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15 août 2022 1 15 /08 /août /2022 22:30
Le chagrin d'Icare, de Marie-Claire Dewarrat

Icarius Montefumato. C'est mon nom. Le vrai. L'officiel. Sans déguisement de pseudonyme. C'est celui qui est inscrit sur mon passeport, mon permis de conduire, ma carte de presse.

 

Icare a connu son heure de gloire. Il a commis plusieurs livres. Il a même reçu le prix Goncourt en son temps. Aussi connaît-il bien ce qu'écrivain veut dire et les rites qui vont avec.

 

Aujourd'hui sa quête est de faire main basse sur tout ce qu'il a écrit et qui n'a pas été acheté ni lu et de les rassembler chez lui. Dans quel dessein? C'est justement tout le propos du roman.

 

En tout cas ce qui est sûr, c'est qu'Icare est désabusé sur le livre en général et pas seulement au sujet des siens. C'est ainsi que, pour lui, le livre n'est pas libre et qu'il ne l'est même jamais:

 

Le jour de son achat, le livre tombe de l'asservissement du négoce dans celui d'un avenir de table de nuit, d'oreiller défraîchi, de bibliothèque de salon, d'étagère de lieux d'aisance, etc.

 

Le livre ne rend libre non plus ni l'écriveur ni le liseur. Aujourd'hui il sait que c'était une erreur de faire entrer un monde qui ne tourne pas rond dans le moule rectangulaire d'un livre.

 

Pourtant écrire lui est consubstantiel, comme c'est le cas pour ses semblables. La question n'est donc pas d'écrire ou de ne plus écrire, mais d'écrire ou mourir. C'est aussi simple que ça.

 

Que lui est-il arrivé? En italiques, on apprend peu à peu le traumatisme subi après la chute de l'Al Bekaba, où lui et d'autres ont été soumis à la question pour blasphème de la libre pensée.

 

L'Al Bekaba? La plus ancienne, la plus vaste, la plus essentielle bibliothèque du monde. La première. La seule. Où Icare avait été admis dans un contingent étranger pour un séjour d'études.

 

Il ne se doutait pas qu'un Ordre Nouveau serait instauré et que seraient mis au pilori tous les ouvrages des participants et la disparition concomitante du quota féminin de son contingent.

 

Icare en a réchappé, ce qui ne fut pas le cas de tous ses confrères. Son cerveau a en quelque sorte été lavé et, après qu'il est sorti de l'hôpital, il a commencé sa quête de ses propres livres.

 

Cette quête le mène dans toutes sortes de librairies et de bibliothèques, jusqu'à des boîtes à livres même. Et il ne se contente plus dès lors de les acheter, au besoin il subtilise, ni vu, ni connu.

 

Quel sort réserve-t-il à ses livres oubliables, pour l'écriture desquels, après tout, il n'a souffert que de chercher le mot juste pour exprimer justement l'idée juste [qu'il] voulait transcrire?

 

Il sait maintenant que la dépouille des livres est condamnée à ne jamais connaître la paix des morts autrement que par le pilon ou le bûcher. Encore faut-il être capable de passer à l'acte... 

 

Francis Richard

 

Le chagrin d'Icare, Marie-Claire Dewarrat, 192 pages, Éditions de l'Aire

 

Livre précédent:

 

Couchers de soleil- Ernest, Maurice, Siegfried (2020)

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14 août 2022 7 14 /08 /août /2022 17:00
Gore de mer, Collectif

Lire Gore de mer en bord de mer, voilà ce que propose Gore des Alpes. Pour répondre à la proposition, rien de tel que de s'asseoir près de l'Atlantique, les doigts de pieds en éventail.

 

Le gore, c'est comme la misère, c'est moins pénible au soleil et c'est tout bénéfice que de frissonner enfin un peu, sous canicule et par sécheresse, en cédant à cette invite aquatique.

 

Dans cet hors-série estival, on retrouve quatorze des plumes de la collection, classées par ordre alphabétique:

 

Philippe Battaglia, Gabriel Bender, Louise Anne Bouchard, Eric Felley, Nicolas Feuz, Jean-François Fournier, Jordi Gabioud, Olivia Gerig, Stéphanie Glassey, Marie Javet, Joël Jenzer, François Maret, Nicolas Millié et Olive.

 

Trois autres plumes les ont rejointes à l'occasion de ce festival hors normes et collectif:

 

Joël Cerutti, Dita von Spott et Vincho.

 

Le résultat est là: c'est bien gore, c'est-à-dire sanguinolent et épouvantable. Cela rappellera à d'aucuns leurs émois d'ado quand, en bande hilare, ils allaient voir des films d'horreur.

 

La mer? C'est par exemple l'Atlantique autour d'Ouessant, la Méditerranée à Monte-Carlo, la Mer du Nord au large des côtes du Danemark ou le Pacifique de la lointaine Papouasie.

 

Quand les adeptes du Gore des Alpes ne vont pas à la mer, c'est la mer qui vient à eux, comme dans ce futur fantasmé (et réchauffé... ), où on en est, en 2041, à la Covid-38...

 

(La Patrouille des Glaciers y est devenue, en 2092, la Patrouille des Sablés...)

 

Les créatures ne manquent pas à l'appel de la faible chair, que ce soit dauphins-garous, poissons mortels, chimères homme-animal, murènes visqueuses, sirènes tueuses, ou bien.

 

D'aucuns, cinéphiles, feront le lien entre certaines de ces nouvelles et des films mythiques, au point parfois d'en reprendre même à peu près le titre, mais pour en mieux noircir le trait.

 

Un cliché est de dire que la Suisse est l'un des pays les plus sûrs. Dans les faits, c'est vrai. Dans les esprits, ce l'est moins. Les idées noires émanant de cet opus ne les rassureront pas.

 

Francis Richard

 

Gore de mer, Collectif, 144 pages, Gore des Alpes (N°19)

 

Livres précédents de la collection:

 

Tunnel pour l'enfer, Marie Javet (N°16)

Take it easy, Eric Felley (N°17)

Buffet de campagne, Olivia Gerig (N°18)

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12 août 2022 5 12 /08 /août /2022 17:10
Comment ferait Lubitsch?, de Tomaso Solari

Tu dois savoir à mon sujet que je suis habité par le cinéma. Il m'est parfois impossible de faire la différence entre ce qui est film et ce qui ne l'est pas. Au fond, qu'importe, le monde n'est-il pas un théâtre1, chacun se mettant en scène et jouant la vie qu'il se raconte?

 

Né le 3 août 1966, Harper est un riche héritier américain, multimillionnaire jusqu'à 40 ans. Sa mère est une Fitzpatrick, son père un Finnegan. Les Finnegan, comme les Fitzpatrick, sont bourrés aux as.

 

Le père de Harper, Colm, esprit libre, après avoir légué sa fortune à sa femme Siobhan, qu'il n'a jamais aimée - cette ancienne hippie vit depuis sous médicaments - est parti sans laisser d'adresse.

 

Aussi Harper a-t-il été élevé par sa grand-mère paternelle, Deirdre, qui répond volontiers à toutes ses questions, à l'exception de celles qui ont trait à son père absent, dont il ne sait s'il est mort ou vif.

 

La réponse se trouve vraisemblablement dans un album de photos et de coupures de presse que sa grand-mère lui interdit de regarder et dont il sait seulement qu'en première page se trouve cette phrase:

 

THE TRUTH SHALL SET YOU FREE. OR IT SHALL KILL YOU.

LA VÉRITÉ VOUS RENDRA LIBRE. OU ELLE VOUS TUERA.

 

Harper est artiste. À huit ans, il a été transfiguré par hasard à la vue d'une fine femme polonaise qui donnait un concert de piano retransmis à la télévision: Quand j'ai besoin de respirer, je joue du piano.

 

Harper est excentrique. Un de ses jeux est Suivez cette voiture. Il hèle un taxi et lui demande de suivre une voiture jusqu'à ce qu'elle s'arrête et, de là, quelle que soit la distance, il rentre à pied chez lui.

 

À 40 ans, il décide de ne plus papillonner dans les pages de [son] existence. Convaincu que le pouvoir de l'amour est plus fort que celui de l'argent, il se lance dans le cinéma: Comment ferait Lubitsch?

 

Il fait comme aurait fait Billy Wilder, inspiré par Ernst Lubitsch, et dépense une bonne part de sa fortune dans de nouvelles productions d'Ariane, sorti en 1957, où il entend incarner Franck Fannagan.

 

Car Harper voudrait aimer, comme le personnage joué par Gary Cooper (A-t-on pleinement vécu si l'on n'a jamais pleinement aimé?); il voudrait savoir qui il est, mais le sait-on sans connaître ses origines?

 

Tomaso Solari, en connaisseur, restitue les pages de l'existence de Harper dans le contexte des États-Unis des années 1960 aux années 2000, avant qu'au bout de sa quête ne pointe l'aube d'une autre vie.

 

Francis Richard

 

1 - Le monde entier est un théâtre..., disait Jacques, dans Comme il vous plaira, de William Shakespeare...

 

Comment ferait Lubistch?, Tomaso Solari, 320 pages, Éditions Encre Fraîche

 

Livre précédent:

 

De si rudes tendresses (2017)

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9 août 2022 2 09 /08 /août /2022 22:00
Mon chéri à Gérimont, d'Adèle Rose Virpyr

Si mon prénom est le mien, mon pseudo, je l'ai fabriqué comme un hybride vir homme en latin, et pyr le feu en grec, soit le feu de l'homme ou l'homme de feu, quel plus beau nom pour une femme!

 

En fait, sous cette maternité pseudonyme revendiquée, se cache un auteur, dont les prénoms et le nom sont l'anagramme...

 

Le lecteur compulsif de littérature romande le reconnaîtra à sa hardiesse et à sa verdeur d'expression, à ses allitérations...

 

Mais, peu importe. Adèle adresse, dans Gérimont 13, une lettre, depuis la Damonie, à son chéri, le commissaire Serjv Rodal.

 

Rodal, que connaissent les fidèles lecteurs du cycle, se trouve à Gérimont et Adèle ne l'a pas revu depuis des révolutions.

 

La Damonie est une vallée à part depuis la Montée, celle des eaux, lesquelles ont surgi en ce pays de montagnes et de lacs.

 

Adèle, ne sait si elle reverra un jour son vieil amant, s'il lira cette lettre, mais celle-ci témoignera qu'elle ne l'a pas oublié.

 

Dans cette lettre chaotique, c'est-à-dire où l'épistolière ignore la chronologie et la géographie, Adèle confesse sa vie intime.

 

En manque d'amants, ou pas, elle joue avec son clitoris1, comme Aladin le fit avec sa lampe, pour jouir, tout simplement.

 

Adèle est conforme à la vénération que vouent les habitants de la Vallée à cet organe de jouissance, reproduit un peu partout:

 

À chaque carrefour le travailleur, le citoyen, l'humain, le Damoni, ces mots sont synonymes, voit un clitoris en pierre, en fer ou en bois peint de pourpre sur son socle, borne, stèle, pierre milliaire de bois généralement, rappel de ce rôle essentiel.

 

La vie en Domanie est soumise à des règles (auxquelles se soumettent neuf habitants sur dix) édictées par les Lumineux.

 

Ces règles ont permis et permettent une vie harmonieuse entre les habitants qui peuvent travailler et copuler allègrement.

 

En effet, le but de ces règles est de maintenir le nombre d'habitants sans pour autant devoir freiner le nombre de naissances.

 

Pour y parvenir, les naissances ne doivent pas excéder les morts dont une partie sont des pendus pour non-respect des règles:

 

La règle doit être respectée d'autant mieux que l'on a besoin des infractions pour réguler la population par des peines de morts judicieusement prononcées dans l'intérêt de la démographie et dont la fréquence variera en fonction du taux de natalité, un pour tous, tous pour un.

 

Aussi de nouveaux arrivants ne sont-ils acceptés que pour équilibrer les pertes éventuelles, à condition qu'il s'agisse d'impétrants:

 

Pour les humains il était préférable de ne pas admettre d'immigrés qui sont des émigrés donc insatisfaits ou en rupture de ban, explorateurs, curieux ou dissidents, rebelles, moteurs sans doute dans la prédation, la rivalité ou la mendicité et, en un mot, le pire, décidés à réaliser leur rêve envers et contre tout.

 

Le travail, comme le sexe, fait partie de l'équilibre. L'idéal est de faire nombre d'apprentissages, d'exercer nombre de métiers.

 

Adèle, comme son vieil amant, en quête d'harmonie, aime concilier les contraires, ce que confirme sa vision de son monde:

 

En fait l'utopie n'existe pas, c'est un non-lieu et la dystopie est son contraire dissymétrique, elle est également un non-lieu.

[...]

Notre vallée est le meilleur exemple d'utopie dystopique.

 

Francis Richard

 

1 - Ce mot est peut-être celui qui a le plus d'occurrences dans cette lettre peu banale.

 

Mon chéri à Gérimont (Gérimont XIII), Adèle Rose Virpyr, 248 pages, Hélice Hélas

 

Le Cycle de Gérimont:

 

Par Stéphane Bovon:

 

Gérimont Olivier Morattel Editeur (2013), Hélice Hélas (2017)

La lueur bleue (Gérimont II) Olivier Morattel Editeur (2014), Hélice Hélas (2019)

Les deux vies de Louis Moray (Gérimont III) Olivier Morattel Editeur (2015), Hélice Hélas (2022)


Par Karl-Reinhardt Übersax-Müller:

 

Vevey sous les eaux (Gérimont XI) (2022)

 

Par Lefter Da Cunha

 

Le dragon de Gérimont (Gérimont XII) Hélice Hélas (2017)

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21 juillet 2022 4 21 /07 /juillet /2022 22:55
Les Chats noirs de Gallipoli, de Laurent Koutaïssoff

Pour elle, c'était un signe: son acte s'inscrivait dans la durée, les chats noirs allaient se multiplier et rendre son geste éternel dans la mémoire de tous.

 

Dans ce roman, deux histoires se déroulent parallèlement, mais n'en font qu'une, finalement. L'une commence en 1926 à Gallipoli, dans les Pouilles, province de Lecce, l'autre en 2018, à Lausanne, canton de Vaud:

 

La date n'a pas d'importance. Les pendules ne se sont pas arrêtées. C'est arrivé. C'est tout.

 

Le point, et lieu, commun de ces deux histoires? Une église de Gallipoli, Santa Maria della Puritâ. Comme deux cours d'eau, elles y font leur jonction, et l'ésotérique y joue son rôle, sans que l'avenir soit déterminé.

 

Renonçant à la médecine, il a consacré toute sa vie à l'histoire de l'architecture. Ce 3 septembre 2018, alors qu'il examine une diapositive de l'église de Gallipoli pour préparer son cours, deux policiers l'interrompent.

 

Ils sont venus lui annoncer la terrible nouvelle et l'emmènent là où le corps de son fils repose sous une bâche, après avoir été renversé par un camion, afin qu'il le reconnaisse: ce jour-là, il franchit les portes de l'attente.

 

Ce 24 juillet 1926, Francesca Badolati suit Giuseppe Barba, dit Beppe, dans le cortège, où il conduit, comme les autres, la statue de Santa Cristina, patronne des pêcheurs, jusqu'à la jetée, où elle sera chargée sur un bateau.

 

Pour Francesca, qui, dix-sept ans plus tôt, a été trouvée à l'aube, emmaillotée devant Santa Maria della Puritâ, l'église de la grande plage aux pieds des remparts, et pour Beppe, qui se sont vus, c'est le début de l'amour.

 

Ce que ni l'un ni l'autre ne sait, c'est que ce sera un amour fatal. C'est le récit de cet amour et de son influence sur le professeur qui est la trame de ce roman de Laurent Koutaïssoff, où la vie et la mort sont les protagonistes.

 

À Tina, la diseuse d'avenir, pour ce qui concerne Francesca, Beppe, les enfants qu'ils auront, deux cartes se sont imposées. L'une représente la chance, l'autre la prudence, une invitation à regarder le monde différemment.

 

Peut-être faut-il donc voir dans ce roman un apologue. Certes personne ne maîtrise complètement sa vie, mais, pour bien agir, il faut saisir la chance qui se présente et ne pas être esclave de la prudence [ni] de la solitude.

 

Francis Richard

 

Les Chats noirs de Gallipoli, Laurent Koutaïssoff, 304 pages, Bernard Campiche Editeur

 

Livre précédent:

 

Atlas (2020)

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18 juillet 2022 1 18 /07 /juillet /2022 22:55
Au plus profond du moins profond, de Christian Vellas

"Repère bien les trous: les truites sont au plus profond du moins profond..." Paroles sibyllines pour le profane, mais que l'on comprenait tout de suite au bord de l'eau.

 

Le titre de ce recueil de sept nouvelles reprend celui de la première. Dans celle-ci Florian, qui se rend au mariage de son meilleur ami, au volant de sa voiture, se souvient entre autres, en voyant un torrent en contrebas sauter entre les rochers, de ce que lui conseillait son père, fin pêcheur.

 

Dans vingt-quatre minutes il ne sera plus de ce monde. Il ne lui reste plus que vingt kilomètres à parcourir avant l'accident mortel. Il n'était pas enregistré si tôt dans les entrées au Paradis. Toute sa vie ne se déroule donc pas dans sa tête, hormis le souvenir des baisers échangés avec Justine...  

 

Dans le Testament d'un faussaire, le narrateur souffre d'avoir été capable d'égaler les plus grands et de mourir ignoré. Il raconte comment enfant surdoué, il en est arrivé non pas à faire des copies mais à peindre à la manière de. Il est mouillé jusqu'au cou dans un système dont il aimerait sortir...

 

Dans Le secret de famille est dans l'arbre, Jean a reconstitué la généalogie de sa famille, sans tenir compte du fait qu'on sait qui sont les mères, qui accouchent devant témoins, mais qu'on ne peut pas toujours être sûr du père, qui peut être un délinquant ou transmettre une maladie héréditaire...

 

Dans Le diable boit une bière, celui-ci choisit de pervertir la serveuse du café où il s'est installé en attendant de prendre le train. Il lui montre l'argent qu'il transporte dans sa mallette rouge, s'enquiert de ce qu'elle gagne, lui propose une somme pour l'aller rejoindre dans le confessionnal de l'église...

 

Dans Le partage, la mère Garcin a eu dix enfants et veut régler sa succession de son vivant. La justice n'est pas de faire des parts égales mais de tenir compte de la situation de chacun. Mais d'aucuns s'estiment lésés tandis que d'autres qui ne le sont pas prennent parti, jusqu'au décès de leur mère...

 

Dans Nous n'irons plus au bois, les cheveux sont coupés, le narrateur rentre chez lui à la fin de la guerre après une longue absence. Sa femme n'est plus là, elle ne l'a pas attendue. Elle a été tondue à la Libération, pour collaboration. Il en est devenu fou et suit une mauvaise pente, qu'il regrettera...

 

Le sanglier des Noirettes est une bête féroce dont la tête énorme est accrochée dans une église de Haute Provence. Comment est-elle arrivée là? C'est une longue histoire, celle de la traque qu'Omer mena contre le monstre et qui est l'occasion pour lui de se remémorer les hauts faits de [son] village...

 

Ce recueil, imprégné du monde d'avant, celui de la chrétienté, souligne la complexité de l'existence, en partant de faits, un accident, des infidélités, la perte d'êtres chers, et de ressentis, un manque de reconnaissance, un sentiment d'injustice, un moment de honte vite passé. Son réel mouvement?

 

Du moins profond au plus profond.   

 

Francis Richard

 

Au plus profond du moins profond, Christian Vellas, 136 pages, Slatkine

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17 juillet 2022 7 17 /07 /juillet /2022 11:45
La tyrannie des minorités, de Jean-Claude Schwarz

Notre civilisation, au nom du modernisme, d'internet, du cloud, etc. prétend que jamais l'homme n'a été aussi libre qu'actuellement. Mon dessein est de montrer le contraire par quelques exemples concrets et d'exprimer tout haut ce que d'autres pensent tout bas.

 

Pour Jean-Claude Schwarz, la pierre angulaire de la transformation de notre société est Mai 68 et, depuis, la contestation de l'autorité et de ce qui à ses yeux est incontestable est devenue le leitmotiv de certaines minorités actuelles sans que personne ne tente de s'interposer.

 

OUTRANCES ET DÉMESURES

 

Les outrances et les démesures de minorités se manifestent dans:

 

- L'éducation: à l'école il s'agit de plus en plus d'apprendre à contester; en famille il ne faut plus punir et ne pas s'opposer, par exemple, aux jeux vidéo, qui peuvent être d'une rare violence, et à l'usage des téléphones portables, ce au nom de l'ouverture d'esprit, sans tenir compte du degré de maturité de l'enfant.

 

- Les informations: l'oppression physique est désormais également psychologique; la connaissance de ce qui marche bien ailleurs, conjuguée aux guerres, favorise l'émigration et le non-respect de la laïcité par des nouveaux venus, faute de mesures contraignantes.

 

- Le féminisme: l'égalité n'est plus seulement revendiquée. Il s'agit de discréditer les hommes, voire de les traduire devant le tribunal de l'opinion publique et de ne pas réserver les procédés reproductifs sans relations aux seuls couples infertiles, quelles qu'en soient les conséquences psychologiques pour les enfants à naître.

 

- Le racisme: s'il est condamnable, parce qu'il se traduit par de l'agression envers les autres ou par des privilèges accordés à d'aucuns aux dépens des autres, il ne doit pas non plus être instrumentalisé pour couvrir les méfaits commis par ceux qui s'en prétendent victimes.

 

- Les idéologies radicales: le wokisme, l'islamo-gauchisme ou le suvivalisme sont destructeurs.

 

- L'écologisme: il est parvenu de manière insensée à imposer les éoliennes, la sortie du nucléaire, la généralisation des voitures électriques, sans considérer leur bilan carbone catastrophique à la fabrication...

 

- La justice dont il donne des exemples de failles et de laxisme.

 

CONDAMNATIONS SÉLECTIVES

 

Ces constats sont admissibles. L'auteur est moins convaincant quand il s'en prend:

 

- aux Gilets Jaunes qui, à l'origine, se révoltaient légitimement contre la hausse de la taxation, déjà prohibitive, des carburants, puis ont été récupérés par l'extrême-gauche, enfin ont été discrédités par les exactions commises par les nervis de celle-ci;

 

- aux GAFAM, non pas pour leur connivence avec les pouvoirs publics ou pour leurs idéologies délétères, mais parce qu'ils sont le pouvoir de l'argent;

 

- aux réseaux sociaux parce qu'ils répandent les fake news des uns et des autres, qu'ils s'en prennent violemment à des personnes et qu'il faudrait donc réguler;

 

- à la junk science, qui sert les intérêts de grandes entreprises pour valider l'innocuité de leurs produits mais dont il exonère curieusement les fabricants des prétendus vaccins (parfaits en théorie, très imparfaits dans la pratique) contre le SARS-CoV2;

 

- au complotisme, qui voit dans des événements le résultat de complots ourdis par des minorités actives, ce qui peut s'entendre, mais dont on accuse dorénavant ceux qui récusent la vérité officielle, comme, pendant la pandémie, le firent des médecins qui ont soigné précocement (de plus en plus d'études leur donnent maintenant raison) et ont mis en cause les prétendus vaccins, lesquels s'avèrent beaucoup moins protecteurs qu'annoncé, n'empêchent pas de contaminer et ont des effets indésirables qu'il ne faut pas minimiser.

 

(j'ai sursauté quand j'ai lu sous la plume de l'auteur que se faire vacciner est un devoir citoyen: c'est une décision personnelle à prendre après avoir mis en balance, avec son médecin, les bénéfices et les risques)

 

D'UNE TYRANNIE L'AUTRE

 

Comme remède à ce que l'auteur appelle La tyrannie des minorités, qui ne l'est qu'avec la complicité tacite des pouvoirs publics et des médias, il préconise... une autre tyrannie, celle du mondialisme, autrement dit d'un gouvernement mondial. À qui faudrait-il confier ce gouvernement mondial? Peut-être à l'ONU, cette merveilleuse institution...

 

Or, pour ne prendre que les exemples récents de la prétendue urgence climatique et de la pandémie de CoViD19 (dont il ne fallait ni minimiser ni surestimer le danger), les Nations Unies, via le GIEC et l'OMS, qui appartiennent à son système, ont surtout défendu, sous couvert scientifique, les intérêts politiques de certains dominants qui les financent.

 

Que devrait faire un gouvernement mondial, selon l'auteur? L'énoncé de quelques tâches, qu'il lui attribue, suffit à en montrer le rôle tyrannique qu'il jouerait, conforme à la doxa, qui est de ne pas faire confiance aux personnes et de réduire leurs libertés individuelles au nom d'un intérêt général indéfini et indéfinissable:

 

- réguler les naissances pour éviter la surpopulation;

 

- prendre des mesures pour gommer certaines inégalités et aider d'une manière intelligente les pays pauvres à s'en sortir;

 

- repenser notre monde industriel et agricole qui dans ses excès, détériore la planète;

 

- lutter contre le réchauffement climatique;

 

- maîtriser la surexploitation des ressources;

 

- trouver un meilleur équilibre entre les riches et les pauvres.

 

CONCLUSION

 

Afin de nous libérer de tous les problèmes abordés, il est indispensable que notre société prenne conscience que sans interdits, elle est vouée à l'échec.

 

N'en déplaise à l'auteur, la seule issue pour résoudre les vrais problèmes qui se posent à l'humanité, ce n'est pas de multiplier les interdits pour résoudre de faux problèmes, c'est de mettre l'humanité au centre de l'univers, de lui faire confiance, en développant dès l'enfance l'esprit critique et en mettant au-dessus de tout les droits naturels, d'où découlent des règles universelles:

 

Personnalité, Liberté, Propriété - voilà l'homme, disait Frédéric Bastiat, dans La Loi (1850).

 

Francis Richard

 

La tyrannie des minorités, Jean-Claude Schwarz, 110 pages, Éditions de l'Aire

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9 juillet 2022 6 09 /07 /juillet /2022 22:55
Gameuse, d'Annik Mahaim

Gabriella n'a pas pour projet de tuer les contes, de leur retirer tout intérêt, de ruiner leur magie, encore moins de les censurer... Elle veut simplement ajouter des embranchements au grand arbre des histoires, cet arbre vivant, quasi généalogique.

 

Pour ce faire, Gabriella s'installe devant son écran et joue du clavier. Son but est de créer un jeu vidéo à partir des histoires contenues dans une chemise en papier fort violette.

 

Le cadre est donc particulier, puisqu'il comprend des cinématiques, des boîtes de dialogue, des menus avec choix et non-choix, des détournements dus aux bugs et algorithmes.

 

C'est une satire malicieuse de l'époque et de celles qui l'ont précédée, puisque l'avatar de Gabriella, Combattante, emprunte à six reprises la route du temps, c'est-à-dire le remonte.

 

Après avoir eu pour mission de sauver la petite sirène1, elle doit redonner espoir à la ménagère désespérée2, préserver deux fois l'intégrité de Barbarelline3 à l'ère du peace and love.

 

Son avant-dernière mission est de démolir le plafond de verre auquel se heurtent les pionnes blanches face aux pions noirs: pour y parvenir Gabriella doit reprendre la main...

 

Sa dernière est d'exploser le tutoriel beauté, qui veut obliger la gent féminine à l'esthétique, chirurgicale ou pas, pour atteindre à la plastique impeccable qui plaira à l'autre gent...

 

En fond sonore, et pour illustrer le propos, deux chansons trottent dans la tête de Gabriella, Femme libérée de Cookie Dingler et Femme des années 80 de Michel Sardou... 

 

Même si l'auteure se défend d'avoir écrit un essai sous cette forme ludique4, le fait est que toutes les protagonistes sont confrontées aux préjugés des hommes et... des femmes.

 

Francis Richard

 

1- L'héroïne du conte de Hans Christian Andersen.

2- Une desesperate housewife en quelque sorte.

3- Inspirée sans doute de Barbarella, le personnage de la bande dessinée de Jean-Claude Forest...

4- Un mot désuet que ne comprennent plus des lycéens français...

 

Gameuse, Annik Mahaim, 112 pages, Isca

 

Livres précédents:

 

Pas de souci! Plaisir de lire (2015)

Radieuse matinée Éditions de l'Aire (2016)

La femme en rouge Plaisir de lire (2018)

Les dressings Éditions de l'Aire (2021)

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5 juillet 2022 2 05 /07 /juillet /2022 16:00
Les Démons de Mulatu, de Grégoire Müller

La passion de Yolande pour la Peinture, ce n'est pas à Gustave qu'elle la doit. Par contre, encore maintenant, chaque fois qu'elle prend un peu de recul pour voir où elle en est avec une de ses oeuvres en cours, c'est comme s'il était là, juste derrière elle. Silencieux, s'abstenant de juger, mais bien présent.

 

Yolande Mulatu s'est retrouvée toute seule à seize ans. Sa mère Solange a fait une tentative de suicide et s'est retrouvée dans un hôpital psychiatrique, et son petit frère Axel est mort dans ses bras, au cours de sa chute.

 

Préalablement son père Amadu Mulatu, un Éthiopien d'origine, a disparu sans laisser de traces. Gustave était le meilleur ami de ses parents et est devenu non pas son oncle ni son mentor, mais son ombre tutélaire.

 

La véritable destinée de Yolande est la peinture. Si elle habite Delémont, c'est de la grange de Gustave qu'elle a fait son atelier, le lieu où sa vocation de peintre pourrait s'épanouir, ne se souciant guère des ragots:

 

Cela avait fait jaser les gens: ce vieil excentrique et cette jeune métisse.

 

Les années ont passé et, à la fin des années 2010, Yolande Mulatu consacre désormais l'essentiel de son temps à son art, dans cette vieille grange, située sur une pente douce en plein pâturage, près de Porrentruy.

 

Les Démons de Mulatu décrit l'univers et le destin de cette artiste-peintre, qui n'a pas de complaisance pour le monde de l'art. Grégoire Müller, en connaissance de cause, dépeint l'envers du décor de celui-ci.

 

Car il y a des gens dans ce petit monde qui sont à l'affût de la perle rare et qui sont prêts à tout pour l'exploiter. Ce qui les intéresse, ce n'est pas tant la valeur artistique des oeuvres que leur valeur marchande.

 

Pour faire d'un artiste une valeur sûre, ces gens de ce monde artificiel développent une stratégie qui comprend vernissages de galeries, articles de presse, voire publications d'ouvrages, ventes aux enchères.

 

Un artiste, digne de ce nom, qui prend tous les risques de l'authenticité, ne peut qu'éprouver un malaise face à de telles manoeuvres, d'autant plus quand ses oeuvres révèlent volontiers son âme dans son intimité.

 

Amadu avait légué à Yolande une question, tirée d'un conte éthiopien: À quoi te fieras-tu: au hasard ou à ton intelligence? Elle avait fini par comprendre et admettre que, dans sa propre vie, l'un n'exclurait pas l'autre.

 

Avec la pandémie, l'artificiel du monde de l'art a atteint des sommets. Alors, si l'on ne peut s'en passer, le meilleur moyen n'est-il pas de s'en servir pour préserver des oeuvres dont le pouvoir est d'inspirer des vies?

 

Francis Richard

 

Les Démons de Mulatu, Grégoire Müller, 208 pages, Les Éditions de l'Aire

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3 juillet 2022 7 03 /07 /juillet /2022 19:15
Vérita, de Karel Gaultier

Dans l'ensemble des articles qui relataient les travers de personnages connus sur le Rocher, il semblait avoir pris en grippe l'oligarque russe Karatov et ses transactions financières dont la base légale apparaissait souvent contestable. Ses articles étaient signés Vérita, journaliste d'investigation.

 

Qui se dissimule derrière le pseudo Vérita? En tout cas le lanceur d'alerte est bien renseigné et d'aucuns, connaissant sa réputation, n'hésitent pas à entrer en contact avec lui pour lui transmettre des informations.

 

Qu'il ait pris en grippe l'oligarque russe, est un euphémisme. Aussi, quand il reçoit des photos d'une partouze qui s'est déroulée sur son yacht, mettant aux prises des personnalités, n'hésite-t-il pas à les mettre en ligne.

 

S'il voulait nuire à la réputation de l'oligarque, il n'aurait pu faire mieux. Car, le résultat est là, inattendu, la femme soumise de Youri Karatov, Katarina, qui n'a jamais été pour lui qu'un trophée, demande le divorce.

 

Non seulement cela, mais Katarina Karatova demande à recevoir la moitié de sa fortune, qui, entre parenthèses, provient surtout de celle de son père à elle. Évidemment l'oligarque n'entend pas se laisser dépouiller.

 

Un galeriste lui propose de diminuer sa fortune apparente en faisant l'acquisition non déclarée d'une toile de Picasso, La Crucifixion, peinte en 1929, qui serait un brouillon de celle du Musée Picasso de Paris.

 

Des meurtres sont commis tout au long du récit. Il s'agit à chaque fois de proches de l'oligarque ou de personnes qui en savent trop sur lui, sans qu'il soit possible de réellement l'incriminer ou d'y voir une autre main.

 

Katarina, elle-même, est l'objet de rumeurs quant à sa fidélité. Or ni Youri, ni elle, ne tiennent à ce que leur fille Ivana, qui va avoir vingt ans, ne souffre de leurs différends. Ils font donc provisoirement la paix.

 

Hormis deux des protagonistes, Edmond Berger et Gretel Artsmann, personne n'est au courant que La Crucifixion est un faux: le premier l'a peinte, la seconde feint de l'avoir découverte avec d'autres esquisses.

 

Cela n'empêchera pas La Crucifixion d'être mise aux enchères comme s'il s'agissait d'un véritable Picasso lors d'une orgie mondaine et mondialisée afin de sauver la mise de tous ceux qui sont mêlés à l'affaire:

 

Au fond, la question de savoir si l'oeuvre était authentique ou non ne se posait plus. Seule comptait la spéculation qui allait transformer un tableau inconnu en la toile la plus chère du monde.

 

L'identité de Vérita n'est, bien sûr, révélée qu'à la fin. Les mondes de la mafia, de la banque, de l'art, du barreau, de la politique, sont dépeints sans concession par l'auteur, sous les cieux de Genève, Paris ou Monaco.

 

Vérita aura lui-même menti pour ne pas se dévoiler et aura même été hypocrite afin de mener à son juste terme le clair dessein qui le meut depuis des années. Ses attitudes illustrent le paradoxe de Gustave Thibon:

 

Le mensonge est un hommage à la vérité, comme l'hypocrisie est un hommage à la vertu.

 

Francis Richard

 

Vérita, Karel Gaultier, 352 pages, Slatkine

 

Livre précédent:

 

Jackson Hole (2020)

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30 juin 2022 4 30 /06 /juin /2022 22:55
Le Grand Zack, de Guy Mettan

- Quant aux hommes, je ne sais pas si je les aime ou si je les déteste encore plus, déclara Sapienza. Parfois je les aime à la folie. Ils me touchent et je serais prête à mourir pour eux. Mais souvent ils me dégoûtent et je les fuis.

 

Ainsi parla Sapienza à Abe, son ancien collègue d'ONG et néanmoins ami. Cet homme, avant de partir en retraite, a, une dernière fois, tenu à retrouver la camarade de ses débuts.

 

Lui a poursuivi sa carrière dans des organisations internationales; elle a fondé en Afrique  une ONG, École pour tous, qui finançait des écoles, des repas et des fournitures scolaires.

 

Comment peut-on donc aimer selon Sapienza ? Pour aimer, il faut oser. Ignorer le jugement d'autrui, toujours mesquin. Fuir les comparaisons et la morale. Il faut être libre.

 

Or Sapienza trouve que chez les prétendus civilisés bien éduqués il n'y a de compassion et de tolérance que sur les lèvres et qu'elles ne descendent jamais dans les coeurs.

 

Aussi Sapienza, excessive, a-t-elle une piètre opinion des hommes occidentaux d'une manière générale: ils sont condescendants et méprisants à l'égard des autres hommes.

 

Certes elle a raison de dire que les occidentaux, appartenant au soi-disant camp du Bien, ne se comportent pas toujours mieux que ceux qu'ils disent appartenir à celui du Mal.

 

Certes elle a raison de dire que les occidentaux ont bien souvent répudié indûment l'héritage de ceux qui les avaient précédés sur Terre, mais elle généralise et se trompe donc.

 

Certes elle a raison de récuser la violence qui détruit, la violence qui nie, la violence cachée, celle qui se cache derrière le voile de la science, mais elle tombe dans un travers.

 

Ce travers est de rejeter la technique en tant que telle, et de ne retenir que les mauvais usages qu'on en fait sans tenir compte des bienfaits qu'elle a apportés, apporte, apportera.

 

Le reproche qui pourrait lui être fait, c'est donc de tomber dans le  catastrophisme et d'en arriver comme nombre d'extrémistes à dire que l'humanité ne mérite pas de vivre:

 

Elle peut disparaître. Elle n'a apporté que destruction et souffrance.

 

Tout ce qui est excessif est insignifiant, disait Talleyrand et les faits, qui, comme Lénine le disait, sont têtus, montrent qu'en l'occurrence de tels propos n'ont pas vraiment de sens.

 

Sapienza, en revanche, est beaucoup plus crédible quand elle raconte à Abe La légende du Grand Zack qui veut dominer et asservir le monde au moyen de ladite technique.

 

Le Grand Zack, un occidental, a en effet la prétention de savoir mieux que les autres hommes ce qui est bon pour eux. Autrement dit il est prêt à faire leur bonheur malgré eux.

 

S'oppose à ses desseins un homme, qui, en apparence, est aussi faible qu'il est puissant et qui, ici ou là, dans des langues diverses, est qualifié d'ange, un ange qui dit la vérité.

 

La vérité est que Zack et ses semblables, par des moyens techniques, conditionnent les autres hommes de telle sorte que, pour assouvir leurs plaisirs, ils aspirent à la servitude:

 

Il nous suffit de procéder par petites touches invisibles, en canalisant, en ouvrant, en refermant, en augmentant ou en diminuant la pression dans les tuyaux suivant les besoins.

 

Il n'en reste qu'un à résister au Grand Zack, c'est le fameux ange. Aussi décide-t-il de l'affronter dans sa prison et de lui faire une proposition que, croit-il, il ne pourra refuser. 

 

Seulement ce prisonnier est un homme libre. Muet pendant tout l'entretien, il susurrera à Zack les mots de la fin à l'oreille, ce qui redonnera à Abe un ultime espoir dans l'humanité.

 

Francis Richard

 

NB

 

Le lecteur, qui suit l'actualité, aura identifié ceux qui ont inspiré à l'auteur Zack et son contraire angélique.

 

Le Grand Zack, Guy Mettan, 96 pages, Éditions des Syrtes

 

Livre précédent chez le même éditeur:

 

La tyrannie du Bien, 256 pages (2022)

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29 juin 2022 3 29 /06 /juin /2022 21:30
Take it easy, d'Eric Felley

J'ai le privilège de travailler pour un fleuron libéral de l'économie du pays, où l'esprit corporate est encore imprégné du sens de la famille comme un héritage précieux. Il y a trente ans, nous n'étions que des mutuelles de villages de montagne. Puis, au gré de fusions, d'acquisitions ou d'absorptions, et grâce à la loi sur l'assurance maladie obligatoire, le succès a été fulgurant.

 

Samuel Sauthier, surnommé Sam Sammler 1, alias SS, décrit en une phrase ce que la plupart des gens entendent par libéral. Le fleuron dans lequel Sam travaille a prospéré grâce à la loi sur l'assurance maladie obligatoire, autrement dit grâce à une loi qui n'est pas libérale du tout.

 

Plus loin Sam utilise le même adjectif pour qualifier des comportements qui, pour le moins, ne sont pas éthiques. Là encore, il s'agit de détourner le sens du mot, qui vient pourtant du mot liberté, laquelle n'existe pas sans respect de l'autre et en particulier de ce qui lui appartient.

 

Ceci étant dit, le personnage soi-disant libéral n'est rien moins qu'estimable, même si, à tout pécheur miséricorde, il n'est pas exempt de circonstances atténuantes. Car, dans la société qui l'emploie et qui n'est hélas pas la seule du genre, il occupe un poste qui n'est guère enviable.

 

Auparavant il prêtait sa plume au journal de l'entreprise, mais, à la faveur d'un remplacement, il s'est retrouvé dans le service clientèle, où le jeu consiste à trouver par écrit un prétexte pour ne pas rembourser des prestations. Il y a si bien réussi qu'il n'a pu réintégrer son poste originel:

 

L'ennui, quand on fait du bon boulot dans un sale boulot, est que personne ne veut vous changer.

 

Les Ressources Humaines lui ont accordé de partager son emploi du temps: Trois jours par semaine, je continuais au courrier. Les deux autres je rejoignais une équipe confidentielle. De quoi s'occupe-t-elle? D'exploiter le potentiel commercial du suicide assisté, sans réelle visée humaniste.

 

Tout cela n'explique évidemment pas pourquoi, le soir de Noël, il se retrouve en cellule de dégrisement. Alors le récit comble cette lacune. Comme dit plus haut, sans vouloir l'exonérer de toute culpabilité, ce n'est pourtant pas un affreux criminel, sauf peut-être aux yeux d'un animaliste.

 

Car les seuls crimes qu'il ait commis sont d'avoir involontairement écrasé le chat familial et d'avoir un peu trop abusé de boissons alcoolisées. Sinon, ce qui ferait vomir un député français fraîchement élu 2, il se régale d'araignées et de blattes dont il apprécie les chairs succulentes...

 

S'il a des pensées coupables, ce sont surtout dans ses rêves, où il accomplit des forfaits qu'il ne commettrait certainement pas dans la vraie vie. Et là, il faut le dire, il réalise toutes sortes de fantasmes qui sont dignes de la collection dans laquelle le livre satirique d'Eric Felley est édité.

 

Quant au titre, Take it easy, il s'inscrit dans la lignée de certaines entreprises d'aujourd'hui où il est d'usage de doubler [les] fins de phrase en anglais, signe de connivence dans le monde des affaires et, bien sûr, dans les entreprises qui pratiquent avec bonheur le crony capitalism 3...

 

Francis Richard

 

1 - Sammler veut dire collectionneur en allemand...

2 - Aymeric Caron

3 - Capitalisme de connivence

 

Take it easy, Eric Felley, 104 pages, Gore des Alpes

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18 juin 2022 6 18 /06 /juin /2022 22:55
Un été avec Colette, d'Antoine Compagnon

Du 5 juillet 2021 au 27 août 2021, du lundi au vendredi à 8h55, sur France Inter, Antoine Compagnon a passé Un été avec Colette. C'était l'été de l'instauration du passe sanitaire en France, mais il n'était pas exigé, et pour cause, de le présenter pour écouter la radio...

 

Dans ces émissions, soufflait un vent de liberté qui faisait un peu oublier combien elle était restreinte en France pour ceux qui refusaient de se faire vacciner avec un produit dont il n'était pas prouvé qu'il protégeait de l'épidémie ni qu'il en empêchait la contamination...

 

Pourquoi parler de vent de liberté s'agissant de Colette? Parce qu'en lisant le livre que lui consacre Antoine Compagnon, celle-ci apparaît comme une femme libre, en dépit du fait que, jeune mariée, elle ait été quelques années sous l'emprise de son premier mari, Willy:

 

Peu de femmes furent aussi libres que Colette, de leur corps, de leur sexualité, de leur plume. Elle fit mille métiers pour assurer son indépendance.

 

Colette sut rompre avec Willy, mais aussi avec un élément qui la liait à sa mère, Sido. L'auteur raconte qu'obéissant aux suggestions de Willy, mais aussi au plaisir sacrilège d'en être délivrée, elle coupa sa longue chevelure qui était le chef-d'oeuvre de vingt années de Sido.

 

Quoi qu'il en soit, même si elle eut du ressentiment à l'égard de Willy, à qui, en dehors de ses infidélités, elle reprochait surtout la vente des droits de la série des Claudine, qu'il avait d'abord signée de son seul nom, elle lui devait toutefois d'être devenue un grand écrivain.

 

Compagnon rappelle qu'un grand écrivain, c'est un écrivain après qui la langue n'est plus tout à fait la même. [....] Un grand écrivain, c'est aussi un écrivain qui crée des mythes, renouvelle notre mythologie. Or, dans le cas de Colette, elle en a créé au moins trois:

- Claudine,

- Sido,

- Gigi.

Sans parler d'elle-même...

 

Compagnon raconte évidemment les mille métiers que Colette a exercés: mime plus que danseuse ou actrice, journaliste, écrivain (au ton insolent), nourrissant une activité par l'autre; l'amour, qu'elle cherche comme tout le monde, auprès d'hommes et de femmes:

 

Les questions de genre et même de transgenre font aujourd'hui notre ordinaire; elles ne surprennent plus comme en 1900 ou en 1930, quand Colette les abordait sans masque, parlait franchement de l'homosexualité et du travestissement1.

 

Colette est gourmande - elle aime la cuisine familiale et rustique -; elle est familière avec les plantes comme avec les bêtes; elle est un écrivain sensuel pour qui le goût, l'odorat, le toucher, l'ouïe2 et, bien sûr, le regard sont vraiment essentiels et imprègnent toute l'oeuvre.

 

Colette ne cessera jamais d'écrire très librement bien qu'elle n'ait pas la plume facile. Dans Le Figaro Littéraire du 24 janvier 1953, jour de ses quatre-vingts ans, elle dit: Écrire ne conduit qu'à écrire. Avec humilité, je vais écrire encore. Il n'y a pas d'autre sort pour moi.

 

Francis Richard

 

1- Cela n'en faisait pas une féministe comme on l'entend aujourd'hui puisqu'elle se gardait de faire de la politique, mais elle l'était dans le sens où presque toutes ses femmes font preuve de leur force.

2- Elle a écrit pour Ravel le livret de L'Enfant et les Sortilèges.

 

Un été avec Colette, Antoine Compagnon, 256 pages, Éditions des Équateurs

 

Dans la même collection:

Un été avec Rimbaud, de Sylvain Tesson (2021)

Un été avec Pascal, d'Antoine Compagnon (2020)

Un été avec Paul Valéry, de Régis Debray (2019)

Un été avec Homère, de Sylvain Tesson (2018)

Un été avec Machiavel, de Patrick Boucheron (2017)

Un été avec Victor Hugo, de Laura El Makki et Guillaume Gallienne (2016)

Un été avec Baudelaire, d'Antoine Compagnon (2015)

Un été avec Montaigne, d'Antoine Compagnon (2013)

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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