été, caniculaire, La Saison des mouches, une fusillade y fait plusieurs victimes.

 

Tout laisse à penser que c'est un attentat. Car le tueur, in fine, s'est suicidé en se faisant sauter. Mais, a-t-il agi seul? Est-ce un attentat djihadiste, ou, comme les armes retrouvées datent de la dernière guerre, d'un attentat néo-nazi?

 

Ce serait mal connaître l'auteur de croire qu'avec lui les choses sont  simples. Quoi qu'il en soit, le lecteur a un avantage sur les enquêteurs: lui il connaît tout de suite l'identité du tueur, Émile Jaques, sans savoir quels sont ses mobiles.

 

Deux hommes, qui sont souvent en relation et s'apprécient, mènent l'enquête chacun de son côté dans la ville de Lausanne en ébullition, l'inspecteur Mariani et le journaliste Michel Rod, chacun d'eux rendant des comptes à sa hiérarchie.

 

Les deux hommes sont très différents: Mariani n'était pas à proprement parler heureux, mais il se levait chaque matin et rentrait le soir retrouver les siens; Rod, inscrit sur un site de rencontres, jamais ne s'était senti aussi déprimé.

 

Ce qui va apporter une dimension planétaire à ce fait divers local et donner une mauvaise image de la Suisse, réputée être un havre de paix, c'est que la fusillade a été filmée avec une GoPro et largement diffusée sur les réseaux sociaux.

 

Il est donc impossible à la police de cacher longtemps ce massacre que des âmes trop sensibles ne sauraient voir. Si Mariani suit un temps la piste d'extrême-droite avant d'être dubitatif, Rod s'intéresse aux victimes du cinéma porno.

 

Comme les choses sont vraisemblablement plus compliquées qu'elles n'apparaissent d'emblée, les deux pistes semblent au lecteur l'une comme l'autre prometteuses, le en même temps pourrait bien être ici de circonstance. Encore que...

 

Comme Daniel Abimi ne se contente pas de rester à la surface des choses et qu'il aime raconter les dessous de la ville de Lausanne, dont les habitants reconnaîtront les lieux, il gratte le vernis et révèle avec maestria ce qu'il y a dessous.

 

Tous ses personnages sont très humains, même quand ils ne le sont pas vraiment, et ses deux protagonistes découvriront la solution, malgré qu'ils en aient, de par les liens entretenus par leurs ascendants avec ceux qui tirent les ficelles.

 

Daniel Abimi aime bien faire languir le lecteur. Aussi une piste suggérée peut-elle en cacher une autre, et la croix gammée, la croix chrétienne, parce que les deux symboles jalonnent son récit sans que, longtemps, l'on sache pourquoi. 

 

Francis Richard

 

1 - Les choses répétées ne plaisent pas.

2 - Voir l'article du Temps, publié le 22 février 2002.

 

La Saison des mouches, Daniel Abimi, 456 pages, Bernard Campiche Editeur

 

Livres précédents chez Bernard Campiche Editeur:

Le cadeau de Noël (2012)

Le baron (2015)

 

Livre précédent chez BSN Press, avec Émilie Boré:

Bora Bora dream (2017)

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2 mars 2024 6 02 /03 /mars /2024 23:55
Comment ça va pas?, de Delphine Horvilleur

Le sous-titre est éloquent: Conversations après le 7 octobre. D'autant que Delphine Horvilleur est rabbin. Comme est éloquent le fait que le livre commence par une citation d'un poète palestinien, Mahmoud Darwich, et qu'il se termine par une citation d'un poète israélien, Yehuda Amichaï.

 

Onze conversations composent ce livre. Elles ont pour toile de fond ce qui s'est passé le sinistre 7 octobre 2023. Comme il est difficile d'exprimer de toutes la quintessence, il convient, au risque d'éprouver un sentiment d'incomplétude, d'opérer parmi elles un choix subjectif mais suggestif.

 

Dans Conversation avec ma douleur, l'auteure écrit:

Depuis le 7 octobre, où que nous nous trouvions et quels que soient nos interlocuteurs ou la situation à affronter, je pense que, dans toutes les langues, il faut parler yiddish. Ne vous y méprenez pas, ce n'est pas la langue des juifs. C'est celle des hommes qui perçoivent, des profondeurs du désespoir, que leur humanité chancelante demande à être sauvée.

Car ce patois protéiforme offre la capacité très juive de savoir se plaindre avec humour.

 

Dans Conversation avec mes grands-parents, elle se rappelle que son grand-père, agrégé de lettres classiques, en juif parfaitement assimilé, ne voulait pas parler yiddish et lui disait: Il existe assez de mots français pour décrire avec précision ta douleur ou ta solitude. Au contraire sa grand-mère se taisait toujours et son mutisme absolu utilisait exclusivement [le yiddish], [la langue] des survivants.

 

Dans Conversation avec la paranoïa juive, elle explique que cette pathologie reviendra tout simplement parce que ce qui la déclenche ne disparaîtra jamais: Elle dit la peur et la conscience de la menace.

Elle le sait bien parce qu'elle est issue de deux familles juives: celle de son père, où des non-juifs ont risqué leur vie pour elle, celle de sa mère, où parents et enfants sont partis en cendre dans les cheminées d'Auschwitz.

Depuis le 7 octobre, c'est l'histoire de la famille de sa mère qui a repris de la vigueur.

 

Dans Conversation avec Claude François, de l'au-delà, son grand-père lui parle d'une règle de grammaire extraordinaire en hébreu où une lettre inverse à elle toute seule la temporalité de la phrase, tandis que sa grand-mère interprète cette règle comme le lien entre ce qu'on a vécu dans le passé et ce qui se passe aujourd'hui.

Selon cette dernière, dans sa chanson, Ça s'en va et ça revient, Claude François parlerait d'eux, les juifs.

 

Dans Conversation avec les antiracistes, elle remarque que la lutte contre le racisme et l'antisémitisme ne sont plus indissociables:

Aujourd'hui, la haine contre les juifs s'alimente, de façon paradoxale, de l'antiracisme affiché. On y fait un raccourci génial: soyons du côté des faibles, des victimes et des vulnérables. Le problème est que dans le catalogue des faibles, il y a beaucoup de monde... mais que les juifs n'apparaissent nulle part. Bizarre, bizarre... même quand ils sont assassinés, défenestrés, brûlés, torturés ou kidnappés, rien ne suffit à les rendre assez faibles ou dignes d'être protégés.

 

Dans Conversation avec mes enfants, elle émet une hypothèse pour expliquer l'attitude des féministes à l'égard du sort réservé à des Israéliennes le 7 octobre:

Le juif est devenu un mâle qui fait le mal.

[...]

Peut-être que les femmes violées, assassinées ou brûlées vives étaient un peu trop masculines pour être défendues. Peut-être que le féminin est symboliquement du côté palestinien, même quand des terroristes se livrent à des crimes sexuels. D'où un étrange silence des féministes, prêtes à abandonner les Israéliennes violées.

 

Dans Conversation avec ceux qui me font du bien, elle révèle qu'avant le 7 octobre, elle n'était pas insomniaque et que, depuis, heureusement, certaines conversations amicales [la] sauvent de la noyade. Elle évoque notamment sa conversation, à l'instigation d'une journaliste, avec Kamel Daoud, qui rappelle les douleurs de l'Algérie ensanglantée, les 200 000 morts de la décennie noire:

Ils n'intéressent pas grand monde. Mais qu'y peut-on? Ils ne vivent pas au Proche-Orient et ce n'est quand même pas de ma faute s'ils n'ont pas été tués par des juifs...

 

Dans Conversation avec le Messie, qui se dit en hébreu Mesiah' (qui a deux significations: oint et être en conversation), elle écrit, refusant de n'entendre que les voix qui hurlent d'un côté ou de l'autre:

Avec tant d'autres, je cherche les mots qui diraient vraiment aux Palestiniens ET aux Israéliens que jamais leur douleur ne me laissera indifférente, que l'on peut et que l'on doit pleurer avec les uns ET les autres.

Elle se demande comment nous pourrions inventer une autre langue, pour dire "comment ça va pas":

Se le dire les uns et autres et pas juste chacun de son côté.

Aussi veut-elle croire qu'il existe un autre messianisme que celui qui mène à la catastrophe, un messianisme qui dit, au contraire, qu'il existe un avenir pour ceux qui pensent à l'autre, pour ceux qui dialoguent les uns avec les autres, et avec l'Humanité en eux

 

Francis Richard

 

Comment ça va pas?, Delphine Horvilleur, 160 pages, Grasset

 

Livres précédents:

 

Réflexions sur la question antisémite (2019)

Vivre avec nos morts (2021)

Il n'y a pas de Ajar (2023)

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27 février 2024 2 27 /02 /février /2024 23:50
Cueillir les larmes de la montagne, de Manuela Ackermann-Repond

Cueillir les larmes de la montagne est un roman à plusieurs personnages principaux, qui se déroule à notre époque et vingt à vingt-cinq ans plus tôt, sur deux continents, en Europe, c'est-à-dire en Suisse et en Italie, et en Amérique du Sud, c'est-à-dire en Colombie et en Équateur.

 

Le lecteur doit donc être attentif pour en suivre le fil. Car dans ce récit ces personnages semblent ne pas avoir de liens entre eux, alors qu'il n'en est rien, mais ces liens n'apparaissent que peu à peu sous la plume de Manuela Ackermann-Repond, qui excelle à les dissimuler.

 

Par ordre d'apparition il y a Eduardo. Dans le prologue, non daté, c'est un fugitif dont le sort est joué d'avance. Il sait pertinemment que s'il cesse de courir, ce sera pour lui la fin. Comme c'est le cas, il n'a que le temps d'esquisser un sourire avant de sombrer dans un trou noir.

 

Diana est psychothérapeute, sujette à des migraines depuis toujours, mais plus souvent avant les vacances. En 2016, à Genève, elle rencontre dans un parc Antonio qui fume le cigare et est vêtu d'un costume en laine d'alpaga. La fumée l'incommode. Elle perd connaissance.

 

Quand Diana recouvre ses esprits, elle prononce un mot, Cayambe, dont elle ne sait rien mais qui est familier de son interlocuteur, parce qu'il est le nom d'une ville au nord de la Cordillère des Andes et d'un volcan qui, après avoir fait éruption, n'aurait laissé que deux survivants. 

 

Cette rencontre perturbe Diana, qui se demande si elle a vraiment eu lieu. Cela ne l'empêche pas de partir en vacances pour l'Italie, où sa tante Ema possède une demeure avec vue, dont elle ne se lasse pas, sur le lac Majeur: L'étendue du lac y fait écho à l'immensité du ciel.

 

Au même moment, en Équateur, Enero - un amnésique qui doit son nom au fait qu'il a été recueilli presque gelé un matin de janvier, sur les pentes d'une montagne aride - croit reconnaître une silhouette dans une rue d'Otavalo. Il se dit que La Perdida connaît peut-être cet homme.  

 

La Perdida est une prostituée qui connaît tout le monde et qui n'est pas insensible à la liasse de billets verts que ce pouilleux d'Enero lui tend pour une rencontre charnelle avec elle, et plus si elle entend parler de cet étranger. Rentré chez lui, pendant son sommeil, il cauchemarde.

 

Eduardo, Diana, Ema, Antonio, Enero, La Perdida, ne sont pas les seuls personnages du roman, mais, en définitive, ce sont eux qui importent, même si cela n'est pas évident pour le lecteur dont les yeux ne se dessillent complètement qu'après avoir partagé toutes leurs tribulations.

 

La genèse de l'histoire se trouve en Colombie où, depuis les années 1960, s'affrontent paramilitaires, guérilleros et hommes de main des narcotrafiquants, et où les mines d'émeraudes y sont détenues par le Baron, qui n'entend pas que son autorité soit jamais contestée par quiconque.

 

Le Baron a donc mené une guerre verte, sans les conséquences de laquelle il n'y aurait pas d'histoire et... pas de titre, puisque les larmes dont il est question sont les émeraudes, ces cristaux verts qui sont extraits de la montagne Fura, selon la légende découverte sur le Net par tante Ema:

 

Susanna était persuadée que les émeraudes apportaient le malheur, à défaut de la richesse tant désirée.          

 

Francis Richard

 

Cueillir les larmes de la montagne, Manuela Ackermann-Repond, 224 pages, Slatkine

 

Livres précédents:

 

La Capeline écarlate (2017)

L'âme déracinée (2019)

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23 février 2024 5 23 /02 /février /2024 22:25
Les Coquelicots après la pluie, de Philippe Dubath

Victor est descendu à la cave. Il y a fait des fouilles dans les cartons qui y sont entreposés et renferment des choses qui savent sa vie d'homme, de journaliste, de photographe, d'écrivain puisque des gens disent qu'il est écrivain.

 

Il y a six ans, il a pris sa retraite; il y a un an, a fait un AVC modeste. Aussi, tardivement, s'est-il décidé à faire du tri et à mettre dans une petite valise brune ce qu'il voulait conserver de sa vie écoulée jusqu'à ses trente-cinq ans.

 

Ce Suisse accomplit son devoir de mémoire, avant qu'elle ne le quitte, de sa naissance, en 1952, jusqu'à 1987, année de la mort de son père. Son tri fait, il s'est mis à table pour faire un livre à partir de certaines pages de sa vie.

 

En 1971, débarqué à Paris, il est l'élève d'une école de journalisme à quinze kilomètres de la capitale. Il loge chez deux hommes qui aiment les hommes, dont il ne sait ce qu'ils sont devenus mais à qui il est tellement redevable:

 

Ils l'ont laissé grandi par la découverte du courage, de l'autrement, de l'originalité partagée avec lui.

 

Plus que ce qu'il a appris entre les murs de son école, ce sont les rencontres qu'il a faites qui ont fait son enseignement. Ainsi Brassens lui a-t-il appris à détester les principes qui étouffent le bon sens, le coeur et la pensée.

 

Comment peut-il vouloir devenir journaliste alors qu'il craint tant le regard des autres? Ce qu'il appelle sa timidité lui a fait aimer des passantes, pendant quelques instants secrets, comme le chante le poète, sur un texte de Pol.

 

Victor fait de ce qu'il est et de ce qu'il fut un atout pour écrire, tant il est vrai qu'il faut aller chercher loin dans ses tourments pour se rencontrer soi-même, éventuellement les mettre en paroles sur une musique de Brassens... 

 

Dans la petite valise brune, se trouvent des photographies: il a découvert la photographie à vingt-deux ans et il sait l'importance qu'elle a dans sa vie, élément essentiel de son équilibre, comme l'est l'humour où il excelle.

 

Mais c'est sans doute la figure du père qui l'aura marqué le plus, un père qui lui aura transmis le savoir le plus précieux de son existence: Le père était une école. L'école paternelle. Qui enseignait notamment la vie des lièvres.

 

Dans la petite valise brune, il y a aussi des notes, des lettres. À partir de tout son contenu, s'éveilleront des personnes, des instants, des lieux fondateurs. Lors Victor écrira un livre qui lui ressemble et qu'il dédiera aux timides:

 

Personne ne doit avoir peur d'aimer ou d'être aimé, d'être vu et entendu, de s'arrêter devant un talus de coquelicots, de dire une poésie et de danser quand il en a envie.

 

Francis Richard

 

Les coquelicots après la pluie, Philippe Dubath, 120 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

 

Airs de fête (2019)

Chroniques du merle bleu (2021)

Les chardons bleus (2023)

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21 février 2024 3 21 /02 /février /2024 17:30
L'été d'une femme, de Frédéric Lamoth

Une femme, Clémence, se penche sur son passé et, plus particulièrement, sur l'été 1988.

 

Clémence s'est mariée avec Alain en 1975, à vingt-neuf ans. Ils ont eu deux enfants, d'abord Nathalie, puis, deux ans plus tard, Damien.

 

Quand Alain, qui travaille dans l'industrie pharmaceutique, est promu, il annonce à Clémence pendant le dessert d'un repas pris à Évian pour fêter ça, qu'il est désormais inutile qu'elle travaille.

 

Clémence donne donc sa démission de son emploi d'assistante médicale - qui lui a permis de faire la connaissance d'Alain - pour se consacrer à son mari et à ses enfants.

 

Seulement, au début de l'été 1988, elle a un gros coup de fatigue, un burn-out, comme on dirait de nos jours:

 

Tout a commencé le jour où je n'ai pas pu me lever. Un samedi. Pas d'école, pas de réveil qui sonne. Un jour qui pointe le bout de son nez, sans prétention, sans exigence.

 

Aussi son médecin de famille, le Docteur Morier, auprès duquel Alain l'a accompagnée, lui a-t-il recommandé de voir un psychiatre, le Docteur K.. Pendant cet été-là, tous les mardis, Clémence se rend au cabinet de ce spécialiste.

 

Quand Clémence lit l'article de Solène M. sur le Docteur K., publié dans L'Écho du Samedi le 16 mai 2016, elle décide de se confier à la journaliste, mais pas seulement pour lui parler du Docteur K..

 

L'été d'une femme est le récit de cette rencontre qui lui a permis de vider son sac en racontant sa vie et ce qu'elle sait du Docteur K., qui va bientôt être honoré pour l'ensemble de ses travaux sur l'hystérie par un consortium international de psychiatrie.

 

En fond sonore, Frédéric Lamoth cite des extraits de chansons, sorties pendant les années 1980 et emblématiques de cette époque révolue, chansons que Clémence écoute à la radio pendant cet été où sa vie va basculer.

 

Le lecteur pourrait s'attendre à ce que Clémence fasse des révélations sur le Docteur K., qui d'après certaines rumeurs, ne se serait pas contenté d'une mise à nu du subconscient de ses patientes, comme l'écrit Solène M. dans son article.

 

Le lecteur pourrait en effet l'imaginer parce que, la première fois, le Docteur K. a demandé à Clémence de se déshabiller, mais elle précise qu'il l'a examinée, comme un médecin:

 

J'étais un corps censé exprimer les symptômes d'une maladie.

 

Clémence n'a pas répondu lorsque Solène lui a demandé s'il s'était limité à l'examiner, un appel sur le portable de celle-ci ne lui en ayant, opportunément, pas donné la possibilité.

 

En dehors des relations avec son mari et ses enfants, qui ne sont pas toujours amènes, Clémence en noue, pendant cette saison-là, avec Lucie, la mère d'un copain de Damien qui habite Lutry et chez qui elle l'a conduit.

 

Tout oppose Clémence à Lucie. Clémence ne vit pas dans le besoin. Lucie tire le diable par la queue. Clémence habite une villa à Belmont, Lucie un rez-de-chaussée dans un vieil immeuble à Lutry.

 

Clémence ne travaille plus et a une employée de maison, Lucie ne travaille plus dans un salon de coiffure, mais débarrasse les objets des morts et a ouvert une boutique de brocante.

 

Clémence et Lucie sympathisent. D'être occupée par les tâches que Lucie confient à Clémence, fait oublier sa fatigue à cette dernière et lui procure des instants de bonheur:

 

J'ai accepté, pas pour l'argent, mais parce que je me sentais bien ici.

 

C'était certainement trop beau pour durer. Il faut croire que des êtres ne sont pas voués au bonheur indéfiniment, a fortiori si, un jour, on restreint violemment leur liberté.

 

Et le récit se termine par cette citation d'une chanson de Mylène Farmer, Désenchantée (1991), qui en résume assez bien le propos:

 

Si je dois tomber de haut, que ma chute soit lente

Je n'ai trouvé de repos que dans l'indifférence

 

Francis Richard

 

L'été d'une femme, Frédéric Lamoth, 120 pages, Bernard Campiche Éditeur

 

Livres précédents:

Sur fond blanc (2013)

Lève-toi et marche (2016)

Le cristal de nos nuits (2019)

Le chemin des limbes (2022)

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18 février 2024 7 18 /02 /février /2024 18:50
Le gouffre du cafard, de Dunia Miralles

Dans Le gouffre du cafard, il y a une histoire dans l'histoire. La tentation est forte de parler, en l'occurrence, de mise en abyme. Le lecteur ne comprendra le titre et pourquoi j'utilise cette expression que lorsqu'il sera parvenu à la fin du roman, qui a toute sa place dans la collection Uppercut de son éditeur.

 

Cette histoire, qui se passe en Suisse protestante, commence en année scolaire 1973-1974. Concepción a affaire à une institutrice qui prend un malin plaisir à maltraiter ses élèves catholiques, ou d'origine étrangère, ou dont la tête ne lui revient pas, à inciter ses chouchous à s'en moquer de concert avec elle.

 

Madame Jaquet la martyrise tant et si bien que Concepción, de bon élève qui aime l'école, devient une élève qui redoute de passer ses journées en classe et qui, de plus, en arrive à être dégoûtée de la vie tout court devant l'incompréhension de ses parents qui trouvent charmante cette maîtresse hypocrite.

 

Concepción amorce dès lors une chute qui fait écho au gouffre de l'histoire qui se déroule parallèlement, début mars 1995, et avec laquelle le lecteur ne voit pas le moindre rapport. Le résultat est que l'écolière est placée l'année suivante dans une école où ses capacités et ses envies de connaissances s'étiolent.

 

C'est un véritable gâchis. Il ne faut pas s'étonner que plus tard, Concepción cède à des tentations qui guettent les esprits torturés et n'ait pas la carrière professionnelle à laquelle, intelligente et cultivée, elle pouvait normalement prétendre, bref que, rejetée par les uns et les autres, elle tourne mal, comme on dit.

 

Parallèlement donc à cette histoire, s'en déroule une autre, qui met aux prises Rose Leuba, une jeune spéléologue, qui occupe ses loisirs à protéger la nature, et Madame Krüger, une sexagénaire sportive, qui, elle, occupe sa retraite à rédiger le bulletin paroissial, Les Enfants de Fareau, à parution semestrielle.

 

Madame Krüger, admirative, se propose d'écrire un article sur ce que fait Rose pour l'environnement en nettoyant les gouffres de la région transformés en décharges, d'où elle a remonté les objets les plus insolites, dont un crâne humain, datant de l'entre-deux guerres, avec une balle de pistolet à l'intérieur.

 

Dunia Miralles, pour cette descente dans un gouffre, s'est beaucoup documentée, si bien que celle-ci est d'un grand réalisme. Aussi ne faut-il  pas beaucoup d'imagination au lecteur pour vivre, comme s'il était avec Rose et Madame Krüger, leur difficile parcours souterrain, la première instruisant la seconde.

 

Ces deux histoires se ressemblent. Dans les deux cas: il y a instruction d'un des personnages par l'autre, descente aux enfers au sens figuré et au sens propre, absence d'empathie et de compassion quand l'un dresse un obstacle devant l'autre, et une leçon: Comme un bienfait, un méfait n'est jamais perdu.

 

Francis Richard

 

Le gouffre du cafard, Dunia Miralles, 96 pages, BSN Press

 

Livres précédents à L'Âge d'Homme:

 

Inertie (2014)

Mich-el-le (2016)

Folmagories (2018)

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16 février 2024 5 16 /02 /février /2024 20:00
Une femme entre dans le champ, d'Emmanuelle Tornero

Une femme entre dans le champ est un roman qui sort de l'ordinaire, à tous points de vue. Par exemple, les chapitres ne sont pas dans l'ordre chronologique et sont quasiment tous datés d'un J suivi d'un plus ou d'un moins.

 

À la fin du livre, il y a une table qui les récapitule dans l'ordre d'apparition, avec une phrase qui les résume, et une chaise (sic) qui donne la correspondance entre ces dates et les jours et mois du calendrier, remis dans l'ordre chronologique.

 

Emmanuelle Tornero appelle la protagoniste L et dévoile au lecteur ses pensées les plus intimes, parfois très sombres, comme si elle avait accès à son cerveau et à son esprit qui est rien moins qu'équilibré, comme le montre cet exemple, à J-50:

 

On ne tue pas son enfant, c'est interdit, tuer, pas même un corps sorti de son propre corps, non, on ne peut pas, mais on peut l'imaginer, est-ce interdit aussi?

 

Alors, si cela n'est pas formellement interdit et que cela ne tire pas à conséquence, sinon pour son propre esprit, L imagine qu'elle écrase le petit corps de son enfant:

 

Elle sent sous son pied les petites côtes une à une céder, ployer d'abord puis se rompre en craquant, petits petits craquements sourds étouffés par la peau, par le pied. La pression écraserait les organes, qui chercheraient à sortir du torse, à trouver une issue absurde...

 

Au bout du compte, que saura le lecteur sur cette femme? Que, pour se rendre à son travail, depuis son appartement de banlieue avec balcon, elle prenait le RER puis deux métros et que tout a changé quand elle a attendu, puis eu son enfant.

 

Le lecteur continuera à se poser de sérieuses questions sur son état mental, quand l'auteure lui révélera, à J-43, qu'autour de L, pousse un figuier, un figuier qui ne donne pas de fruits, un figuier étrangleur ou banian, ou mutan, ou d'autres noms encore:

 

Depuis sa tête, le figuier a poussé  et jour après jour il chemine vers le sol, patiemment s'enroule autour du corps de L, femme-tuteur. Il la prend pour appui.

 

Le lecteur demeurera perplexe quand l'auteure lui apprendra qu'au matin de J-30, L constate que presque toutes les lettres de son nom ont disparu: Est-ce à cause du figuier? Est-ce lui qui les a éteintes une à une? Les lettres ont-elles été dérobées? Par qui? Par l'enfant?

 

Le monde de l'auteure est peut-être onirique, mais il est surtout cauchemardesque. Mais, peut-être, est-ce l'effet recherché? Il s'agirait d'ébranler le monde réel, lui proposer une alternative où tout serait déstructuré, tout serait dénaturé, notamment les rapports d'une mère avec son enfant.

 

Francis Richard

 

Une femme entre dans le champ, Emmanuelle Tornero, 170 pages, Zoé

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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