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22 juin 2024 6 22 /06 /juin /2024 17:45
Passeport pour l'oubli, de Geoffroy de Clavière

Dans la confusion des trombes d'eau hachées par le balai lancinant des essuie-glaces, Simon observait, sans y croire, le spectacle froissé d'un homme qui enlaçait Roxane dans un trou noir.

 

Simon La Brosse, un patronyme qui lui va comme un gant, est galeriste d'art. Il vient d'acquérir de main de maître un Rouault1 et veut fêter ça avec sa femme Roxane. 

 

En vain il a essayé de la joindre sur son portable. Et pour cause. Au volant de sa Range Rover il la voit sortir de la brasserie de l'Alma à Paris et se laisser embrasser.

 

Il suit le couple qui monte dans la Mini Cooper de Roxane, l'inconnu ayant pris le volant, jusqu'à la boutique de sa femme au-dessus de laquelle se trouve un studio.

 

À leur suite il pénètre dans le studio. Sa femme le regarde dans un miroir, puis tombe à la renverse. Il reçoit lui-même un coup à la tête qui lui fait perdre connaissance.

 

Les deux se retrouvent à l'Hôpital Saint-Antoine, elle dans le coma, lui traumatisé, après que Kitty l'assistante de Roxane, ayant entendu du bruit a appelé les secours.

 

Simon n'est pas au bout de ses peines. L'un après l'autre ses proches sont victimes d'agressions qui, pour d'aucuns, se révèlent mortelles. C'est à n'y rien comprendre.

 

Pour élucider ces énigmes, le commissaire Karl Bosch et son équipe ne disposent que de peu d'éléments, sauf que Simon semble visé à travers toutes ces victimes.

 

Ces agressions, qui se produisent en 2014, semblent avoir leur origine dix ans plus tôt. Sinon pourquoi donc Geoffroy de Clavière y aurait-t-il situé son prologue?

 

Quoi qu'il en soit, le lecteur, comme les policiers, doit attendre que Simon, peu à peu, exhume de son passé ce qu'il y a enfoui profond pour en trouver l'explication.

 

Quant au titre, Passeport pour l'oubli, il ne s'explique qu'après avoir lu l'épilogue. C'est dire que l'auteur, avec maestria, sait ménager le suspense, sinon son lecteur.

 

Fini les boîtes noires, les non-dits et les mensonges. Désormais, place à la lumière! conclut ce récit, qui est fou et tragique, et, par le nombre de victimes, shakespearien... 

 

Francis Richard

 

1 - Peintre français (1871-1958)

 

Passeport pour l'oubli, Geoffroy de Clavière, 320 pages, Slatkine

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19 juin 2024 3 19 /06 /juin /2024 22:40
Déranger les morts, de Maxime Rutschmann

À force de persévérance - de courage, diront les plus flatteurs -, je suis en mesure de vous confier une série de biographies post-mortem qui, assurément et en toute modestie, ne pourront qu'éveiller chez vous curiosité et intérêt.

 

Ces dix biographies se terminent par la mort de leurs protagonistes. Avec le souci méticuleux de situer leurs histoires personnelles dans l'histoire de leur temps, l'auteur se penche sur leur passé sans ménagement.

 

Une des particularités de ces nouvelles qui ont lieu à la fin du XIXe siècle et au XXe siècle est que leurs protagonistes, du moins certains d'entre eux, se croisent d'une biographie à l'autre, semble-t-il fortuitement.

 

Une autre particularité est que l'existence et la mort d'aucun d'entre eux ne sont banales. Le narrateur a donc raison de dire, sans forfanterie, que le lecteur y trouvera de quoi éveiller à la fois sa curiosité et son intérêt.

 

Le journaliste du premier récit dévoile un scandale en 1947 auquel se trouve mêlé un ministre, mais son rédacteur en chef s'en approprie la découverte. Quelques années plus tard, parti en reportage, il périt en mer...

 

Les dessous de ce scandale sont racontés d'ailleurs dans la dernière biographie du recueil, mettant en scène un couple fusionnel de jumeaux, garçon et fille, qui ne sont de loin pas des anges et défrayent la chronique.

 

Cette même année 1947, des agents de police font chou blanc quand ils se présentent au domicile d'une infirmière, qui, dans un asile genevois, empoisonne en musique les pensionnaires pour abréger leurs vies folles.

 

En 1948, une ancienne pianiste, qui, il y a longtemps, a arrêté sa carrière dans d'étranges circonstances, croise les jumeaux évoqués ci-dessus et va jusqu'à les héberger plus tard dans la maison où elle va finir sa vie. 

 

Dans l'asile genevois où a sévi l'infirmière assassine, un orphelin passe trente ans de sa vie, s'en échappe, se retrouve sur le bateau qui fait naufrage avec le journaliste, en réchappe, retourne en Europe, y tire sa révérence.

 

Les autres récits relatent les vies d'une riche héritière d'une industrie pharmaceutique, d'une pensionnaire de maison de retraite affabulatrice, d'une gérante de kiosque à journaux, de son fils espion, d'une artiste de cirque.

 

Comme dans les autres récits, il y a des connections entre elles. Elles sont racontées par un narrateur qui adopte le ton d'un historien comme s'il s'agissait d'histoires vraies, assorties toutefois de remarques assez ironiques.

 

Le lecteur, séduit, approuvera ce que Maxime Rutschmann dit de ces récits par la voix de son narrateur qui a le mérite de la franchise, et la conscience de sa valeur, laquelle, on le sait, n'attend pas le nombre des années:

 

Que ces personnages aient été inventés - qu'ils aient germé tout cru dans ma tête - ou qu'ils aient réellement une place dans l'histoire du monde a-t-il, au fond, tant d'importance? Car ce sont des choix orientés et subjectifs, à la fin, qui décident de la place des humains dans notre mémoire collective. Pourquoi ne pas les choisir eux.     

 

Francis Richard

 

Déranger les morts, Maxime Rutschmann, 190 pages, Plaisir de Lire

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13 juin 2024 4 13 /06 /juin /2024 19:30
La Maison des jouets, de Carlos Henriquez

Je m'appelle Hugo Balast. Je suis fouille-merde professionnel. Un fouille-merde professionnel en vacances. Tout seul. J'ai atterri dans un village perdu pour y passer quelques semaines de congé. Tu parles d'un bled. Sans GPS, je me serais sûrement perdu. Et même avec, ce n'était pas gagné.

 

Il est tout seul, parce qu'avec sa femme Agathe, il y a de l'eau dans le gaz. C'est pourtant bien elle qui a réservé La Maison des jouets, comme l'ont baptisée leurs enfants Emma et Raphaël en regardant les photos sur l'ordinateur.

 

Il s'apprête donc à passer les trois premières semaines d'août 2018 tout seul dans cette maison, qui est plus qu'assez grande pour un couple et deux enfants et située dans un bled, Chartan-sur-Trille, un microcosme où tout se sait.

 

Chassez le naturel, il revient au galop. Hugo ne peut pas rester tranquille à se regarder le nombril et à cuire au soleil pendant cet été caniculaire, si bien que la Maison des jouets s'avère être en fait la Maison des secrets, enfouis.

 

Comme tout se sait, bien que la curiosité soit un vilain défaut, largement partagé, Hugo ne peut faire un pas ou un brin de conversation sans que la rumeur sur ce qu'il a fait ou dit ne se propage, avec toutes les déformations d'usage.

 

Aussi Hugo est-il très occupé pendant ce séjour, qui, finalement, n'est pas de tout repos. Son créateur, Carlos Henriquez, prête à Hugo son humour, qui n'est jamais aussi réjouissant que dans les dialogues qui émaillent le récit.

 

Tout le petit monde chartais ne se réjouit pas de ce que découvre Hugo en explorant la Maison des jouets et en fouinant ici et là, comme il ne se réjouit pas de ce qu'il apprend pour ce qui les concerne, lui et sa propre famille.

 

Hugo, professionnellement, fouille la vie de ses semblables, alors que la sienne est insignifiante. Il finira bien grâce à ce break par lui donner un sens. Comment? C'est justement ce que raconte ce livre que le lecteur quitte à regret.

 

Hugo apprendra ainsi que, si toute vérité est bonne à connaître, elle ne peut toutefois pas être dite à n'importe qui. De plus, pour qu'elle ne soit pas blessante inutilement, encore faut-il que, pour ce faire, des formes soient mises.

 

Francis Richard

 

La Maison des jouets, Carlos Henriquez, 384 pages, Bernard Campiche Editeur

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9 juin 2024 7 09 /06 /juin /2024 19:55
L'île pommelée de moutons blancs, de Serge Bimpage

Ce roman aurait dû s'appeler L'île à la mer pommelée de moutons blancs. Mais ce titre n'aurait pas eu la touche poétique que l'omission de l'expression à la mer lui donne.

 

Quelle est cette île, lieu mythique de ce récit? Lipari, une des six Éoliennes, qui sont à quelques encâblures de la Sicile, et dépendent d'ailleurs de la province de Messine.

 

Le narrateur a eu l'idée saugrenue d'y acheter une ruine dans le but de la restaurer. En fait il parle plutôt de la restructurer. Car pour lui est venu le moment d'un point de fuite:

 

Point imaginaire, destiné à aider le dessinateur à construire son oeuvre en perspective.

 

C'est à partir de cette île qu'il veut faire sienne, en l'habitant et en l'explorant dans le temps et dans l'espace, qu'il pourrait commencer un nouveau voyage, une nouvelle vie.

 

Dans le temps, cela veut dire évoquer des figures qui en ont foulé le sol et qui sont en lien avec la souffrance, tels San Bartolomeo, Barberousse ou encore Nello Rosselli.

 

Dans l'espace, cela veut dire en faire le tour, se rendre dans les autres îles de l'archipel, telle Stromboli, dont le volcan, à la fumée papale, ronfle et lui fait des signes amicaux.

 

Aussi cherche-t-il à se faire une place, un chez lui, parmi les Liparotes implantés, tels les frères poètes, le Schiavo, l'Iguane, Matteucia, Anna, Angelo, Enzo, le Dadais, Mago.

 

En réalité, ni le lieu ni la présence des autres ne sont aussi importants que cela, en définitive:

Je ne finirai pas de l'apprendre jusqu'à mon dernier souffle: ne plus disposer, pour toute présence au monde, que de soi, est l'expérience la plus existentielle qui soit.

 

Il ne finira pas non plus d'apprendre jusqu'à la fin à dialoguer avec celui qu'il appelle son jumeau paraphrénique, son double impitoyable:

Celui qui sait être moi sans l'être. Capable de distance, d'humour et de dérision, autant de qualités que la vie chez moi érode. Enfin, pas tout à fait.

 

Il ne se contentera donc pas d'être sur Lipari, mais en parlera de manière singulière et le résultat en sera ce livre que le lecteur tient entre ses mains, où l'imagination a la part belle.

 

Francis Richard

 

L'île pommelée de moutons blancs, Serge Bimpage, 160 pages, Slatkine

 

Livres précédents:

 

La peau des grenouilles vertes (2015)

Déflagration (2020)

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8 juin 2024 6 08 /06 /juin /2024 21:50
Nouveaux Lieux communs, de Richard Millet

Les Nouveaux Lieux communs sont au nombre de trois cents. Ce sont des formules toutes faites, des pensées toutes prêtes, des expressions toutes bêtes avec lesquelles la bien-pensance, i.e. le camp du Bien, a réussi à, et continue de, façonner des esprits.

 

Font partie de la bien-pensance ceux qui disent être des animaux comme les autres et refusent le fait "racial" mais non la racisation la plus pointilleuse:

L'homme est à lui seul une arche de Noé proche de la nef des fous.

 

Font partie de la bien-pensance ceux qui considèrent que l'islam est une religion d'amour:

Autant demander à un "émir" de Daech de disserter sur  l'Imitation de Jésus-Christ ou à Ben Laden d'apprécier une homélie de Benoît XVI.

 

Font partie de la bien-pensance ceux qui veulent détruire la famille, devenue "cellule familiale", dans l'ambiguïté, bien sûr, du mot "cellule", qui fait sonner aussi bien la "cellule souche" que la geôle:

La haine de la famille se porte toujours aussi bien, sauf quand elle est benoîtement appelée "recomposée","monoparentale", ou qu'on n'use point du baragouin "maman solo".

 

Font partie de la bien-pensance les soi-disant progressistes, qui maltraitent la langue française:

Écoutant parler les jeunes gens, pour la plupart, on a l'impression de se trouver en un état de catastrophe linguistique devenue naturelle.

 

Font partie de la bien-pensance les bobos qui voient en Greta Thunberg le miracle qu'ils attendaient:

Thunberg est en réalité lisse, rose, mignonne, maligne, exaspérante tout comme son discours, mais nullement la Jeanne d'Arc de l'écologie ou de la "décroissance" qu'on prétend qu'elle est, car elle n'ira bien sûr pas au bûcher, cette bergère qui fait paître un nombre croissant d'imbéciles incapables de voir qu'elle conforte le Spectacle là où elle voudrait le subvertir.

 

Font partie de la bien-pensance les salauds qui se cachent aujourd'hui dans le Bien1

C'est le dénonciateur vertueux, le sycophante pétitionnaire, l'indic post-littéraire, avec tout ce qui traduit la bonne conscience de l'idéologie dominante, laquelle est, on le sait, de la mauvaise foi patentée. 

 

Font partie de la bien-pensance les producteurs et réalisateurs de la plateforme Netflix:

Un incomparable instrument de propagande et de décervelage où les films, les séries, dessins animés et documentaires, produits et choisis par Netflix, sont savamment dosés pour représenter le monde non pas tel qu'il est, mais tel que l'empire du Bien, vertueux, ludique et wokiste, veut qu'il soit, et donc travaille à le rendre tel...

 

Font partie de la bien-pensance les soi-disant éveillés, dont les corps sont en transition sexuelle:

Kévin, fortement perturbé par l'ordre "binaire", va transiter d'un sexe à l'autre, selon une supercherie wokiste qui lui fait se croire une femme dans un corps d'homme, et un migrant sexuel.

 

Il va de soi, et ces quelques exemples le montrent, que Richard Millet est exclu d'office de la bien-pensance, mot qu'il n'emploie pas, mais qui, il me semble, convient bien à l'idéologie dominante.

 

Il est répréhensible parce qu'il refuse la version "positive", donc irénique du monde. C'est un misanthrope, un solitaire, un franc-tireur, un guetteur de l'aube, celle-ci s'ouvrirait-elle sur un jour des plus sombres.

 

Il n'est pas comme ces soi-disant insoumis qui revendiquent cet épithète alors qu'ils sont les porte-valises d'une religion prétendument opprimée en France et en Europe, mais qui prône la soumission absolue et l'esclavage de la femme.

 

Francis Richard

 

1- Richard Millet en sait quelque chose depuis la publication de la tribune d'Annie Ernaux, parue dans Le Monde en septembre 2012 et signée par 120 salauds: c'est la désormais célèbre liste Otto-Ernaux, allusion à la Liste Otto établie en 1941, interdisant des livres hostiles à l'Allemagne et au racisme nazis.

 

Nouveaux Lieux communs, Richard Millet, 240 pages, La Nouvelle Librairie

 

Précédents billets sur des livres de Richard Millet:

 

Fatigue du sens (17 décembre 2011)

La souffrance littéraire de Richard Millet (21 septembre 2012) :

- Langue fantôme, suivi de, Éloge littéraire d'Anders Breivik

- Intérieur avec deux femmes

- De l'antiracisme comme terreur littéraire

Trois légendes (21 novembre 2013)

L'Être-Boeuf (3 décembre 2013)

Une artiste du sexe (30 décembre 2013)

Le corps politique de Gérard Depardieu (25 novembre 2014)

Solitude du témoin (3 mai 2015)

Province (28 juin 2017)

Étude pour un homme seul (17 mai 2019)

Français langue morte suivie de l'Anti-Millet (30 juillet 2020)

Paris bas-ventre, suivi de, Éloge du coronavirus (22 juillet 2021)

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

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6 juin 2024 4 06 /06 /juin /2024 21:30
Oul le Porteur de pierres, de Carmen Arévalo

Oul se sentait en décalage par rapport à son peuple. En effet, les animoïkis aimaient être en groupe et faisaient pratiquement tout ensemble. Lui était de nature solitaire, préférait le silence et se balader dans la forêt épaisse.

 

Oul est un chaton, qui a la particularité d'avoir un pelage rose pailleté, ce qui n'est pas discret. Il marche sur deux pattes, comme tous les animoïkis.

 

Le monde dans lequel vit Oul est singulier. Övrigdomhan est en effet une île peuplée de créatures qui ne se trouvent nulle part ailleurs, fantastiques.

 

Adïel, par exemple, est son ami. Certes c'est un humain, un sils. Mais il a la particularité de n'être visible que par lui, qui aime être en sa compagnie.

 

Blessé après avoir été saisi par un milvu, un oiseau-bête aux ailes dépourvues de plumes, Oul est secouru par Adiël qui l'emmène alors chez Shawoo.

 

Shawoo est la shamane de la tribu. Elle le soigne. Elle l'attendait et lui confie une mission, qui permettra de sauver l'Orindi, l'arbre-monde qui dépérit.

 

Pour accomplir sa mission, Oul sera guidé par Alba, une belle archère, une des dernières descendantes du peuple nerythe de l'est, défait par Wargok.

 

Oul ne discute pas et part d'abord pour Eldurbreizh, où il mettra dans sa besace la première des sept pierres salvatrices, comme le nombre des Orindis.

 

Les pierres lui seront données par chaque dirigeant des sept terres d'Övrigdomhan selon la prophétie que Shawoo leur a fait connaître: il est le Porteur.

 

Cette quête n'est pas sans dangers. Oul affrontera des obstacles dus à la grande force négative qui transforme faune et flore et à la cruauté de Wargok.

 

Cette quête ne sera pas sans déconvenues, inévitables avec les êtres humains, mais, s'il s'en sort, il sera différent et aura appris ce que veut dire grandir. 

 

Francis Richard

 

Oul le Porteur de pierres, Carmen Arévalo, 120 pages, OKAMA

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5 juin 2024 3 05 /06 /juin /2024 18:00
Jusqu'au bout du jour, de Jo(sette) Pellet

10 juillet 2015

Tu vois, je tiens ma promesse: je ne t'ai pas oublié! Pas oublié non plus notre rencontre dans un train entre Graz et Lausanne, il y a un demi-siècle.

Adolescents taillés dans la même étoffe de révolte et de quête, nous nous étions immédiatement "reconnus" et aimés... D'un amour platonique.

Ensuite nos lettres, pendant trois ans. Puis seulement les tiennes.

 

De nos jours, les adolescents font des rencontres virtuelles avant qu'elles ne deviennent réelles. À l'époque elles étaient réelles, et l''imaginaire s'en nourrissait.

 

Pour retrouver ses amours de jeunesse, le net peut être un outil performant qui vaut la peine d'être utilisé, même si le résultat n'est pas toujours au rendez-vous.

 

La narratrice du récit, grâce sans doute à un de ces fameux moteurs de recherche, retrouve la trace de l'homme qui, jadis, lui a fait battre platoniquement le coeur.

 

Commence alors une correspondance entre eux deux. Mais le lecteur n'a droit qu'aux lettres de l'homme qui a subi de l'âge, entre temps, l'irréparable outrage.

 

Ses lettres ne sont pas reproduites en caractères d'imprimerie, comme le reste du texte, mais dans une nouvelle graphie, i.e. une belle écriture, bien humaine.

 

Cette femme et cet homme ont vécu éloignés dans le temps. Ils le sont encore dans l'espace puisqu'elle demeure encore à Lausanne et que lui est soigné en Styrie.

 

Qu'à cela ne tienne, la femme, qui, c'est connu, est plus courageuse que l'homme, franchit à plusieurs reprises la grande distance qui les séparent pour le rejoindre.

 

L'homme écrit des lettres manuscrites, la femme, en italiques, de brefs commentaires ou des poèmes courts, comme les affectionne Jo(sette), l'auteure de haïkus.

 

Le récit révèle bien des différences entre cette femme et cet homme. Elle prend plus de risques que lui, mais elle n'a pas autant d'attaches familiales que lui.

 

Qu'en sera-t-il de leurs retrouvailles? C'est bien sûr au lecteur de le découvrir. Quel que soit son âge, il n'aura pas de mal à le deviner s'il en a fait l'expérience.

 

Et puis, s'il aime les mots, il sera servi et comprendra ce que veut dire l'auteure en conclusion de ce fragment amoureux, singulier, i.e. intemporel et universel:

 

Ah l'amour des mots

puisse-t-il m'accompagner

jusqu'au bout du jour.

 

Francis Richard

 

Jusqu'au bout du jour, Jo(sette) Pellet, 80 pages, Éditions des Sables

 

Livres précédemment chroniqués:

 

Syrie - Les hirondelles crient, 76 pages, Éditions Unicité (2013)

Mékong mon amour, 96 pages, Samizdat (2014)

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4 juin 2024 2 04 /06 /juin /2024 19:15
Sur les traces de mon père, de Francine Crettaz

Le calcul est vite fait. Jules Crettaz est mort le 8 septembre 1961 et sa fille Francine est née le 10 juillet 1954. Elle n'a donc que sept ans quand il rend son âme à Dieu. Pour se mettre sur les traces de son père, Francine Crettaz ne peut donc pas se fier à ses seuls souvenirs.

 

Elle recueille quelques témoignages, puise dans de maigres archives, mais surtout fait appel à une riche documentation pour reconstituer l'époque et combler les trous d'une biographie parcellaire, où les archives paternelles ne tiennent que dans un très modeste carton.

 

Certes il reste la bibliothèque de Jules retrouvée dans le chalet de son enfance: Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es. S'y trouvent des livres de métier - il fut instituteur -, des livres de spiritualité, de prière et de poésie, des livres légers, des romans et des nouvelles.

 

Ce qui guide l'auteure, quand elle entreprend sa quête, c'est un amour filial, qui se dissimule mal derrière le voussoiement qu'elle emploie à l'égard de son père, dans un récit où elle tente de le re-susciter, comme elle le dit joliment, si bien que le lecteur s'y attache:

 

Et ne m'en veuillez pas si je vous vouvoie. Je dis vous à tous ceux que j'aime avec timidité.1

 

Dans le val d'Anniviers où Jules Crettaz a vécu du 31 juillet 1923, jour de sa naissance, jusqu'à ce jour funeste de septembre, on croit en Dieu, on va à la messe, dite en latin, et on fait ses prières, depuis... des siècles, depuis que les ancêtres insoumis se sont convertis. 

 

Dans ce monde traditionnel, Jules n'est pas complètement coulé dans le moule paysan. Il va même en échapper un peu, pendant quatre ans, à raison de dix mois par an: un an préparatoire à Martigny, trois à l'École Normale à Sion, pour devenir un jour instituteur à Fang:

 

Raconter quand on sait si peu de choses, c'est ruser, finement si possible: je m'informe, j'invente, je brode, je tisse. Je tricote aussi. Dixit sa fille.

 

Deux autres singularités caractérisent Jules: il est le premier à se motoriser en Anniviers, possède d'abord une moto, puis une voiture, sans doute pour se sentir à la fois libre et supérieur; et il se marie avec la fille de son cousin germain, qui est ravi de cette alliance.

 

Si les regrets sont unanimes après sa disparition - en témoignent les articles de presse que sa fille reproduit - l'explication se trouve dans les différents engagements que son père prendra en faveur de la Vallée et de ses habitants, même une fois atteint par un sarcome2.

 

L'auteure remercie in fine son père d'avoir été l'homme qu'il fut, même si elle a souffert d'avoir grandi sans lui. Écrire ce livre l'a certainement aidé à faire son deuil, plusieurs décennies après. Et lire cette phrase de Delphine Horvilleur, tirée de Vivre avec nos morts:

 

C'est quand la vie et la mort se tiennent la main que l'histoire peut continuer.

 

Francis Richard

 

1 - Inspiré de Barbara, poème de Jacques Prévert:

Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas

2 - Sarcome: tumeur maligne, cancéreuse.

 

Sur les traces de mon père, Francine Crettaz, 206 pages, Plaisir de Lire

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2 juin 2024 7 02 /06 /juin /2024 21:15
La dernière chambre du GRAND HÔTEL ABÎME, de Quentin Mouron

Internet, dont l'accès est de plus en plus aisé, grâce aux téléphones portables, a pris une importance de plus en plus grande dans la vie des gens. D'aucuns s'en réjouissent quand d'autres s'en alarment.

 

À la faveur de ce développement, un nouveau métier est apparu, celui d'influenceur. Le dictionnaire Larousse donne les définitions suivantes de ce néologisme qui, bien sûr, se décline au féminin:

 

  • 1. Personne qui, par sa position sociale, sa notoriété et/ou son exposition médiatique, a un grand pouvoir d’influence sur l’opinion publique, voire sur les décideurs.

 

  • 2. Spécialement: Personne qui, en raison de sa popularité et de son expertise dans un domaine donné (mode, par exemple), est capable d’influencer les pratiques de consommation des internautes par les idées qu’elle diffuse sur un blog ou tout autre support interactif (forum, réseau social, etc.).

 

La rémunération d'un influenceur dépend évidemment du nombre de personnes qui le suivent - en bon français, ce sont ses followers - et du nombre d'interactions que ces derniers ont avec lui.

 

C'est ce milieu qui suscite la verve satirique de Quentin Mouron dans ce nouveau roman, dont le titre à rallonge est à lui seul tout un programme: La dernière chambre du GRAND HÔTEL ABÎME.

 

En fait l'auteur dirige ses projecteurs sur un petit monde parmi ces influenceurs. Qui se connaissent tous, plus ou moins, même au sens biblique, et ne s'interdisent aucune orientation sexuelle. 

 

Dès le prologue, le lecteur sait que, dans ce roman, qui n'est pas un polar, un meurtre est commis: Sixtine est retrouvée par un employé, gisant, brisée et sans vie, à côté de la piscine de l'hôtel. 

 

Qui sont ces influenceurs? Sam, qui a rompu avec Sixtine, Lola qui partage son lit avec Hugo, avec lequel Sam a plus que sympathisé, tous devant se retrouver pour une rencontre entre pros à Venise.

 

Sixtine, dont le lecteur connaît la fin tragique, se console avec Rocco de sa rupture avec Sam. Hugo, qui n'a pas beaucoup de considération pour elle, dans un message, lui débine son nouveau gars.

 

Ce petit monde, que l'auteur situe au départ en divers lieux d'Italie avant de le réunir à Venise, entretient des relations compliquées entre ses membres, qui naviguent entre le virtuel et le réel.

 

Comme ils se connaissent tous, leurs vies affectives se mêlent et s'entremêlent. Si certains préfèrent la réalité, la plupart semblent ne pas vouloir la distinguer de la virtualité, c'est-à-dire du théâtre.

 

Le lecteur doit savoir que l'auteur est engagé et que de temps en temps, une réflexion partisane lui échappe. Il ne la partagera pas forcément, mais, prévenu, il ne s'en offusquera pas outre mesure.

 

Ce qui permettra au lecteur, en désaccord avec l'auteur sur le fond, d'apprécier sa satire, c'est la forme, même si la ponctuation, singulière et changeante au cours du récit, peut parfois le chagriner.

 

Francis Richard

 

La dernière chambre du GRAND HÔTEL ABÎME, Quentin Mouron, 176 pages, Favre

 

Livres précédents:

 

Au point d'effusion des égouts, Olivier Morattel Éditeur (2011)

Notre Dame de la Merci, Olivier Morattel Éditeur (2012)

La combustion humaine, Olivier Morattel Éditeur (2013)

Trois gouttes de sang et un nuage de coke, La Grande Ourse (2015)

L'âge de l'héroïne, La Grande Ourse (2016)

Vesoul le 7 janvier 2015, Olivier Morattel Éditeur (2018)

Jean Lorrain ou l'impossible fuite hors du monde, Olivier Morattel Éditeur (2020)

Pourquoi je suis communiste, Olivier Morattel Éditeur (2022)

La haine des oiseaux, Olivier Morattel Éditeur (2022)

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1 juin 2024 6 01 /06 /juin /2024 22:20
En mal de mère, de Sylvie Cohen

Kaïto est, comme son prénom dérisoire l'indique en japonais, un gars de la mer. Ses parents, Jack, un Américain, et Maïko, une Japonaise, ont divorcé. Sa garde a été confié à son père.

 

Jack convoie des bateaux. Comme il n'a personne à qui confier Kaïto en son absence, il l'emmène avec lui, lui faisant manquer l'école, mais lui apprenant de quoi être un sacré matelot.

 

Kaïto, ne voit que les défauts de son père, qui l'oblige à partir en mer avec lui, alors qu'il déteste ça et qu'il ne le croit pas quand il lui dit que sa mère l'a abandonné: il est En mal de mère.

 

Le dernier voyage qu'ils font ensemble pour convoyer un voilier, à partir d'Okinawa, où ils vivent sur un bateau, ne se déroule pas comme prévu à cause d'une tempête, pourtant annoncée.

 

Jack est monté voir, mais, quand son corps est réapparu, il a dégringolé d'un seul coup les quelques marches de la descente du bateau, la tête en sang: Kaïto a dû constater qu'il était mort.

 

Désormais seul au milieu de l'océan, il doit se débrouiller pour s'en sortir. Pendant qu'il se démène, les souvenirs remontent à la surface. Il idéalise sa mère, qu'il n'a vue qu'un week-end...

 

Face aux éléments déchaînés, il se rappelle ce que son père lui a appris et se promet, s'il ne périt pas avec ce voilier, le Missing Link, d'aller retrouver sa mère, qu'après tout il ne connaît pas.

 

Sylvie Cohen connaît bien les moeurs japonaises et occidentales de même que les ressorts universels de l'âme humaine. Aussi ses personnages sont-ils vrais, à commencer par le jeune Kaïto.

 

À quatorze ans, ni japonais ni yankee, celui-ci vit dans un désert affectif. Orphelin de père, et peut-être même de mère, s'il veut survivre, il n'a d'autre choix que de prendre son destin en main. 

 

Francis Richard

 

En mal de mère, Sylvie Cohen, 180 pages, Slatkine

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22 mai 2024 3 22 /05 /mai /2024 21:50
Le Brochet de l'empereur Barberousse et autres nouvelles, de Jean-François Haas

Dans les sept nouvelles de ce recueil qui porte le nom de l'une d'entre elles, Le Brochet de l'empereur Barberousse, Jean-François Haas écrit des variations prosaïques sur l'enfance et sur les rapports d'adultes avec des enfants, les leurs ou bien ceux des autres.

 

Enfant, il y a des choses qui vous échappent, que vous ne comprenez pas. C'est parfois longtemps après que la vérité sort de son puits et qu'elle vous blesse comme lorsque la jeune femme du Géant du galetas réalise ce qu'y faisait son instituteur de père.

 

Les enfants peuvent être cruels. L'innocence rime avec enfance, mais cela se limite souvent à cela. Des aînés, dans La Méduse dans la cave, essaient ainsi de faire croire des fariboles à un puîné, mais ils ne démontrent pas toujours qu'ils aient la raison de leur âge.

 

Les goûters d'anniversaire étaient l'occasion de lier connaissance. Quand on avait sept ans, L'ami que l'on s'y faisait, c'était pour la vie. En l'intimidant, des jaloux tentaient de savoir son nom. Plus tard, des paranos feront de même, mais il ne livrera pas son ami.

 

Nos ancêtres les lacustres est une variation de nos ancêtres les Helvètes. Toffee, qui doit son surnom à une boîte de friandises offerte par sa tante à un camarade, a appris par un vieux pêcheur leur existence et défendra leur mémoire quoi que disent les autres.

 

Le Vieux raconte à Théo l'histoire du Brochet de l'empereur Barberousse qui est représenté sur une gravure au-dessus du réfrigérateur et lui apprend à préparer des ablettes. Mais lui et Théo se fâchent. Théo disparaît et prouve au Vieux qu'il est un très bon élève.

 

Alexis, disparu, réapparaît après tant d'années. À l'école il faisait partie des trois mousquetaires qui, comme chacun sait, étaient quatre. Par déduction il était Porthos, plus habile à encourager qu'à jouer au basket. Sa disparition était due à Une erreur de jeunesse...

 

A Christmas Tale commence mal. Niko, trisomique, a survécu à la loi de dépistage prénatal qui aurait dû conduire à son avortement; son grand-père reçoit la visite d'un homme qui considère Niko comme un humain raté, à éliminer. Mais c'est un conte de Noël...

 

Le grand-père de la dernière nouvelle parle de bienveillance. Lors le lecteur réalise que ce mot convient bien pour qualifier l'attitude de l'auteur quand il écrivit son livre: une grande lumière bienveillante a dû l'envelopper, une grande bienveillance lumineuse.

 

Francis Richard

 

Le Brochet de l'empereur Barberousse et autres nouvelles, Jean-François Haas, 184 pages, Bernard Campiche Editeur

 

Livre précédent:

 

La Folie du pélican (2022)

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19 mai 2024 7 19 /05 /mai /2024 18:20
Des nouvelles d'Emma, du Collectif Épisode

Ces temps, j'ai relu Madame Bovary, publié dans la Revue de Paris du 1er octobre au 15 décembre 1856 et les trois pièces du procès que la justice impériale avait instruit en 1857 contre Gustave Flaubert pour offenses à la morale publique et à la religion qu'il aurait perpétrées dans son roman.

 

Ce soudain engouement pour Emma n'était pas fortuit. Il constituait un préalable à la lecture Des nouvelles d'Emma commises par des membres du Collectif Épisode et publiées à la fin de l'an passé. Pour des raisons médicales indépendantes de ma volonté, je l'avais différée et en étais fort marri.

 

Pourquoi ces lectures préalables? Parce que je ne voulais pas lire idiot ce recueil de nouvelles, inspiré par le personnage d'Emma Bovary. Il y avait en effet trop longtemps que ce personnage avait hanté mes jours et mes nuits d'adolescent et je voulais le reconnaître dans ces textes qui parlent de lui.

 

Autant dire tout de suite que je n'ai pas de regrets de l'avoir fait parce que les douze contributions sont certes inspirées par Emma, mais il n'est pas superflu de bien connaître le roman et ses conséquences judiciaires pour les apprécier à leur valeur, vu le rapport subtil qu'elles ont parfois avec lui.

 

Je regrette d'autant moins d'avoir fait ces lectures que si des nouvelles mettent bien en scène Emma et Charles Bovary, à l'époque ou de nos jours, d'autres donnent les points de vue sur le couple de personnages secondaires qui n'avaient pas du tout la même importance dans le roman de Flaubert.

 

Mieux - et c'est pourquoi j'ai employé plus haut l'expression de rapport subtil - l'ignorance ou la méconnaissance du livre ne permettent pas de comprendre pourquoi le roman a inspiré certaines de ces nouvelles: il est préférable que le lecteur ait présent à l'esprit ce qui lui donnait son mouvement.

 

Cela dit, rien n'oblige le lecteur, comme je l'ai fait, à se lancer dans les lectures du roman et des pièces du procès avant de lire ce recueil, car chacune de ces douze nouvelles a son existence propre, indépendante du bon motif qui l'a fait naître: il y en a pour tous les goûts littéraires contemporains... 

 

Francis Richard

 

Des nouvelles d'Emma, Collectif Épisode, 152 pages, Plaisir de lire

 

NB

 

Table des matières:

 

  • Préface de Marc Escola
  • Rien de vrai de Claudine Gaetzi
  • L'Angle mort de l'Hirondelle de Charlyne Genoud
  • La vérité l'emporte sur tout cela de Noémie Moos et Dimitri Martic
  • 0,1 gramme d'Elisa Andrade
  • La sonate de l'Empereur de Fanny M. Cheseaux
  • Nastasie de Gilles F. Jobin
  • Comme un bonbon de Giulietta Mottini
  • L'échappée de Santiago Basurto
  • La Croix d'honneur de Solène Perriard
  • L'Erreur d'Avî Cagin
  • Saule de Maël Graa
  • Tendres paroles de Francine Wohnlich

 

 

Chroniques précédentes, récentes, sur le roman de Gustave Flaubert:

 

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7 mai 2024 2 07 /05 /mai /2024 22:55
Le Couteau, de Salman Rushdie

Je suis devenu un drôle d'oiseau, célèbre non pas tant par mes livres que pour les tribulations de mon existence.

 

À la suite de la parution en 1988 de son roman Les versets sataniques, Salman Rushdie a fait l'objet d'une fatwa, en date du 14 février 1989, de la part de l'ayatollah Rouhollah Khomeinei, dans laquelle celui-ci informait de sa condamnation à mort pour s'être opposé à l'Islam, au prophète et au Coran.

 

Il devenait dès lors une cible puisqu'il était demandé dans cette fatwa aux musulmans zélés d'exécuter cette sentence. Citoyen britannique, vivant à Londres, il était mis, pendant des années, sous protection policière, tout en poursuivant une carrière de nouvelliste, d'essayiste et de romancier à succès1.

 

En 2000, il partait pour New-York et, en 2016, devenait citoyen américain. En 2022, il pouvait croire que la fatwa, lancée contre lui trente-trois ans plus tôt, était de l'histoire ancienne. Or le 12 août, alors qu'il doit intervenir à Chautauqua2, il est victime d'un attentat manqué par un jeune islamiste. 

 

Dans Le Couteau ce livre de réflexions suite à une tentative d'assassinat, qu'il a écrit pour [se] sentir mieux et pour reprendre le contrôle sur l'événement:

 

  • Il reconstitue ce qui s'est passé ce jour-là où, sans chercher à fuir, il a reçu quinze coups de couteau, dans la gorge, le torse, la main gauche, le visage, l'oeil droit:

Pour moi [la pire chose au monde], cela a toujours été et est toujours la cécité.

 

  • Il parle de sa dernière épouse Eliza avec laquelle il file le parfait amour depuis le 1er mai 2017 et sa violente rencontre avec [une] porte en verre coulissante, et se pose la question pendant la pandémie de Covid-19:

Était-il possible, était-il même convenable ou moral de parler de bonheur alors que sévissait la pandémie ?

 

  • Il raconte son séjour de dix-huit jours à l'hôpital Hamot à Erié, où, donné pour mort, il survit miraculeusement, lui qui ne croit pas aux miracles:

J'ai beaucoup appris au cours de ces journées sur l'étonnante capacité du corps humain à se réparer tout seul.

 

  • Il relate sa rééducation au centre de réhabilitation de Rusk où, pendant ses nuits d'insomnie, il pense au Couteau comme idée:

- Un couteau n'était pas une arme à feu (laquelle n'a qu'un seul usage)

- Le langage aussi était un couteau, capable d'ouvrir le monde, d'en révéler le sens, les mécanismes internes, les secrets, les vérités.

 

  • Il fait sien le propos de Naguib Mahfouz, qui avait lui aussi survécu à un attentat islamiste au couteau:

On ne peut s'opposer à une idée que par d'autres idées.

 

  • Il défend l'amour contre la haine, l'art contre les idées reçues:

L'art n'est pas un luxe. C'est l'essence même de notre humanité et il n'exige aucune protection particulière si ce n'est le droit d'exister.

 

Un tel ouvrage, singulier, donne matière à réflexions à partir de celles de l'auteur, dont le lecteur n'est pas obligé de partager l'athéisme ni les convictions politiques mais dont il peut confronter l'expérience à la sienne, même bien moins grave, s'il a, comme lui, fréquenté hôpital et centre de rééducation.

 

Le lecteur peut aussi se dire que Salman Rushdie n'est pas l'homme d'un seul livre, celui qui lui a valu une fatwa, qu'il faut lire ses autres livres, ignorés jusque-là, ne serait-ce que pour vérifier qu'il est bien, ce que d'aucuns disent et que d'autres lui reprochent, une vraie icône de la liberté d'expression.  

 

Francis Richard

 

1 - Il a publié vingt-deux livres à ce jour, y compris celui-ci.

2 - Chautauqua se trouve au bord du lac éponyme dans l'État de New-York.

 

PS

Hier, 6 mai 2024, Salman Rushdie s'est vu décerner le Prix Constantinople, qui a pour vocation de rapprocher les deux rives du Bosphore et qui lui a été remis au Ritz, par Metin Arditi.

 

Le Couteau, Salman Rushdie, 272 pages, Gallimard (traduit de l'anglais par Gérard Meudal)

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

Reproduit par l'IREF le 10 mai 2024.

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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