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22 décembre 2021 3 22 /12 /décembre /2021 20:00
Girassol, de Julien Gonzalez-Alonso

Tournesol, tournesol

C'est le nom de la fleur

Le surnom de la fille

Jacques Prévert

 

Julien Gonzalez-Alonso, 47 ans, a décidé d'écrire de bon matin pour découvrir ce qu'il vit, parce que son tournesol s'est détourné de lui. Il dédie cette confession, cette introspection, à celle pour qui [son] coeur ne cesse de battre, afin de rendre son absence supportable.

 

C'est une déclaration d'amour, dans laquelle il se dévoile pour qu'elle s'aperçoive combien il est complexe. Ainsi écrit-il sans suivre de plan établi, ni de chronologie, révélant par là-même que sa démarche est chaotique (comme sa vie jusque-là), si elle n'est pas sans but.

 

Il a traversé des crises, qui ne s'expliquent pas par le manque d'amour que lui auraient témoigné ses parents: ils ont toujours été là pour le soutenir. Non, c'est pourquoi il a cherché dans d'autres directions et a trouvé qu'elles résultaient d'un conflit personnel inconscient.

 

Pour y parvenir, longue a été la route. Peut-être la rupture amoureuse avec celle à qui est dédié ce texte de connaissance de soi a-t-elle été le déclic lui permettant de chercher à voir clair en lui-même, comprendre qui il est vraiment et prendre enfin son destin en mains.

 

Pour illustrer son récit, il a choisi des poèmes (La poésie est à la vie ce qu'est l'émotion à l'amour): seule la poésie l'enivre. Il prétend ne pas lire beaucoup, ce qui est paradoxal pour un éditeur (il dirige les Éditions du Griffon), mais il lit tout de même pas mal.

 

Pour s'en convaincre, il suffit, tout en lisant son récit, de jeter un oeil sur ses notes, mises à la fin pour ne pas nuire à la lecture et ne satisfaire que les intéressés. Mais ses lectures ne sont pas celles du pékin, car elles sont peu ou prou en rapport avec sa quête de soi.

 

Ses mots de passe sont dépendance affective, peurs, notamment celle de l'abandon, syndrome de l'imposteur, transmission d'émotions par les gènes, confiance en soi, enfant intérieur, interaction entre les énergies et le corps-âme-esprit, et surtout amour inconditionnel.

 

L'auteur a échappé au monde imaginaire qu'il s'était créé. Il sait enfin qui il est, préférant être plutôt qu'avoir, ayant réussi grâce à la solitude à faire éclater en lui le plus de beau des mystères insolubles de Girassol - la guérison par l'amour de soi vers un libre essor.

 

Francis Richard

 

Girassol, Julien Gonzalez-Alonso, 232 pages, Éditions du Griffon

 

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16 décembre 2021 4 16 /12 /décembre /2021 21:00
Ciel, ma maison!, de Madeleine Knecht-Zimmermann

Un matin, au début du mois d'octobre, je me souviens qu'il faisait très beau, nous avons été réveillés par le cliquetis des échafaudages et les cris des ouvriers. Des bruits de planches jetées les unes sur les autres, des grincements de vis, de crochets, des flottements de toiles nous ont tirés du sommeil.

 

Sans crier gare, cet immeuble de douze étages, dans le sud de Lausanne, vraisemblablement à Ouchy, bâti dans les années 1960, est l'objet de travaux de restauration, de gros travaux.

 

Les locataires n'ont pas été prévenus. Ils ne se doutent pas que ces travaux vont durer des mois, de longs mois, et qu'ils vont devoir vivre dans le vacarme, la saleté, les coupures de courant.

 

N'ont été résiliés que les baux des bureaux, des commerces, des cabinets: nous, familles, personnes seules, couples [dont la narratrice et son compagnon], nous pourrions rester chez nous.

 

L'épigraphe, tirée de Terre des hommes, d'Antoine de Saint-Exupéry, éclaire le propos de l'auteure, qui raconte heurs et malheurs d'habitants survivant au milieu des travaux de l'immeuble:

 

On chemine longtemps côte à côte, enfermé dans son propre silence, ou bien on échange des mots qui ne transportent rien. Mais voilà l'heure du danger. Alors, on s'épaule l'un l'autre. On découvre qu'on appartient à la même communauté.

 

Ici, il ne s'agit pas à proprement parler de danger encouru, encore qu'un chantier qui dure aussi longtemps et où on démolit beaucoup pour reconstruire sans âme, n'en soit pas exempt.

 

Non, il s'agit d'une épreuve interminable et usante qui finit par rapprocher les rescapés qui la subissent et qui, auparavant, s'adressaient à peine la parole, confits dans l'anonymat urbain.

 

Mais le traumatisme d'un tel chantier n'affecte pas seulement les habitants. Ceux qui y travaillent - et qui viennent souvent de très loin - ne sont pas épargnés par l'ampleur du chamboulement.

 

Le lecteur, informé dans le détail de l'évolution des travaux et des misères faites aux habitants, involontairement, par les ouvriers, qui ne sont pas à meilleure enseigne, compatit avec tous.

 

À la fin l'immeuble froid, aux murs blanchis à la chaux, est méconnaissable. Les habitants y ont perdu leurs repères. Et la narratrice de Madeleine Knecht-Zimmermann peut s'exclamer:

 

Ciel, ma maison!

 

Est-ce préfiguration du monde d'après où l'on impose un mode de vie sans l'accord des intéressés? Ce chantier s'est terminé le mois où tout le pays [...] se mettait en hibernation à cause d'un virus...

 

Francis Richard

 

Ciel, ma maison!, Madeleine Knecht-Zimmermann, 212 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

 

Olga (2014)

Cathala, l'auberge de ma mère (2016)

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12 décembre 2021 7 12 /12 /décembre /2021 19:25
L'art d'arrondir les angles d'André Klopmann - Illustrations d'Hugo Baud

Les entrés [sic] sont masculines et féminines. L’édition originale était la première du genre. Aux parenthèses de féminisation « (e) » succèdent à présent des «·e » qui ne mettent pas le féminin entre parenthèses. Les « ·x » inclusifs, ce sera pour plus tard. L’évolution de la langue française se révèle ainsi…

a) débile
b) égalitaire

 

(Quatrième de couverture)

 

Publiée originellement en 2006 sous le titre La Diplomatie en 120 formules, cette édition signée André Klopmann a été enrichie d'une quarantaine d'autres formules et est, cette fois, illustrée par Hugo Baud.

 

L'art d'arrondir les angles, sous-titré Avant l'attaque, le tact, est celui de l'emploi de figures de style1 pour en atténuer l'impact. L'auteur utilise ainsi:

 

- l'antiphrase qui consiste à exprimer, souvent ironiquement, le contraire de ce qu'on veut dire et faire comprendre:

 

C'est un emmerdeur.euse.

Point de vue de la direction.

Il.elle entretient d'excellentes relations avec ses collègues.

 

- l'euphémisme qui est une sorte d'antiphrase, mais sans ironie, du moins sans cruauté, qui consiste à atténuer une idée pénible:

 

C'est nul!

Est-ce bien pertinent?

 

Même si c'est par dérision , il est toutefois regrettable que l'auteur ait cédé à une nouvelle étape dans l'évolution de la langue, souhaitée par une minorité agissante, qu'il qualifie pourtant de débile et d'égalitaire en quatrième de couverture.

 

Cette féminisation, qui, heureusement, ne va pas jusqu'à l'abominable inclusivité, enlève, faute de fluidité, un peu du plaisir que le lecteur, et voyeur, prend à lire et parcourir cet ouvrage illustré.

 

Ces formules ne sont pas exhaustives. L'auteur suggère au lecteur de les compléter à l'envi. Celles de ce recueil peuvent être employées - enfin avec modération,

 

dans les rapports en société:

C'est foutu!

Je reste raisonnablement optimiste.

 

pour décrire un état éthylique:

Rond.e comme une queue de pelle.

Pas au top de sa forme.

 

ou un comportement sexuel:

Une femme légère.*

Une femme galante investie dans le domaine public.

* Pas de masculin, les hommes sont lourds.

 

pour, dans l'entreprise, stigmatiser une attitude:

Rien à cirer!

J'en prends bonne note.

 

ou un comportement:

Il.elle n'en fout pas une rame.

Il.elle n'est pas très enthousiaste.

 

pour analyser des compétences:

Il est nul votre projet!

Voilà qui a le mérite d'inciter à la réflexion.

 

ou pour utiliser la langue de bois dans les médias:

On est dans la merde.

La situation est préoccupante.

 

Francis Richard

 

1 - Les définitions de ces deux figures de style sont tirées de ma Grammaire française - Classes de quatrième et suivantes, d'Albert Hamon, éditée par Hachette en 1963...

 

L'art d'arrondir les angles d'André Klopmann - Illustrations d'Hugo Baud, 194 pages, Slatkine

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11 décembre 2021 6 11 /12 /décembre /2021 19:00
À un poil près, d'Yvan Sjöstedt

Au sommet de ton crâne, je vois ce cheveu comme un signe.

 

Vous ne connaissez pas Gratte-Cul Les moineaux? C'est que vous n'avez pas lu Un poil de trop. Mais ce n'est pas grave. Vous pouvez lire ce volume indépendamment du précédent. Sachez toutefois qu'il s'agit d'un village, que dis-je, une bourgade, située dans la région départementale de Veau les sapins, dont la capitale est Taupinière Les Chocottes.

 

Vous l'aurez compris, ce hameau d'une vingtaine d'âmes est le fruit de l'imagination fertile d'Yvan Sjöstedt, qui ne se prend décidément pas au sérieux, puisqu'il persiste et signe dans la dérision avec ce nouvel opus. Aussi, comme le toponyme l'indique, sérieux lecteurs s'abstenir. Encore que... 

 

Les prénoms (Grenadine, Escobar, Fascicule, Belluaire, Lentille, Synovie, Roulotte, Backgammon, Carpette, Alabama, Arachide, Email, Arthrose, Ramon, Quinconce, Gaufrette, Éléphantine, Balzac, Rotule ou Tribor) y sont tout aussi burlesques que les patronymes (Chignolle, Monticule, Gymophane, Milborne, Wonderful, Guingois, Camembert, Ciboulette, Mezzanine, Grangosier ou Duflacon)...

 

Le point bar des habitants est un établissement, à l'enseigne de Chez La Grosse. Ce troquet tenu par Éléphantine Grandgosier est tout autant que l'église au milieu du village, où des rumeurs prétendent que rien ne se passe, et donne sur sa place, comme la plupart des habitations de la localité.

 

Rien ne se passe à Gratte-Cul Les Moineaux, c'est bien ce qui turlupine le maire, Carpette Milborne, qui a un bon plan pour promouvoir et attirer du monde dans ce trou perdu, tout en devant permettre à ses administrés de gagner quelques Sapinets, la monnaie locale, et donc de joindre l'utile à l'agréable.

 

Ce bon plan, c'est une fête automnale, où chaque habitant aurait un rôle à jouer et qui assurerait la promotion de Gratte-Cul Les Moineaux, si bien qu'une bonne réputation en sortirait définitivement, même si Fascicule Autaquet pourrait toujours craindre que des exaltés du dehors ne viennent la ternir.

 

Après une divine séance à la salle communale, où les questions fusèrent et les votes laissèrent Carpette perplexe, tout le monde se mit aux préparatifs de la fête, y compris les nouveaux venus, Pettine Ciocca et Perquéno son épouse, les heureux parents de Gaufrette Mezzanine, la jolie petite souris qui suscitait tant de mystères envoûtants à Gratte-Cul Les Moineaux.

 

Comme l'avait prédit Gaufrette à Carpette, la fête eut bien lieu mais, elle ne se déroula pas, À un poil près, comme il l'avait imaginé... L'important n'était peut-être pas là où le maire le plaçait... De même, l'intérêt du lecteur est-il moins dans l'intrigue que dans la satire poilante d'un microcosme où tout le monde se connaît et où les caractères sont un tantinet archétypiques. 

 

Francis Richard

 

À un poil près, Yvan Sjöstedt, 192 pages, Éditions du Roc

 

Livre précédent:

 

Un poil de trop (2020)

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6 décembre 2021 1 06 /12 /décembre /2021 19:00
Deux petites maîtresses zen, de Blaise Hofmann

Le monde est une place de jeux.

 

Pendant sept mois, Blaise Hofmann voyage avec son amoureuse, Virginie, et ses deux filles, Eve, 3 ans, Alice, 2 ans, deux petites éponges amnésiques, qui sont partout chez elles et qui lui permettent par moments de retrouver sa propre enfance:

 

Septembre 2019: Japon

Octobre 2019: Cambodge - Laos

Novembre 2019: Birmanie

Décembre 2019 - Janvier 2020: Thaïlande

Février 2020: Sri Lanka

Mars 2020: Inde

 

Cette chronologie reconstituée, tant bien que mal, n'est pas celle de ce récit de voyage à quatre en Asie, interrompu pour cause de pandémie et qui aurait pu durer encore un mois ou deux, le temps d'aller faire un tour au Népal, par exemple.

 

Au Laos, au moment de s'endormir, Blaise Hofmann a à l'esprit des concepts fumeux: autarcie, mortalité infantile, empreinte écologique, respect des anciens, stagnation économique, circuit court. Au village, les habitants, pauvres, n'ont pas les convictions qu'il leur prête...

 

Au Japon, il s'interroge sur le monde qu'il va laisser à ses filles, alors qu'en Asie sévit une épidémie de dengue, qui s'étend sur toute la planète, sauf en Occident. Il dessine son itinéraire en fonction des chiffres publiés par l'Organisation mondiale de la santé...

 

Là le voyage ne serait pas le même s'il était tout seul: En famille, la liberté ne ressemble pas à un volcan enneigé, c'est plus modeste, c'est un espace clos, sans voitures, sans motos, sans vélos, sans danger, une cour de temple, une place de jeux, le grand lit d'un studio Airbnb, un cocon, un nid douillet.

 

Ce n'est donc pas vraiment un récit d'aventures, même si 40'000 kilomètres ont été parcourus en sept mois, mais plutôt un récit de rencontres, de lectures de livres de seconde main, de préoccupations parentales - attention - et de questions d'enfants - pourquoi.

 

Les 1'200 clichés pris avec son smartphone ne rendent pas compte de ce périple où tradition et modernité se mêlent: ils lui apparaissent en définitive comme des souvenirs froids, sans nuances, sans bruits, sans odeurs.

 

Dans un livre d'Annie Ernaux, Mémoire de fille, il trouve la réponse qu'il cherche à son besoin d'écrire ce qu'il vit: C'est l'absence de sens de ce que l'on vit au moment où on le vit qui multiplie les possibilités d'écriture.

 

Quand, en fin anticipée d'itinéraire, il s'agit d'embarquer pour le pays depuis l'aéroport de Delhi, les masques font leur apparition sur les visages et, attrapée - ou rattrapée? - par la paranoïa, la famille se tient dans un coin, à l'écart des autres êtres humains.

 

D'ailleurs, lorsque la famille arrive en Suisse, une autre règle de jeu s'applique: les filles ne doivent pas embrasser Tonton Alex qui a ramené la voiture en gare de Morges. Les rues sont vides et la récréation est bien terminée:

 

En traversant un village, les filles voient un tape-cul, un tourniquet et un animal à ressort, arrête-toi papa! Les installations sont habillées de rouges et blancs; un panneau rappelle que jusqu'à nouvel ordre, la place de jeux restera fermée.

 

Francis Richard

 

Deux petites maîtresses zen, Blaise Hofmann, 224 pages, Zoé

 

Livres précédents:

 

Monde animal, éditions d'autre part (2016)

La fête, Zoé (2019)

 

Avec Stéphane Blok:

Fête des vignerons 2019 - Les poèmes, Zoé et Bernard Campiche Éditeur (2019)

 

Collectif sous la direction de Louise Anne Bouchard:

Du coeur à l'ouvrage, L'Aire (2012)

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30 novembre 2021 2 30 /11 /novembre /2021 23:25
Casimir ou la vie derrière soi, de Pierre De Grandi

Un journal est l'ultime refuge où règne une totale liberté. Entre chance et discipline, il arrive même que cette liberté soit si transparente et si légère qu'elle mène à des instants d'apesanteur, d'allégresse.

 

Casimir, 88 ans, écrit, le 1er janvier, au début de son journal, cette phrase proustienne: Longtemps je me suis levé de bonne heure pour m'en aller sur les sentiers qui longent la rive du lac. Il en aura 89, quelques mois plus tard, le 15 septembre.

 

Le titre, Casimir ou la vie derrière soi, fait penser à Romain Gary, qui, pour le diariste octogénaire, fait partie des plus grands, ceux qui ont su se forger un style pour porter l'originalité de leur pensée et une vision du monde insolite et innovante.

 

Pierre De Grandi prête sa plume à Casimir, qui confie à son journal qu'il se sent fatigué - il s'abandonne à sa fatigue - et qu'il n'est plus temps pour lui de réparer des ans l'irréparable outrage. Le corps a ses raisons à partir desquelles il faut s'en faire une.

 

Quand, comme pour Casimir, la fin se profile, se pose la question de l'après-la-mort. Le leitmotiv de son journal est éclairé par l'épigraphe freudienne placée en tête: Si vis vitam, para mortem, ce qui signifie littéralement: si tu veux la vie, prépare la mort.

 

Casimir n'est pas croyant, comme peuvent l'être un chrétien ou un athée, dont il moque crûment les certitudes. S'il devait croire à quelque chose, ce serait au Tout, à l'immanence plutôt qu'à la transcendance, donnant, somme toute, raison à Spinoza.

 

Aussi ne craint-il pas tant la mort que la dépendance - le mot et la chose l'obsèdent -, surtout qu'après des mois plusieurs épées de Damoclès le suivent désormais en permanence et qu'il sait pertinemment que [son] principal facteur de risque est [son] âge.

 

Il n'a pas envie de finir ses jours dans un établissement pour dépendants. Il a en effet une piètre opinion de ses semblables, à l'exception de ses quelques rares amis survivants, et n'a donc pas du tout l'intention de finir sa vie en leur funeste compagnie.

 

Fin octobre, il s'interroge: Si je pense si souvent à la fin de la vie, si je n'ai pas peur de la mort, serait-ce secrètement parce que je la souhaite? À la fin de l'année, d'autres signaux d'alarme s'étant allumés, il prend ses dispositions avant le Tout, ou Rien:

 

Quitte à mourir, j'aimerais que ce soit avec cette mince couche de conscience lorsque, au cours d'une sieste, je sommeille assez superficiellement pour savoir que je dors.

 

Francis Richard

 

Casimir ou la vie derrière soi, Pierre De Grandi, 324 pages, Slatkine

 

Livres précédents chez Plaisir de lire:

 

Le tour du quartier (2015)

Quand les mouettes ont pied (2017)

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27 novembre 2021 6 27 /11 /novembre /2021 23:00
Léman - Légendes d'un lac, d'Isabelle Falconnier

Ce n'est qu'en me glissant au creux du lac, comme on se glisserait sous une couette infiniment moelleuse et accueillante, que je réussis à m'endormir.

 

Cette fin d'un rêve étrange que fait Isabelle Falconnier quand elle est enfant est le début d'une addiction au Léman. Quand elle a besoin de lui, elle s'en va le contempler, et s'en éloigne après, sereine, apaisée et nourrie:

 

Plus que partout ailleurs, c'est le lien vivant entre un lieu naturel, un paysage et les humains qui l'ont élu comme patrie spirituelle, qui fait l'intérêt du Léman.

 

Le Léman, en dehors du fait qu'il est le plus grand lac d'eau douce d'Europe occidentale, est une source de joie, d'inspiration, de bienfaits, de plaisirs, de jeux, de commerces, d'échanges, d'évasion, et de... nostalgie.

 

Il n'est pas étonnant que le Genevois Jean-Jacques Rousseau ait situé à Clarens les amours de Julie et Saint-Preux, inspirées de celles, sublimées, d'Héloïse et Abélard; que le Britannique Byron y ait suivi ses traces.

 

Ce dernier, adepte de l'amour libre et des paradis artificiels, avait au préalable, accompagné de son compatriote Shelley, visité le château de Chillon où un patriote genevois avait été enchaîné pendant six années à un pilier:

 

Le soir même, ils font escale à Ouchy, à l'hôtel d'Angleterre, où Byron compose le premier jet de son poème Le prisonnier de Chillon, hymne à la liberté, dédié à François Bonivard.

 

À sa suite, poètes et écrivains y ont pèleriné. Isabelle Falconnier rappelle la formule que Jacques Chessex a employée à propos du croissant géant. Il l'avait baptisé encrier dans lequel tout le monde trempe sa plume.

 

Isabelle évoque les pèlerins, tels René de Chateaubriand, Alphonse de Lamartine, Victor Hugo, Alexandre Dumas ou Gustave Flaubert; les écrivains saisis par sa beauté, tels Romain Rolland ou Léon Tolstoï.

 

Quel est le secret d'une beauté à laquelle des peintres, tels Ferdinand Hodler ou François Bocion, ont été si sensibles qu'ils ont consacré de nombreuses oeuvres à l'immensité liquide, encore plus idyllique vue de haut?

 

Nulle part ailleurs les contrastes ne s'additionnent de manière aussi spectaculaire: contrastes entre le cultivé et le sauvage, les Alpes violentes et le lac liquide et doux, l'infini du ciel et les eaux aux profondeurs insondables, les vallons verdoyants et les profonds ravins, les ciels sereins d'où surgit soudain une méchante tempête.

 

Le Léman a des ressources: les vignes de Lavaux; le doux climat de la Riviera; la neutralité de la Suisse qui en fait un refuge pour exilés; le rayonnement international; des eaux bienfaisantes sur son pourtour; le Rhône:

 

Se jetant comme un cheval fou dans le lac qui freine sa course, laissant suivant les saisons de longs tracés de boue dans les eaux claires, le Rhône crée au fond du Léman un rift profond, grand canyon sous-marin invisible depuis les berges, colmatant de ses alluvions la partie amont où il édifie siècle après siècle un vaste delta.

 

À moins d'être frontalier, on ne s'embarque pas sur les élégants bateaux à vapeur blancs qui sillonnent le lac dans un but précis, juste pour s'éloigner de la vie quotidienne et de la rive pour mieux la contempler à distance.

 

L'auteure connaît un lieu secret partagé des amoureux du Léman. Il n'est dévoilé, s'il ne le connaît pas déjà, qu'au lecteur. Lorsqu'on s'y retrouve seul, il invite, au soleil couchant, à s'y exposer nu à ses tout derniers rayons:

 

On appelle ça la magie de l'eau.

 

Francis Richard

 

PS

Ce récit est suivi d'entretiens avec Bruno Berthier, Marianne Chevassus Favey et Didier Zuchuat.

 

Léman - Légendes d'un lac, Isabelle Falconnier, 96 pages, Éditions Nevicata

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26 novembre 2021 5 26 /11 /novembre /2021 23:00
Chroniques du merle bleu, de Philippe Dubath

Je me suis rendormi dans mon lit mais sous l'aile du monticole, heureux de savoir que rien n'est fini, qu'un jour, le merle bleu me viendra.

 

Philippe Dubath se balade, aux sens propre et figuré. Ce marcheur de montagne n'a jamais rencontré le merle bleu, qui donne son nom à ses chroniques, mais il a fait d'autres rencontres, adorant mettre un nom sur ce qu'il croise dans la nature: Une montagne, une fleur, un oiseau.

 

Quand il ne sait pas, il s'adresse à des spécialistes ou fait des recherches. Ce n'est pas vaine curiosité. Même si ce livre a été achevé d'imprimer le 7 novembre 2021, anniversaire de la naissance d'Albert Camus, ce n'est pas pour soustraire quelque chose au malheur du monde:

 

Savoir comment s'appelle une plante, un oiseau, c'est accéder à sa vie, à ses moeurs, ses voyages, c'est comprendre.

 

Il est scrupuleux: Je sais surtout qu'il faut vérifier avant d'affirmer, même si j'oublie, parfois. C'est pourquoi l'exactitude du nom que l'on donne aux êtres et aux choses a tant d'importance à ses yeux, de même que d'employer le mot juste pour exprimer ce qu'il voit ou ressent.

 

Il emporte son appareil, prend des photos: il a le goût du safari photographique facile. Il se promène souvent, pour de vrai, dans la nature dont plein de gens semblent avoir découvert qu'elle est une amie précieuse et si proche, si disponible. Pour lui, elle représente bien davantage:

 

[La nature] est plus que jamais devenue ma maison, mon monde apaisant et rassurant.

 

Il ne se contente pas de s'y émerveiller, de converser avec les êtres qui la peuplent, de se demander ce qu'ils font quand ils ont disparu ou à quoi ils pensent: je me balade dans mes balades. Il ressort alors des photographies, des livres, des souvenirs, et commence d'autres voyages.

 

En fin de volume il est précisé que la plupart des chroniques publiées dans ce livre ont paru dans Le Journal de Morges, excellent hebdomadaire et solide ami de l'auteur: Elles ont parfois été légèrement adaptées pour les besoins de l'ouvrage. Aussi l'époque n'y est-elle pas ignorée:

 

Question confinement, elles en connaissent quelque chose. Elles en sont les championnes du monde. Mes amies les marmottes, qui vivent à quelque deux mille mètres d'altitude, entrent dans leur terrier au début du mois d'octobre pour en ressortir en avril et pas avant. Six mois au moins dans le même appartement, sans aller respirer l'air pur du dehors.

 

Francis Richard

 

Chroniques du merle bleu, Philippe Dubath, 224 pages, Éditions de l'Aire

 

Livre précédent:

 

Airs de fête (2019)

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20 novembre 2021 6 20 /11 /novembre /2021 19:00
Cool, de Simon Vermot

Sa meilleure amie reste introuvable, son mec vient d'être assassiné et tout ce qu'elle trouve à dire, c'est cool? De quoi devenir complètement stone.

 

Avant d'en arriver là, il faut évidemment commencer par le début. Et le thriller de Simon Vermot démarre sur les chapeaux de roues. Avec le kidnapping d'une belle adolescente, Anouk.

 

À Pierre, journaliste suisse, son rédacteur en chef, Marc, a remis un bout de papier sur lequel il a noté tous les mots de la revendication téléphonique qu'a faite le ravisseur de sa fille:

 

Nous ne demandons pas de rançon. Seulement que Pierre, votre journaliste, accepte de nous rencontrer! On vous recontactera.

 

Une rapide enquête permet à Pierre d'apprendre qu'Anouk, quinze ans et quatre mois, qui habite chez sa belle-mère depuis qu'il est veuf, ne s'est en effet pas rendue ce jour-là au collège.

 

Follement inquiet, il va à la police déclarer sa disparition. Mais celle-ci ne fait rien, considérant qu'il s'agit vraisemblablement d'une fugue jusqu'à ce qu'il reçoive ce mot manuscrit de sa fille:

 

Fais tout ce qu'ils demanderont, sinon ils me feront du mal...

 

Ni lui, ni la police ne peuvent dès lors imaginer que ce n'est pas sérieux. Tout est donc mis en oeuvre pour la retrouver, en cherchant d'abord à identifier le porteur du message de sa fille.

 

Le lecteur est très vite dans la confidence que ce n'est pas un kidnapping. Mais cela n'ôte rien au suspense que Simon Vermot sait si bien créer dans cette histoire inspirée de faits réels.

 

Car ce qui donne un tour inattendu à ce qui s'avère être une plaisanterie de mauvais goût de la part de trois amis d'enfance, Paul, Mila et Anouk, c'est leur prise en stop en France de Jeremy.

 

Sur la route qui les mène à la Côte d'Azur, ils ne savent pas que, ce faisant, ils ont mis le doigt dans l'engrenage d'une affaire de grande envergure et que la qualifier de Cool est euphémique.

 

Le lecteur attentif aura noté que ce roman noir, où il y a tout de même des éclaircies, est dédié aux victimes de Nice 2016, ce qui n'est pas un mince indice pour en mesurer toute la portée.

 

Pourtant cela ne le découragera pas dans sa lecture, pris qu'il sera dans les tumultueux méandres du récit, où l'amour d'un père pour sa fille le transcende tellement qu'il finit par jouer les héros...

 

Francis Richard

 

Cool, Simon Vermot, 192 pages, Éditions du Roc

 

Livres précédents:

 

La Salamandre noire (2020)

À bas l'argent ! (2020)

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19 novembre 2021 5 19 /11 /novembre /2021 20:00
L'envol des milans, de Kyra Dupont Troubetzkoy

Cela fait des années que la même colonie de milans noirs vient nicher dans les bois à l'orée du champ qui s'étend devant la maison. Ils arrivent dans le courant du mois de mars après avoir passé la moitié de l'année en Afrique...

 

L'autre moitié de l'année, les milans la passent sous les fenêtres de Jeanne, puis ils retournent d'où ils sont venus, à la fin de l'été, qui correspond rituellement et, sans surprise, à L'envol des milans.

 

Chez les hommes, le cycle est plus long. Il commence à la naissance, dure des années et se termine avec la fin de l'adolescence quand les enfants, en devenant adultes, prennent à leur tour leur envol.

 

Jeanne et Arthur Bifron ont eu à un an d'intervalle deux enfants, Thomas et Mia. Bien qu'elle s'y attendît, Jeanne n'a pas du tout accepté le départ de son fils et s'en est trouvée très déstabilisée.

 

Elle tient à l'accompagner à Zurich, où il va poursuivre ses études, à quelque 300 km de Genève. Cet ultime cordon ombilical est le plus difficile à couper et, de son humeur, celle de la famille pâtit.

 

Jeanne était journaliste, mais elle a abandonné ce métier pour rester à la maison. Son aura a alors pâli aux yeux de son mari et continuer à couver ses enfants a fini par être bien trop pesant pour eux.

 

Thomas parti, Jeanne reporte le poids de son affection sur Mia, qui, après avoir été sa complice féminine, étouffe sous lui et cherche des échappatoires, qui sont de toute façon naturelles à son âge.

 

L'ambiance familiale s'alourdit, se dégrade pendant les mois qui suivent le départ de Thomas, lequel aura joué comme un déclic. Il faut s'attendre alors à ce que se produise une dislocation du foyer.

 

Car il n'est pas possible de diriger indéfiniment la vie de ses enfants et Kyra Dupont Troubetzkoy décrit très bien par quelles affres passe Jeanne refusant de l'admettre et d'en tirer les conséquences.

 

Peut-être cela résulte-t-il du fait qu'elle ne sait pas tout. Elle ne le découvrira qu'à la fin et comprendra alors bien des choses sur son propre comportement, auquel celui de sa mère n'est pas étranger.

 

In fine, en écoutant le Dixit Dominus de Haendel, Jeanne s'installe à son bureau, écrit leur histoire avec les mots de notre époque, et, en mère apaisée, pose ces questions liminaires, qui la résument:

 

On pense que les liens du sang nous protègent, mais si c'était l'inverse? Et si nous étions à notre insu les bourreaux de nos enfants? On croit faire au mieux pour eux, en vue de leur bonheur, on se saigne, on se sacrifie pour eux. Et si, sans le vouloir, on faisait l'inverse? 

 

Francis Richard

 

L'envol des milans, Kyra Dupont Troubetzkoy, 204 pages, 5 sens éditions

 

NB

 

Kyra Dupont Troubetzkoy dédicacera son livre le 25 novembre 2021 à la Librairie Basta ! Chauderon, rue du Petit Rocher 4, à Lausanne, de 17 heures à 18 heures.

 

Livres précédents:

 

Petit essai assassin sur la vie conjugale, Éditions Luce Wilquin (2012)

Le hasard a tout prévu, Éditions Luce Wilquin (2013)

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17 novembre 2021 3 17 /11 /novembre /2021 18:45
Confession d'une dame du pays de la Venoge, d'Annette Schneider

Annette Schneider est née à Sainte-Croix. C'est elle la dame du Pays de la Venoge, cette rivière qui a été chantée par le poète Jean Villard-Gilles, dont la source se trouve au pied du Jura, à L'IsLe, qui passe à La Sarraz et mêle au bout de sa course ses eaux à celles du Léman.

 

Dans cette confession où elle n'a pas de péchés à avouer et qui serait plutôt une profession de foi dans la vie, l'auteure raconte la sienne en restant modeste, comme le sont ses origines. Car elle est née en 1932, alors que ses parents ont dû fermer leur magasin de chaussures.

 

Les années 1930, celles de sa petite enfance, sont synonymes de survie grâce à de petits travaux et à une association, la Semaine du kilo. Avec le début de la Seconde Guerre mondiale, les choses ne s'arrangent pas: ses parents sont en instance de divorce et son père au chômage.

 

Elle est ravie d'aller à l'école, pour apprendre. Comme elle est une fille, elle n'a pas droit à l'algèbre, à la géométrie, à l'instruction civique, mais à la couture. Quant aux vacances, dès ses 11 ans, elle les vit toutes dans des familles d'agriculteurs ou de viticulteurs pour aider au ménage.

 

À la fin de sa scolarité obligatoire, elle fait une année de stage en Suisse allemande, puis, parce que son père juge nécessaire qu'elle apprenne un métier, avec ses économies et un complément paternel, elle entre dans une école spécialisée dans la formation d'employées de bureau.

 

D'abord secrétaire d'un avocat à Lausanne, après son mariage avec un horticulteur, elle mène de concert ce travail, l'administration de l'entreprise familiale et sa formation sur le tas à la profession d'horticultrice. Puis, à regret, pour celle-ci, elle abandonne sa  profession de secrétaire.

 

Pour cette femme pleine de vie, c'est insuffisant. Sans faire de politique jusque-là, elle s'y est intéressée quand elle était secrétaire de l'avocat, qui, lui, en faisait. De plus, dès 1959 le droit de vote et d'éligibilité est accordé aux femmes dans le canton de Vaud. En Suisse, ce sera en 1971...

 

Cette femme, qui défend les femmes, n'est pas de gauche. Pendant des décennies, au Parti Radical, un parti du Centre, elle participe activement à la vie politique dans différentes communes et districts vaudois, la menant de front avec l'exercice de plusieurs professions successives.

 

Elle a connu succès et revers face à une gent masculine dominante, mais elle a obtenu souvent aussi son soutien, parce qu'elle est tenace et sait être convaincante. Ce récit, pour qui ne s'est jamais engagé sur le terrain politique, est intéressant et occupe une grande part de sa confession.

 

Le nom d'Annette Schneider restera attaché au sauvetage du château de La Sarraz, commune de son domicile actuel, mais il faudra retenir sa sagesse, non pas due à l'âge, mais à l'expérience. Elle n'est pas près de tomber dans les excès de paroles de certaines femmes d'aujourd'hui.

 

Elle n'oublie pas les améliorations intervenues dans la vie des femmes depuis la dernière guerre mondiale, que d'aucunes ignorent. Sous une autre forme, elle a lutté toute sa vie pour le respect et la reconnaissance de la femme dans le milieu politique et, avec d'autres, y est parvenue.

 

À la fin de son livre, elle dresse les portraits de femmes remarquables, qui sont devenues ses amies et/ou qu'elle a approchées. Ils illustrent qu'en Suisse des femmes, telles Christiane Langenberger, Jacqueline de Quattro ou Isabelle Moret, ont joué ou jouent désormais un rôle insigne.

 

Francis Richard

 

Confession d'une dame du pays de la Venoge, Annette Schneider, 240 pages, Éditions de l'Aire

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14 novembre 2021 7 14 /11 /novembre /2021 19:30
Les Flammes de Pierre, de Jean-Christophe Rufin

Ce supplément d'âme qui transforme un sujet en intrigue, une personne en personnage, c'est ce que l'on appelle une histoire. Il y faut un début, une fin et surtout au-delà des faits, des sentiments.

 

Alors Jean-Christophe Rufin applique le précepte dans Les Flammes de Pierre, dont le titre est tiré du nom d'une belle paroi granitique située au-dessus de Chamonix.

 

Ce roman, fait surtout de récits de montagne, est l'histoire d'un amour entre un guide, Rémy, et une femme d'une beauté hiératique, Laure, la trentaine, comme lui.

 

Rémy, ce gigolo des neiges, a séduit moult riches clientes, avec son sourire commercial, sa musculature de sportif, son bronzage entretenu toute l'année au grand air.

 

Cette fois, lors de leur rencontre, il se rend tout de suite compte que Laure, bien qu'appartenant à cet autre monde, de luxe et de privilèges, est différente des autres.

 

Laure, femme moderne et mondaine, évolue dans la finance. C'est aussi une femme courageuse et maîtresse d'elle-même. Il n'arrive pas à démêler qui elle est vraiment.

 

Lui, puis elle, prennent conscience de l'amour qu'ils éprouvent l'un pour l'autre, sans savoir l'exprimer, avec les conséquences auxquelles mène une telle retenue.    

 

Aussi Laure et Rémy vont-ils, tour à tour, tacitement, donner la plus belle preuve d'amour qui soit, en rejoignant le monde de l'autre, non sans bleus au corps et à l'âme.

 

Cette histoire a la montagne pour témoin muet, comme une ombre, qui, même lorsqu'on s'en éloigne, de par sa verticalité, finit par élever les corps et les âmes.

 

Car la montagne, école de vie, réserve à ceux qui s'y adonnent, à sa discrétion, le plaisir et la douleur, le merveilleux et le drame, l'effort et le repos, la conscience et l'oubli.

 

Les tourments de l'amour étreignent Rémy, puis Laure, si bien que le manque de l'un pour l'autre, et réciproquement, s'avère le révélateur obligé qui signe leur amour.

 

Mais cela ne signifie pas qu'ils en soient conscients, ni que ce qui avait si bien commencé, après bien des vicissitudes, fasse une bonne fin. En amour, en effet, rien n'est sûr:

 

Une des cruautés de l'amour, une de ses forces aussi, est de pouvoir subsister hors du temps, sans soin ni aliment. C'est une plante inouïe mais qui peut aussi bien mourir en un instant.

 

Francis Richard

 

Les Flammes de Pierre, Jean-Christophe Rufin, Gallimard

 

Livres précédents chez Flammarion:

Le Suspendu de Conakry (2018)

Le Flambeur de la Caspienne (2020)

La Princesse au petit moi (2021)

 

Livres précédents chez Gallimard:

Sept histoires qui reviennent de loin (2011)

Le collier rouge (2014)

Check-point (2015)

Le tour du monde du roi Zibeline (2017)

Les sept mariages d'Edgar et Ludmila (2019)

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3 novembre 2021 3 03 /11 /novembre /2021 20:40
Je vais ainsi, de Hwang Jungeun

Il s'agissait de deux locations qui partageaient l'entrée et une salle d'eau équipée de toilettes. On les avait aménagées en divisant en son milieu un sous-sol, qui à l'origine avait servi de cave. [...] Cette cloison était volontairement incomplète à ses extrémités.[...] Les gens habitant d'un côté ou de l'autre de la cloison n'avaient pas un logement complet, mais seulement la moitié. À chaque extrémité, l'entrée et la salle d'eau étaient des parties communes au foyer de gauche et à celui de droite.

 

Dans ce logement ont habité ensemble pendant leur enfance, d'un côté Ae Ja et ses deux filles, So Ra et Na Na, de l'autre Sun Ja et son fils Na Ki. Ae Ja et Sun Ja sont toutes deux veuves et leurs familles sont donc monoparentales.

 

Leurs histoires, qu'elles soient communes ou individuelles, sont racontées par So Ra, Na Na, Na Ki. Mais leurs récits mélangent allègrement premières et troisièmes personnes, si bien qu'ils obligent à une lecture des plus attentives.

 

Les deux soeurs So Ra et Na Na sont très complices. Elles le sont d'autant plus que leur mère a une attitude inquiétante à leur égard, car elle s'absente de temps en temps sans crier gare et les laisse alors se débrouiller toutes seules.

 

Na Ki est pour elles un grand frère, même si elles auraient aimé qu'il soit davantage que cela, pour l'une en tout cas, sinon pour l'autre. Ce qui les rapproche, c'est que la mère de Na Ki est une mère de substitution pour toutes deux.

 

Ces trois enfants, même devenus adultes, sont très imaginatifs. Leur imagination est d'autant plus exacerbée qu'ils sont sujets à des rêves prémonitoires, et qu'au moins deux mystères, qui ne sont que temporaires, l'entretiennent.

 

L'un de ces mystères est que Na Na est enceinte sans que, dans un premier temps, So Ra en soit sûre, puis qu'elle sache qui est le père. L'autre est que Na Ki a un secret personnel, remontant à un séjour au Japon et qu'il garde pour lui.

 

Ces récits, qui se déroulent en Corée du Sud, sont émaillés de rites, notamment alimentaires et religieux. Qui sont aussi bien observés dans le pays que propres aux familles, lesquelles ont, semble-t-il, encore là-bas une grande importance.

 

Aussi les réflexions qu'ont les personnages au travers de leurs récits créent-elles une ambiance insolite, singulière et plurielle, qui n'est pas sans charme, si, parfois, elle ne laisse pas de déconcerter, ce qui, sans doute, y contribue.

 

Francis Richard

 

Je vais ainsi, Hwang Jungeun, 240 pages, Zoé (traduit du coréen par Jeong Eun Jin et Jacques Batilliot)

 

Littérature d'Asie aux éditions Zoé:

 

Les enfants de Sal Mal Lane, Ru Freeman (2015)

1,2 milliard, Mahesh Rao (2017)

Sur le mont Mitaké, Sîbourapâ (2018)

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Présentation

  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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