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7 août 2021 6 07 /08 /août /2021 19:15
Septembre éternel, de Julien Sansonnens

Le monde dans lequel je suis né n'existe plus: est-cela ce qu'on appelle vieillir? Je demeure comme retenu dans un mois de septembre éternel, dans ce peu que constitue désormais le présent, matériellement confortable et de peu d'intérêt.

 

Marc Calmet, le narrateur, la soixantaine, vend sa librairie de Voiron après une trentaine d'années d'activité. Au mois de mai 2019, il monte à Paris afin de signer l'acte de vente à un géant chinois du commerce en ligne de produits culturels.

 

Au cours des quatre mois précédents, la France s'est soulevée, après le suicide, le 23 janvier, sur un banc d'une place de Pontarlier, d'un vieil homme, un quincaillier qui n'arrivait plus à s'en sortir et avait laissé cette note expliquant son geste:

 

Je meurs et que crève avec moi la République!

 

Sur les réseaux sociaux, la nouvelle s'était répandue et n'avait pas laissé indifférent, si bien que peu à peu avait surgi l'idée d'une journée d'action, le samedi 4 février, pour honorer la mémoire de cet homme qui s'était tiré une balle dans la bouche:

 

Dans une certaine confusion, les contours de la journée d'action ont été définis: il s'agirait de former, à partir des places publiques des villes et villages, de larges chaînes humaines appelées à se déployer dans l'espace alentour.

 

Le mouvement des enchaînés était lancé et il allait connaître, dès cette première manifestation, un succès sans précédent puisque, selon le ministère de l'Intérieur, deux cent dix mille personnes s'étaient rassemblées sur l'ensemble du territoire...

 

Samedi après samedi, le soulèvement s'était amplifié, surtout depuis le 18 février, qui avait été marqué par la mort d'une jeune fille de dix-sept ans lors d'une opération de maintien de l'ordre à Toulouse, haut-lieu de la contestation depuis ses débuts.

 

Dans ce contexte, qui suscite l'incompréhension des médias et des soi-disant élites, Marc Calmet se souvient du monde d'avant le mondialisme et qui, année après année, s'est dissout, comme s'est dissoute, parallèlement, sa propre vie de famille.

 

Pour raviver le souvenir de ce qu'ont été ce monde et sa famille, il se rend à Paris, pour son rendez-vous notarial, par des chemins de traverses, en suivant notamment le cours de la Loire et en invitant, route faisant, une femme à l'accompagner.

 

Julien Sansonnens connaît bien la France profonde d'avant, les décennies au cours desquelles elle s'est défaite. Aussi le lecteur, qu'il les ait ou non vécues, ne pourra-t-il être que touché par ce que son personnage dit à la fin de son périple:

 

Les bars, les églises, les cimetières m'apparaissent comme les derniers lieux entretenant un rapport particulier à la mémoire, des repères desquels la réminiscence du monde d'avant sera effacée le plus difficilement.

 

Francis Richard

 

Septembre éternel, Julien Sansonnens, 376 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

 

Jours adverses, Éditions Mon Village (2014)

Les ordres de grandeur, Éditions de l'Aire (2016)

Quatre années du chien Beluga et autres nouvelles, Éditions Mon Village (2017)

L'enfant aux étoiles, Éditions de l'Aire (2018)

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2 août 2021 1 02 /08 /août /2021 21:00
Lutter avec l'ange, de Laurence Verrey

Surgi du fond des âges comme un guide ancestral, Jacob m'a accompagnée sur mon chemin, le temps qu'émerge ma force. [...] Jacob nous précède, son histoire nous bouscule aux points sensibles, pose des repères, invite à grandir sans cesse.

 

Dans cette oeuvre au noir, Laurence Verrey raconte des moments de la vie de Jacob, parallèlement aux siens, tous moments dont elle aura mis plus de vingt ans à écrire le récit, que le désir de fête illumine:

 

Repris de multiples fois, à des années d'intervalle, laissé en friche, repris à nouveau. Le délaissant pour des poèmes, pour des oeuvres moins prenantes, plus simples peut-être.

 

Ces temps, elle a éprouvé le besoin de mettre un terme à cette tentative d'écriture: elle a estimé c'était le bon moment de transformer l'essai, sans en être complètement sûre. Le lecteur ne s'en plaindra pas.

 

L'exemple de sa mère qui a renoncé à la musique, à sa vie d'artiste, par devoir, aura été une leçon secrète pour elle. Aussi n'a-t-elle pas, elle, renoncé à l'écriture, rompant avec sa lignée de femmes soumises:

 

Le cours de l'Histoire a voulu que Mai 68, le mouvement hippie et de libération de la femme croisent mon chemin à mes quinze ans.

 

Pour elle, l'écriture, au début, c'était une jouissance, mais ce n'était pas la joie. Car elle a commencé à écrire clandestinement, le cachant, comme des amours secrètes, tremblante d'être démasquée. C'était vital:

 

Je prends conscience que l'écriture, la lutte pour conquérir la parole est pour moi acte de salut. Qu'il en va de ma vie même.

 

De l'offense faite par Jacob à Ésaü, de sa propre expérience, elle sait que nous ne naissons pas dans l'égalité, mais dans la différence; de leur réconciliation, qu'il est possible d'être sauvés de l'altération de l'être.

 

Sans doute son énergie l'a-t-elle puisée dans ces versets de la Genèse où Jacob se bat avec un homme pendant toute une nuit. Lutter avec l'ange - l'homme est en fait un ange1 - lui enseigne ce qu'est la vraie vie:

 

La vie est une aventure risquée, qui va de lutte en lutte, sans défaite ni victoire parce que toujours recommencée, un incessant corps à corps avec l'adversité.

 

Mais nous ne sommes pas tous seuls. À condition de ne pas se résigner et de continuer à lutter, une présence nous rend puissants et, dans son cas personnel, lui maintient le désir d'écrire et lui libère la parole:

 

Le divin est à nos côtés, il est de plein corps dans l'avancée. Saisir sa force est une grâce, nous sommes accompagnés, entraînés avec lui dans la danse sacrée.

 

Francis Richard

 

1 - L'ange représente Dieu et donne à Jacob le nom d'Israël qui signifie celui qui lutte avec Dieu.

 

Lutter avec l'ange, Laurence Verrey, 176 pages, Bernard Campiche Editeur

 

Un livre précédent:

 

La beauté comme une trêve, 88 pages, L'Aire (2016)

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30 juillet 2021 5 30 /07 /juillet /2021 22:15
Le Sortilège de Stellata, de Daniela Raimondi

Il l'avait déjà remarquée depuis un moment: elle était grande, son corps était souple et la grande masse de ses cheveux noirs descendait jusqu'à sa taille. Elle se promenait dans Stellata avec son allure effrontée, ses longues jupes colorées, des plumes de faisan plein les cheveux, des bagues voyantes aux doigts et des sautoirs.

 

Il, c'est Giacomo Casadio. Elle, c'est Viollca Toska, une Tsigane. Elle l'avait remarqué, elle aussi. Mais, au contraire de lui, elle s'en était approchée, avait regardé ses paumes et y avait lu que c'était lui qu'elle attendait depuis longtemps.

 

C'est avec l'union de Giacomo et de Viollca, en 1800, que commence la saga des Casadio, que raconte Daniela Raimondi et, par alliance avec eux, au début du siècle suivant, celle des Martiroli, dont l'un des couples eut beaucoup d'enfants.

 

Tout au long de l'histoire des Casadio, Le sortilège de Stellata, village de la plaine du Pô, semble atteindre certains d'entre eux. Car il est bien difficile de démêler si ce sortilège relève de la superstition ou est une manifestation du surnaturel.

 

Viollca a surpris Giacomo par son habitude bizarre de laisser tous les soirs un bol de lait sur la marche devant la porte d'entrée, pour le serpent protecteur, au ventre blanc, sans venin, qui, selon les Tsiganes, protège les dormeurs d'un logis:

 

Si le serpent était tué, un membre de la famille mourrait et une succession de malheurs s'abattrait sur les survivants.

 

Viollca guérissait par les plantes et lisait l'avenir dans les tarots. Ce n'est qu'après la mort tragique de Giacomo qu'elle renouera avec ses interrogations du sort par les cartes, et ce qu'un jour elle y verra la confirmera dans son pressentiment:

 

En l'épousant elle avait fondée une lignée de rêveurs, d'êtres mélancoliques destinés à souffrir, exactement le sort qu'avait subi son mari.

 

Le fait est qu'une partie des descendants seront des rêveurs. Qu'ils accomplissent leurs rêves ou y renoncent, des morts tragiques jalonneront leurs existences, d'aucuns parleront avec les morts, d'autres auront des dons divinatoires cachés:

 

La moitié a la peau claire et les yeux bleus [...], et l'autre moitié a la peau mate et les yeux noirs...

 

Cette saga se passe surtout en Italie, au cours des XIXe et XXe siècles. L'auteure en restitue avec justesse l'histoire complexe, propice aux engagements, auxquels des rêveurs de la famille, mus par une force secrète, prennent quelque part.

 

Viollca avait-elle eu tort d'être persuadée que d'être des rêveurs était une malédiction pour sa descendance? En tout cas une de ses descendantes se pose la question et se met à penser que les prémonitions funestes de la famille vont cesser: 

 

Peut-être que c'étaient précisément les rêves qui faisaient vivre les gens...

 

Francis Richard

 

Le Sortilège de Stellata, Daniela Raimondi, 528 pages, Slatkine & Cie (traduit de l'italien par Manuela Corigliano)

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27 juillet 2021 2 27 /07 /juillet /2021 19:00
Au commencement était le verbe, de Sylviane Dupuis

Au commencement était le Verbe.

 

(Incipit de l'évangile selon saint Jean)

 

Au commencement était le verbe n'est pas un texte religieux mais littéraire. La minuscule à verbe en atteste, si le titre, indépendamment du sous-titre, peut le laisser croire.

 

Sylviane Dupuis a écrit là un essai éclairant sur la littérature de Suisse francophone du XXe siècle où s'est nouée une relation singulière entre l'écriture et les Écritures.

 

L'auteure ne prétend pas à l'exhaustivité, mais les exemples qu'elle donne sont significatifs de cette relation de nombre d'auteurs de cette partie de Suisse avec le Livre.

 

De cette dernière, l'auteure rappelle qu'elle n'occupe qu'un quart de la superficie d'une petite île située au coeur de l'Europe, où quatre langues nationales coexistent.

 

Tout au long du siècle, jusqu'aux années 1970-1980 environ, la littérature d'ici se démarque des littératures tant française que francophones par une double caractéristique:

 

D'une part sa fidélité au Livre, réserve d'images, de fables, de figures et de préceptes, mais aussi texte-matrice de nombreuses oeuvres issues tant du versant protestant que du versant catholique de la Suisse francophone - en dépit de l'agnosticisme de la majorité des auteur(e)s; et d'autre part, chez poètes et prosateurs, romanciers ou romancières, un rapport de nature essentiellement poétique à la langue et à la forme.

 

Pour illustrer son propos, l'auteure visite, ou revisite, pour le lecteur cette littérature féconde, où le Livre omniprésent ne joue pas le même rôle chez les uns ou les autres.

 

D'aucuns imitent le Livre, le détournent ou le subvertissent, tels, par exemples, Charles-Ferdinand Ramuz, Maurice Chappaz, Yves Laplace ou encore Jacques Chessex

 

D'autres entrent en résistance avec le Livre et s'y heurtent, tels, par exemples, Catherine Colomb, Yves Velan, Jean-Marc Lovay, Monique Saint-Hélier ou Alice Rivaz.

 

D'autres encore s'inspirent du Livre, mais s'en distancient et l'allègent par l'humour et le rire, tels Nicolas Bouvier ou Jean-Luc Benoziglio, ce qui l'honorent, autrement.

 

Depuis, les écrivains d'ici n'ont plus ce rapport avec le Livre, ou indirectement quand ils ont lu leurs aînés, ne serait-ce que parce qu'ils sont nombreux à avoir vécu ailleurs.

 

Ce livre intéressera les étudiants, les lecteurs qui se sont nourris de ces écrivains et en ont fait du miel, les lecteurs qui aiment la littérature et ne connaissent pas celle-ci.

 

Puissent, comme le dit Sylviane Dupuis, certains, saisis par l'envie d'écrire, ou ayant déjà commis quelques écrits, tirer à leur tour de ces oeuvres matière à invention du nouveau.

 

Francis Richard

 

Au commencement était le verbe, Sylviane Dupuis, 256 pages, Zoé

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24 juillet 2021 6 24 /07 /juillet /2021 22:30
Dedans/Dehors, réflexions d'une femme en cage, de Marina Jaques

Durant cinq années de traversée d'un désert aussi aride qu'hostile, ce sont toujours des personnes extérieures à mon intimité qui ont fait preuve de sollicitude et de bienveillance. C'est un constat triste et désolant, paradoxalement plein d'espoir quant à la nature humaine.

 

De janvier 2016 à septembre 2016, Marina Jaques, 54-55 ans à l'époque, est détenue dans une prison du canton de Vaud. Pendant ces neuf mois, elle a tout le temps de réfléchir à sa vie.

 

Son récit, c'est Dedans/Dehors. Dedans, ce sont ses mois de prison. Dehors, ce sont ces cinq ans de désert qui ont précédé la prison, mais aussi des souvenirs antérieurs, depuis l'enfance.

 

À 20 ans, elle écope d'un mois ferme. Ce passage en prison n'aura aucune incidence sur sa vie, tandis que son deuxième, plus long, en aura, parce que c'est elle-même qui lui donnera un sens:

 

La prison peut vous rendre plus fort, peut-être. Plus prudent sans doute. Mais en aucun cas elle ne vous enseigne à vous conformer avec intelligence et compréhension, tant le conformisme y est poussé jusqu'à l'indigestion.

 

L'auteure a travaillé successivement dans la restauration, les ressources humaines, le travail social. Mais sa vie n'est pas politiquement correcte: c'est une femme à femmes, dépendante à l'alcool.

 

Ce qui caractérise aussi bien ses souvenirs que son temps carcéral, c'est qu'elle veut comprendre, a un besoin irrépressible de savoir, de donner un sens, peut-être parce qu'elle en a manqué.

 

Hors normes, elle essaie d'être conforme à ce qu'on attend d'elle, mais cela ne lui réussit pas, parce qu'elle est intrinsèquement libre et inapte à se couler dans d'autres moules que le sien. 

 

Faite pour le terrain, les grandes théories déconnectées du réel l'insupportent, quand elles ne l'ennuient pas, et heurtent en elle le bon sens, qui n'a pourtant pas toujours raison de ses chimères.

 

Elle n'approuve pas ce qu'elle a commis, mais ce qui est fait est fait. Elle accepte d'être en prison et, finalement, s'y trouve bien, parce qu'elle comprend pourquoi elle a été condamnée.

 

Il lui faut bien en sortir, même si elle n'en a guère envie, y ayant fait son trou. Après avoir quitté cet univers structuré, le cerveau lavé, elle est plus forte d'avoir survécu mentalement et constate:

 

La lumière me fait mal aux yeux. Il me faudra du temps pour me réapproprier cette clarté, je le présume, je le sais, je le sens. Du temps.

 

Francis Richard

 

Dedans/Dehors, réflexions d'une femme en cage, Marina Jaques, 340 pages, Les Éditions Romann

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22 juillet 2021 4 22 /07 /juillet /2021 22:55
Paris bas-ventre, suivi de, Éloge du coronavirus, de Richard Millet

Je ne fuis pas: l'altération profonde infligée au peuple français par le nombre migratoire me conduit à un retranchement spirituel et politique qui met en question les catégories d'identité et d'altérité.

 

Richard Millet parle dans Paris bas-ventre de retranchement, C'est sa manière à lui de se placer, de s'exclure lui-même, pour résister aux Barbares qui, à ses yeux, ne sont pas forcément les étrangers mais plutôt ceux qui se renient eux-mêmes par vertu mondialiste et à qui il en veut, pour commencer, de maltraiter la langue.

 

Le lieu infernal, représentatif de la barbarie (elle ne vient pas, elle est déjà là, depuis longtemps), c'est le RER ou Réseau Express Régional, à Paris, en lequel il voit comme le principe évacuateur du peuple français, le sous-titre de son essai. Ce monde souterrain, qu'il fréquente pourtant, est ainsi comparable à un égout.

 

Là transite un échantillon d'humanité auquel il se garde bien d'appartenir (de toute façon, ce dissident, opposé au grand consensus mondialiste, en est banni de facto comme il l'est de l'édition, où il ne s'est trouvé, naguère, que Pierre-Guillaume de Roux, et, aujourd'hui, La Nouvelle Librairie, pour sauver l'honneur perdu):

 

Ce que révèle la figuration cruciforme du RER, c'est la descente de l'homme en ses propres souterrains, sa condition banlieusarde, la mise au ban de lui-même, dans la négation de toute histoire spirituelle et nationale, sa chute dans la Cloaca Maxima postethnique...

 

En ce sous-sol, satanique pour un catholique, Richard Millet se sent surtout humilié d'avoir à partager avec des Français qui ignorent qui ils sont et des immigrés extra-européens qui ne veulent pas être français autrement que sur le plan administratif, une condition souterraine, aliénante, et une absence de destin commun:

 

Contrairement à ce que soutient le consensus, les peuples qui se côtoient ici entrent non pas dans une heureuse universalité postraciale mais dans cette négation réciproque de toute universalité qu'est le communautarisme pur et dur.

 

Ce voyage dans le RER, où il grossit le trait, s'apparente, dans son regard, à un stage de survie en "milieu extrême": le village global réduit à sa dimension latrinale. Peu de chances dans ces conditions que, s'ils le lisent, les chantres de la France multiculturelle et de l'immigration de masse extra-européenne apprécient.

 

Peu lui chaut, au point de bannissement où il est relégué. Et ce n'est pas son Éloge du coronavirus, virus qu'il considère comme un ironique retour de flamme, et son pouvoir "létal" comme un salutaire rappel au réel, qui va le faire rentrer dans leurs bonnes grâces, ce dont il n'a cure. Car, cet homme libre écrit ce qu'il pense:

 

L'homme est devenu impossible depuis qu'il n'est plus qu'un animal comme les autres, les aberrations sexuelles en plus, et l'animal une personne en attente de droits...

 

Aussi se réjouit-il de ce qui nuit au Nouvel ordre mondial: c'est bénéfique pour l'esprit. Quant au monde d'après, il n'est évidemment que l'antimonde où nous vivons déjà et où l'homme, en fin de compte, ne mérite que de rester en vie pour comptabiliser le chiffre de ses jours et les progrès de la destruction, en soi et autour de lui:

 

Si l'on peut regretter que le coronavirus ne tue pas assez de monde, c'est surtout parce qu'il laisse trop d'imbéciles sur terre. je me réjouirai toujours de voir mourir mes ennemis, qui sont légion. D'autres virus nous déferont des tièdes, parfois pires que l'ennemi.

 

Il conclut:

 

Je me demeure fidèle dans le pire: c'est là une forme de santé, tout comme la misanthropie est la seule forme d'amour lucide pour mon prochain. Pour le reste, je m'en remets non pas à la médecine, ni au hasard, mais à Dieu.

 

Francis Richard

 

Paris bas-ventre, suivi de, Éloge du coronavirus, Richard Millet, 118 pages, La Nouvelle Librairie

 

Précédents billets sur des livres de Richard Millet:

 

La souffrance littéraire de Richard Millet (21 septembre 2012) :

- Langue fantôme, suivi de, Éloge littéraire d'Anders Breivik

- Intérieur avec deux femmes

- De l'antiracisme comme terreur littéraire

Trois légendes (21 novembre 2013)

L'Être-Boeuf (3 décembre 2013)

Une artiste du sexe (30 décembre 2013)

Le corps politique de Gérard Depardieu (25 novembre 2014)

Solitude du témoin (3 mai 2015)

Province (28 juin 2017)

Étude pour un homme seul (17 mai 2019)

Français langue morte suivie de l'Anti-Millet (30 juillet 2020)

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17 juillet 2021 6 17 /07 /juillet /2021 22:35
Geocratia, de Benoît Rittaud

L'humanité n'a pas su faire de la découverte de sa petitesse dans l'univers une leçon d'humilité. C'est la raison pour laquelle un nouveau renversement est nécessaire: la Terre doit redevenir le Grand Centre.

 

Dans ce roman, qui se situe dans les décennies qui suivent la nôtre, Benoît Rittaud explore les liaisons dangereuses entre l'idéologie et la pseudo-science et montre qu'un jour ou l'autre la science ne peut que mettre fin à leurs ébats.

 

Une nuit, les deux collaborateurs de Serge Nalliens, mènent, dans un laboratoire français, une expérience qui confirme dans un premier temps les résultats que Schwarz, un autre grand scientifique, a obtenus précédemment, en 2025.

 

Ce n'est donc pas encore une découverte. Mais, l'expérience étant poursuivie, les résultats prouvent indubitablement que l'homme n'est pas responsable par ses émissions de CO2 - qui reverdissent la planète - du réchauffement climatique:

 

L'atmosphère est un système mieux régulé que prévu. On ne peut pas bouleverser le climat comme nous le pensions. Des mécanismes correcteurs existent dans la nature pour prévenir les emballements que nous pensions inéluctables.

 

L'annonce de cette découverte peut mettre à mal le soi-disant consensus des spécialistes en matière climatique, dont les écologistes se sont emparés pour donner un vernis scientifique à leur idéologie, afin prétendument de sauver la planète.

 

Si Sonneyer, son directeur, est prêt à tout dévoiler, Niallens se montre hésitant. À sa décharge, il faut dire qu'il s'est fâché grave avec sa fille, laquelle a rejoint des écolos radicaux qui, pour parvenir à leurs fins, ont un projet, Geocratia.

 

Une telle révélation serait de nature à rendre le père et la fille définitivement irréconciliables. Quoi qu'il en soit, pendant que les deux collaborateurs de Niallens lui rendaient compte de leurs résultats, leurs locaux étaient vandalisés.

 

À partir de là, l'auteur emmène le lecteur dans les hautes sphères de plusieurs pays: la France, le Mexique, la Russie, le Portugal, où doit avoir lieu à Lisbonne une énième conférence sur le climat, et dans les coulisses des écolos radicaux.

 

C'est l'occasion pour lui d'écrire des chapitres d'anthologie, basés sur des documents antérieurs au milieu de l'année 2021 et projetés avec une grande plausibilité dans les décennies suivantes. Ainsi en est-il de deux d'entre eux en particulier:

 

- le texte de Richard Simonin intitulé Pour une loi Gayssot sur le climat;

- l'épilogue sous la forme d'une Demande de financement d'un projet de recherche.

 

De la science derrière laquelle tout le monde s'abrite, l'auteur fait dire enfin par Sonneyer qu'elle n'est véritable que si elle s'intéresse au message et non au messager. Il donne un exemple plein de bon sens pour illustrer ce propos essentiel:

 

La théorie de la relativité n'est pas vraie parce que le grand scientifique Einstein l'a dit. C'est parce qu'Einstein a énoncé la théorie de la relativité qu'il est un grand scientifique.

 

Francis Richard

 

Geocratia, Benoît Rittaud, 352 pages, Éditions du Toucan

 

Livres précédents:

 

Le mythe climatique, Seuil (2010)

La peur exponentielle, PUF (2015)

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12 juillet 2021 1 12 /07 /juillet /2021 18:55
L'été froid, de Gianrico Carofiglio

- Tout a commencé le 12 avril, avec l'homicide de D'Agostino Gaetano, dit le Petit. Il a été tué à coups de pistolet dans le quartier de Libertà, où il était allé voir sa mère. Lui, il habitait à Enziteto - un quartier plutôt compliqué, pour employer un euphémisme - et il appartenait au clan de Grimaldi Nicola, dit le Blond, ou Trois Cylindres. 

 

Puis cela a continué avec la disparition, depuis le 23 avril, de Capocchiani Michele, un des lieutenants de Grimaldi, et l'homicide de Carbone Gennaro et la tentative d'homicide contre Andriani, tous deux des affiliés de Grimaldi.

 

Ce qui est curieux, c'est que deux autres affiliés de Grimaldi ont disparu, Losurdo Simone et Lopez Vito, un autre lieutenant du chef de clan. On parle d'une scission au sein de celui-ci, ce qui expliquerait les homicides et les disparitions.

 

Les carabiniers de Bari enquêtent sur la mort de Carbone, plus précisément le maréchal Fenoglio, sous la direction d'une magistrate, la dotoressa D'Angelo. À ce moment-là, le bruit court que le fils mineur de Grimaldi a été enlevé.  

 

Tout accuse les rebelles du clan de s'en être pris à cet enfant, sauf que celui qui est le principal visé, Lopez Vito, se livre à la police, ne pouvant à la fois lutter contre celle-ci et la mafia locale, déclarant n'être pour rien dans cet enlèvement.

 

Se livrer pour bénéficier de la protection judiciaire ne se fait évidemment pas sans contrepartie, ce qui permettra aux carabiniers de lancer une opération qui sera appelée Été froid parce qu'elle débute alors qu'il fait noir et pluvieux...

 

Si ce n'est pas Lopez Vito et ses complices, qui a commis cet enlèvement contre rançon? C'est tout le ressort de cette intrigue qui se passe en 1992 et qui fait pénétrer le lecteur dans les arcanes de la mafia, ses rites, ses codes, et... l'omerta.

 

Ce qui frappe, c'est l'intelligence avec laquelle sont préparés et accomplis tous ces crimes, mais être intelligent n'empêche pas de commettre des erreurs fatales, même dans un État de droit où il faut tout prouver avant de pouvoir condamner. 

 

Francis Richard

 

L'été froid, Gianrico Carofiglio, 464 pages, Slatkine &  Cie (traduit de l'italien par Elsa Damien)

 

Livre précédent:

 

Trois heures du matin (2020)

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8 juillet 2021 4 08 /07 /juillet /2021 19:15
L'Impasse au loup, de Gilbert Pingeon

Alex pourrit la vie de ce quartier de la Vieille Ville, à cause de son existence éclatée en mille morceaux.

 

Alex est malheureux, désoeuvré. L'abandon est le maître-mot de son existence, si on peut appeler cela une existence: il a notamment subi l'abandon précoce de son père, tardif de sa mère.

 

Dans son jeune temps, il s'est adonné à la drogue, à l'alcool. Depuis, il cumule les étiquettes sur son bocal fêlé. Il est à la fois paranoïaque, mythomane, schizophrène. Rien que ça.

 

Paranoïaque, il se sent en permanence observé. Mythomane, il ne casse pas les objets qui l'entourent, il les punit. Schizophrène, il est Alex, celui qui dit MOI, et Axel, celui qui dit NON.

 

Il devrait être hospitalisé, mais non. Il vit dans L'Impasse du loup, où il se terre quand il en a assez de déambuler dans la ville. Et là, loup urbain, il hurle la nuit, réveillant ses voisins.

 

Le portrait que dresse Gilbert Pingeon de ce marginal est celui d'un possédé, dont personne ne peut chasser le démon, d'un prisonnier de son corps et de l'incompréhension des autres.

 

Bien que fou, celui-ci n'en est pas moins lucide: Je sais mes propos incohérents aux yeux des hommes, mais en harmonie avec mon désordre intérieur. Je parle vrai. Je ne suis pas un faux jeton. 

 

Se mettre dans la tête d'Alex, et dans celles de ceux qui l'entourent, est la prouesse à laquelle l'auteur se livre. A-t-il lu quelque part la métaphore correspondant à son délabrement?

 

Quoi qu'il en soit, Alex, dédoublé en Axel, la reprend à son compte, conscient que son existence éclate en morceaux et que cela finira mal, c'est inéluctable, comme le lecteur s'y attend: 

 

Je suis comme une bouteille Thermos, qu'on a laissée tomber. Extérieurement, elle semble intacte, mais elle ne contient plus que des milliers d'éclats de verre brisé.

 

Francis Richard

 

L'Impasse au loup, Gilbert Pingeon, 100 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

 

T, L'Âge d'Homme (2012)

Bref, Éditions de l'Aire (2015)

Oh, Éditions de l'Aire (2018)

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7 juillet 2021 3 07 /07 /juillet /2021 21:45
L'homme qui peignait les âmes, de Metin Arditi

Il se pouvait que le bois ait été coupé au XIe et que l'oeuvre n'ait été réalisée que trois siècles plus tard. Mais la probabilité qu'il soit resté intact étant quasi nulle, cette hypothèse est écartée.

 

Quel iconographe de génie a peint le Christ guerrier, cette icône qui se trouve aujourd'hui au monastère de Mar Saba, à une vingtaine de kilomètres au sud de Bethléem?

 

Metin Arditi raconte son histoire dans L'homme qui peignait les âmes, dans le contexte reconstitué de la fin du XIe en Terre Sainte, avant et pendant les deux premières croisades.

 

Reproduire l'image d'un être vivant n'était permis ni aux musulmans ni aux juifs. Pour ce qui concerne les chrétiens, ils le pouvaient mais à condition de respecter des canons.

 

Quand frère Anastase du monastère de la Sainte Trinité, laisse percevoir par Avner, qui est juif, une icône, puis d'autres, dans l'église, celui-ci repart avec l'esprit en feu.

 

Il ne le sait pas encore, mais il a trouvé sa vocation, celle d'écrivain d'icônes. Car Anastase lui a dit qu'on ne peint pas une icône qui est une représentation du divin, on l'écrit.

 

Pour ce faire, il est prêt à tout, à commencer par l'apprentissage des techniques de bois: d'abord le choisir, ensuite le découper en planches, enfin rendre lisses celles-ci.

 

Ces trois premières portes franchies, pour franchir les suivantes, il doit apprendre le grec, connaître les Textes, recevoir le baptême, buts qu'il ne peut atteindre sans tricher.

 

Bien qu'il ne soit pas animé par la foi, malgré qu'il en ait, il se fait baptiser, devient Petit Anastase et franchit les dernières portes pour être un écrivain d'icônes digne de ce nom:

 

Peu lui importait qu'il eût ou non la foi, il croyait en la beauté, en celle des icônes, en la consolation qu'elles offraient.

 

Seulement cette foi en la beauté, qu'il exprime dans ses icônes, n'est pas ce qui lui est demandé. On considère qu'il peint plutôt qu'il n'écrit. En avance sur son temps, il est rejeté.

 

Qu'importe qu'il honore le Seigneur à sa façon, en écrivant des icônes pour chanter l'Homme, la plus grande merveille de la Création. Ce n'est pas la foi qui convient...

 

Quoi qu'il en soit, cette façon d'honorer le Seigneur, si elle exalte les uns, exaspère les autres, surtout ceux qui dictent aux autres ce qu'ils doivent penser et... les jaloux.

 

Ce Juif est non conformiste, c'est-à-dire hérétique. Si la Terre Sainte est celle des trois religions du Livre, il ne peut que choquer en voulant les concilier et en disant sincèrement:

 

Notre religion dit la Loi. J'ai beau l'avoir abandonnée, sa rigueur et sa majesté m'impressionne. La vie du Christ m'enseigne la charité, et l'Islam me rappelle l'importance de l'humilité et de la soumission. Pourquoi devrais-je refuser l'hospitalité de l'une de ces maisons en faveur d'une autre?

 

Découvrir la beauté de chacun - sa part divine -, en faire une source de joie, lui faire confiance au lieu de le contraindre par la peur ou la violence, sont sa mission d'homme.

 

Francis Richard

 

L'homme qui peignait les âmes, Metin Arditi, 304 pages, Grasset

 

Romans précédents:

 

Le Turquetto, 288 pages, Actes Sud  (2011)

Prince d'orchestre, 380 pages, Actes Sud (2012)

La confrérie des moines volants, 350 pages, Grasset (2013)

Juliette dans son bain, 384 pages, Grasset (2015)

L'enfant qui mesurait le monde, 304 pages, Grasset (2016)

Carnaval noir, 400 pages, Grasset (2019)

Rachel et les siens, 512 pages, Grasset (2020)

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2 juillet 2021 5 02 /07 /juillet /2021 18:20
Les voisins, de Fiona Cummins

Personne ne voit la petite fille - la plus jeune du groupe - s'éloigner du théâtre de marionnettes, trébucher dans ses plus belles chaussures et marcher jusqu'à une réserve dont la porte aurait dû être fermée.

 

Il faut lire attentivement le prologue de ce roman policier bien ficelé. Tout n'y est pas dévoilé, mais le lecteur y trouve des éléments essentiels, qui remontent au passé et dont toute la suite découle.

 

En l'occurrence la petite fille ouvre un coffre dans la réserve du magasin à l'enseigne du Palais de la Poupée et de la Panoplie, y voit quelque chose qu'elle n'aurait pas dû voir et qui la fait hurler.

 

Trente-trois ans plus tard quatre cadavres sont trouvés dans un bois proche de l'Avenue, où, au numéro 18, se trouvait le magasin, devenu entre-temps une boutique en ligne de poupées très prisées.

 

Trefor Lovell, l'artisan qui fabrique ces poupées avec amour - chacune nécessitait des jours et des jours de travail -, habite lui-même, à deux pas, au numéro 32 de l'Avenue, située à Rayleigh, Essex.

 

Au numéro 27 de l'Avenue, habitent Audrina Clifton, une invalide en chaise roulante, dont les pâtisseries sont légendaires, et son mari Cooper Clifton, qui est retraité et qui s'y connaît en jardinage.

 

Au numéro 26 de l'Avenue, habitent Dessie Benedict et Fletcher Parnell, qui passe beaucoup de temps l'oeil rivé à son télescope qu'il n'oriente pas seulement vers les étoiles mais aussi vers les fenêtres.

 

Au numéro 25 de l'Avenue, au début de l'histoire, s'installent Garrick et Olivia Lockwood (qui ont la ferme intention de reconstruire leur couple en péril), avec leur fille Aster et leur petit garçon Evan.

 

L'enquête piétine mais est relancée après la découverte d'une cinquième victime, l'inspecteur Adam Stanton, mari de l'inspectrice Wildeve Stanton, qui ne va rien lâcher quand elle en sera écartée.

 

Les victimes ont été maquillées au pinceau, les yeux remplacés par des billes de verre, comme des poupées. Trois d'entre elles ont succombé à une crise cardiaque et deux à une détresse respiratoire.

 

Le récit chronologique des jours précédents le dénouement est ponctué de réflexions de l'assassin qui sont toutes datées d'aujourd'hui. L'auteure lui fait dire beaucoup mais pas assez pour l'identifier.

 

En dehors des membres de la police et des voisins, l'auteure fait apparaître un personnage, un postier, dont le rôle est ambigu, ce qui ne facilite pas la tâche du lecteur, décidément perdu en conjectures.

 

Difficile de se déprendre de ce livre où, le hasard faisant bien les choses, le Doll Maker, comme la presse l'appelle, est enfin démasqué, en même temps que sont révélés comment et pourquoi il a tué.

 

Francis Richard

 

Les voisins, Fiona Cummins, 512 pages, Slatkine & Cie (traduit de l'anglais par Jean Esch)

 

Livre précédent:

 

Le collectionneur (2018)

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30 juin 2021 3 30 /06 /juin /2021 19:15
Le vieil homme et le livre, de Michel Moret

Le petit livre que je publie aujourd'hui n'a qu'une seule ambition, c'est de servir la cause de la lecture.

 

Ce petit livre devait s'intituler, s'inspirant du commencement de La Recherche, Longtemps encore je me souviendrai de ce bonheur. Mais un heureux concours de circonstance a fait changer d'avis Michel Moret:

 

J'ai reçu un courriel d'un employé que j'avais dû congédier, me disant que je suis un vieil homme qui ne veut rien lâcher. Le terme vieil homme m'a séduit et, immédiatement, j'ai pensé au roman d'Hemingway, Le vieil homme et la mer, que je relis chaque année en espérant le savoir un jour par coeur.

 

Le lecteur n'aura pas manqué de faire le rapprochement entre les deux titres. Mais il aura considéré que le vieil homme ne l'est pas tant que ça, même si, depuis peu, en admettant que le Journal de Tintin n'ait pas disparu, il ne fait plus partie des jeunes qui sont censés constituer son lectorat.

 

Michel Moret sait de quoi il parle en matière de livre puisque toute sa vie tourne autour de lui: libraire, éditeur et écrivain sont en effet ses trois facettes. C'est pourquoi il ne laisse pas de constater avec bonheur que le livre a résisté au cinéma, au téléphone, à la télévision, et maintenant à internet:

 

On n'enterre pas si facilement les oeuvres des géants que sont Shakespeare, Cervantes, Hugo, Tolstoï, Dante, Pessoa.

 

Le livre donc perdure. Ce qui permet toutefois de séparer le bon grain de l'ivraie, c'est-à-dire de distinguer les écrivains sans intérêt des guides éclairés, c'est de lire tout simplement (j'ajouterais cependant de laisser faire le temps). Pourquoi le livre perdure-t-il? Parce qu'il est irremplaçable:

 

Le livre nous éclaire sur la complexité de l'âme humaine et développe chez le lecteur le goût du paradoxe et le relativisme de certaines valeurs.

 

Michel Moret a, comme tout éditeur, la lourde responsabilité de donner une chance à un livre, ce qu'il fait non pas pour passer le temps ou pour se faire plaisir, mais parce qu'il a de l'enthousiasme et de la curiosité et qu'il pense à tous ces autres qui pourraient faire leur miel de ce qu'ils lisent.

 

Après plus de quarante ans de métier, Michel Moret ramasse les souvenirs littéraires à la pelle pour notre bon plaisir. Car, pendant ce temps-là, il a fait de nombreuses rencontres avec des écrivains et avec leurs livres. Lesquelles confirment la curieuse transsubstantiation opérée par la création:

 

Plus l'écriture sera travaillée, plus elle sera belle et mieux elle vieillira. D'ailleurs, souvent on a l'impression que l'auteur exprime ce qui le dépasse. Ecriture personnelle et message universel, voilà le paradoxe de la création.

 

L'autre paradoxe n'est-il pas que, si leur forme et leur style changent, le fond des livres demeure, alimente la vie intérieure et le goût du beau? Ce paradoxe est celui de l'évolution et de la permanence, qui nous caractérisent, si bien que Michel Moret constate sans qu'il soit possible de le contredire:

 

Les poèmes de Sapho et d'Ovide sont tout aussi modernes que ceux de notre jeune siècle: on invente si peu de choses mon amie la Rose.

 

Francis Richard

 

Le vieil homme et le livre, Michel Moret, 124 pages, Editions de l'Aire

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29 juin 2021 2 29 /06 /juin /2021 18:10
Clothilde: au temps de la Saint-Barthélemy, de Henri Gautschi

- La nuit dernière, il y a eu une sorte de révolution à Paris. Les catholiques se sont soulevés et ont tué des centaines de protestants.

 

Ce lundi 25 août 1572, dans la région de Bourges, après avoir entendu cette parole de son père, Arthur, qui a appris que sa contemporaine de dix ans, Clothilde Burnand, et sa famille étaient protestants, comprend qu'ils sont en danger, décide de rejoindre leur maison et meurt en se faisant piétiner par une troupe de cavaliers.

 

Dix ans plus tard Clothilde, le mardi 22 mai 1582, à Genève, est traduite devant un tribunal, accusée d'avoir assassiné Victor Mugnier. Elle est condamnée à mort, après le témoignage de Fernand Picod, compagnon charpentier de Victor, qui l'a vue s'éloigner bras dessus, bras dessous, avec lui en direction de son domicile.

 

Ramenée en cellule, Clothilde sait que, dans quelques minutes ou quelques heures, on va venir la chercher, l'enfermer dans un sac, la soulever avec une corde attachée à une poulie et la plonger dans l'eau froide du Rhône, jusque ce que mort s'ensuive. Comme souvent ceux qui vont mourir, elle repense à ce qu'a été sa vie.

 

Au soir du 25 août 1572, sa grand-mère, ses parents, Pierre et Alice, son frère, et sa tante Hélène, soeur de Pierre, prennent la route pour Genève, havre des exilés protestants, de l'or cousu dans les ceintures, pensant faire étape à Lyon chez François Pelletier, un ami coreligionnaire de Pierre, à qui, drapier, il achète des tissus.

 

Henri Gautschi raconte les péripéties de ce voyage éprouvant, les routes n'étant pas sûres, protestants et catholiques rivalisant de cruautés et de violences en chemin. Clothilde parvient toutefois à Genève où elle est accueillie par les Gindrat (Benoît étant une vieille connaissance de son père), qui tiennent l'Hôtel de l'Écu.

 

L'auteur restitue si bien ce temps de la Saint-Barthélemy et des années suivantes que le lecteur a l'impression de le revivre et en est remué. Cela lui permet de se voir confirmer que ce temps échappe, comme tous les temps, aux schémas simplificateurs où s'opposeraient d'une part un camp du Bien et de l'autre un camp du Mal.

 

Francis Richard

 

Clothilde: au temps de la Saint-Barthélemy, Henri Gautschi, 280 pages, Éditions Encre Fraîche

 

Livre précédent:

La nuit la plus longue - Au temps de l'Escalade (2018)

 

Publication commune avec lesobservateurs.ch

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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