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6 décembre 2021 1 06 /12 /décembre /2021 19:00
Deux petites maîtresses zen, de Blaise Hofmann

Le monde est une place de jeux.

 

Pendant sept mois, Blaise Hofmann voyage avec son amoureuse, Virginie, et ses deux filles, Eve, 3 ans, Alice, 2 ans, deux petites éponges amnésiques, qui sont partout chez elles et qui lui permettent par moments de retrouver sa propre enfance:

 

Septembre 2019: Japon

Octobre 2019: Cambodge - Laos

Novembre 2019: Birmanie

Décembre 2019 - Janvier 2020: Thaïlande

Février 2020: Sri Lanka

Mars 2020: Inde

 

Cette chronologie reconstituée, tant bien que mal, n'est pas celle de ce récit de voyage à quatre en Asie, interrompu pour cause de pandémie et qui aurait pu durer encore un mois ou deux, le temps d'aller faire un tour au Népal, par exemple.

 

Au Laos, au moment de s'endormir, Blaise Hofmann a à l'esprit des concepts fumeux: autarcie, mortalité infantile, empreinte écologique, respect des anciens, stagnation économique, circuit court. Au village, les habitants, pauvres, n'ont pas les convictions qu'il leur prête...

 

Au Japon, il s'interroge sur le monde qu'il va laisser à ses filles, alors qu'en Asie sévit une épidémie de dengue, qui s'étend sur toute la planète, sauf en Occident. Il dessine son itinéraire en fonction des chiffres publiés par l'Organisation mondiale de la santé...

 

Là le voyage ne serait pas le même s'il était tout seul: En famille, la liberté ne ressemble pas à un volcan enneigé, c'est plus modeste, c'est un espace clos, sans voitures, sans motos, sans vélos, sans danger, une cour de temple, une place de jeux, le grand lit d'un studio Airbnb, un cocon, un nid douillet.

 

Ce n'est donc pas vraiment un récit d'aventures, même si 40'000 kilomètres ont été parcourus en sept mois, mais plutôt un récit de rencontres, de lectures de livres de seconde main, de préoccupations parentales - attention - et de questions d'enfants - pourquoi.

 

Les 1'200 clichés pris avec son smartphone ne rendent pas compte de ce périple où tradition et modernité se mêlent: ils lui apparaissent en définitive comme des souvenirs froids, sans nuances, sans bruits, sans odeurs.

 

Dans un livre d'Annie Ernaux, Mémoire de fille, il trouve la réponse qu'il cherche à son besoin d'écrire ce qu'il vit: C'est l'absence de sens de ce que l'on vit au moment où on le vit qui multiplie les possibilités d'écriture.

 

Quand, en fin anticipée d'itinéraire, il s'agit d'embarquer pour le pays depuis l'aéroport de Delhi, les masques font leur apparition sur les visages et, attrapée - ou rattrapée? - par la paranoïa, la famille se tient dans un coin, à l'écart des autres êtres humains.

 

D'ailleurs, lorsque la famille arrive en Suisse, une autre règle de jeu s'applique: les filles ne doivent pas embrasser Tonton Alex qui a ramené la voiture en gare de Morges. Les rues sont vides et la récréation est bien terminée:

 

En traversant un village, les filles voient un tape-cul, un tourniquet et un animal à ressort, arrête-toi papa! Les installations sont habillées de rouges et blancs; un panneau rappelle que jusqu'à nouvel ordre, la place de jeux restera fermée.

 

Francis Richard

 

Deux petites maîtresses zen, Blaise Hofmann, 224 pages, Zoé

 

Livres précédents:

 

Monde animal, éditions d'autre part (2016)

La fête, Zoé (2019)

 

Avec Stéphane Blok:

Fête des vignerons 2019 - Les poèmes, Zoé et Bernard Campiche Éditeur (2019)

 

Collectif sous la direction de Louise Anne Bouchard:

Du coeur à l'ouvrage, L'Aire (2012)

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30 novembre 2021 2 30 /11 /novembre /2021 23:25
Casimir ou la vie derrière soi, de Pierre De Grandi

Un journal est l'ultime refuge où règne une totale liberté. Entre chance et discipline, il arrive même que cette liberté soit si transparente et si légère qu'elle mène à des instants d'apesanteur, d'allégresse.

 

Casimir, 88 ans, écrit, le 1er janvier, au début de son journal, cette phrase proustienne: Longtemps je me suis levé de bonne heure pour m'en aller sur les sentiers qui longent la rive du lac. Il en aura 89, quelques mois plus tard, le 15 septembre.

 

Le titre, Casimir ou la vie derrière soi, fait penser à Romain Gary, qui, pour le diariste octogénaire, fait partie des plus grands, ceux qui ont su se forger un style pour porter l'originalité de leur pensée et une vision du monde insolite et innovante.

 

Pierre De Grandi prête sa plume à Casimir, qui confie à son journal qu'il se sent fatigué - il s'abandonne à sa fatigue - et qu'il n'est plus temps pour lui de réparer des ans l'irréparable outrage. Le corps a ses raisons à partir desquelles il faut s'en faire une.

 

Quand, comme pour Casimir, la fin se profile, se pose la question de l'après-la-mort. Le leitmotiv de son journal est éclairé par l'épigraphe freudienne placée en tête: Si vis vitam, para mortem, ce qui signifie littéralement: si tu veux la vie, prépare la mort.

 

Casimir n'est pas croyant, comme peuvent l'être un chrétien ou un athée, dont il moque crûment les certitudes. S'il devait croire à quelque chose, ce serait au Tout, à l'immanence plutôt qu'à la transcendance, donnant, somme toute, raison à Spinoza.

 

Aussi ne craint-il pas tant la mort que la dépendance - le mot et la chose l'obsèdent -, surtout qu'après des mois plusieurs épées de Damoclès le suivent désormais en permanence et qu'il sait pertinemment que [son] principal facteur de risque est [son] âge.

 

Il n'a pas envie de finir ses jours dans un établissement pour dépendants. Il a en effet une piètre opinion de ses semblables, à l'exception de ses quelques rares amis survivants, et n'a donc pas du tout l'intention de finir sa vie en leur funeste compagnie.

 

Fin octobre, il s'interroge: Si je pense si souvent à la fin de la vie, si je n'ai pas peur de la mort, serait-ce secrètement parce que je la souhaite? À la fin de l'année, d'autres signaux d'alarme s'étant allumés, il prend ses dispositions avant le Tout, ou Rien:

 

Quitte à mourir, j'aimerais que ce soit avec cette mince couche de conscience lorsque, au cours d'une sieste, je sommeille assez superficiellement pour savoir que je dors.

 

Francis Richard

 

Casimir ou la vie derrière soi, Pierre De Grandi, 324 pages, Slatkine

 

Livres précédents chez Plaisir de lire:

 

Le tour du quartier (2015)

Quand les mouettes ont pied (2017)

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27 novembre 2021 6 27 /11 /novembre /2021 23:00
Léman - Légendes d'un lac, d'Isabelle Falconnier

Ce n'est qu'en me glissant au creux du lac, comme on se glisserait sous une couette infiniment moelleuse et accueillante, que je réussis à m'endormir.

 

Cette fin d'un rêve étrange que fait Isabelle Falconnier quand elle est enfant est le début d'une addiction au Léman. Quand elle a besoin de lui, elle s'en va le contempler, et s'en éloigne après, sereine, apaisée et nourrie:

 

Plus que partout ailleurs, c'est le lien vivant entre un lieu naturel, un paysage et les humains qui l'ont élu comme patrie spirituelle, qui fait l'intérêt du Léman.

 

Le Léman, en dehors du fait qu'il est le plus grand lac d'eau douce d'Europe occidentale, est une source de joie, d'inspiration, de bienfaits, de plaisirs, de jeux, de commerces, d'échanges, d'évasion, et de... nostalgie.

 

Il n'est pas étonnant que le Genevois Jean-Jacques Rousseau ait situé à Clarens les amours de Julie et Saint-Preux, inspirées de celles, sublimées, d'Héloïse et Abélard; que le Britannique Byron y ait suivi ses traces.

 

Ce dernier, adepte de l'amour libre et des paradis artificiels, avait au préalable, accompagné de son compatriote Shelley, visité le château de Chillon où un patriote genevois avait été enchaîné pendant six années à un pilier:

 

Le soir même, ils font escale à Ouchy, à l'hôtel d'Angleterre, où Byron compose le premier jet de son poème Le prisonnier de Chillon, hymne à la liberté, dédié à François Bonivard.

 

À sa suite, poètes et écrivains y ont pèleriné. Isabelle Falconnier rappelle la formule que Jacques Chessex a employée à propos du croissant géant. Il l'avait baptisé encrier dans lequel tout le monde trempe sa plume.

 

Isabelle évoque les pèlerins, tels René de Chateaubriand, Alphonse de Lamartine, Victor Hugo, Alexandre Dumas ou Gustave Flaubert; les écrivains saisis par sa beauté, tels Romain Rolland ou Léon Tolstoï.

 

Quel est le secret d'une beauté à laquelle des peintres, tels Ferdinand Hodler ou François Bocion, ont été si sensibles qu'ils ont consacré de nombreuses oeuvres à l'immensité liquide, encore plus idyllique vue de haut?

 

Nulle part ailleurs les contrastes ne s'additionnent de manière aussi spectaculaire: contrastes entre le cultivé et le sauvage, les Alpes violentes et le lac liquide et doux, l'infini du ciel et les eaux aux profondeurs insondables, les vallons verdoyants et les profonds ravins, les ciels sereins d'où surgit soudain une méchante tempête.

 

Le Léman a des ressources: les vignes de Lavaux; le doux climat de la Riviera; la neutralité de la Suisse qui en fait un refuge pour exilés; le rayonnement international; des eaux bienfaisantes sur son pourtour; le Rhône:

 

Se jetant comme un cheval fou dans le lac qui freine sa course, laissant suivant les saisons de longs tracés de boue dans les eaux claires, le Rhône crée au fond du Léman un rift profond, grand canyon sous-marin invisible depuis les berges, colmatant de ses alluvions la partie amont où il édifie siècle après siècle un vaste delta.

 

À moins d'être frontalier, on ne s'embarque pas sur les élégants bateaux à vapeur blancs qui sillonnent le lac dans un but précis, juste pour s'éloigner de la vie quotidienne et de la rive pour mieux la contempler à distance.

 

L'auteure connaît un lieu secret partagé des amoureux du Léman. Il n'est dévoilé, s'il ne le connaît pas déjà, qu'au lecteur. Lorsqu'on s'y retrouve seul, il invite, au soleil couchant, à s'y exposer nu à ses tout derniers rayons:

 

On appelle ça la magie de l'eau.

 

Francis Richard

 

PS

Ce récit est suivi d'entretiens avec Bruno Berthier, Marianne Chevassus Favey et Didier Zuchuat.

 

Léman - Légendes d'un lac, Isabelle Falconnier, 96 pages, Éditions Nevicata

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26 novembre 2021 5 26 /11 /novembre /2021 23:00
Chroniques du merle bleu, de Philippe Dubath

Je me suis rendormi dans mon lit mais sous l'aile du monticole, heureux de savoir que rien n'est fini, qu'un jour, le merle bleu me viendra.

 

Philippe Dubath se balade, aux sens propre et figuré. Ce marcheur de montagne n'a jamais rencontré le merle bleu, qui donne son nom à ses chroniques, mais il a fait d'autres rencontres, adorant mettre un nom sur ce qu'il croise dans la nature: Une montagne, une fleur, un oiseau.

 

Quand il ne sait pas, il s'adresse à des spécialistes ou fait des recherches. Ce n'est pas vaine curiosité. Même si ce livre a été achevé d'imprimer le 7 novembre 2021, anniversaire de la naissance d'Albert Camus, ce n'est pas pour soustraire quelque chose au malheur du monde:

 

Savoir comment s'appelle une plante, un oiseau, c'est accéder à sa vie, à ses moeurs, ses voyages, c'est comprendre.

 

Il est scrupuleux: Je sais surtout qu'il faut vérifier avant d'affirmer, même si j'oublie, parfois. C'est pourquoi l'exactitude du nom que l'on donne aux êtres et aux choses a tant d'importance à ses yeux, de même que d'employer le mot juste pour exprimer ce qu'il voit ou ressent.

 

Il emporte son appareil, prend des photos: il a le goût du safari photographique facile. Il se promène souvent, pour de vrai, dans la nature dont plein de gens semblent avoir découvert qu'elle est une amie précieuse et si proche, si disponible. Pour lui, elle représente bien davantage:

 

[La nature] est plus que jamais devenue ma maison, mon monde apaisant et rassurant.

 

Il ne se contente pas de s'y émerveiller, de converser avec les êtres qui la peuplent, de se demander ce qu'ils font quand ils ont disparu ou à quoi ils pensent: je me balade dans mes balades. Il ressort alors des photographies, des livres, des souvenirs, et commence d'autres voyages.

 

En fin de volume il est précisé que la plupart des chroniques publiées dans ce livre ont paru dans Le Journal de Morges, excellent hebdomadaire et solide ami de l'auteur: Elles ont parfois été légèrement adaptées pour les besoins de l'ouvrage. Aussi l'époque n'y est-elle pas ignorée:

 

Question confinement, elles en connaissent quelque chose. Elles en sont les championnes du monde. Mes amies les marmottes, qui vivent à quelque deux mille mètres d'altitude, entrent dans leur terrier au début du mois d'octobre pour en ressortir en avril et pas avant. Six mois au moins dans le même appartement, sans aller respirer l'air pur du dehors.

 

Francis Richard

 

Chroniques du merle bleu, Philippe Dubath, 224 pages, Éditions de l'Aire

 

Livre précédent:

 

Airs de fête (2019)

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20 novembre 2021 6 20 /11 /novembre /2021 19:00
Cool, de Simon Vermot

Sa meilleure amie reste introuvable, son mec vient d'être assassiné et tout ce qu'elle trouve à dire, c'est cool? De quoi devenir complètement stone.

 

Avant d'en arriver là, il faut évidemment commencer par le début. Et le thriller de Simon Vermot démarre sur les chapeaux de roues. Avec le kidnapping d'une belle adolescente, Anouk.

 

À Pierre, journaliste suisse, son rédacteur en chef, Marc, a remis un bout de papier sur lequel il a noté tous les mots de la revendication téléphonique qu'a faite le ravisseur de sa fille:

 

Nous ne demandons pas de rançon. Seulement que Pierre, votre journaliste, accepte de nous rencontrer! On vous recontactera.

 

Une rapide enquête permet à Pierre d'apprendre qu'Anouk, quinze ans et quatre mois, qui habite chez sa belle-mère depuis qu'il est veuf, ne s'est en effet pas rendue ce jour-là au collège.

 

Follement inquiet, il va à la police déclarer sa disparition. Mais celle-ci ne fait rien, considérant qu'il s'agit vraisemblablement d'une fugue jusqu'à ce qu'il reçoive ce mot manuscrit de sa fille:

 

Fais tout ce qu'ils demanderont, sinon ils me feront du mal...

 

Ni lui, ni la police ne peuvent dès lors imaginer que ce n'est pas sérieux. Tout est donc mis en oeuvre pour la retrouver, en cherchant d'abord à identifier le porteur du message de sa fille.

 

Le lecteur est très vite dans la confidence que ce n'est pas un kidnapping. Mais cela n'ôte rien au suspense que Simon Vermot sait si bien créer dans cette histoire inspirée de faits réels.

 

Car ce qui donne un tour inattendu à ce qui s'avère être une plaisanterie de mauvais goût de la part de trois amis d'enfance, Paul, Mila et Anouk, c'est leur prise en stop en France de Jeremy.

 

Sur la route qui les mène à la Côte d'Azur, ils ne savent pas que, ce faisant, ils ont mis le doigt dans l'engrenage d'une affaire de grande envergure et que la qualifier de Cool est euphémique.

 

Le lecteur attentif aura noté que ce roman noir, où il y a tout de même des éclaircies, est dédié aux victimes de Nice 2016, ce qui n'est pas un mince indice pour en mesurer toute la portée.

 

Pourtant cela ne le découragera pas dans sa lecture, pris qu'il sera dans les tumultueux méandres du récit, où l'amour d'un père pour sa fille le transcende tellement qu'il finit par jouer les héros...

 

Francis Richard

 

Cool, Simon Vermot, 192 pages, Éditions du Roc

 

Livres précédents:

 

La Salamandre noire (2020)

À bas l'argent ! (2020)

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19 novembre 2021 5 19 /11 /novembre /2021 20:00
L'envol des milans, de Kyra Dupont Troubetzkoy

Cela fait des années que la même colonie de milans noirs vient nicher dans les bois à l'orée du champ qui s'étend devant la maison. Ils arrivent dans le courant du mois de mars après avoir passé la moitié de l'année en Afrique...

 

L'autre moitié de l'année, les milans la passent sous les fenêtres de Jeanne, puis ils retournent d'où ils sont venus, à la fin de l'été, qui correspond rituellement et, sans surprise, à L'envol des milans.

 

Chez les hommes, le cycle est plus long. Il commence à la naissance, dure des années et se termine avec la fin de l'adolescence quand les enfants, en devenant adultes, prennent à leur tour leur envol.

 

Jeanne et Arthur Bifron ont eu à un an d'intervalle deux enfants, Thomas et Mia. Bien qu'elle s'y attendît, Jeanne n'a pas du tout accepté le départ de son fils et s'en est trouvée très déstabilisée.

 

Elle tient à l'accompagner à Zurich, où il va poursuivre ses études, à quelque 300 km de Genève. Cet ultime cordon ombilical est le plus difficile à couper et, de son humeur, celle de la famille pâtit.

 

Jeanne était journaliste, mais elle a abandonné ce métier pour rester à la maison. Son aura a alors pâli aux yeux de son mari et continuer à couver ses enfants a fini par être bien trop pesant pour eux.

 

Thomas parti, Jeanne reporte le poids de son affection sur Mia, qui, après avoir été sa complice féminine, étouffe sous lui et cherche des échappatoires, qui sont de toute façon naturelles à son âge.

 

L'ambiance familiale s'alourdit, se dégrade pendant les mois qui suivent le départ de Thomas, lequel aura joué comme un déclic. Il faut s'attendre alors à ce que se produise une dislocation du foyer.

 

Car il n'est pas possible de diriger indéfiniment la vie de ses enfants et Kyra Dupont Troubetzkoy décrit très bien par quelles affres passe Jeanne refusant de l'admettre et d'en tirer les conséquences.

 

Peut-être cela résulte-t-il du fait qu'elle ne sait pas tout. Elle ne le découvrira qu'à la fin et comprendra alors bien des choses sur son propre comportement, auquel celui de sa mère n'est pas étranger.

 

In fine, en écoutant le Dixit Dominus de Haendel, Jeanne s'installe à son bureau, écrit leur histoire avec les mots de notre époque, et, en mère apaisée, pose ces questions liminaires, qui la résument:

 

On pense que les liens du sang nous protègent, mais si c'était l'inverse? Et si nous étions à notre insu les bourreaux de nos enfants? On croit faire au mieux pour eux, en vue de leur bonheur, on se saigne, on se sacrifie pour eux. Et si, sans le vouloir, on faisait l'inverse? 

 

Francis Richard

 

L'envol des milans, Kyra Dupont Troubetzkoy, 204 pages, 5 sens éditions

 

NB

 

Kyra Dupont Troubetzkoy dédicacera son livre le 25 novembre 2021 à la Librairie Basta ! Chauderon, rue du Petit Rocher 4, à Lausanne, de 17 heures à 18 heures.

 

Livres précédents:

 

Petit essai assassin sur la vie conjugale, Éditions Luce Wilquin (2012)

Le hasard a tout prévu, Éditions Luce Wilquin (2013)

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17 novembre 2021 3 17 /11 /novembre /2021 18:45
Confession d'une dame du pays de la Venoge, d'Annette Schneider

Annette Schneider est née à Sainte-Croix. C'est elle la dame du Pays de la Venoge, cette rivière qui a été chantée par le poète Jean Villard-Gilles, dont la source se trouve au pied du Jura, à L'IsLe, qui passe à La Sarraz et mêle au bout de sa course ses eaux à celles du Léman.

 

Dans cette confession où elle n'a pas de péchés à avouer et qui serait plutôt une profession de foi dans la vie, l'auteure raconte la sienne en restant modeste, comme le sont ses origines. Car elle est née en 1932, alors que ses parents ont dû fermer leur magasin de chaussures.

 

Les années 1930, celles de sa petite enfance, sont synonymes de survie grâce à de petits travaux et à une association, la Semaine du kilo. Avec le début de la Seconde Guerre mondiale, les choses ne s'arrangent pas: ses parents sont en instance de divorce et son père au chômage.

 

Elle est ravie d'aller à l'école, pour apprendre. Comme elle est une fille, elle n'a pas droit à l'algèbre, à la géométrie, à l'instruction civique, mais à la couture. Quant aux vacances, dès ses 11 ans, elle les vit toutes dans des familles d'agriculteurs ou de viticulteurs pour aider au ménage.

 

À la fin de sa scolarité obligatoire, elle fait une année de stage en Suisse allemande, puis, parce que son père juge nécessaire qu'elle apprenne un métier, avec ses économies et un complément paternel, elle entre dans une école spécialisée dans la formation d'employées de bureau.

 

D'abord secrétaire d'un avocat à Lausanne, après son mariage avec un horticulteur, elle mène de concert ce travail, l'administration de l'entreprise familiale et sa formation sur le tas à la profession d'horticultrice. Puis, à regret, pour celle-ci, elle abandonne sa  profession de secrétaire.

 

Pour cette femme pleine de vie, c'est insuffisant. Sans faire de politique jusque-là, elle s'y est intéressée quand elle était secrétaire de l'avocat, qui, lui, en faisait. De plus, dès 1959 le droit de vote et d'éligibilité est accordé aux femmes dans le canton de Vaud. En Suisse, ce sera en 1971...

 

Cette femme, qui défend les femmes, n'est pas de gauche. Pendant des décennies, au Parti Radical, un parti du Centre, elle participe activement à la vie politique dans différentes communes et districts vaudois, la menant de front avec l'exercice de plusieurs professions successives.

 

Elle a connu succès et revers face à une gent masculine dominante, mais elle a obtenu souvent aussi son soutien, parce qu'elle est tenace et sait être convaincante. Ce récit, pour qui ne s'est jamais engagé sur le terrain politique, est intéressant et occupe une grande part de sa confession.

 

Le nom d'Annette Schneider restera attaché au sauvetage du château de La Sarraz, commune de son domicile actuel, mais il faudra retenir sa sagesse, non pas due à l'âge, mais à l'expérience. Elle n'est pas près de tomber dans les excès de paroles de certaines femmes d'aujourd'hui.

 

Elle n'oublie pas les améliorations intervenues dans la vie des femmes depuis la dernière guerre mondiale, que d'aucunes ignorent. Sous une autre forme, elle a lutté toute sa vie pour le respect et la reconnaissance de la femme dans le milieu politique et, avec d'autres, y est parvenue.

 

À la fin de son livre, elle dresse les portraits de femmes remarquables, qui sont devenues ses amies et/ou qu'elle a approchées. Ils illustrent qu'en Suisse des femmes, telles Christiane Langenberger, Jacqueline de Quattro ou Isabelle Moret, ont joué ou jouent désormais un rôle insigne.

 

Francis Richard

 

Confession d'une dame du pays de la Venoge, Annette Schneider, 240 pages, Éditions de l'Aire

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14 novembre 2021 7 14 /11 /novembre /2021 19:30
Les Flammes de Pierre, de Jean-Christophe Rufin

Ce supplément d'âme qui transforme un sujet en intrigue, une personne en personnage, c'est ce que l'on appelle une histoire. Il y faut un début, une fin et surtout au-delà des faits, des sentiments.

 

Alors Jean-Christophe Rufin applique le précepte dans Les Flammes de Pierre, dont le titre est tiré du nom d'une belle paroi granitique située au-dessus de Chamonix.

 

Ce roman, fait surtout de récits de montagne, est l'histoire d'un amour entre un guide, Rémy, et une femme d'une beauté hiératique, Laure, la trentaine, comme lui.

 

Rémy, ce gigolo des neiges, a séduit moult riches clientes, avec son sourire commercial, sa musculature de sportif, son bronzage entretenu toute l'année au grand air.

 

Cette fois, lors de leur rencontre, il se rend tout de suite compte que Laure, bien qu'appartenant à cet autre monde, de luxe et de privilèges, est différente des autres.

 

Laure, femme moderne et mondaine, évolue dans la finance. C'est aussi une femme courageuse et maîtresse d'elle-même. Il n'arrive pas à démêler qui elle est vraiment.

 

Lui, puis elle, prennent conscience de l'amour qu'ils éprouvent l'un pour l'autre, sans savoir l'exprimer, avec les conséquences auxquelles mène une telle retenue.    

 

Aussi Laure et Rémy vont-ils, tour à tour, tacitement, donner la plus belle preuve d'amour qui soit, en rejoignant le monde de l'autre, non sans bleus au corps et à l'âme.

 

Cette histoire a la montagne pour témoin muet, comme une ombre, qui, même lorsqu'on s'en éloigne, de par sa verticalité, finit par élever les corps et les âmes.

 

Car la montagne, école de vie, réserve à ceux qui s'y adonnent, à sa discrétion, le plaisir et la douleur, le merveilleux et le drame, l'effort et le repos, la conscience et l'oubli.

 

Les tourments de l'amour étreignent Rémy, puis Laure, si bien que le manque de l'un pour l'autre, et réciproquement, s'avère le révélateur obligé qui signe leur amour.

 

Mais cela ne signifie pas qu'ils en soient conscients, ni que ce qui avait si bien commencé, après bien des vicissitudes, fasse une bonne fin. En amour, en effet, rien n'est sûr:

 

Une des cruautés de l'amour, une de ses forces aussi, est de pouvoir subsister hors du temps, sans soin ni aliment. C'est une plante inouïe mais qui peut aussi bien mourir en un instant.

 

Francis Richard

 

Les Flammes de Pierre, Jean-Christophe Rufin, Gallimard

 

Livres précédents chez Flammarion:

Le Suspendu de Conakry (2018)

Le Flambeur de la Caspienne (2020)

La Princesse au petit moi (2021)

 

Livres précédents chez Gallimard:

Sept histoires qui reviennent de loin (2011)

Le collier rouge (2014)

Check-point (2015)

Le tour du monde du roi Zibeline (2017)

Les sept mariages d'Edgar et Ludmila (2019)

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3 novembre 2021 3 03 /11 /novembre /2021 20:40
Je vais ainsi, de Hwang Jungeun

Il s'agissait de deux locations qui partageaient l'entrée et une salle d'eau équipée de toilettes. On les avait aménagées en divisant en son milieu un sous-sol, qui à l'origine avait servi de cave. [...] Cette cloison était volontairement incomplète à ses extrémités.[...] Les gens habitant d'un côté ou de l'autre de la cloison n'avaient pas un logement complet, mais seulement la moitié. À chaque extrémité, l'entrée et la salle d'eau étaient des parties communes au foyer de gauche et à celui de droite.

 

Dans ce logement ont habité ensemble pendant leur enfance, d'un côté Ae Ja et ses deux filles, So Ra et Na Na, de l'autre Sun Ja et son fils Na Ki. Ae Ja et Sun Ja sont toutes deux veuves et leurs familles sont donc monoparentales.

 

Leurs histoires, qu'elles soient communes ou individuelles, sont racontées par So Ra, Na Na, Na Ki. Mais leurs récits mélangent allègrement premières et troisièmes personnes, si bien qu'ils obligent à une lecture des plus attentives.

 

Les deux soeurs So Ra et Na Na sont très complices. Elles le sont d'autant plus que leur mère a une attitude inquiétante à leur égard, car elle s'absente de temps en temps sans crier gare et les laisse alors se débrouiller toutes seules.

 

Na Ki est pour elles un grand frère, même si elles auraient aimé qu'il soit davantage que cela, pour l'une en tout cas, sinon pour l'autre. Ce qui les rapproche, c'est que la mère de Na Ki est une mère de substitution pour toutes deux.

 

Ces trois enfants, même devenus adultes, sont très imaginatifs. Leur imagination est d'autant plus exacerbée qu'ils sont sujets à des rêves prémonitoires, et qu'au moins deux mystères, qui ne sont que temporaires, l'entretiennent.

 

L'un de ces mystères est que Na Na est enceinte sans que, dans un premier temps, So Ra en soit sûre, puis qu'elle sache qui est le père. L'autre est que Na Ki a un secret personnel, remontant à un séjour au Japon et qu'il garde pour lui.

 

Ces récits, qui se déroulent en Corée du Sud, sont émaillés de rites, notamment alimentaires et religieux. Qui sont aussi bien observés dans le pays que propres aux familles, lesquelles ont, semble-t-il, encore là-bas une grande importance.

 

Aussi les réflexions qu'ont les personnages au travers de leurs récits créent-elles une ambiance insolite, singulière et plurielle, qui n'est pas sans charme, si, parfois, elle ne laisse pas de déconcerter, ce qui, sans doute, y contribue.

 

Francis Richard

 

Je vais ainsi, Hwang Jungeun, 240 pages, Zoé (traduit du coréen par Jeong Eun Jin et Jacques Batilliot)

 

Littérature d'Asie aux éditions Zoé:

 

Les enfants de Sal Mal Lane, Ru Freeman (2015)

1,2 milliard, Mahesh Rao (2017)

Sur le mont Mitaké, Sîbourapâ (2018)

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25 octobre 2021 1 25 /10 /octobre /2021 21:45
Les bonnes fortunes, d'Ivan Salamanca

Les bonnes fortunes est un recueil de cinq courts récits. Il faut entendre ce titre dans les deux sens de succès galants et de hasards heureux, encore qu'il y ait quelque ironie ici à l'employer dans ces deux acceptions.

 

Dans Promesses de lune, un douanier français, qui exerce à la frontière méditerranéenne entre la France et l'Italie, la franchit pour y passer cinq jours de vacances en septembre, à Mortola, entre Menton et Ventimiglia.

 

Sur une plage, il tombe sur des galets après s'être encoublé sur le pied d'Assunta, avec laquelle il vit un miracle et dont il portera toujours en lui les parfums après être retourné comme de rien à sa vie d'homme de peu.

 

Dans Dragée haute, au balancement des cloches de l'église, dont le fer est poussé par les hommes, répond celui des femmes qui poussent les balançoires, où sont installés les enfants en petites robes et culottes à bretelles.

 

Si Pierre va à l'église le dimanche, Jeanne n'aime pas les cultes et ne le rejoint aux champs que pour lui apporter à boire et à manger. Pendant l'office, elle s'occupe autrement; après, elle l'esquive et le renie. Jusqu'au jour... 

 

Dans Vent debout, Lewis, au volant de sa Cadillac blanc crème, vient de quitter des boucles blondes et une bouche de pulpe, Elena. Elle a son odeur sur la peau: il est en état de grâce. Aussi, peut-être, fera-t-il demi-tour.

 

Lewis n'est-il donc qu'un bellâtre? En chemin, il s'arrête, se poste devant quoi l'on décroche pour annoncer les nouvelles, le beau temps ou la mort d'un homme, la naissance miraculeuse ou l'abandon de tout espoir...

 

Dans À coeur fendre, c'est le printemps. Un faucheur en devenir, un orpailleur en quelque sorte, adossé à un tronc, somnole. Il ne manque plus à ce tableau romantique que la venue d'une femme, belle à dissoudre le sang. 

 

Passent les saisons. L'orpailleur se rend compte que les choses ont changé ou alors que ses yeux se sont dessillés. L'hiver venu, son coeur s'est refroidi: La beauté ne dure pas toujours, mais son empreinte est éternelle.

 

Dans Les pierres chaudes et la mer, ils sont embarqués à la hâte sur des coques de noix. Sur la même galère, ils sont à la merci des hommes aux fusils, des vents, des marées. L'un d'eux, Yassin, a dans la poche une lettre.

 

Les jours passent. La tension augmente. Puis c'est l'abattement. Yassin sort la lettre de sa poche. C'est une lettre d'amour de Yhasmina qui lui fait avoir une vision temporisatrice et venir les larmes aux yeux quand il la lit...

 

Ces bonnes fortunes ne sont donc pas si bonnes que cela, ou plutôt si, elles le sont. Car Ivan Salamanca, avec une grande économie de mots et beaucoup de poésie, parle très bien d'éros et thanatos, ces indissociables.

 

Francis Richard

 

Les bonnes fortunes, Ivan Salamanca, 88 pages, Éditions de l'Aire

 

Livre précédent:

 

Les couvents d'eau claire (2019)

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24 octobre 2021 7 24 /10 /octobre /2021 18:25
Au carrefour des intentions, de Sven Papaux

Tout est une question d'équilibre dans ce sport: si mentalement ça va, vous skiez bien et tout s'enchaîne. Le facteur psychique est prépondérant, comme pour tout un chacun. C'est mieux de foncer tête baissée avec l'esprit libre, si vous avez l'intention de réussir. Encombrez-vous l'esprit, et vous avez de grands risques de vous encombrer de blessures.

 

Ces bonnes paroles, River les a écrites au début de ce récit. Peut-être ne les a-t-il pas suffisamment en tête, car, à près de dix-huit ans, après dix ans d'embrigadement dans le sport de haut niveau, il se retrouve finalement à la lisière de l'autodestruction.

 

Ce récit est celui de l'année décisive, au cours de laquelle River pense récolter les fruits d'avoir, pendant ces dix ans, mis le sport avant tout. Quand il a choisi cette vie de sacrifices, son père l'a soutenu, mais savaient-ils tous deux ce qu'elle impliquait?

 

Il a abandonné ses études, en quelque sorte joué son va-tout. Est-il fait pour la compétition? Il est permis d'en douter, d'autant qu'il est sensible psychiquement, qu'il est tendre, et qu'il n'a pas le physique de l'emploi en dépit de rudes mises en condition:

 

Je suis tout fluet monté sur de frêles cuisses, avec des épaules de cycliste presque inexistantes. Je suis fin, comme ma manière de skier, plus en souplesse qu'en puissance. En somme, je n'ai pas la carrure du skieur type. J'ai plus l'allure d'un danseur étoile.

 

Il malmène son corps, ne l'écoute pas; celui-ci tombe, se redresse, retombe. Son esprit est au diapason. Il déprime un jour, un autre il redevient ambitieux, avant d'être à nouveau grincheux et défaitiste: C'est risible comme on est bête face à la contrariété.

 

Un fossé se creuse entre ce sport, ses responsables, ses entraîneurs et lui. Il en est conscient. Pourtant, il passe outre, si bien que le lecteur, très vite, avant même que le récit ne s'achève, sait que cela ne peut qu'aller de mal en pis malgré des éclaircies.

 

Au-delà du cas personnel de River, ce récit pose la question du sport de haut niveau. L'illusoire rage de vaincre, ce poison qui lui est intrinsèque, la solitude et l'oubli dans lesquels l'athlète se retrouve en cas d'insuccès peuvent conduire à l'autodestruction.

 

Pour y échapper, l'entourage doit jouer son rôle, que ne remplissent pas des collègues ou des coaches inhumains. Une petite phrase lumineuse, dite par un proche, à laquelle il n'a pas été prêté attention, peut alors faire bifurquer Au carrefour des intentions...

 

Francis Richard

 

Au carrefour des intentions, Sven Papaux, 160 pages, Slatkine

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17 octobre 2021 7 17 /10 /octobre /2021 19:40
Chevreuse, de Patrick Modiano

Chevreuse. Ce nom attirerait peut-être à lui d'autres noms comme un aimant.

 

Jean Bosmans note dans un cahier bleu des détails, des éclats de souvenirs, qui traversent son esprit. Il le fait le plus vite que possible avant qu'ils ne disparaissent définitivement dans l'oubli.

 

Ces détails, ce sont des noms de lieux comme Chevreuse, des noms de personnes comme celui de Tête de mort, surnom de Camille Lucas, ou celui de Serge Latour qui chantait Douce dame.

 

Un nom de lieu en attire un autre: Chevreuse, celui de la maison de la rue du Docteur-Kurzenne; Auteuil, celui d'un appartement aux alentours de la porte de Paris, où l'avait emmené Camille.

 

Un nom de personne en attire un autre: Camille, celui de Martine Hayward, à qui René-Marco a indiqué l'agence immobilière chargée de louer la maison de Chevreuse, où il a vécu enfant.

 

Ces détails remontent à cinquante, trente-cinq ou vingt ans, ou sont d'aujourd'hui. Ils correspondent aux vies successives que sont l'enfance, l'adolescence, l'âge mûr, ou la vieillesse.

 

Pourquoi tous ces détails fugaces se sont-ils gravés dans sa mémoire? Quoi qu'il en soit, au fil du récit, d'autres noms de lieux et de personnes surgissent et apparaissent liés les uns aux autres.

 

Aux notes prises dans le cahier bleu, il ajoute une sorte de schéma, comme pour se guider dans un labyrinthe. Il accomplit ainsi un difficile travail de mémoire, qui transpire dans le livre qu'il écrit.

 

Dans ce livre il vole en quelque sorte les vies de toutes ces personnes liées les unes aux autres, qui n'existeront plus que dans ses pages et n'y laisseront que des traces à moitié effacées.

 

Le secret, sous-jacent à cette quête menée laborieusement au fil du temps n'est dévoilé qu'à la fin. Il est pour lui jubilatoire car il sait être le seul à le détenir; il est dans le même temps libératoire:

 

Il avait fini son livre, et il eut, pour la première fois, cette curieuse sensation de sortir de prison après des années d'enfermement.

 

Francis Richard

 

Chevreuse, Patrick Modiano, 176 pages, Gallimard

 

Article précédent sur l'auteur:

Patrick Modiano à Stockholm (8 décembre 2014)

 

Livres précédents:

L'herbe des nuits, 192 pages (2012)

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, 160 pages (2014)

Souvenirs dormants, 112 pages (2017)

Encre sympathique, 144 pages (2019)

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13 octobre 2021 3 13 /10 /octobre /2021 20:00
Feux de sauge, de Françoise Matthey

Légère, au plus aigu de mon enchantement, j'abandonnais mes feux de sauge et mes prières, me rendais.

 

La montée vers la cascade du Dard permet à Françoise Matthey non seulement de renouer avec un souvenir d'enfant, mais de retrouver dans l'air pur une lumière à nulle autre pareille.

 

Il n'est dès lors plus besoin de faire des Feux de sauge pour rendre l'air pur puisqu'il se trouve en ce lieu, ni de faire des prières pour que se fasse entendre le chant immémorial du monde.

 

Sa madeleine, ce sont des boutons qu'elle redécouvre dans leur boîte en cherchant pour Guillaume un carton qu'elle sait trouver dans la grange de la ferme franc-montagnarde où elle vit.

 

En fait, dès l'entrée de la grange, ses souvenirs sont revenus, avec l'odeur du foin, et elle refait ici le trajet tant de fois accompli du Moulin - au nord de l'Alsace où elle est née - à la Suisse.

 

Avec le confinement, insistante la voix de la mémoire lui parle, mais ses souvenirs sont beaucoup plus que des souvenirs, ils sont des réponses à cette longue question qui les contient:

 

Nos souvenirs accueillis dans un ballet salutaire - relativisés par le temps, nos trajectoires, nos rencontres prégnantes - ne participent-ils pas au mystérieux mouvement d'espérance appliqué à vivifier une énergie parfois occultée et cependant appliquée à rassembler l'épars, la fragmentation de notre être en ces temps déconcertants, à restaurer l'unité de notre vécu et de notre présence au monde vers une réalité en devenir?

 

Cette question éclaire le lecteur de ce récit où les expériences singulières propres à une génération tendent ici à l'universel parce qu'elles reflètent notre humanité et toute la poésie du monde.

 

Francis Richard

 

Feux de sauge, Françoise Matthey, 168 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

 

À la croisée des brides (2016)

Dans la lumière oblique (2019)

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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