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27 janvier 2025 1 27 /01 /janvier /2025 22:25
On achève bien les centenaires, d'Antonio Albanese

Quand j'ai reçu le message de Luca: L'ancêtre a pris quatre balles dans la tête. Mon père m'a dit de te prévenir. On l'enterre dans trois jours, je me suis tourné vers Léa qui n'avait pas quitté l'écran de son ordinateur de la journée et je lui ai lancé:

- Tu connais Naples?

 

Depuis trois jours Matteo Di Genaro est en vacances en Provence avec sa filleule Léa. Après le message de Luca, changement de programme, direction Naples.

 

Finies les vacances-au-bord-d'une-piscine-dans-un-hôtel-de-luxe-wifi-haut-débit-je-te-fous-la-paix, promises... à Léa, petit génie du piratage informatique.

 

Naples est le lieu d'origine des Di Genaro. Devenu millionnaire, son grand-père n'avait qu'une vanité, racheter l'appartement dans lequel il avait vécu enfant:

 

Comme l'appartement n'était pas à vendre, il a racheté l'immeuble.

 

Au début des années 1970, Rachid, venu de son Maroc natal, s'installe à Naples, épouse Nadia, une Napolitaine, avec laquelle il a deux enfants: Luca et Chiara.

 

Engagé pour gérer l'immeuble par le grand-père de Matteo, Rachid fait venir son père Hachim, un soufi, dont le corps, presque centenaire, sera criblé de balles.

 

Chaque année, après la perte de ses très riches parents1, Matteo passait deux semaines avec son grand-père dans l'appartement que celui-ci avait conservé pour lui.

 

Après la mort de ce dernier, les visites de Matteo s'espacent. Luca prend la suite de Rachid, qui ouvre un L&C2 à Positano, Chiara continuant toutefois à habiter là.

 

Comme l'immeuble est peu entretenu, les locataires ont une dent contre le propriétaire. Ce qui ne justifie pas cependant que le grand-père de l'actuel gérant ait été tué.

 

Si Matteo est attiré depuis l'adolescence par tout ce qui peut lui donner du plaisir, que ça porte une jupe ou un pantalon, il n'est pas du genre à renoncer à élucider l'affaire.

 

Pour cela, Matteo devra remonter dans le passé de Hachim et, mis sur la piste grâce à Léa, découvrir ce que son subconscient lui cache sous la forme de rêves étranges.

 

Son récit, souvent ironique, plein d'humour, est émaillé de nombreuses digressions sur l'histoire ou la langue, dans le texte lui-même ou dans des notes de bas de page.

 

Dans une de ces notes, il  demande à ses lecteurs si quelqu'un pouvait recompter le nombre de métaphores figées 3, car il aimerait arriver à 100 à la fin de l'histoire...

 

Francis Richard

 

1 - Son père était milliardaire.

2 - Letto&Colazione.

3 - Exemples: mettre le pied à l'étrier ou regagner ses pénates.

 

On achève bien les centenaires, Antonio Albanese, 120 pages, BSN Press

 

N.B.

Le vernissage de ce livre aura lieu le 30 janvier 2025, de 18h à 21h, à la Galerie Analix Forever, 10 rue du Gothard, Chêne-Bourg.

 

Livres précédents de l'auteur à L'Âge d'Homme:

La chute de l'homme (2009)

Le roman de Don Juan (2012)

Est-ce entre le majeur et l'index dans un coin de la tête que se trouve le libre arbitre? (2013)

La disparition des arcs-en-ciel (2020)

 

Livres précédents de l'auteur chez BSN Press:

Une brute au grand coeur (2014) (sous le pseudonyme de Matteo di Genaro)

Voir Venise et vomir (2016)

1 rue de Rivoli (2019)

Le complexe d'Eurydice (2023)

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24 janvier 2025 5 24 /01 /janvier /2025 20:00
Amours sismiques, de Florence Marville

Il venait de passer quelques années aux États-Unis, et travaillait dans une entreprise anglaise. Elle était française et vivait au Japon. Deux êtres hors de leur patrie: lui hier, elle aujourd'hui; la comparaison s'arrêtait là.

 

Lui s'appelle Seiji. Il est le fils aîné des Okada. Il est destiné à reprendre l'entreprise familiale, une confiserie. Elle s'appelle Emeline. Elle est française et étudie le japonais à l'université de Keio.

 

Sans son amie Sarah, Emeline n'aurait jamais rencontré Seiji à Tokyo. Ils se sont plus tout de suite et se sont fréquentés. Bien qu'elle aime le Japon, elle n'en connaît pas tous les codes, et il y en a.

 

Quand donc Seiji lui propose un soir d'aller dans un love hotel, elle trouve ça repoussant et refuse net. Rien à faire, quelles que soient les explications que Seiji lui donne pour qu'elle accepte d'y aller:

 

Où veux-tu qu'on aille? Tout le monde fait comme nous. Ton studio est interdit aux hommes; chez moi, il y a mes parents... Il faut bien trouver un endroit.

 

Leur relation se poursuit néanmoins, d'autant que Sarah la conforte et réconforte en lui disant que l'important est ce qu'elle ressent pour lui si bien que lui et elle vont à Kamakura voir le Bouddha.

 

À leur retour, vu l'heure, elle accepte cette fois d'aller avec lui dans un love hotel. Dans la chambre, ils font l'amour, puis, allongés l'un à côté de l'autre, s'endorment, apaisés après leurs ébats.

 

C'est la fin de l'année 1994. Il est maintenant temps d'officialiser, et de la présenter à ses parents. En tant que fils aîné, il devra prendre soin d'eux et ... son épouse et lui devront habiter avec eux.

 

Madame Okada n'est pas enchantée à la perspective de ce mariage mixte. Seiji a fait sa demande. Emeline a besoin de temps pour se décider. Le 17 janvier 1995, un séisme se produit à Kobe...

 

Emeline et Seiji se portent volontaires pour participer aux opérations d'entraides. Emeline se rend compte que l'on peut tout perdre en une seconde, perdre ceux que l'on aime et dit oui à Seiji.

 

Akio travaille dans une firme pharmaceutique, pendant dix ans à la logistique, depuis cinq en qualité d'acheteur. Megumi et lui ont une fille, Kaori, qui a un emploi modeste et... des rêves de luxe.

 

Akio et Emeline se rencontrent au bord d'une rizière. Il va perdre son emploi; sa femme ne l'attire plus. Madame Okada régit tout: sa bru, Seiji qui la délaisse, Jiro son fils cadet, Anna sa petite-fille.

 

Ces deux âmes esseulées se comprennent. Mais Emeline n'a pas le même statut qu'Akio dans ce Japon très codifié qui l'a conquise. Il pourra, si besoin est, tourner la page, pas elle qui est étrangère.  

 

Pour se sortir du piège dans lequel elle tombera, cette mère privée d'amour pourra compter sur l'amitié de Sarah qui est combative, déterminée, se sent coupable, sait qu'il n'est jamais trop tard...  

 

Francis Richard

 

Amours sismiques, Florence Marville, 280 pages, Favre

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20 janvier 2025 1 20 /01 /janvier /2025 23:00
Marc Agron remercie pour son prix

Marc Agron remercie pour son prix

Ce soir avait lieu au Théâtre de Vidy à Lausanne la cérémonie de remise du Prix du livre de la Ville de Lausanne 2025 dans la salle 64 Charles Apothéloz 1.

 

Étaient en compétition, par ordre alphabétique des patronymes:

 

Ont pris la parole:

  • Éric Vautrin, membre du comité de direction de Vidy et dramaturge
  • Grégoire Junod, syndic de la Ville de Lausanne
  • Fanny Meyer, déléguée à la politique du livre
  • Marina Rollman, marraine de cette 11e édition du Prix du livre (tout émue qu'une humoriste comme elle ait pu être choisie...)

 

Des extraits des livres ont été faites principalement par les artistes suivants, par ordre alphabétique des patronymes:

  • Philippe Annoni pour le roman de Lorrain Voisard     
  • Julien Blasutto pour celui de Bastien Hauser
  • Aline Bonvin pour celui de Catherine Lovey
  • Michel Sauser pour celui de Marc Agron
  • Joséphine Thurre pour celui d'Hélène Jacobé

 

Les mêmes ont posé aux auteurs des questions qui se voulaient indiscrètes, lesquels leur ont répondu souvent laconiquement, mais avec humour.

 

Les mêmes encore ont montré au public qu'ils connaissaient bien les oeuvres en citant des passages où figuraient les occurrences coeur et joie, qui, tirées de leur contextes, avaient un effet comique...

 

Enfin le syndic de la Ville, Grégoire Junod, a ouvert l'enveloppe grise contenant le papier sur lequel était inscrit le nom de Marc Agron, lauréat désigné par les sept cents personnes ayant participé au vote, en Suisse romande, en France et ailleurs dans le monde...

 

Marc Agron, ému, a rappelé dans son mot de remerciement - qu'il n'avait pas préparé - qu'il était d'autant plus touché qu'en arrivant en Suisse il y a quelque quarante ans, il ne parlait pas un mot de français...

 

Comme tous les autres compétiteurs, Marc Agron a reçu la somme de CHF 5'000.-, mais, qui plus est, il sera accueilli en résidence littéraire au Château de Lavigny.

 

Francis Richard

 

PS

À l'issue de la cérémonie un apéritif et un verre de l'amitié étaient servis dans la Kantina. Ayant abusé de mes forces dans la journée et ne voulant pas être victime d'un malaise, je me suis éclipsé non sans avoir aperçu Carole Dubuis, Cornélia de Preux ou Olivier Chapuis, qui voudront bien me pardonner de ne pas m'être attardé pour les saluer...

 

1 - Ancien directeur de Vidy.

2 - Marc Agron est écrivain et libraire. C'est le seul des compétiteurs de cette 11ème édition du Prix du livre que je connaissais un peu personnellement ...

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17 janvier 2025 5 17 /01 /janvier /2025 22:20
Avant que la mémoire s'efface, d'Olivier de Kersauson

Tous les jours en mer, j'ai appris quelque chose. Tous les jours, un élément neuf est venu conforter ma connaissance, l'enrichir, la compléter.

 

Dans ces Quelques propos maritimes, Olivier de Kersauson livre son expérience de la mer, où tous les sens sont convoqués. Par exemple, les oreilles, ce sont les yeux dans la nuit...

 

Aujourd'hui la technique donne une mesure, rien de plus. Elle ne réfléchit pas à notre place: L'intelligence maritime sert à comprendre les éléments qui vous entourent mais, surtout, à en faire la synthèse.

 

Il précise le propos: Nous sommes bien ignorants d'un certain nombre de phénomènes météo. On n'en a pas l'analyse, l'analyse technique. Et il définit ce qu'est un grand marin: C'est un type qui est capable d'anticiper et de se servir de phénomènes météorologiques.

 

Qui est Olivier de Kersauson? Un nomade, pour qui la mer est indispensable. Il n'est pas antisocial, mais se dit social, avec toutefois une capacité d'indifférence très, très supérieure à la moyenne: Je dois avoir la capacité émotionnelle d'un bigorneau, c'est tout !

 

Qu'aime-t-il dans la vie ? Décider, ne pas laisser les événements décider à [sa] place. Aussi n'a-t-il pas peur de prendre des risques, à la différence de la plupart de ses contemporains: Aller au risque, c'est toujours emprunter la voie la plus dure, mais elle emmène quelque part.

 

Ce que les autres pensent de lui, qui a le sens de la formule, l'indiffère. Aussi peut-il tenir des propos libres, pas seulement maritimes, qui ne plairont certes pas à d'aucuns, mais qui seront rafraîchissants à lire par d'autres.

 

Exemples:

  • Personne d'autre n'impose de volonté à bord: il y a le patron qui est le patron, ça ne se discute pas, ce n'est pas négociable.
  • Je parle peu avec les hommes d'équipage, un bateau de course, ce n'est pas une Maison des jeunes!
  • On est toujours en danger avec les imbéciles!
  • Les gens qui me disent se sentir intégrés dans un pays qui n'est pas le leur me font peur, ils me glacent, m'effraient. Quelle bêtise!
  • C'est parce qu'il y a risque physique qu'il y a aventure, sans quoi elle est vaine, non avenue.
  • Dès que je fais une erreur, j'ai une addition, et elle est plus ou moins épaisse en fonction de la taille de l'erreur. Et en mer, je la paie comptant et tout de suite. C'est la différence avec les politiques, c'est immédiat...
  • En France, le mieux est l'ennemi du bien, et quand on fait bien, il y a toujours des gens pour râler parce qu'on aurait pu faire mieux.
  • On est dans un monde où l'"en même temps" prôné par le président de la République est une jolie fabrique de bouillie. Comment avoir des attitudes claires si les idées ne le sont pas?
  • Si je considère qu'être vivant est une chance, je me murmure: je vais me servir de cette chance au mieux, de cette manne; si je considère que c'est un dû, je vais toujours attendre d'avoir plus de chance, donc je ne vais pas faire grand chose...
  • L'égalité, c'est une belle idée politique, sur le papier, mais ça n'existe pas dans le réel, c'est une fiction. [...] Le seul moment où on est égaux, c'est devant nos ignorances. [...] Il n'y a que les paresseux qui rêvent d'égalité, d'arriver au niveau supérieur sans rien faire.
  • La prudence, c'est l'habit propre de la lâcheté. Il y a un moment où il faut tout miser.
  • On se choisit des devoirs si on choisit des engagements qui vont nous permettre de nous construire une vie cohérente. C'est pour ça qu'il faut faire les choses à fond.
  • Le groupe, c'est suspect. Il y a l'effet de meute. Il faut regarder la foule et la manière que possiblement elle a de se conduire: sûrs de ne pas être reconnus, cachés de tous, ils deviennent immondes.

 

Pour conclure ces propos, voici une citation qui n'aurait pas déplu à Blaise Pascal:

 

L'intelligence est rationnelle, mais elle ne suffit pas. Ce n'est qu'une part du chemin. Il faut l'intuition, l'instinct pour compléter cette intelligence - mon intuition fut cardinale en mer.

 

Francis Richard

 

Avant que la mémoire s'efface, Olivier de Kersauson, 216 pages, Le Cherche Midi

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

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14 janvier 2025 2 14 /01 /janvier /2025 22:30
Prisonnier du rêve écarlate, d'Andreï Makine

Lucien Baert est né à Douai le 10 novembre 1918. Il a six ans et demi, quand son père tombe d'un toit, victime d'un accident du travail faute de sécurité suffisante. 

 

À seize ans, membre d'une cellule de la Jeunesse communiste, il est fier d'avoir déjà une "conscience de classe". Et veut pouvoir démentir ceux qui calomnient l'URSS.

 

Le 16 août 1939 il fait partie d'une délégation de jeunes ouvriers qui partent pour l'URSS. Là-bas, alors qu'ils visitent une usine, il s'éloigne pour rembobiner une pellicule.

 

Il fait la découverte qu'on leur joue la comédie pour leur faire croire que le rêve rouge est devenu réalité. Ses yeux finissent de se dessiller quand il lit le titre d'un journal:

 

La signature du traité de non-agression entre l'Allemagne et l'Union soviétique.

 

À Gorki, il rate le train pour Moscou emportant ses compagnons de voyage. Arrêté, pour sauver sa peau de Français, sur le conseil d'un codétenu, il prétend trafiquer de l'or.

 

Condamné à huit ans de privation de liberté, il fait partie des premières unités de prisonniers envoyées au front. Un codétenu lui propose de prendre son nom s'il est tué:

 

Celui qui lui a proposé cet échange est tué une semaine plus tard.

 

Devenu Matveï Bélov, né à Smolensk en 1907, il assiste aux funérailles de son double, orthographié Luciane Baerte... N'ayant pas démérité, il intègre une unité régulière...

 

Fait prisonnier par l'ennemi à la suite d'un guet-apens, il est libéré par les Soviétiques, mais ils ont besoin d'un coupable pour s'être laissé surprendre et le condamnent à neuf ans:

 

Il est envoyé non pas dans le camp où il était emprisonné avant la guerre, celui de l'Oural, mais plus à l'ouest, à la construction d'une voie ferrée à travers la taïga et les marécages.

 

À la mort de Staline, en 1953, les prisonniers de droit commun sont libérés par anticipation, mais pas les politiques, qui se révoltent. Résultat pour lui: sa peine est allongée.

 

Amnistié et réhabilité en 1957, il est assigné à résidence à Pinéga, fait la rencontre de Daria à Tourok, un hameau devenu site militaire, et la sauve de deux gardiens, qu'il tue.

 

Matveï et Daria se reconstruisent ensemble, mais lui, encouragé par elle, souhaite revoir sa mère et, à l'été 1967, se rend, en cachette, au Havre à bord d'un transporteur de minerai.

 

Au début, grâce à Julia, une journaliste, il y est acclamé en héros. Ensemble ils écrivent un livre. Pour qu'il se vende, il accepte de changer de nom et de travestir ce qu'il a vécu...

 

En mai 1968, plus personne ne s'intéresse à toutes ses histoires de camps et de guerres. Il se rend compte que d'autres utopies ont remplacé l'utopie communiste de sa jeunesse.

 

En 1974, il fera le point. À un véritable ami, malgré leurs divergences, alors que d'aucuns n'apprécient guère son franc-parler, guéri de ses illusions par la vérité, il confiera:

 

Après ma libération du camp, je n'avais pas le moindre espoir de... oui, reprendre un train, comme vous dites. Sauf que l'ex-taulard que j'étais me semble à présent bien plus vivant que l'homme qui a passé sept ans dans cette France nouvelle...

 

Il en tirera les conséquences et partira pour cette contrée déserte où les gens revenus de toutes les illusions ont retrouvé la simple humanité depuis longtemps perdue ailleurs...

 

Francis Richard

 

Prisonnier du rêve écarlate, Andreï Makine, 416 pages, Grasset

 

Livres précédents:

 

Le pays du lieutenant Schreiber, Grasset (2014)

L'archipel d'une autre vie, Seuil (2016)

Au-delà des frontières, Grasset (2019)

L'ami arménien, Grasset (2021)

L'ancien calendrier d'un amour, Grasset (2022)

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13 janvier 2025 1 13 /01 /janvier /2025 19:00
Jour de ressac, de Maylis de Kerangal

Le policier m'a déclaré que le corps d'un homme avait été retrouvé il y a deux jours sur la voie publique, au Havre, un individu non identifié, que j'étais censée pouvoir fournir des informations.

 

Alors la narratrice se rend dès le lendemain au commissariat du Havre à la demande du policier qui lui a intimé de s'y présenter: Nous aimerions vous entendre dans le cadre d'une affaire vous concernant.

 

Elle quitte donc Paris où elle laisse Blaise et leur fille Maïa encore endormis et prend le train à la gare Saint-Lazare direction Le Havre, terminus de la ligne, ville où elle n'est pas revenue depuis longtemps.

 

Le lieutenant Olivier Zambra la reçoit et lui montre des photos de l'individu non identifié, sur lequel a été retrouvé un ticket de cinéma daté du 15 novembre, au dos duquel se trouve son numéro de portable.

 

L'individu est peut-être un narcotrafiquant. A priori, d'après les photos de son cadavre, elle ne l'a jamais vu; de plus, ce jour-là, il y a trois jours, doubleuse au cinéma, pour une postsynchro, était à Londres.

 

En partant, elle lui dit qu'elle a vécu ici longtemps il y a longtemps, ne rentre pas, remet ses pas dans ceux de l'individu: le cinéma où il a vu un dernier film, la plage près de la digue nord où il a été retrouvé.

 

Elle mène son enquête. En marchant, elle commence à relever une série d'événements passés qui suggéraient un phénomène: il se passait un truc, un truc qui se passait au Havre, un truc qui [la] concernait.

 

Des souvenirs lui reviennent. Pendant ce séjour prolongé, elle ne fait que repenser à l'individu mais y penser finit par prendre la forme d'une ville, d'un premier amour... Au fait, veut-elle vraiment savoir? 

 

Francis Richard

 

Jour de ressac, Maylis de Kerangal, 256 pages, Verticales

 

Livres précédents:

 

Naissance d'un pont (2010)

Réparer les vivants (2014)

A ce stade de la nuit (2015)

Un monde à portée de main (2018)

Canoës (2021)

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11 janvier 2025 6 11 /01 /janvier /2025 21:00
Les petites musiques, de Roland Buti

Ivo avait eu cinq mamans. Toutes s'étaient proprement ajustées à son quotidien et Rocca avait fini par s'y habituer. Il fallait bien ce tourbillon de femmes attentionnées pour remplacer celle qui avait mis son fils au monde.

 

En effet Dino Roccasecca, que tout le monde appelle Rocca, a perdu sa femme Angelina quelques jours après la naissance d'Ivo. Elle l'avait rejoint en Suisse après qu'il y avait travaillé pendant deux ans et obtenu son permis d'établissement.

 

En cette première moitié des années 1950, Rocca habite Sainte-Croix et travaille dur chez Paillard-Bolex, fabricant de machines à écrire et de caméras, où il est assembleur de la fameuse H16 et ne peut donc s'occuper d'Ivo comme il voudrait.

 

Un jour, son destin bascule. Il assiste à la chute d'un ange. Tandis qu'il marche dans le froid dans la grande avenue qui longe la fabrique, une berline le dépasse, il s'écarte, une portière s'ouvre et une jeune femme en est violemment éjectée.

 

Rocca lui tend un bras secourable et l'aide à se relever. Elle n'a rien de cassé. Ils font alors connaissance. Elle est tchèque, de Moravie, s'appelle Máša, parle avec un accent allemand. Comme elle n'a pas le sou, il lui paie une chambre à l'hôtel.

 

Après que Máša y a passé deux semaines, Rocca l'installe enfin chez lui. Elle avait quitté son pays envahi par l'Armée rouge en 1945 et s'était réfugiée à Berlin-Est. De là, en 1953, elle avait fui à l'Ouest avec un amant qui rêvait de cinéma...

 

Máša était devenue la compagne de Rocca. Elle s'était mise à travailler aux expéditions dans une fabrique de boîtes à musique. Deux ans plus tard, ils avaient eu une fille, Jana... Elle était la maman à temps plein d'un garçon et d'une fille.

 

Dix ans plus tard, le lecteur retrouve Ivo et Jana, complices fraternels. Ils ont reçu de leur mère un sac de jute rempli de mouvements Colibri, Les petites musiques de l'histoire, minuscules boîtes audibles à plusieurs mètres de distance.

 

Jana décide toujours pour son aîné. Ainsi l'entraîne-t-elle dans la forêt. Ils se cachent de leur père quand il les cherche. Jana est bien différente des autres. De temps en temps, elle fait taire son frère en lui murmurant: Il n'y a rien à dire.

 

En classe, Jana ne se laisse pas faire. Un jour elle est punie pour s'être défendue violemment contre deux garçons qui l'avaient traité de bouffeuse de macaronis. Ivo la délivre de la salle de classe où elle est enfermée. Máša prend son parti...

 

Plus tard, à seize ans, Ivo commence un apprentissage d'électromécanicien à la fabrique de machines à écrire, tandis que sa demi-soeur, Jana, de plus en plus insaisissable, fugue et, avec ses frasques, finit par mettre tout le monde mal à l'aise.

 

À la fin des années 1960, Jana disparaît. Ce n'est pas de son plein gré. Rocca, qui ne veut pas perdre son emploi et qui est un pleutre, accepte qu'elle soit placée en institution... Ivo parvient à savoir, par son père, où elle se trouve et la retrouve...

 

Les petites musiques leur permettent de se reconnaître et de se voir sans que personne ne le sache. Un jour, elle s'échappe à nouveau, avant d'être arrêtée par la police et, cette fois, envoyée en clinique psychiatrique, pour son bien, cela va de soi...

 

Jana ne représente pas de danger pour les autres, mais elle est extraordinaire, et c'est bien là le problème, dit à Máša un avocat, qu'elle a consulté et qui se fait fort de la faire libérer sous quelques semaines. Comment ne pas songer à Brassens:

 

Non, les braves gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux

 

Plus tard, le vent mauvais de la crise souffle dans les montagnes du Jura. Dans ce contexte déjà sombre ne dépare pas l'épilogue vengeur imaginé par Roland Buti, en un pays où les hivers sont définitivement trop longs et trop rigoureux.  

 

Francis Richard

 

Les petites musiques, Roland Buti, 176 pages, Zoé

 

Livres précédents:

Le Milieu de l'horizon (2014)

Grand National (2019)

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6 janvier 2025 1 06 /01 /janvier /2025 20:00
Pensées pour une saison - Automne, de Gabriel Bittar

Cet opus de 144 pensées (multiple de 12...) est le dernier des pensées pour une saison:

Il y aura des pensées hors saisons, pour autant que la vie prête vie à l'auteur.

 

Non. Ce n'est pas une erreur. Il n'a pas écrit pour autant que Dieu prête vie à l'auteur. En effet, Gabriel Bittar ne croit pas en Dieu1.

 

Gabriel Bittar n'est pas sectaire pour autant. Il écrit ainsi:

Les religions qui s'expriment dans une langue parlée couramment deviennent, plus facilement, agressives et envahissantes. Alors qu'une langue strictement liturgique, de par son étrangeté même, mais apprivoisée et reconnue, polie par le temps, devenue traditionnelle, ouvre moins la porte à une dérive violente...

Pensée 50

 

De fait, l'auteur est un honnête homme:

Avant d'agir, il faut penser. Avant de penser, il faut étudier.

Pour étudier, il faut savoir raisonner. Pour raisonner, il faut avoir intégré les règles de la grammaire et de la logique. Pour réussir une telle intégration, un bagage étendu de mots et la connaissance des règles de calcul s'avèrent nécessaires.

Pensée 2

 

Dans ce volume une très grande place est réservée à la biologie évolutive qui est un de ses domaines de compétence. Sans doute l'a-t-il étudiée et enseignée parce qu'enfant, déjà, il vénérait la diversité des choses et des êtres qu'offrait la nature, comme il le raconte dans sa pensée 91, consacrée à La ressemblance et la dissemblance.

 

Ce sujet, traité dans les pensées 91 à 97, occupe un tiers du volume. Résumer ces pensées serait donc vain. Mais elles ne peuvent que susciter l'intérêt et, pour se faire une opinion, il est nécessaire d'y consacrer plus de temps qu'une simple première lecture.

 

À défaut d'arguments, s'il n'est pas convaincu, le lecteur ne devra pas tomber dans le travers de l'anathème, devenu obligatoire dans les mass media et au sein des réseaux sociaux:

L'art de tuer sans fatigue, sans coup férir en définitive, s'est élargi, systématisé et institutionnalisé.

Pensée 60

 

Alors le béotien, que je suis, se contentera de relever ici ce qui, dans ce volume, l'a interpellé, comme on dit maintenant.

 

Dans La combinatoire du conflit, objet de la pensée 82, l'auteur arrive par le raisonnement aux conclusions suivantes:

Si, d'un côté, les risques de conflit généralisé diminuent quand le nombre d'acteurs augmente [...]... d'un autre côté les chances de paix globale diminuent plus en termes relatifs.

 

Ce n'est guère encourageant, mais n'est-ce pas la confirmation que l'Histoire n'est pas finie? Comme l'auteur a de l'humour, il cite deux oeuvres de Jean-Jacques Sempé:

Rien n'est simple... et tout se complique!

 

Ingénieur de formation, cette phrase me parle:

La frontière entre l'ingénierie et la science est assez mouvante, mais dans les grandes lignes l'ingénierie se préoccupe de faire... et la science de comprendre.

Pensée 110

 

Plus loin, il donne une définition de la science irréfutable:

En épistémologie, une science, pour mériter ce nom, doit se prêter non seulement à la vérification,  mais aussi à l'infirmation. C'est clair et net. Une science ne doit pas se montrer apodictique et reposer sur des énoncés impossibles à réfuter, ni être constituée d'une série d'apories, c'est-à-dire des faux problèmes, car formulés de façon à ne présenter aucune ouverture vers aucune solution.

Pensée 110

 

Dans la pensée 113, Le chaos déterministe et la climatologie prédictive, il démontre que celle-ci ne peut être une science:

Non pas à cause de sombres et dérisoires visées humaines, mais par une double impossibilité structurelle: le hasard et la nécessité gouvernent ensemble les changements climatiques... et la part de la nécessité elle-même reste imprévisible.

En d'autres termes, les systèmes soumis au chaos déterministe sont rapidement imprévisibles... et cette imprévisibilité ne doit pas être imputée au hasard essentiel régnant sur l'univers. Le chaos déterministe s'ajoute au chaos probabiliste.  

 

Dans les dernières pensées, l'auteur fait preuve d'humilité et attire ma sympathie. Exemple:

Ce qui est faux ne doit pas être dit. Ce qui est vrai ne doit pas nécessairement être dit.

Par ailleurs, au-delà du vrai et du faux, certaines évocations, certaines formes de l'esprit sont tuées si on se met à les disséquer.

Il y a donc beaucoup de raisons de se taire.

Pensée 130

 

D'après mes parents, inquiets, je me suis tu jusqu'à mes quatre ans révolus...

 

Francis Richard

 

1 - Par exemple, à partir d'un raisonnement humain, il considère comme Incompatibles omni-présence et omni-potence, divines... 

 

Pensées pour une saison - Automne, Gabriel Bittar, 356 pages, Éditions de l'Aire

 

Pensées saisonnières précédemment chroniquées:

 

Pensées pour une saison - Hiver (2019)

Pensées pour une saison - Printemps (2020)

Pensées pour une saison - Été (2021)

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29 décembre 2024 7 29 /12 /décembre /2024 18:40
Un Valais en Guerre - Tome I - Soldate, de Valérie Blom

Le Valais va mal. Le désespoir a conduit nombre d'habitants à se suicider, à commencer par les agriculteurs: ils devaient produire toujours plus, pour être payés de moins en moins.

 

Quand la Confédération a voulu mettre le canton sous tutelle, les cinq membres du Conseil d'État ont démissionné. Le nouveau Conseil d'État a proclamé l'indépendance et mobilisé:

 

Que la Confédération se charge de gouverner un canton, c'était aller à l'encontre même des principes fondateurs de notre nation!

 

Un de ces principes est le principe de subsidiarité, inscrit dans la Constitution helvétique:  

 

La Confédération n’assume que les tâches qui excèdent les possibilités des cantons ou qui nécessitent une réglementation uniforme par la Confédération.

Article 43a

 

Au début de son récit, Hanna Favre va à l'enterrement de Manon, la soeur d'une amie, qui, désespérée, à quinze ans, a mis fin à ses jours et a été inhumée religieusement à Fully:

 

L'interdiction des cérémonies religieuses du gouvernement suisse ne compte pas. Du moins, pas de ce côté-ci du Rhône.

 

Hanna, comme d'autres femmes, s'est engagée dans l'armée valaisanne, en qualité de soldate du renseignement, tandis que son frère chéri, Jean, a rejoint des extrémistes:

 

Je me ronge les sangs pour lui. Je crains de le voir sauter avec l'une de ses bombes artisanales. J'espère qu'il se fera prendre, par nos propres troupes ou celles de la Confédération, cela m'est égal, l'emprisonnement lui garantirait la vie sauve...

 

Hanna raconte le campement de La Rasse, puis le fort de Dailly, au-dessus de Saint-Maurice où, quelques semaines auparavant, fin juillet 2028, a eu lieu une bataille sanglante.

 

Hanna est une soldate comme les autres soldats et suit donc plusieurs heures d'entraînement physique, dont pas mal d'affrontements au corps à corps, avec ou sans arme.

 

Le renseignement, c'est, entre autres, l'intoxication de l'ennemi avec de fausses nouvelles, ce qui, de prime abord, ne plaît pas du tout à la directrice d'un journal libre sollicitée...

 

Hanna n'en est pas moins femme et fille. Femme, elle côtoie des hommes, fille, elle profite d'une courte permission pour revoir à Sion ses parents qui ne sont guère rassurés.

 

Hanna avait trouvé un emploi dans une maison d'éditions, mais la dernière lettre de Nathan, laissée après son suicide, préférant mourir que partir, l'a décidée à s'engager.

 

La guerre, a fortiori civile, est tragique. En tant que combattante Hanna peut être amenée à tuer, être blessée, devoir déplorer des morts, ou encore être capturée par l'ennemi.

 

Les leçons de guerre, les nouvelles affectations, la possibilité de grader, les missions à accomplir en territoire ennemi pour connaître ses positions, ses effectifs, sont maintenant son lot...

 

La fin de ce volume ne peut que donner envie de connaître la suite de l'épopée du Valais libre que Hanna s'est mise à servir, par amour pour lui, sans haine et sans crainte des confédérés.

 

Francis Richard

 

Un Valais en Guerre - Tome I - Soldate, Valérie Blom, 304 pages, Les Editions Romann

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18 décembre 2024 3 18 /12 /décembre /2024 19:30
Alarme à l'oeil, de Thierry Luterbacher

J'avais les sens aux aguets quand je revenais dans ma sale vieille ville. J'y étais connu comme le loup blanc, il y avait toujours un loquedu en quête de gloire qui voulait se la jouer en se mesurant à moi pour crier sur tous les toits qu'il m'avait étrillé.

 

Artem Manoussian, le cogneur cognitif, se rend, depuis la ville située à cinq cents mètres, au village, où l'attend le cercueil de sa mère, morte dans son sommeil au foyer Le Passage, niché à neuf cents mètres.

 

Pour la circonstance il a revêtu complet noir, chemise blanche, cravate noire et parka. Il laisse derrière lui, dans les combles du garage qui lui sert de planque, Manouche, qui l'a suivi après qu'il l'a sauvée.

 

Manouche disparaît sans autre. Le soir du Nouvel An, il traîne en ville. Naguère son nom de guerre était Misère, mot dont il usait et abusait. Ce soir-là, il cogne un père de famille qui voulait en découdre.

 

Il s'en veut. Comme Manouche n'a pas réapparu et qu'il aimerait bien qu'elle revienne, il promet, jure que s'il la retrouve il arrêtera la violence comme on arrête de fumer en écrasant la dernière clope:

 

Elle m'a bazardé et ça m'a flingué. Il aura donc suffi qu'une vague silhouette me suive et qu'elle change de traque comme on change de chemise pour venir à bout de moi.

 

Les livres ont été la seule école d'Artem. Ils ne lui ont pas appris la contrainte mais le libre arbitre, et... l'aventure de [se] retrouver hors du temps. Aussi son récit est-il émaillé de citations fort à propos:

 

Ce n'est pas la mort que je crains, c'est de mourir. Ôter la vie, c'est ôter la peur de mourir.

Montaigne

 

Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre.

Blaise Pascal

 

C'est moi, devine ce que je t'apporte.

Et tu m'apporterais toi.

Boris Vian

 

Le joli mois de mai arrive. Les bourgeons insurrectionnels germent, mais sans Artem. Il reste un homme seul. Alors qu'il se balade en ville, sa réputation lui vaut d'être pris à partie par la faune de la nuit.

 

À cette occasion Manouche, de son petit nom Santana, lui sauve la mise, elle qui préfère à ceux qui s'entretuent ceux qui s'entrevivent, qui, pour une fois, sort de son mutisme et qu'il suit alors à son tour.

 

Le serment qu'il a fait s'il la retrouvait, il ne le tiendra pas. Ce ne sera pas sans conséquences. Lui et elle seront restés inatteignables l'un pour l'autre. Il la suivra jusqu'au bout puisqu'elle sait où l'on va.

 

Francis Richard

 

Alarme à l'oeil, Thierry Luterbacher, 232 pages, Bernard Campiche Editeur

 

Livres précédents:

 

Dernier dimanche de mars (2014)

Desperado - La cendre des gestes (2017)

Illégaliste (2021)

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11 décembre 2024 3 11 /12 /décembre /2024 19:45
Récits de certains faits, de Yasmina Reza

Ce volume contient pas moins de cinquante-trois Récits de certains faits, sans compter un appendice, où le mot certains a plusieurs acceptions.

 

De quels faits s'agit-il? Ce sont des faits dont la commission a conduit leurs auteurs devant des tribunaux dont Yasmina Reza rend compte pour y avoir assisté.

 

Ce sont également des faits de sa vie personnelle ou familiale qui l'ont marquée, notamment à Venise, à Paris ou Berlin, des faits singuliers, parfois tragiques, mais pas toujours.

 

Les tribunaux? Ce sont des tribunaux correctionnels de Paris pour des délits tels qu'injures, trafics, abus de confiance, des cours d'assises de province, à travers toute la France, pour des crimes:

 

Les accusés d'assises sont nimbés d'une aura déconcertante qui ressemble à celle des célébrités qu'on voit en vrai. Ils attirent le regard mais on les scrute de biais, sans oser.

 

À propos d'un des tribunaux correctionnels, elle note par exemple qu'on ne développe pas, car une affaire succède à une autre sans qu'il soit possible de s'attarder, laissant un goût d'inachevé.

 

Pour ce qui concerne les cours d'assises, ce qui frappe le lecteur, c'est souvent la solitude du prévenu, qui, contre l'évidence, nie les faits qui lui sont reprochés, se sent incompris.

 

Pour ce qui concerne les tribunaux correctionnels, devant l'un des juges, un avocat dit que son client est paumé. L'auteure se demande combien il y a de paumés devant de tels tribunaux.

 

Quelques prévenus devant les tribunaux correctionnels de Paris sont célèbres, tels Jean-Marc Morandini ou Nicolas Sarkozy. Tariq Ramadan, lui, est traduit devant le tribunal correctionnel de Genève, l'exception qui confirme la règle parisienne.

 

De même, le sexagénaire, accusé par deux femmes de viol par surprise (un concept récent difficile à cerner) est-il traduit non pas devant un tribunal correctionnel mais devant la Cour criminelle de l'Hérault.

 

Une femme a abandonné son enfant sur une plage de Berck-sur-Mer pour qu'elle soit emportée par les flots. Les récits de l'avocate de l'infanticide et de l'avocat général divergent: le fol destin versus la froide violence.

 

Un homme a tué tous les membres de sa belle-famille. Il apparaît clairement à l'auteure comme un homme incontrôlé, désespéré, mais la présidente tient à ce qu'il ait agi de façon réfléchie. Cette fois l'auteure prononce un verdict, sans appel: 

 

[La juge] croit au bien ou au mal. Elle n'est que juge. Elle n'a pas appris à outrepasser les catégories.

 

En principe l'auteure se garde de juger, fait part au lecteur de ce qu'elle voit et entend. Son regard et son ouïe sont ceux d'une auteure de théâtre, qui sait, depuis Shakespeare, que, dans ce monde, chacun joue un rôle.

 

Francis Richard

 

Récits de certains faits, Yasmina Reza, 240 pages, Flammarion

 

Livres précédents chez le même éditeur:

Heureux les heureux (2013)

Babylone (2016)

Serge (2021)

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8 décembre 2024 7 08 /12 /décembre /2024 19:45
Mille façons d'aimer, d'Anne Goscinny

Personne ne prendrait ta place. Je n'aimerais plus jamais comme je t'avais aimé. J'aimerais autrement, l'intensité n'était pas en question.

 

Jeanne, trente ans après, commence à accepter ce contre quoi elle s'élevait, la mort de Raphaël. Dans ce texte, elle s'adresse à lui et partage leurs souvenirs.

 

Sa mère était morte deux mois avant lui. Elle était épuisée de chagrin. Et maintenant Françoise, la mère de Raphaël, lui avait refusé de le voir à l'hôpital.

 

Ce roman est l'histoire d'une amitié qui ressemble à l'amour. Enfants, à l'école primaire, aux dires de leurs mères, Jeanne et Raphaël semblaient un vieux couple:

 

Nos disputes étaient fréquentes, immédiatement suivies de réconciliations.

 

Leurs deux mères, d'ailleurs, étaient convaincues que leur amitié se muerait en amour. Mais ils devaient déjouer leurs prédictions, ils seraient frère et soeur.

 

Le père de Raphaël les avaient quittés sa mère et lui quand il avait cinq ans. Au collège, puis au lycée, il était tombé amoureux du proviseur, père de substitution:

 

Il aura fait de toi, sans le savoir bien sûr, le jeune adulte que tu deviendrais.

 

Ce père, qui, à la demande de sa mère, s'était résolu à ne plus se manifester, pour son bien, lui avait manqué. Plus tard il reprocherait à celle-ci de l'avoir éloigné:

 

Faire le deuil d'un vivant qui vous abandonne est infiniment plus douloureux que d'un mort qui vous a aimé.

 

Dès leurs trois ans Jeanne et Raphaël s'étaient liés d'amitié. Ils en avaient dix quand ils s'étaient juré fidélité, l'un prenant l'autre pour ami, jusqu'à ce que la mort les sépare.

 

Rien, sinon la mort, ne devait les séparer, qui passaient leur temps ensemble: promenades, jeux, vacances. Même pas ce qu'il lui avait révélé quand ils avaient dix-huit ans:

 

- J'aime les garçons.

 

Raphaël était follement amoureux d'Hadrien qui ne partageait pas ses sentiments. Il n'empêchait pas Jeanne d'être amoureuse de son côté. Elle et lui resteraient amis:

 

Je t'aime trop pour qu'on soit amants, faisant valoir que si l'amour est éphémère, [l'amitié] est pérenne.

 

Jeanne égrène ses souvenirs tandis qu'elle se rendait au cimetière Montparnasse à son enterrement où Hadrien comprit enfin que Raphaël était l'homme de sa vie:

 

- Il avait le sida, Hadrien, une rencontre, un soir, une rencontre pour t'oublier.

 

Raphaël et Jeanne sont-ils séparés? Trente ans après, elle l'entend dans son coeur et lui dit de ne rien regretter de ce monde. Mariée, deux enfants, elle lui déclare in fine:

 

Nos âmes se retrouveront, tu as pris un peu d'avance. Nous ne nous quitterons jamais. Moi, je vais vivre, vivre et vivre.

[...]

De nous, sur cette terre, restera notre folle amitié, appelons-la comme ça.

 

Francis Richard

 

Mille façons d'aimer, Anne Goscinny, 160 pages, Grasset

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4 décembre 2024 3 04 /12 /décembre /2024 18:40
Mémoires assassines, de Stéphanie Glassey

Une femme hurla. Elle courait péniblement vers la berge, ses talons s'enfonçant dans la pelouse. On se retourna, on vit un homme, un corps du moins, dans l'eau, près de la rive.

 

Ce vendredi 15 mai, le rituel Jardin des Vins est le théâtre d'un meurtre. L'homme trouvé mort dans le Domaine des Îles, à la périphérie de Sion, ne s'est pas noyé, il avait une blessure profonde à la tête.

 

Léon Cerise, ancien inspecteur de police, reconverti dans l'enseignement à la suite d'un accident qui l'avait privé de l'usage de ses jambes, a été mis à la retraite, qu'il passe à Basse-Nendaz à lire Racine.

 

Il vit avec son chien, qu'il a appelé Britannicus, lequel l'a en quelque sorte trahi: il vient de se rendre compte qu'en fait il est une chienne et que, de plus, elle attend des petits. Et de citer le cher Racine:

 

Plus l'offenseur m'est cher, plus je ressens l'injure 

La Thébaïde 1664

 

Ce même vendredi 15 mai, un ami lui apprend que le mort du Jardin des Vins n'est autre que Conrad Crettenand, patron des assurances OXO, qui y fêtaient joyeusement leurs trente ans d'existence.

 

Ce même vendredi 15 mai, Charlotte de Dardel, de retour en Valais, où, en tant que journaliste, elle a trouvé un poste à l'Illustré, se rend chez ses grands-parents qui occupent un chalet à Basse-Nendaz.

 

Ils lui apprennent le décès de Conrad. Elle n'est pas étonnée que Léon Cerise l'appelle à ce sujet. N'ont-ils pas enquêté ensemble 1? Léon craint que Jean-Marc Michellod ne soit pour tous le coupable idéal.

 

De la prison, où il se trouve depuis 2009 suite à une dénonciation de malversations par Conrad, Jean-Marc menaçait celui-ci et était de sortie le jour du meurtre. De plus, il est aussi l'oncle de Mattys...

 

Or Mattys est le protégé de Charlotte. Du même âge qu'elle, il a, en dépit d'un gros retard cognitif, effectué sa scolarité en compagnie des jeunes de sa génération, aussi loin que cela s'est avéré possible.

 

Très naturellement, Charlotte et Léon décident donc de mener ensemble une enquête officieuse pour élucider ce crime commis sur le sinistre Conrad, qui n'est de loin pas quelqu'un de recommandable.

 

Stéphanie Glassey, parallèlement au récit de cette enquête de neuf jours, fait celui d'Émile, né en 1940 dans une famille nombreuse, pauvre, où le père est alcoolique, dégénéré, et la mère devenue folle.

 

Alors qu'Émile a quatre ans, un prêtre, une assistante sociale et le juge de commune se présentent un jour à la ferme familiale et emmènent les enfants de Séraphin et Honorine pour les placer ailleurs.

 

Ailleurs? Dans des institutions, dans des fermes, ces enfants, comme bien d'autres pendant des décennies, seront maltraités, physiquement souvent, sexuellement parfois, humiliés et méprisés toujours.

 

Quel rapport entre les deux récits? Peu à peu le lecteur le découvre, comprend que les mémoires peuvent être assassines. Conrad ne sera pas la seule victime, et la personne coupable en sera une autre:

 

Il n'est point de secret que le temps ne révèle.

Britannicus 1669

 

Francis Richard

 

1 - Voir Les Confidences assassines.

 

Mémoires assassines, Stéphanie Glassey, 488 pages, Plaisir de Lire

 

Livres précédents aux éditions Plaisir de lire:

Confidences assassines (2019)

La dernière danse des lucioles (2021)

 

Livre précédent chez OKAMA:

Smoothie (2024)

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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