Sommes-nous tous des pantins suspendus aux fils de notre destin? Il revoit le cadavre gisant dans cet appartement.
Un pantin assassiné.
Un pantin dont les fils ont été coupés. A-t-il rejoint le néant, résultat d'une vie, comme il l'a toujours cru, ne présentant que le sens que l'on veut bien lui donner?
Le pantin assassiné est un astrologue, Jean-Baptiste Moren. Son cadavre a été trouvé par une amie qui avait rendez-vous avec lui à 17 heures, Sybille de Preux. C'est elle qui a appelé la police. L'inspecteur Roman Reinhart et sa coéquipière Natacha Krieg sont chargés de l'enquête. Très vite, il s'avère que la victime ne s'est pas donné la mort, mais qu'elle lui a été donnée, dixit la légiste.
L'assassinat a eu lieu le dimanche 9.11.2014 au domicile de Moren, 7 rue de l'Église, à Sion, à 14 heures 30. Il a reçu un coup au crâne, à l'endroit le plus sensible de la tête. Les enquêteurs ne savent pas que celui-ci tient un journal intime, dans un carnet Moleskine noir... Il l'a prénommé Vladimir imaginant qu'il est russe et non pas anglais, comme l'origine du mot l'indique.
Chaque fois qu'il écrit dans ce journal, Jean-Baptiste s'adresse à lui comme à un confident, et, comme il s'agit d'un intime, il le fait en commençant chaque passage par un affectueux Cher Vlad. Le lecteur est dans la confidence de ce journal, dont des extraits terminent la plupart des chapitres, ce qui ne veut pas dire qu'il comprenne toujours le jargon de Moren qui se veut surtout thérapeute.
Dans ce journal, il est question d'astrologie, mais aussi d'écrits gnostiques, intelligibles par les seuls initiés. Sybille, bien que travaillant dans le service social, s'y connaît justement en ésotérisme. Pour en démontrer à l'inspecteur Reinhart le caractère scientifique, elle lui fait une démonstration de géomancie qui lui prédit une imbrication néfaste de sa vie personnelle dans sa vie professionnelle.
Les enquêteurs s'intéressent en effet d'abord à Sybille, mais aussi à son mari Kevin repéré à proximité du lieu du crime. Par ailleurs, une connaissance du pantin, Tino, connu, pour ses embrouilles, a pris le café avec lui à l'heure du dîner1 le même jour. Enfin, selon des témoignages de voisins, une jeune femme, peut-être chinoise, a été vue s'en allant de chez lui en tout début d'après-midi.
Les seuls éléments concrets sont un post-it portant le nom de Solumane et un bouton de soutane, qui pourrait appartenir à un prêtre aperçu alors qu'il partait en scooter. Comme l'histoire se passe en Valais, une des pistes pourrait donc être la Fraternité, où les membres portent encore cet habit ecclésiastique. Mais le procureur qui dirige l'enquête s'oppose à ce que cette piste soit suivie...
L'intérêt du roman de Michel Cretton se trouve bien sûr dans l'intrigue policière, mais aussi dans les différents débats sur la conception de la vie, sur les thèses mondialistes et altermondialistes, sur ce qui oppose, ou pas, sciences et croyances. Ce n'est pas pour rien qu'il lui a donné le sous-titre de polar ésotérique. Mais, ce qui est remarquable, ce sont les dialogues et comportements.
En effet l'auteur rend très bien rendre compte de la personnalité de chacun de ses personnages aussi bien par leurs éléments de langage que par les attitudes qu'ils adoptent en situation. La légiste s'exprime et réagit ainsi différemment que l'inspecteur, l'ébéniste qu'il rencontre, sa coéquipière ou l'évêque à la tête de la Fraternité. Ce faisant il les donne vraiment à voir au lecteur: c'est appréciable.
Aussi le lecteur ne doit-il pas se laisser rebuter par les dimensions de l'ouvrage, qui est de poids, dans plusieurs acceptions du terme, un vrai pavé. S'il s'intéresse à la dialectique, il sera servi. Il sera reconnaissant à l'auteur de le laisser libre d'arbitrer entre les différentes visions de ses protagonistes et de lui donner en maintes occasions matière à réflexion, sans lui imposer de prêt-à-penser.
Francis Richard
1 - Repas de midi.
Le Pantin Assassiné, Michel Cretton, 592 pages, Station Five Avenue