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2 novembre 2020 1 02 /11 /novembre /2020 20:30
Lucie d'enfer - Conte noir, de Jean-Michel Olivier

C'est le genre de Lucie: entrer par effraction dans la vie des gens. Elle le fait simplement, sans recours au mensonge, en toute ingénuité. Avec un naturel confondant. Bien malin, alors, celui qui sait lui résister.

 

Simon, le narrateur, est devenu écrivain. Il a connu Lucie sur les chaises en bois foncé du collège Rousseau à Genève, en 1989, cette année de grands bouleversements. Comme les autres garçons et comme les guêpes, Simon tournait autour d'elle:

 

Elle était farouche, mais pas pour tout le monde [...] C'était elle qui décidait.

 

Ainsi, lorsque Lucie jetait son dévolu sur un garçon, tel Simon, c'était elle qui fixait les limites de ce qu'il pouvait entreprendre avec elle, comme c'était elle qui choisissait d'aller au cours ou pas, ou de disparaître comme un beau jour de 1992.

 

Ce fut la première de ses disparitions dans la vie de Simon, mais ce ne fut pas la dernière. Car elle réapparut plusieurs fois, au moment où il ne s'y attendait pas. À chaque fois il ne résistait pas quand elle surgissait ou lui demandait d'accourir.

 

Chacun des deux vivra de son côté. Lucie aura plusieurs hommes dans sa vie et Simon plusieurs femmes. Mais elle finira toujours par le retrouver par on ne sait quel maléfice, si bien qu'il se posera cette question ô combien existentielle :

 

Est-on capable d'aimer plusieurs fois dans sa vie ? Ou ne sait-on aimer qu'une seule fois, la première, qui est un désastre inouï ? Nous serions condamnés à emboîter les amours mortes, comme les poupées russes, sans pouvoir jamais retrouver la fraîcheur de l'original.

 

Simon ne sait pas pourquoi il entre à chaque fois dans le jeu de Lucie, pourquoi il joue avec elle le rôle du bon petit soldat, de l'éternel amoureux, du chevalier servant, de l'esclave attaché [à son] tyran comme le chien à sa maîtresse.

   

Est-ce fortuit que Simon fasse sa vie avec des féministes, d'abord avec Adrienne qui est révoltée contre les hommes, puis avec Sylvie qui déteste les femmes, bien que la femme soit l'unique espoir de rédemption d'une humanité à la dérive ?

 

Lucie, prénom qui évoque Lucifer, le porteur de lumières, lequel est paradoxalement le prince des ténèbres, est-elle une créature d'enfer, pour faire tomber toujours Simon sous son charme? Cette question, il se la posera jusqu'au bout...

 

Francis Richard

 

Lucie d'enfer - Conte noir, Jean-Michel Olivier, 160 pages, Éditions de Fallois (en librairie le 4 novembre 2020)

 

Livres précédents:

 

Éditions Bernard de Fallois/ L'Âge d'homme:

L'amour nègre (2010)

Après l'orgie (2012)

L'ami barbare (2014)

 

Éditions L'Âge d'homme:

Passion noire (2017)

Éloge des fantômes (2019)

 

Poche Suisse - L'Âge d'homme:

L'amour fantôme (2010)

Notre Dame du Fort Barreau (2014)

L'enfant secret (2018)

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28 octobre 2020 3 28 /10 /octobre /2020 11:20
Balles neuves, d'Olivier Chapuis

RF m'exaspère et je ne comprends pas pourquoi.

 

(RF, pour Roger Federer)

 

Le narrateur envoie ce SMS laconique à son mentor BK, Beat Kaufmann, qui est un ami de longue date, écrivain et cinéaste, auréolé de quelques prix qu'il n'avait pas volés...

 

BK lui répond: Écris! si tu as quelque chose sur le coeur, l'estomac ou la conscience, écris! si tu te sens mal, ou trop bien, écris! plutôt que de vomir ou pourrir [...] écris!

 

Alors il écrit et crée un alter ego, un certain Axel Chang, né d'un père chinois et d'une mère bernoise, marié depuis dix ans à Marie Chang, née Dubochet [...]. Ils ont trois enfants.

 

Axel est chef de rayon dans un grand magasin, étage des appareils électroménagers. C'est un frustré. Sa frustration germe sur le manque, l'absence et l'injustice, comme souvent.

 

Le déclic se produit le 4 juillet 2003, le jour où toute la petite famille d'Axel s'extasie devant le jeu de RF qui l'emporte contre Andy Roddick sur le gazon de Wimbledon.

 

Il n'existe plus. De ce jour date son obsession pour, contre RF, qui est le parfait bouc émissaire de son manque de réussite et du fait qu'il n'aura jamais les moyens de ses ambitions.

 

Au fil des années, des succès et, même, des échecs de RF sur les courts, l'existence d'Axel dépend de la représentation qu'il se fait de RF. Son couple, sa famille, son job en pâtissent.

 

Peut-être que le fait que RF soit suisse, comme lui, et que son père, après avoir abandonné sa mère, soit devenu un célèbre comédien, en rajoute-t-il à sa détestation du joueur.

 

De fait, sa détestation va crescendo. Au lieu de se reprendre, comme c'est parfois le cas d'un tennisman lorsqu'il sert avec des Balles neuves, Axel la pousse jusqu'à un acmé.

 

Francis Richard

 

Balles neuves, Olivier Chapuis, 168 pages, BSN Press

 

Livres précédents:

Le Parc, 96 pages, BSN Press (2015)

Nage libre, 144 pages, Éditions Encre Fraîche (2016)

Le chat, 272 pages, L'Âge d'Homme (2018)

Les chaussettes en titane, 64 pages, BSN Press (2019)

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24 octobre 2020 6 24 /10 /octobre /2020 18:30
L'ombre du souterrain, d'Édith Habersaat

Au village, on se perd en conjectures: qui a agressé Alexia Dorval tandis qu'elle traversait le passage souterrain dit des Chauves-souris? Il n'y a eu ni viol, ni détroussement, mais des brutalités soldées par un sévère traumatisme crânien, entre autres lésions.

 

Ainsi commence le roman d'Édith Habersaat. Si on se perd en conjectures, c'est que, dans ce village, où tout le monde se connaît, ce ne sont pas les suspects qui manquent, d'autant que l'agression a eu lieu le soir de la fête de la musique et qu'il y avait foule.

 

C'était un soir d'orage. Ce qui explique pourquoi Alexia a emprunté le passage sous-voie en question, en dépit des recommandations de sa grand-mère maternelle Cécile Marlier, dans le chalet de laquelle elle passait ses vacances avec son demi-frère Dick.

 

En l'occurrence, Dick fait un bon suspect. Depuis que ses parents se sont séparés, il n'y en a plus que pour sa demi-soeur Alexia, fruit de l'union de sa mère, Leslie, avec Vincent Dorval. Par jalousie, il a très bien pu vouloir mettre une fin à cette préférence.

 

Didier Roubin, le père de Dick, fait un autre bon suspect. En effet il a une dent contre son ex-épouse et aurait très bien pu vouloir se venger d'elle en atteignant sa fille adorée: les chroniques des faits divers sont pleines de commissions de tels actes punitifs.

 

Reto Corsini est le suspect idéal. Garçon de ferme, chez Marlène et Lionel Gardy, c'est un enfant placé, qui a un profil de borderline. Une de ses chaussures, maculée de particules de sang identiques à celles relevées dans le souterrain, est retrouvée à demi-calcinée.

 

Armand Dorval, le père de Vincent, est un autre suspect potentiel. Alors qu'Alexia avait quatre ans, sa femme Nadia l'a surpris en train de prendre des photos (d'art selon lui) de la petite pendant qu'elle prenait son bain, après avoir disposé des spots autour.

 

Patrick, le fils du maire Daubry, pourrait être suspect, parce qu'Alexia s'est entichée de lui, qu'elle lui envoie des courriels enflammés et qu'il est agacé par son instance. Mais les époux Daubry témoignent qu'il ne s'est absenté à aucun moment de la fête.

 

Seul Reto Corsini sera arrêté. C'est à la fin de son procès et du roman que le coupable sera enfin démasqué, trahi par quelques détails sans lesquels son horrible crime - Alexia restera handicapée à vie - aurait été parfait. Mais un crime peut en cacher un autre...

 

Francis Richard

 

L'ombre du souterrain, Édith Habersaat, 208 pages, Slatkine

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19 octobre 2020 1 19 /10 /octobre /2020 21:00
Mathilde-sous-Gare, de Chiara Meichtry-Gonet

Mathilde vendait des portraits de gares et de trains. Elle écoutait les gens, puis transcrivait leur histoire. Ses billets étaient publiés, discutés, suivis. Ils étaient signés, mais elle, elle n'existait pas. Elle se déplaçait constamment, brouillait les pistes.

 

Mathilde-sous-Gare commence dans un train, quand Mathilde a dix-sept ans. Elle vient de quitter Anna avec qui, lors d'une fugue organisée, elle a passé des jours, au bord de la mer, à manger d'affreuses brioches à la glace. Elle remonte vers le Nord, après une étape, à oublier, à Naples, entre deux trains.

 

Arrivée dans sa petite ville, elle sombre. Le contre-coup. Dans le café, sous les colonnes, avant de franchir les six kilomètres qui la séparent de chez elle, elle boit. Car elle qui écrit d'habitude facilement, ne trouve pas les mots. Sans doute est-ce parce qu'elle ressent du vide partout autour d'elle et en elle.

 

Quelques mois plus tard, quand Mathilde revoit Anna, celle-ci n'est pas dupe et comprend tout. Elle voit le voile dans sa pupille. Ensemble elles enterrent le passé de Mathilde: Maintenant, elle allait écouter les histoires du monde et remplir tout son vide. Jusqu'à ce qu'elle rencontre Jean dans un train.

 

Mathilde a donc écouté les histoires du monde et les a transcrites. C'étaient des histoires de gares et de trains, en Italie, en France, en Espagne, en Roumanie, en Turquie, en Russie et même en Californie: Elle ne volait rien aux gens. Elle leur donnait de la voix, donnait chair à leurs mots et les faisait exister.

 

Jean n'a qu'une crainte, c'est que Mathilde ne parte à nouveau par voies ferrées et par gares. Mais elle reste. Leurs amours se distendent. Jean sombre, mais elle reste, sans pouvoir s'empêcher de regarder passer les trains. Jusqu'au jour où Anna lui annonce qu'elle se marie et l'invite à ses noces, dans le Sud.

 

Dès lors les amours de Mathilde et de Jean demeureront malgré une longue absence. Ils se manqueront, mais rêveront indéfiniment l'un à l'autre, où qu'ils se trouvent. Parce que leurs corps et leurs esprits se souviendront, parce que les mots de Mathilde resteront et parce que Jean, à la fin, saura même les dessiner.

 

Francis Richard

 

Mathilde-sous-Gare, Chiara Meichtry-Gonet, 160 pages, Bernard Campiche Editeur

 

Livre précédent:

 

Passage des coeurs noirs (2019)

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18 octobre 2020 7 18 /10 /octobre /2020 15:30
La loi des hommes, de Wendall Utroi

Le porte-documents renferme une liasse impressionnante de feuilles d'un papier un peu jauni.

Il écarte la première page, les suivantes sont noircies d'une écriture élégante, faite de pleins et de déliés d'une beauté remarquable.

 

Jacques est cantonnier, employé de la commune de Houtkerque, dans les Hauts de France. Gilles, le maire, lui demande un jour de faire de la place dans le cimetière où trois concessions ont dépassé les cent ans.

 

En déménageant la troisième, celle du mystérieux J. Wallace Hardwell, il tombe sur une boîte de fer oxydé, d'environ trois kilos. D'habitude il ne récupère pas les objets enterrés. Mais cette fois, il est tenté.

 

Le texte est en anglais, langue qu'il ne maîtrise pas. Il demande donc à sa fille Aude de le lui traduire. Sa curiosité éveillée par ce que raconte l'auteur, elle lui en envoie au fur et à mesure la traduction par mail.

 

Wallace était inspecteur de la Couronne britannique. Une enquête un peu spéciale lui avait été confiée. Il devait prévenir la publication d'un scandale qui risquait d'éclabousser la famille royale et ses proches.

 

Or il ne lui est pas dit de quel scandale il s'agit. C'est à lui de le découvrir - le plus vite sera le mieux - en interrogeant trois suspects aux profils nauséabonds qui [lui] [laissent] déjà entrevoir la nature du scandale:

- Rebecca Brianey, est patronne d'un lupanar;

- Myrtle River, vieille femme, est une ancienne entremetteuse, racoleuse et recruteuse;

- Timothy Brianey, fils adoptif de Rebecca, est son homme de main.

 

Tous les moyens, même illégitimes, lui sont permis pour découvrir la vérité, mais il n'est pas ainsi. Il emploie la psychologie plutôt que la brutalité, ce qui lui vaudra certes le succès mais pas la reconnaissance.

 

Aussi l'intègre Wallace apprendra-t-il à ses dépens que La loi des hommes n'est pas le droit. Jacques aura la même désillusion et, parallèlement, constatera qu'elle est relative, dans le temps et dans l'espace.

 

Francis Richard

 

La loi des hommes, Wendall Utroi, 400 pages, Slatkine & Cie

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16 octobre 2020 5 16 /10 /octobre /2020 18:15
Ecce Homo, de Louise Anne Bouchard

Ecce Homo est un recueil de dix nouvelles. Ce n'est ni de l'expression chrétienne, ni de la nietzschéenne dont il s'agit. Chaque nouvelle est parfois rouge, mais toujours noire. Car c'est le côté sombre de l'homme que Louise Anne Bouchard met chaque fois en lumière.

 

Tommy est le pseudonyme d'un jeune homme gay, victime d'un des plus horribles crimes commis à Montréal. Il est le fils du directeur de la police de l'époque. Ce qui ne lui a pas valu d'être épargné pour autant. Et l'auteure n'en épargne pas les détails sordides au lecteur.

 

Florence est infirmière-anesthésiste. Elle fait la navette entre Thonon et l'hôpital de Vevey. Elle découvre au petit matin son berger allemand mort atrocement, tué pendant son sommeil. Mais ce n'est pas cela le plus terrible, c'est ce qui s'est passé une semaine plus tôt...

 

Bob Demper pète les plombs au bureau, alors qu'il a de quoi être heureux: une femme, jolie et désirable, et quatre filles. Mais rien ne sera plus comme avant. Hospitalisé quinze jours, il prend du poids. Que faire? De la peinture, dans un local au-dessus de Montreux...

 

À la naissance des Jumeaux Erdmann, leur mère avait refusé de les voir. Ils ont été élevés à la dure. Vilains petits canards, ils sont devenus de beaux adolescents, inséparables. Un printemps, ce n'est pas une nouvelle élève qui attire leur attention, c'est leur mère...

 

Anna, Thomas, Big Maggie sont enragés d'équitation, de course à pied, de nage, respectivement. Ils sont de la race des gagnants. L'adolescente et le trentenaire sont beaux. La troisième a mis fin à sa carrière de nageuse, et les observe, jusqu'à l'accident d'Anna...

 

S'appeler Gaspard avait fait de lui la risée des autres enfants de Montréal, dans les années 70, sans que jamais son père le défende. Pour lui, la meilleure des défenses est d'abord de s'isoler, puis de gagner sa vie, enfin d'être comme Emma Peel1 et de rejoindre les arbres:

 

Il avait lu quelque part que soit on pleure, soit on exécute.

 

Les comportements d'enfants des deux soeurs, Clélia et Lula préfigurent ce qu'elles seront. Clélia l'aînée, la volubile, continuellement agitée, ne connaîtra jamais la stabilité, tandis que Lula, la cadette, la mutique, tirera de son semblant d'indifférence une force tranquille...

 

À sa mort, l'enseignante veut être enterrée au cimetière Bois-de-Vaux à Lausanne, près de Gabrielle Chanel. En attendant d'être proche de Coco, ce qui la maintient en vie, c'est le mépris et la rage, depuis qu'elle a été victime d'intimidation de la part de trois étudiantes...

 

Madame de Sève est le nom de son atelier. Elle a perdu son père à 13 ans. C'est quand un concerto lui est tombé du ciel, un dimanche, sur une chaîne de télé autrichienne, avec tous ces hommes vêtus de noir, que le noir ne lui a plus évoqué la douleur de la disparition...

 

Alex in London est le chauffeur que Mr Murray a mis à sa disposition. Il ne rêve que de jouer Shakespeare et la conduit à East End. Elle fait le tour du quartier avant d'entrer au Ten Bells, où Annie Chapman prit un dernier verre avant de se faire étriper par Jack...

 

Francis Richard

 

1- Emma Peel est la partenaire de John Steed dans la série télévisée Chapeau melon et bottes de cuir.

 

Ecce Homo, Louise Anne Bouchard, 144 pages, L'Âge d'Homme

 

Livres précédents:

Bleu Magritte, L'Aire (2010)

L'effet Popescu, BSN Press (2012)

Rumeurs, BSN Press (2014)

Les sans-soleil, Le Poche Suisse (2016)

Nora, Slatkine (2018)

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14 octobre 2020 3 14 /10 /octobre /2020 22:55
Paul-pris-dans-l'écriture, de Barbara Polla

Non, Barbara. L'essentiel est ailleurs. Il faudrait écrire sur l'écriture, plutôt. Parce que l'essentiel de ma vie créative, c'est l'obsession littéraire. La littérature, la recherche littéraire, les travaux littéraires.

 

Barbara Polla avait écrit un joli livre sur Paul Ardenne, ses travaux, sa pensée critique, ses rencontres et ses engagements, c'est-à-dire sur l'enseignant et l'universitaire reconnus. Elle a donc dû remettre courageusement l'ouvrage sur le métier...

 

(Extrême, esthétiques de la limite dépassée lui avait fait comprendre la nécessité absolue de l'étude des représentations artistiques, de leur histoire, de leur exégèse, de leur critique et l'avait engagée dans une vraie étude de l'art contemporain...)

 

L'ouvrage n'était pas inutile. Tel quel il a servi de base à celui-ci, où elle cite longuement Paul Ardenne1 dans ses inédits. Lui qui, dès ses douze ans, s'était dit qu'il serait écrivain, mais ne le serait vraiment que lorsque ses livres le choisiraient...

 

Au début, les mots importants pour Paul Ardenne sont:

- la crise, liée au désir de réalisation: il la pérennise volontairement;

- la pénétration dans l'écriture: elle seule permet l'incarnation;

- le "mon-corps" de tout un chacun: il est envisagé comme réalité, figure, élaboration; il faut se voir et se sentir;

- le singulier: la conscience du singulier seule permet l'épreuve radicale de l'autre;

- la mort ou plutôt écrire la mort: pour se consoler d'être mortel.

 

Le fait que les livres soient lus n'a finalement pas grande importance face à la nécessité d'écrire. Aussi a-t-il d'abord écrit pour écrire. Mais cela ne faisait pas de lui un écrivain. Il l'a compris quand il en est arrivé au stade du dégoût d'écrire.

 

Pour échapper à ce dégoût, il faudrait, dit-il, écrire une grande oeuvre qui soit à la fois une chronique du temps présent et qui le dépasse. Comme Honoré de Balzac. En attendant, il favorise aujourd'hui le plaisir d'écrire, qui est surgissement.

 

Ses dernières oeuvres - Moto notre amour, Comment je suis oiseau, Belly le ventre, Roger-pris-dans-la-terre - sont l'expression insigne de ce surgissement qui n'exclut pas le travail, puisqu'il en dépend et que son sillon est creusé par lui.

 

L'auteure peut faire aujourd'hui de lui ce portrait: Il préfère écrire à s'occuper de littérature ou de mondanités. Il préfère l'écriture essentielle, l'écriture comme recherche, comme invention de soi, sans fin, sur un mode créatif plus qu'introspectif.

 

Francis Richard

 

Paul-pris-dans-l'écriture, de Barbara Polla et Julien Serve, 128 pages, La Muette- Le Bord de l'Eau

 

1- Paul Ardenne est le nom qu'il s'est choisi; à la ville il s'appelle Bertrand Gervais.

 

 

Livres précédents de l'auteur:

Victoire, L'Age d'Homme (2009)

Tout à fait femme, Odile Jacob (2012)

Tout à fait homme, Odile Jacob (2014)

Troisième vie, Editions Eclectica (2015)

Vingt-cinq os plus l'astragale Art & Fiction (2016)

Femmes hors normes, Odile Jacob (2017)

Le nouveau féminisme, Odile Jacob (2019)

 

Livres précédents avec Julien Serve:

Ivory Honey, New River Press (2018)

Moi, la grue, éditions Plaine page (2019)

 

Collectifs sous sa direction ou sa coordination:

Noir clair dans tout l'univers, La Muette - Le Bord de l'Eau (2012)

L'ennemi public, La Muette - Le Bord de l'Eau (2013)

Éloge de l'érection, La Muette - Le Bord de l'Eau (2016)

 

Livres de Paul Ardenne:

Comment je suis oiseau, Le Passage (2014)

Belly le ventre, La Muette - Le Bord de l'Eau (2017)

Roger-pris-dans-la-terre, La Muette - Le Bord de l'Eau (2018)

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12 octobre 2020 1 12 /10 /octobre /2020 19:30
La famille Martin, de David Foenkinos

Je me suis vraiment dit: tu descends dans la rue, tu abordes la première personne que tu vois, et elle sera le sujet de ton livre.

 

Comme c'est un roman, il est bien difficile de dire si David Foenkinos est le narrateur ou non de cette histoire qui a la couleur de la réalité mais reste une fiction. Car, en panne d'inspiration, celui-ci décide un jour de laisser au hasard le soin de choisir pour lui ses personnages.

 

En tout cas, le narrateur a bien quelque chose de Foenkinos puisque, comme lui, il a reçu le prix Renaudot, que ses livres l'ont rendu suffisamment célèbre pour que d'aucuns le reconnaissent et l'abordent quand ils le croisent dans la rue, qu'il a un compte Facebook et une ex-femme.

 

L'idée, qu'aime finalement le narrateur, est de donner en quelque sorte un auteur à des personnages plutôt que l'inverse, comme dans la pièce de Pirandello, Six personnages en quête d'auteur, de la même manière qu'une couleur pourrait partir à la recherche d'un peintre.

 

Ce hasard organisé ne fait pas les choses comme il les aurait voulues. Il avait repéré une jeune femme qui faisait souvent une pause cigarette devant une agence de voyages, mais la première personne qu'il voit est une femme âgée en train de traverser la rue, tirant un chariot violet.

 

Quatre personnages entrent dans le roman à la suite de Madeleine Tricot, environ 80 ans: sa fille Valérie, 45 ans, son mari, Patrick Martin, 45 ans, leurs deux enfants, Lola, 17 ans, et Jérémie, 15 ans. Tout ce que je savais c'est que j'avais maintenant à ma disposition toute une famille.

 

Pour écrire la biographie de La famille Martin, le narrateur se doit de s'immiscer chez elle pour raconter les vies de ses cinq personnages. Cela n'est pas sans risques. Et le fait est qu'il va perturber la vie de chacun, parce qu'on ne devient pas comme ça le personnage d'un livre.

 

Le narrateur est en fait le sixième personnage de cette histoire, où la réalité, comme il se doit, dépasse la fiction. Encore que la fiction n'est jamais loin, puisque le naturel chez un écrivain, une fois chassé, revient au galop, malgré qu'il en ait, et qu'après tout on ne se refait pas...

 

Francis Richard

 

La famille Martin, David Foenkinos, 240 pages, Gallimard

 

Livres précédents:

Les souvenirs (2011)

Je vais mieux (2013)

Charlotte (2014)

Le mystère Henri Pick (2016)

Vers la beauté (2018)

Deux soeurs (2019)

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8 octobre 2020 4 08 /10 /octobre /2020 17:00
Une voiture rayée, c'est dérisoire, d'Anne Bottani-Zuber

Parfois, lorsqu'on est atteint d'un trouble bipolaire, on est plus créatif que la moyenne des gens. Et surtout, jamais on ne s'énerve parce que quelqu'un a rayé sa voiture. Ou parce qu'on a oublié d'acheter des citrons.

Les citrons oubliés, les voitures rayées, c'est si dérisoire.

 

Lise est atteinte par une telle maladie. Elle va d'hospitalisation en hospitalisation, de crise en crise tout au long de sa vie. Le plus incompréhensible est que ces crises sont provoquées aussi bien par des événements heureux que malheureux.

 

En fait, il y a deux femmes en Lise:

 

L'une est grande, ronde et brune et l'ample robe noire qu'elle porte la grandit encore; elle a l'air sévère malgré sa rondeur. L'autre est petite mince et blonde; elle porte un justaucorps blanc et une jupe de tulle blanche et ressemble à la fée-clochette.

 

C'est lorsque leurs deux âmes se rejoignent et n'en font plus qu'une, que tout va bien pour Elise. Sinon, elle sombre dans la dépression quand c'est la première qui l'emporte ou, au contraire, monte dans les hauteurs, si c'est la seconde.

 

Entre deux crises, Lise construit sa vie. Elle se marie même. Et il se passe dix ans avant que son trouble ne réapparaisse. Il suffit cependant d'une émotion trop forte pour qu'il resurgisse et se traduise par une nouvelle hospitalisation.

 

Un nouveau cycle de crises et d'hospitalisations se produit. Ses vies personnelle et professionnelle en pâtissent. Elle vit de plus en plus isolée, à l'exception de Marie, qui lui est fidèle, qui lui téléphone tous les jours lorsque ça ne va pas.

 

Pendant des années, Lise essaie d'écrire à propos de sa maladie. Elle noircit même des pages de papier. Mais elle renonce un jour à briser le silence, posé comme une chape sur sa maladie. Elle trouvera son salut autrement, stoïquement...

 

Francis Richard

 

Une voiture rayée, c'est dérisoire, Anne Bottani-Zuber, 136 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

 

Lumières (2016)

Désirs et servitudes (2018)

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7 octobre 2020 3 07 /10 /octobre /2020 20:30
Presque génial, de Benedict Wells

Francis regarda le plancher. C'était la question. Il ignorait qui était son père. Sa mère n'avait jamais voulu le lui dire. Elle avait simplement mentionné, une fois, une brève liaison avec quelqu'un qui venait de très loin.

 

Francis Dean, bientôt dix-huit ans, vit avec sa mère Katherine dans un mobile-home, dans un parc réservé à ce genre de véhicules. Ce parc se trouve à la sortie de Claymont, un trou sur la côte est, juste assez grand pour disposer de l'équipement standard d'une petite ville [...] mais un peu trop petit pour avoir droit à des festivals ou à une université.

 

Son beau-père, Ryan Wilco, les a quittés après quatre ans et demi de vie commune. Il a emmené avec lui son demi-frère, Nicky, treize ans aujourd'hui. Ils habitent New-York. Quand ils sont partis, Francis et sa mère ont quitté Jersey City pour démarrer une nouvelle vie à Claymont. Six mois plus tard, Katherine faisait un premier séjour en clinique...

 

Un jour de 2005, sa mère commence un autre séjour en clinique. Elle occupe la chambre 039. Tout près, une seule porte de patient est entrouverte. Francis aperçoit une fille - Anne-May Gardener - dans l'entrebâillement: Elle avait des piercings aux oreilles et dans le nez, ses poignets étaient bandés, sans doute son ticket d'entrée pour la chambre 035.

 

Son ancien voisin et meilleur ami, Glover Chedwick, lui rend visite après qu'il est rentré chez lui. Il semble cumuler tous les stéréotypes du nerd, c'est-à-dire de l'intello. Il porte notamment des T-shirts avec devant une formule censée être drôle et qui, en fait, est risible. Ils font une partie d'Unreal Tournament puis passent la nuit chez les Chedwick.

 

Les jours suivants, Francis rend visite à sa mère. Il profite de l'occasion pour faire plus ample connaissance avec Anne-May, qui se montre plus avenante avec lui. Mais, un jour, tout bascule. Sa mère tente de se tuer. On lui fait un lavage d'estomac et on l'emmène dans un autre service. Francis découvre alors une enveloppe qui lui est destinée:

 

La lettre faisait plusieurs pages, il lut la première phrase en retenant son souffle: "Cher Frankie, il est temps que tu apprennes la vérité."

Il survola les lignes. Quand il arriva au bout, il dut s'asseoir. Ce n'était pas seulement le paragraphe où était écrit qui était son père.

C'était tout le reste.

 

Dans cette lettre, Francis apprend qu'il a été conçu à Los Angeles, à la banque des génies, par insémination du sperme d'un homme au QI élevé. Il décide de s'y rendre pour connaître l'identité du donneur. Il obtient de Glover qu'il l'y conduise avec sa Chevy et Anne-May, dont il est amoureux, les accompagne dans ce road trip d'une côte l'autre.

 

Ces onze mille kilomètres, parcourus en quinze jours, de New York à Los Angeles, en passant par le Midwest, Las Vegas, et San Francisco, et retour, n'est pas un long voyage tranquille et leur confirme que quand on regarde l'histoire d'une vie, un écart minuscule suffit parfois à casser l'équilibre, à tout faire basculer d'un côté ou de l'autre.    

 

Comme le dit l'un des personnages rencontrés: Chez les scientifiques, on part du principe que l'intelligence est héréditaire. Mais ça ne fait pas tout, c'est comme quand on plante des graines dans le sol. L'éducation, la famille, l'environnement dans lequel le petit humain grandit jouent aussi leur rôle, c'est l'engrais. La volonté libre fait le reste...

 

Francis Richard

 

Presque génial, Benedict Wells, 416 pages, Slatkine & Cie (traduit de l'allemand par Dominique Autrand)

 

Livres précédents:

La fin de la solitude (2017)

Le dernier été (2018)

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5 octobre 2020 1 05 /10 /octobre /2020 22:55
Jean Lorrain ou l'impossible fuite hors du monde, de Quentin Mouron

Dans ce volume sont réunis un essai, Jean Lorrain ou l'impossible fuite hors du monde, et la réédition de L'Âge de l'héroïne, publié en 2016 à La Grande Ourse. Quentin Mouron explique pourquoi dans son avant-propos:

 

L'Âge de l'héroïne [...] a pu être qualifié de roman policier, ou de roman noir. Je n'ai jamais caché mon scepticisme par rapport à ces dénominations. J'ai toujours préféré parler de roman décadent [...]. Il m'a semblé naturel de l'accoler à un essai portant sur le regard angoissé de Lorrain - et de ses personnages - avec la réalité, à un essai interrogeant les limites de la décadence.

 

Quand ce roman a paru, je l'ai qualifié de polar noir et déjanté et, après l'avoir relu, je persiste et signe. Mais cela n'empêche pas de le qualifier également de roman décadent puisque la décadence peut prendre, comme la ville de Tonopah où se passe l'histoire, le masque du vaudeville appliqué à la tragédie

 

Il est vrai que la lecture de l'essai préalable à celle de ce roman tragique et burlesque permet d'y trouver des correspondances impossibles à deviner autrement. Mais un livre n'appartient plus à l'auteur une fois qu'il l'a donné à lire... Chaque lecteur se l'approprie, dans le sens que son esprit l'interprète à sa façon. 

 

Jean Lorrain (1855-1906) est attiré et fasciné par le monde moderne, et, dans le même temps, en est dégoûté. Mais on peut rire de ce qui nous dégoûte. C'est ce qu'il fait dans Modernités, satire non seulement du bourgeois mais aussi de l'ensemble du monde moderne, mis à distance avant que d'être éreinté. 

 

Lorrain a écrit deux chefs-d'oeuvre, Monsieur de Bougrelon et Monsieur de Phocas. Ils sont si souvent associés [...] que l'on finit par se les représenter comme les deux volumes d'une oeuvre unique, les deux versants d'un même sommet - avec leurs protagonistes interchangeables [...], estampillés [...] décadents.

 

Ces deux livres reflètent l'évolution de Lorrain, qui, dans la lignée d'un Baudelaire et d'un Huysmans, rejette aussi bien la nature sauvage que l'univers industriel bourgeois: La nature et l'industrie ont en commun de produire à grande cadence des objets identiques (non pas au sens biologique, mais au sens esthétique).

 

D'abord, il y a la tentation de fuir la réalité et de se réfugier dans un contre-monde, notamment par le discours tenu sur le monde réel, puis il y a la reconnaissance de l'impossibilité de la fuite et, en conséquence, les crises d'angoisse et les résolutions funestes, enfin il y a la prise de conscience de l'absurdité du refus:

 

Bougrelon [dans Monsieur de Bougrelon] et Ethal [dans Monsieur de Phocas] proposaient une porte de sortie, l'une dans le passé, l'autre par le suicide. Welcôme [dans Monsieur de Phocas], n'offre pas de porte de sortie hors du réel. Mais bel et bien une porte d'entrée.

 

Pourquoi Quentin Mouron s'est-il donc intéressé à Jean Lorrain? Jean Lorrain m'a séduit de la façon dont le séduisaient les voyous, les lutteurs et les garçons-bouchers: par la violence et par le sang. Cette séduction d'un soir est devenue sérieuse, nous avons passé plusieurs nuits ensemble, des semaines, des mois.

 

À la même époque, il commence à travailler sur deux romans qui avaient directement rapport avec Lorrain: Trois gouttes de sang et une nuage de coke et L'Âge de l'héroïne: Leur protagoniste, Frank, est frappé au coin de la décadence, directement inspiré par les personnages de Lorrain... et par Lorrain lui-même:

 

Ils ont été écrits avec la conviction que Lorrain et les décadents continuent à s'adresser à nous par-delà les décennies, qu'ils palpitent encore malgré leurs arythmies, qu'ils n'ont rien perdu de leur pouvoir de séduction.

 

Ce livre est donc un hommage à la fois brillant et... reconnaissant.

 

Francis Richard

 

Jean Lorrain ou l'impossible fuite hors du monde, suivi de L'Âge de l'héroïne, Quentin Mouron, 224 pages, Olivier Morattel Éditeur

 

Livres précédents:

 

Au point d'effusion des égouts, Olivier Morattel Éditeur (2011)

Notre Dame de la Merci, Olivier Morattel Éditeur (2012)

La combustion humaine, Olivier Morattel Éditeur (2013)

Trois gouttes de sang et un nuage de coke, La Grande Ourse (2015)

L'âge de l'héroïne, La Grande Ourse (2016)

Vesoul le 7 janvier 2015, Olivier Morattel (2018)

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2 octobre 2020 5 02 /10 /octobre /2020 22:55
Un garçon rencontre une fille, de Nadine Richon

Cette création baptisée "Jaguar Quetzal" avait suscité chez Kamel, encore enfant, des cris de joie ponctués de rires délicieux et il complimentait sa mère chaque fois qu'elle portait ce foulard.

 

Ce n'est pas n'importe quel foulard:

 

Un carré Hermès dessiné par l'artiste Alice Shirley et figurant dans un flamboiement de couleurs, de plumes et de fleurs le sommeil d'un félin paisible et grandiose abandonné à ses rêves tachetés de jaune, de vert et de rose, tandis qu'alentour volettent une quinzaine de papillons ignorant la peur.

 

Kamel, 23 ans, est atteint de dyslexie. Sa difficulté à lire, et surtout à écrire, lui vaut moqueries de la part des autres et accable ses proches. Aucune méthode ne l'aide. Il se plaint de solitude: son attitude oscille entre colères subites et longs replis indifférents. Que va-t-il devenir? se demandent ses parents.

 

Sophie, 25 ans, est une jeune athlète de niveau international. Sa spécialité est le quatre-cents mètres haies. Elle remporte l'épreuve à Berlin et est sacrée championne d'Europe. Elle n'a pas d'amoureux, mais, la veille, elle a rêvé d'un bel inconnu qui la touche mais se liquéfie au moment de son réveil.

 

Un jour, dans le métro, Karim, le garçon, qui s'est enfoncé dans un délire sectaire et s'apprête à commettre un acte terroriste, et Sophie, la fille, qui l'identifie comme l'inconnu de ses rêves (il y en a eu d'autres après celui de Berlin) se reconnaissent juste un instant pour mieux se perdre l'instant suivant.

 

Sur fond d'actualité des années 2019-2021, à Paris et à Alger, et, sous l'égide du Jaguar Quetzal, ces amoureux du métro, qui savent se dépasser, finiront-ils par se retrouver? C'est le suspense de cette histoire où l'imaginaire précède peut-être le moment où, réellement, Un garçon rencontre une fille.

 

Francis Richard

 

Un garçon rencontre une fille, Nadine Richon, 192 pages, Bernard Campiche Éditeur

 

Livres précédents chez le même éditeur:

 

Crois-moi, je mens (2014)

Laisse tomber les anges (2017)

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30 septembre 2020 3 30 /09 /septembre /2020 21:45
Détourner les hirondelles, de Mélanie Brugger

Après 27 jours de coma, je me réveille dans un corps abîmé, dont une moitié est inerte, alors que l'autre est animée de tremblements intempestifs. J'ai aussi la désagréable surprise de contempler ce nouveau monde en deux exemplaires, mes yeux n'étant plus coordonnés.

 

Adolescente, Mélanie Brugger ne sait pas maîtriser l'art de la société, qui est trop formatée à [son] goût. Du coup, elle est l'objet de railleries, de réprimandes. Heureusement qu'elle pratique le karaté, qui lui permet de s'extérioriser, et que son père lui offre un cheval, qui lui apprend à être transparente en se fondant en lui.

 

Mais, un jour, elle fait une chute de son cheval et tombe dans le coma. Après en être sortie, elle suit une rééducation: La chaise roulante est devenue mon moyen de locomotion (ma prothèse à roulettes), et les pronostics médicaux concernant ma possibilité de me réériger, un jour, sur mes deux pieds, sont des plus pessimistes.

 

Pourtant, après des semaines, des mois, elle retrouve des capacités que personne n'aurait soupçonnées: elle recouvre presque l'usage de ses jambes; elle ressent alors le besoin de s'évader de l'univers dans lequel elle a vécu jusque-là et c'est dans celui enivrant des sommets que son père partage avec elle qu'elle va le trouver.

 

Les photos que son père prend lors de ses excursions ne suffisent pas à combler son envie d'altitude. Il lui est nécessaire non seulement d'éprouver son enveloppe charnelle et de se lancer dans cette autre activité que de monter à cheval, mais de sentir la vie glisser en elle et de retrouver une autonomie semble-t-il inatteignable.

 

Détourner les hirondelles est le récit, au fil des ans, de ses nombreuses randonnées en haute montagne, avec son père et avec d'autres guides. Pendant tout ce temps, elle connaîtra des hauts et des bas dus au relief et aux défaillances de son corps. Mais, finalement, elle sera récompensée pour tout le mal qu'elle se sera donné: 

 

De côtoyer cet univers enchanteur, mais sans pitié de la haute altitude, mon esprit s'est mis à changer et j'ai trouvé mon allégresse dans le fait de me surpasser, ainsi que dans celui d'accrocher à mon baudrier de nouvelles compréhensions de la vie.

 

Francis Richard

 

Détourner les hirondelles, Mélanie Brugger, 200 pages, Les Éditions Romann

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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