Du 29 juin 2020 au 20 août 2020, du lundi au vendredi à 8h55, sur France Inter, Sylvain Tesson a passé Un été avec Rimbaud. Ce n'était pas un été comme les autres - mais n'est-ce pas toujours le cas? - , car le pneumocoque chinois (covid en langue globale) l'avait précédé et suivi.
Arthur Rimbaud ne pouvait imaginer - et Dieu sait que son imagination était fertile - qu'au printemps de cette année-là, il faudrait une attestation pour flâner sous les ombrages, que les hommes seraient considérés comme du cyberbétail et qu'ils seraient mis en congélation sanitaire.
Sylvain Tesson pose une question existentielle et émet la possibilité d'une réponse à celle-ci: Que peut produire l'esprit humain après ces objurgations étatiques: "Soyez prudents"? Une saison dans l'eau tiède peut-être. Il va de soi que ce pire des mondes qui s'affirme n'a rien de rimbaldien...
Sylvain Tesson rappelle qu'on peut se munir de l'oeuvre entière, poèmes et correspondance de Rimbaud, dans La Pléiade, pour moins de la moitié du montant de l'amende de 135 euros du nouvel ordre cyber-sanitaire: sur la route, c'est un viatique plus précieux qu'un guide de randonnée.
Arthur Rimbaud est rien moins que prudent, n'est pas réductible à un archétype: sa trajectoire aimante les contraires. À côté du démolisseur il y a le bon élève. L'un terrifie les docteurs, l'autre est épris de goût classique. Sa formation classique lui permet d'être absolument moderne, mais:
Impossible [...] de ne pas songer que Chénier1 au pied de la guillotine comme Rimbaud au seuil de lui-même recelaient en eux "quelque chose, là", supérieur à la somme des emprunts, à l'action des influences et à l'amoncellement des références.
Rimbaud veut redire le monde et, pour ce faire, changer la langue - il malmène la langue parce qu'il l'aime -, c'est-à-dire exprimer l'inexprimable: La vérité de Rimbaud, sa valeur et son éternité se tiennent dans ses vers. Mais ils n'ont pas été compris, leur musique propre n'a pas suffi:
L'hermétisme des poèmes donne à chaque lecteur l'occasion de se prétendre le Champollion de la pierre de Rosette...
Plutôt que de les comprendre, ne faut-il pas seulement accepter ce qu'ils donnent à voir? Les poèmes de Rimbaud projettent des images dans la psyché du lecteur. Ils ne démontrent pas, ils n'expliquent rien. Ni thèses, ni analyses. Les mots projettent des scènes sur le plafond de nos crânes.
Rimbaud est le poète de la route - ses antidotes de l'ennui sont la poésie et le voyage. La route est une recherche initiatique, définie dans Les illuminations: Trouver le lieu et la formule. Cela ne va pas sans souffrances. Rimbaud les accepte: La route a parfois cet usage: racheter les forfaits.
Sylvain Tesson sait ce que veut dire la dromomanie, cette pathologie des embarquements dont les vagabonds de la vie tentent de calmer les accès en prenant la route. Il en est atteint, comme Rimbaud: Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens (Lettre à Izambard):
On en meurt (comme Rimbaud) ou l'on en devient idiot...
Francis Richard
1 - Sur l'échafaud, il se toucha le front et murmura: "Et pourtant, il y avait quelque chose, là."
Un été avec Rimbaud, Sylvain Tesson, 224 pages, Équateurs
Dans la même collection:
Un été avec Pascal d'Antoine Compagnon (2020)
Un été avec Paul Valéry, de Régis Debray (2019)
Un été avec Homère, de Sylvain Tesson (2018)
Un été avec Machiavel, de Patrick Boucheron (2017)
Un été avec Victor Hugo, de Laura El Makki et Guillaume Gallienne (2016)
Un été avec Baudelaire, d'Antoine Compagnon (2015)
Un été avec Montaigne, d'Antoine Compagnon (2013)