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25 février 2017 6 25 /02 /février /2017 10:30
Je suis un tueur humaniste, de David Zaoui

En tant que tueur à gages je suis d'une efficacité effroyable, tout autant qu'un kärcher pour nettoyer la merde. Je vise? Oh! Putain! Je vise tellement bien que, parfois, je me demande ce que j'aurais bien pu faire d'autre comme job.

 

Ernest Babinsky - tout le monde l'appelle Babinsky - a été abandonné par ses parents quand il avait six mois. A sept ans il s'est rendu compte, dans son orphelinat, qu'il avait un don sacrément singulier: quelle que soit l'arme, il ne ratait jamais la cible.

 

Il a également eu la révélation d'un autre don, tout aussi singulier, celui d'être à l'écoute des autres orphelins et de savoir leur parler, surtout quand ils étaient tristes. Il ne se souciait pas comme eux de son passé ni de ses parents biologiques.

 

La vie du petit Babinsky a changé quand il a été remarqué par le petit Roberto, alias Cyrus le gros, le cousin de M. Gomez, son prof de culture physique. Cyrus le gros avait un stand de tir. Il lui a appris le maniement des armes à feu et... toutes les techniques pour tuer.

 

C'est comme ça que Babinsky est devenu tueur à gages pour le compte de Cyrus le gros. Pas n'importe quel tueur à gages, un tueur à gages humaniste, c'est-à-dire qui, certes, élimine de véritables fumiers, mais seulement après les avoir rendu heureux...

 

Après avoir rempli son premier contrat, à 22 ans, Babinsky est devenu complètement insomniaque. Ce qui - les pratiquants de l'insomnie le savent - permet de vivre plusieurs vies, et notamment de lire. Et quand on est humaniste, on lit Montaigne, entre autres...

 

Babinsky exerce depuis vingt ans cette activité lucrative et raconte de quelle manière, humaniste, il remplit quelques contrats: il faut de l'ingéniosité pour se débarrasser de quelqu'un en lui faisant dire enfin que son dernier jour est le plus beau de sa vie...

 

Un tueur à gages, fût-il humaniste, peut difficilement avoir une vie personnelle. Babinsky va s'en rendre compte amèrement après avoir filé quelque temps le parfait amour avec Amandine. Ce qui va le conforter dans sa solitude et sa propension à se soucier des autres.

 

Comme couverture, il est en principe plombier, mais ce n'est pas forcément idéal quand on n'est pas le moins du monde bricoleur. Alors il se présente parfois comme météorologue. Ce qui permet de faire davantage rêver et d'être moins vulnérable aux questions.

 

Au bout de ces vingt ans d'activité, les choses changent petit à petit pour Babinsky. Ses rencontres régulières avec un psy, ses lectures de philosophes y seront pour quelque chose, et, certainement, le contrat qui le conduira jusqu'au Cambodge.

 

Comment abandonner à son triste sort un tel livre qui, justement, n'est pas triste. Car Babinsky a beaucoup de verve. Il sait faire voir le bon côté des choses et sa méthode est sinon morale, du moins roborative. Et puis, il a beau être tueur, il a bonne mentalité.

 

Babinsky s'en prend avec bonheur à la culture de l'excuse, au sociologisme bisounours des irresponsables:

 

Déresponsabiliser l'individu de tout, comme s'il n'était qu'une bête sauvage, sans liberté de conscience.

Moi, je n'ai jamais pu encadrer ce discours angélique, et pour cause!

 

Francis Richard

 

Je suis un tueur humaniste, David Zaoui, 248 pages Paul et Mike éditions

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23 février 2017 4 23 /02 /février /2017 23:45
Des éléphants dans le jardin, de Meral Kureyshi

On avait des éléphants dans le jardin. Le plus petit passait sa tête par la fenêtre de ma chambre, il voulait que je lui donne des noix.

 

Que peut raconter d'autre la narratrice enfant au retour de ses vacances à ses petites camarades? Elle n'a en effet rien de passionnant à raconter. Alors elle invente des histoires, comme elle le fera plus tard à son moi adulte.

 

La narratrice est originaire du Kosovo. Elle vient de Prizren, qu'elle a quitté en 1993 avec ses parents, Baba et Anne, et son frère, qui avait huit ans à ce moment-là, alors qu'elle n'en avait elle-même que dix.

 

Ce sont des requérants d'asile dont la langue maternelle n'est même pas l'albanais ni le serbo-croate: ils appartiennent en effet à la minorité turque de la Yougoslavie de l'époque... Et leur procédure d'asile va durer treize ans:

 

Treize ans sans quitter la Suisse.

Treize ans sans avoir de travail légal.

Treize ans avec la peur d'être expulsés.

 

Baba est mort, à quarante-six ans. Il a tenu à être enseveli dans sa terre natale, à Prizren. A la suite de son enterrement, les souvenirs de la narratrice surgissent en elle, sans ordre chronologique: elle les raconte comme ils viennent.

 

La narratrice parle de ses parents, de son frère et de sa soeur (qui a dix ans de moins qu'elle), de ses grands-parents, Babaanne et Dede, et de son oncle, Aga, le frère de Baba, restés au pays; c'est-à-dire de sa famille, qui est importante pour elle.

 

Comme elle est de confession musulmane, l'islam est bien sûr présent dans ces souvenirs qui couvrent une période de quinze ou vingt ans. Après l'ensevelissement de son père à Prizren, elle écrit, tout au début de son récit:

 

Depuis un mois, chaque vendredi matin, je recouvre mes cheveux d'un foulard blanc et je récite Ya-Sin, la prière des morts, pour toi.

 

L'islam dont il s'agit est surtout, pour elle, convenances et rites à respecter. Quand elle évoque l'oeil bleu, censé les protéger, qui orne les maisons, elle écrit: la superstition est interdite par l'islam, alors on l'appelle tradition.

 

La narratrice n'aime pas son prénom et le lecteur ne saura pas quel il est. En tout cas, il sait qu'elle aurait aimé se prénommer Sarah, comme sa meilleure amie, qu'elle a perdue de vue il y a vingt ans et qu'elle croisera un jour, sans lendemain, rue du Marché à Berne.

 

La narratrice ne raconte pas seulement des faits vrais (ou faux) qui font une existence, elle se confie aussi:

 

Il ne m'est jamais arrivé de ne pas être amoureuse. Le garçon qui le premier m'avait prêté son crayon, celui qui m'avait demandé comment je m'appelais, celui qui avait partagé son petit pain avec moi, celui dont toutes les filles étaient amoureuses. Etc...

 

La narratrice fait enfin cet aveu déchirant de la part d'une personne dont les racines ont été transplantées malgré elle dans une autre terre:

 

Je n'aime pas la langue allemande. L'allemand est ma langue maternelle. Ma mère ne parle pas l'allemand.

En délaissant ma langue d'enfant, je me suis délaissée moi-même.

Ma langue maternelle, je me la suis inculquée moi-même quand j'avais dix ans.

 

Francis Richard

 

Des éléphants dans le jardin, Meral Kureyshi, 184 pages (traduit de l'allemand par Benjamin Pécoud) Editions de l'Aire

 

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21 février 2017 2 21 /02 /février /2017 22:45
Cap Kalafatis, de Patrick Besson

Nicolas a l'impression d'être non dans un ménage à trois mais dans une équipe sportive, handball ou escrime.

 

Nicolas, 23 ans, rencontre José, 54 ans, et Barbara, 23 ans, à Cap Kalafatis, au sud-est de l'île de Mykonos, à Pâques 1991, c'est-à-dire il y a quelque vingt-cinq ans. José, en le quittant, lui a dit: Tu écriras des livres où tu raconteras ce que je te disais.

 

Ce qui est important dans le roman de Patrick Besson, ce sont effectivement ce que ces trois personnes se disent et disent de l'existence. Car tout le reste n'est que décor, sublime: une plage de sable fin quasi déserte, la mer et le ciel qui, le soir, se retrouvent en tête-à-tête.

 

Nicolas, étudiant en sciences politiques, est venu à Cap Kalafatis en vélomoteur. Il a eu l'oeil naturellement attiré par une belle fille de son âge, Barbara, qui est allongée sur le sable, qui vient de se mettre sur le dos et de lui révéler ses seins nus.

 

Nicolas a l'habitude de plaire car il est beau, pas aussi beau que Barbara mais presque. Il cherche donc à lui plaire et ils sont en train d'échanger des propos de séduction, à fleurets mouchetés, lorsque survient José, avec lequel Barbara est en couple.

 

Les choses ne tournent pas mal, au contraire. José vient de faire de la planche à voile. Il est d'humeur joviale et invite Nicolas à déjeuner avec eux. Mais, auparavant, José et Barbara lui racontent sans pudeur dans quelles circonstances ils ont fait connaissance quatre ans plus tôt.

 

Nicolas, à deux reprises, cherche à s'éclipser, mais son vélomoteur ne démarre pas et force lui est de rester avec eux, qui ne laissent pas de le surprendre par leur attitude envers lui et par le bonheur qu'ils connaissent ensemble depuis quatre ans, en dépit de la différence d'âge.

 

Nicolas se sent manipulé, comme disent les filles, par ce couple qui s'est échappé pour du neuf et du pur: il devient une fille entre Barbara et José. Peu à peu ses yeux se dessillent: il apprend le rôle qu'ils attendent de lui et accepte ce qu'ils lui demandent, sans être jamais sûr du jeu qu'ils jouent.

 

Ce qui est sûr, c'est que José veut réussir au moins une dernière chose dans sa vie, le bonheur de Barbara:

 

Les filles comme toi sont la lumière du monde. Sans vous, la terre serait une prison. Il faut vous protéger de tous les gens qui ont une bonne raison de vous détruire: vos vieilles mères, nos vieilles épouses, les hommes qui ne vous ont pas et ceux qui ne vous ont plus.

 

Francis Richard

 

Cap Kalafatis, Patrick Besson, 128 pages Grasset

 

Livres précédents:

La mémoire de Clara, Éditions du Rocher (2014)

Come baby, Fayard (2011)

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16 février 2017 4 16 /02 /février /2017 23:30
Terminal terrestre, de Daniel de Roulet

75 ans et un jour après Joyce

le 17 juin 1979

un type se lave les pieds

dans le lavabo de l'hôtel

notre rencontre

 

35 ans plus tard, Daniel de Roulet, le 18 novembre 2014, embarque, à bord d'un cargo, avec celle qu'il a rencontrée ce-jour-là. Il s'était lavé les pieds pour qu'ils ne sentent pas mauvais, recette lue dans un livre intitulé Comment sauver votre mariage en deux minutes, et qui l'avait fait rire.

 

L'allusion à Joyce se réfère à la rencontre de l'auteur d'Ulysse avec Dora le 16 juin 1904:

 

il en a fait la date où

Léopold Blum déambule dans Dublin

 

Daniel de Roulet, comme l'Ulysse d'Homère et celui de Joachim du Bellay, a fait un beau voyage, du 18 novembre 2014 au 15 juillet 2015, du sud au nord du continent américain, de la Patagonie jusqu'à l'Alaska, en passant par des villes aux noms de rêve dotés de multiples a.

 

Tous les jours, du moins du 18 novembre 2014 au 16 juin 2015, il écrit des billets, en cachette, destinés à celle qu'il aime et qui l'accompagne dans ce voyage en bateau, en avion, mais surtout en bus, d'un Terminal terrestre (gare routière) l'autre.

 

L'écrivain et la violoniste sont ensemble pendant tout ce périple, si l'on excepte un intermède d'une semaine du 25 avril au 1er mai 2015, où Daniel rentre seul en Suisse, pour y recevoir le Prix Culture et Société de la Ville de Genève (de littérature).

 

Daniel reste seul à son tour, au Canada, du 16 juin au 15 juillet 2015. Pendant ce mois de solitude il recopie ses lettres écrites tous les jours de leur odyssée commune pour les lui faire parvenir toutes d'un coup sur son écran:

 

un stylo à la main

chaque jour pendant sept mois

au lieu de dire je t'écris

j'ai profité de ta crédulité

(Montréal le 15 juillet)

 

Elle était privée de son violon, mais lui ne l'était pas de son stylo. Et ses billets racontent avec pudeur ce qu'ils ont vécu ensemble, c'est-à-dire des moments d'harmonies et de discordes, comme en connaissent tous les couples, sur fond de petits faits vrais et d'Histoire parfois tragique.

 

Tous ces billets sont en réalité un long poème d'amour qu'il adresse à celle qui a du mal à vivre sans lui et sans... son violon; et la forme de ces billets le confirme, puisqu'ils ne connaissent ni majuscules, ni ponctuation, hormis quelques points d'interrogation, ici ou là. 

 

Ce long poème est parsemé de petites phrases tendres qui concluent l'un ou l'autre billet:

 

ainsi le baiser que je te donne

n'est pas l'amour

juste la preuve de

(A bord de l'Éden le 7 janvier)

 

l'écart me permet de retomber

chaque jour de haut

dans tes bras

(La Paz le 11 février)

 

toi et moi on ne croit pas

à la magie

sauf à celle entre toi et moi

(Trujillo le 26 février)

 

Alors, pourquoi lui écrit-il en cachette?

 

non pas pour raconter notre voyage

mais pour te dire ce qu'il fait

de notre couple

(Arica le 4 février)

 

j'essaie de dire

les couleurs de notre bulle

le reste tu l'as vu

(Quito le 9 mars)

 

Dans son dernier billet, il conseille à sa belle de se méfier de lui puisqu'il lui a menti pour lui exprimer ses sentiments, même les plus tendres, mais il nuance aussitôt, parlant de lui à la troisième personne:

 

à moins que ses cachotteries

épistolaires ou autres

ne t'offrent comme à lui

la plus grande liberté.

 

C'est le seul point final du texte... mais ce n'en est toutefois pas le dernier mot...

 

Francis Richard

 

Terminal terrestre, Daniel de Roulet, 244 pages Éditions d'autre part

 

Livres précédents:

 

Tous les lointains sont bleus Phébus (2015)

Tu n'as rien vu à Fukushima  Buchet-Chastel (2011)

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13 février 2017 1 13 /02 /février /2017 20:25
Philothérapie, d'Éliette Abécassis

L'amour a toujours été pour moi la plus grande des affaires ou plutôt la seule, dit Stendhal dans Vie de Henri Brulard. Juliette, l'héroïne du roman d'Éliette Abécassis, elle, veut suivre une Philothérapie pour qu'elle ne le soit plus.

 

Juliette voudrait ne plus être amoureuse pour pouvoir enfin trouver le bonheur. Jusqu'à présent l'amour a été sinon la plus grande, du moins une très grande affaire dans sa vie. Elle a eu ainsi sa période fissionnelle: elle a poursuivi plusieurs relations en même temps.

 

N'était-elle pas une femme libre? Alors, elle a vécu de beaux moments avec Olivier, Vincent, Philippe, Léo, Jean-Marc, Charles, Fabio, Guillaume, Stéphane, Tom, Jean-Daniel, Thomas et Luc, les Jonathan et les Éric et, enfin, Gabriel.

 

Gabriel était différent des autres: Il était profondément bon, dévoué et gentil, et elle avait beaucoup d'estime et d'admiration pour lui. Mais, avant leur rupture, il n'envisageait pas de construire une vie ni avoir des enfants avec elle, du moins il ne le lui avait pas dit.

 

C'est Juliette qui a pris l'initiative de la rupture avec Gabriel. Un message était apparu un jour sur le portable de ce dernier, en bandeau, alors qu'il lui montrait une photo: Ce SMS disait, dans le texte: "Mon petit lapin, quand est-ce qu'on remet ça?".

 

C'était une femme, à n'en pas douter: Elle avait rompu, sans explication, sans détail, du jour au lendemain. Gabriel, incrédule, s'était mal défendu. Depuis, Juliette traversait une crise morale, une crise existentielle. Il lui fallait s'adresser à un spécialiste...

 

Son libraire, Emmanuel Deloffre, lui avait alors parlé d'un site, Philoskype.com, un site de thérapie par la philosophie, dont l'objet était de guérir les maux de l'âme grâce à un dialogue avec un professeur qui enseignait la discipline.

 

Pendant plusieurs semaines, au cours de 13 leçons, Juliette va dialoguer avec le professeur Jean-Luc Constant, un bel homme, à l'allure sportive et à la barbe de trois jours, c'est-à-dire tout à fait apte à lui faire aimer la philosophie... en mode audio, puis vidéo.

 

Cette philothérapie fait un tour de la question: philosopher, c'est aimer; le banquet; l'origine de l'amour; l'amour qui dure; la passion; la trahison amoureuse; le désir; la rupture amoureuse; la séduction; la méprise; le jeu amoureux; la déception amoureuse; aimer, c'est philosopher.

 

La boucle est de cette façon bouclée: L'amour est partie prenante de l'acte de philosopher, puisque le philosophe aime la sagesse. Et Juliette, conseillée par son libraire, se constitue toute une bibliothèque sur l'amour, qu'elle [élargit] à l'histoire de la philosophie.

 

Cette bibliothèque comprend inévitablement les sept grands, selon Jean-Luc, qui devient en quelque sorte son mentor: Platon, Aristote, Kant, Descartes, Hegel, Husserl, Heidegger. Les lire permet à Juliette d'avoir du répondant quand elle dialogue avec lui...

 

Le métier de Juliette - elle travaille dans le service marketing d'une entreprise de cosmétiques - l'amène à parcourir le vaste monde. Mais cela n'est pas un obstacle pour suivre les cours de Jean-Luc, puisqu'il y a Skype, et pour continuer à être connectée.

 

Car, parallèlement, à ces cours qui la font réfléchir sur sa vie, elle reste en contact avec son ex, Gabriel, qui, toujours amoureux d'elle, lui envoie des SMS, et elle fréquente des sites de rencontre, notamment AdopteUnMec, qui lui réserve quelques surprises...

 

Certes le roman d'Éliette Abécassis est philosophique, mais il est aussi roman à intrigue. Et, peut-être, les deux grandes leçons à tirer seraient qu'il ne faut pas s'attacher aux apparences mais à l'âme, et que l'amour et le hasard jouent décidément un drôle de jeu...

 

Francis Richard

 

Philothérapie, Éliette Abécassis, 320 pages Flammarion

 

Livres précédents chez Albin Michel:

 

Et te voici permise à tout homme (2011)

Le palimpseste d'Archimède (2013)

Alyah (2015)

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11 février 2017 6 11 /02 /février /2017 19:00
Contre-attaque, de Philippe Sollers et Franck Nouchi

On a voulu enterrer Philippe Sollers: il esquive la mise au tombeau et son esprit reste en alerte, en mouvement. En bon stratège, il lance une Contre-attaque, la meilleure des défenses, une occasion de parler de lui et, peut-être, par ricochet, de faire parler de lui...

 

Après avoir écrit régulièrement dans Le Monde, Le Journal du Dimanche, L'Observateur, il ne dispose plus de la moindre tribune de presse. Qu'à cela ne tienne, cet indéfendable, cet inassimilable, cet irrécupérable est bien vivant: Jamais bien pensant. Jamais indigné. Je regarde. Je capte. C'est très mal vu...

 

Avec son interlocuteur, et ami, Franck Nouchi, il signe un livre réunissant treize-quatorze entretiens qu'ils ont eus entre le 27 octobre 2015 et le 27 mars 2016 et au cours desquels ils ont évoqué et cité nombre de pièces figurant dans son dossier.

 

Mais, pour sa défense, c'est ce qu'il dit de la littérature qui emporte le plus la conviction, sans doute parce que c'est ce qu'elle peut penser qui l'intéresse passionnément. Et parce que, pour lui, la littérature est avant tout une école de liberté. Une liberté libre comme dit Rimbaud.

 

Sollers contate que la littérature actuelle a ceci de particulier, et peut-être est-ce un tournant considérable, que ce sont les morts qui sont en danger, et pas forcément ceux qui sont vivants. Pourquoi? Parce que les hiérarchies intellectuelles et artistiques ont disparu.

 

Tant que ces hiérarchies n'auront pas été rétablies pour évaluer ce pays qui s'appelle la France, on nagera dans la bouillie... Au sommet de la hiérarchie des écrivains, Sollers ne place ni Péguy ni Rebatet, mais Proust et Céline. Et dit à leur propos:

 

Dans ce monde très con, très sérieux, l'extraordinaire humour plus que noir de Céline échappe à tout le monde. De même que l'ironie absolument admirable de Proust par rapport à la décadence du faubourg Saint-Germain.

 

Le monde est en effet très con et très sérieux. Sollers a raison de dire que plus que l'effondrement de l'université ou de l'école, le problème est l'effondrement de la pensée. En effet fini le temps des analyses, voici celui des péroraisons d'opinions.

 

La parade à cet effondrement se trouve dans ce dialogue:

Franck Nouchi: L'urgence est donc de se remettre à penser...

Philippe Sollers: Et de lire. Car la littérature, elle, pense en dehors de l'idéologie.

Franck Nouchi: Et de se remettre à écrire, alors...

Philippe Sollers: Pour savoir écrire, il faut savoir lire. Pour savoir lire, il faut savoir vivre.

 

Si le livre de Sollers et Nouchi ne se résume bien évidemment pas à ses propos sur la littérature - on lira avec profit ce qu'il dit, par exemple, de la Bible, des religions, de l'islam, de la moraline, du faux et du laid, de l'absence de poésie et donc d'amour -, c'est sa posture singulière sur tous les sujets qui retient l'attention: 

 

Je ne suis pas là pour dire ce qui est bien pour la société. Je suis là pour pointer du doigt la façon dont elle avale le mal dans le tout-est-dans-tout-et-réciproquement.

 

Francis Richard

 

Contre-attaque, Philippe Sollers, 240 pages Grasset

 

Livres précédents chez Gallimard:

Trésor d'amour (2011)

L'éclaircie (2012)

Médium (2014)

L'école du mystère (2015)

Mouvement (2016)

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7 février 2017 2 07 /02 /février /2017 23:55
Le fils rompu, de Caroline Petitat Robet

C'est toi qui ne croyais plus en Dieu qui m'a entraînée. Me défaire d'un héritage religieux austère, de peurs accumulées, pour comprendre ce qu'est la vraie foi. Une espérance sans voix. Une adhésion simple et libre. Vivre l'instant présent. Rendre grâce au fil des jours.

 

Caroline Petitat Robet a écrit le récit d'une mère, Le fils rompu. Ce fils, c'est Jean, qui ne croyait plus, mais qui l'a entraînée. Et pourtant cet entraînement ne s'est pas fait sans souffrance. Une amie, porteuse d'une maladie incurable, lui a dit un jour:

 

L'important ce n'est pas la souffrance. La souffrance ne sert à rien. C'est ce qu'on vit dans la souffrance. Ça ouvre les écoutilles.

 

Le 29 novembre 2012, la nouvelle éclate comme une bombe, tombe comme un couperet: Jean est atteint d'un cancer. Il va s'écouler quinze mois avant l'échéance fatale, à 29 ans. Pendant ce temps-là, elle va découvrir son fils sous un autre jour.

 

Le récit qu'elle fait de ces quinze mois n'est pas rectiligne. Il emprunte des allers et des retours dans le temps. Il fait des incursions dans les années précédentes. Et, peu à peu, le lecteur voit se dessiner le portrait de ce fils qui la transforme.

 

Le récit n'est pas non plus écrit tout du long à la première personne. Il est des moments où par inadvertance une voix narratrice s'introduit: Le "je" devient "elle". Le "tu" se transforme en "il". Ce sont des moments de mises à distance nécessaires.

 

Jean a vingt ans quand il part pour la Finlande. Il y travaille dans le commerce international. Tout lui sourit là-bas, à l'exception peut-être de la fin d'une relation amoureuse, à mi-parcours. En fin de parcours, ce sont douleurs au ventre, découverte de polypes lors d'une coloscopie...

 

En fait, les analyses révèlent non seulement un cancer mais une maladie génétique, la polypose adénomateuse familiale, rare à son âge. Six mois plus tard, en mai 2013, Jean subit une opération du colon, insuffisante. La chimio, alors? Peut-être...

 

Quelques mois plus tard, à la fin de l'automne, il quitte définitivement la Finlande, pour se rendre chez ses parents, qui se trouvent alors en France, à Rennes, et y mourir, début 2014. Jusqu'au bout Jean témoigne d'une grande lucidité et maîtrise de lui-même.

 

Caroline Petitat Robet a besoin de parler de ses relations de mère à fils pendant ces mois. Ils se sont soutenus l'un l'autre, sans se confier leurs moments de faiblesses. Et finalement ils sont tous deux sortis grandis de cette épreuve avant séparation définitive.

 

Les amis de Jean ont fait la promesse de bâtir son dernier projet, une caravane sauna. Leur spiritualité en action sauve aujourd'hui Caroline de la désespérance. Certes ils ne fréquentent pas comme elle les églises, mais leur sincérité [la] pointe vers l'Évangile:

 

Ils guettent l'essentiel à ne pas lâcher: l'humain de l'homme.

 

Francis Richard

 

Le fils rompu, Caroline Petitat Robet, 160 pages, Salvator

 

Caroline Petitat Robet, originaire de Bretagne, vit actuellement en Suisse. Elle est engagée dans le mouvement ATD Quart-Monde depuis 1975.

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3 février 2017 5 03 /02 /février /2017 23:15
Latitude noire, de Gilles de Montmollin

L'antipode de la Suisse, c'est à peu de choses près la Nouvelle Zélande (en fait l'antipode de Lausanne se trouve pratiquement sur la ligne de changement de date, dans l'Océan Pacifique sud, à l'est de l'archipel). Gilles de Montmollin y situe, dans l'Île Sud, les trois quarts de son roman d'aventures Latitude noire, qu'il est impossible de lâcher avant la fin...

 

Le vendredi 6 février 2015, Serge Duncan reçoit un appel téléphonique de son frère Jean-Bernard, JB, depuis la Nouvelle Zélande. Celui-ci, avant d'être coupé et de ne plus jamais donner signe de vie, lui demande d'aller chez lui à Lausanne, d'y prendre une clé USB dissimulée dans son bureau, sous une latte de parquet, et de l'envoyer chez Melissa par DHL.

 

Serge, le narrateur de l'histoire, a soixante ans, JB soixante-deux. Serge est enseignant en préretraite, JB gestionnaire de fortune. Leur père, Donald Duncan, brillant physicien, originaire de Nouvelle-Zélande, décédé il y a un an, leur a légué à chacun un demi-million. Deux mois plus tôt Serge a refusé de prêter à JB quatre cent mille francs... et, du coup, il culpabilise.

 

Serge et JB sont trop différents. JB est plus grand, plus costaud, à défaut d'être beau, il a une "gueule", ce qui lui vaut de nombreuses conquêtes féminines. Serge n'est pas comme lui accro au sexe: il s'est marié et a divorcé, il y a huit ans. Si JB est sûr de lui, Serge est hésitant. Si JB entreprend beaucoup et se donne les moyens de tout réussir, Serge reconnaît:

 

Moi, j'entreprends peu et réussis à rater beaucoup.

 

Par hasard, au fitness qu'il fréquente depuis un mois, Serge rencontre Arielle, une des maîtresses de son frère qui lui révèle qu'avant d'aller en Nouvelle-Zélande pour affaires, JB s'est rendu à Londres chez un type dont il a laissé les coordonnées chez elle. Serge part alors pour Londres sur les traces de son frère. Il décide en effet de se mettre à la recherche de JB disparu.

 

Serge apprend là-bas que le voyage de JB en Nouvelle-Zélande a un lien avec la disparition mystérieuse, pendant la Deuxième Guerre mondiale, d'un pseudo navire marchand hollandais, le Derflinger, qui, en réalité, était un navire corsaire allemand. Rentré chez lui, à Yverdon, il reçoit un appel de Melissa, inquiète de ne pas avoir revu JB depuis trois jours...

 

Plutôt que d'envoyer la clé USB découverte (avec une carte de l'archipel sur laquelle est tracé un arc de cercle) dans l'appartement en désordre de JB, Serge l'emporte avec lui, destination Christchurch, Île Sud de la Nouvelle-Zélande, où il fait la connaissance de Melissa. Il entreprend alors le périple qu'a fait avant lui JB: il aura le fin mot de l'histoire, après moult aventures...

 

Cette quête de Serge est en effet l'occasion de faire de bonnes et belles rencontres, celles de la petite Française Léa et de l'Allemande désabusée Sandra, et de mauvaises rencontres, celles de deux agents de l'État islamique et d'une Chinoise, adoptée par des Suisses, qui remplit des mandats un peu spéciaux pour un propriétaire de plusieurs boîtes de nuit...

 

Cette quête de Serge est aussi l'occasion pour lui de se débarrasser d'un complexe qui a pourri sa vie jusque-là, celui de loser malheureux: Je peux être un loser heureux. A condition que je ne me compare pas à mon père. Ni à mon frère. Ni à mon ex-femme. Au terme de ces deux semaines, il se connaît mieux lui-même et se fait deux sages promesses:

 

Premièrement, tu n'es pas obligé de réussir quoi que ce soit. Deuxièmement, tu as le droit de jouir de tous tes sens et dans toute situation.

 

Les voyages éprouvants ne forment pas seulement la jeunesse...

 

Francis Richard

 

Latitude noire, Gilles de Montmollin, 208 pages BSN Press

 

Livres précédents:

 

La fille qui n'aimait pas la foule, BSN Press (2014)

Pour quelques stations de métro, Mon Village (2013)

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1 février 2017 3 01 /02 /février /2017 22:45
Terreskin, de Maude FatBear

Impossible de ne pas faire le va-et-vient entre le livre et le site qui portent le nom de Terreskin, une île au milieu de nulle part dans l'océan 2.0, fruit de l'imagination fertile de Maude FatBear, pseudo de Maude Fattebert. Le livre permet de se fixer et de suspendre le temps, tandis que le site invite au mouvement et à son écoulement.

 

Alors, par où commencer? Si on commence par le site, on navigue comme dans le menu d'un DVD, en suivant des flèches, en cliquant sur des liens; on regarde des vidéos, qui en sont comme les chapitres, ou des photos oniriques qui en sont tirées; on lit des textes et on écoute de la musique. L'ensemble forme un tout insolite, fantasmatique.

 

C'est peu de dire que l'univers virtuel créé par Maude FatBear parle aux sens et que les personnages que l'on y rencontre sortent de l'ordinaire. Si donc on prend en mains le livre après avoir exploré sur la Toile ce pays dans tous ses méandres, celui-là apparaît comme l'album souvenirs de quelques-unes des impressions visuelles et auditives suscitées par celui-ci.

 

Si, au contraire, on commence par le livre, on a d'abord un beau livre entre les mains. Les textes apparaissent comme le récit, en cinq jours, d'un visiteur qui parcourt l'île (muni de la carte dessinée par Valérie Huser) dans tous ses recoins où il rencontre des êtres singuliers et découvre des paysages étonnants. Et on n'a pas envie de se contenter de cette mise en oeil et oreille.

 

En effet les photos de Maude FatBear et de Valérie Huser incitent à en savoir davantage. Les textes sont elliptiques et laissent sur sa faim, surtout si on a été ravi par leur tournure d'esprit. A la dernière page, on apprend l'existence du site. On ne se fait pas prier pour y faire un tour afin de faire plus ample connaissance avec ce curieux microcosme:

 

Peut-être que l'espace-temps déformé

fait tourner en boucle l'histoire de

l'île.

Comme des feuilles mortes

tourbillonnant dans le vent.

 

Francis Richard

 

Terreskin, Maude FatBear, 200 pages  Hélice Hélas

 

Une des vidéos de Terreskin publiées sur YouTube:

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31 janvier 2017 2 31 /01 /janvier /2017 23:55
Je suis mort le..., de Michel Bavaud

En écrivant à plus de huitante ans des survivances d'enfance et de jeunesse, je comprends mieux que "texte" veut dire "textile", une chaîne et une trame entrecroisées, tellement serrées qu'il y a apparence d'unité faite de réalités fort diverses.

 

Ainsi parle Michel Bavaud dans son livre de souvenirs, intitulé Je suis mort le..., qui est la dernière phrase du livre, comme s'il ne devait plus y avoir d'autres phrases après celle-là. Ce qui serait bien dommage, parce que le lecteur ne s'ennuie vraiment pas en lisant un tel auteur...

 

Sans vouloir l'offenser, l'auteur, son livre ne raconte pas spécialement de choses extraordinaires. Ce sont plutôt les choses de la vie d'un homme, qui, au soir de sa vie, se penche avec lucidité sur son passé. Mais ces choses prennent un tour extraordinaire sous sa plume d'humaniste trempé.

 

Né en 1932, à Echallens, village caricatural et double (y régnait une heureuse obligation oecuménique entre protestants et catholiques), Michel Bavaud n'a aucun souvenir de sa naissance...mais il a bien d'autres souvenirs, qui témoignent de l'époque de bouleversements qu'il a traversée.

 

Ainsi raconte-t-il son enfance, la guerre, l'école primaire, les sorties scolaires, les courses d'école, les deux responsables de sa formation, l'instituteur et le curé, les difficultés rencontrées à concilier foi et science, croire et savoir, le pensionnat Saint-Charles à Romont, le collège Saint-Michel à Fribourg.

 

Catholique, il fait sa première communion, sa confirmation, est instructeur de servants de messe, et même séminariste. Mais il se marie avec celle qu'il aimait déjà à quinze ans, enseigne, dirige l'École secondaire, l'École de commerce et l'École normale de jeunes filles de la ville de Fribourg.

 

Modeste, il dit ne pas avoir enseigné la littérature: ce sont les écrivains qui nous enseignaient, et je me retrouvais, disciple avec mes normaliens, lecteur de ces paroles vivantes qui, au cours des siècles, enrichissent nos esprits et nos coeurs et nous révèlent le monde.

 

L'Église va le décevoir, mais ce ne sont pourtant pas les déceptions ressenties envers elle qui vont le faire abandonner la foi: Les doutes se sont révélés de plus en plus impérieux et l'évidence de l'athéisme s'est imposée en toute tranquillité.

 

Il précise, un peu plus loin: Je n'ai pas d'explication du monde, mais je ne peux accepter les contradictions des religions prétendument révélées.

 

Devenu directeur d'école, il est exclu du syndicat des enseignants. Ayant repris l'enseignement à temps complet, le responsable du syndicat lui propose de le réintégrer, ce qu'il refuse: il n'accepte pas d'être à nouveau humilié par ce mépris de [son] libre arbitre.

 

Coauteur d'une initiative visant à décriminaliser l'objection de conscience, il encourt les sarcasmes des membres des partis devant lesquels il la présente. Il n'a pourtant jamais été objecteur lui-même, parce qu'il avait vécu le temps où la Suisse était cernée par des armées en guerre:

 

Mais je ne supportais pas et ne supporterai jamais cette stupidité de condamner non seulement les objecteurs qui transgressaient une loi par fidélité à leur conscience, mais aussi ceux qui militaient  pour une amélioration de l'obligation de servir le pays.

 

Il va s'engager en politique, sur de petites listes, alors qu'il est sollicité par plusieurs partis existants: Mon ego en fut certes flatté, mais ma tête libérale, mon coeur socialiste, ma conscience chrétienne-sociale et mon tempérament anarchiste, ne pouvaient se résoudre à entrer dans un quelconque parti. 

 

Dans ce livre de souvenirs qui fait le tour de sa vie en quatre-vingts ans, Michel Bavaud parle avec chaleur de ses enfants, de ses petits-enfants, de ses arrière-petits enfants, auxquels il le dédie, mais aussi de ses nombreux amis qui, hélas, à l'âge qu'il a, meurent de plus en plus souvent. Il confesse:

 

Je n'ai pas la foi et je m'en réjouis, mais évidemment qu'il y a des jours où j'aimerais l'avoir, à chaque fois que je suis confronté à la disparition de ceux que j'aime. S'il y avait une vie après la mort, je pourrais les retrouver. J'ai tant de choses à leur dire, tant d'explications à leur demander.

 

A la fin de son livre Michel Bavaud remercie tous ceux qui ont embelli, enrichi, poétisé [sa] vie. Parmi eux il y a son chien. Plus haut, il lui consacre, à l'époque où il est directeur, un passage irrésistible, qu'il faut donc citer et qui est révélateur de son humour et de sa vision du monde:

 

Le matin, quand mon chien me promenait, je voyais bien dans son regard qui croisait le mien qu'il se foutait complètement de savoir si je suis beau ou moche, si je suis jeune ou vieux [...] si je suis conservateur ou radical, si je suis intelligent ou stupide, si je suis catholique ou musulman [...].

 

Il ajoute: Il m'aimait comme je suis et ne me demandait pas de justifier mon existence ou ma présence. Je crois que mon chien avait raison. A sa manière, il me rappelait que l'essentiel se libère de ces différences négligeables.

 

Francis Richard

 

Je suis mort le..., Michel Bavaud, 240 pages, Editions de l'Aire

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25 janvier 2017 3 25 /01 /janvier /2017 23:00
Chaleur, de Joseph Incardona

Le samedi 7 août 2010, la finale du dernier Championnat du Monde de Sauna, à Heinola, à 138 km au nord d'Helsinki, se termine de manière tragique. A partir de ce fait divers insolite, Joseph Incardona imagine l'histoire d'un roman torride, où les protagonistes se mettent en situation extrême. Ce sera Chaleur.

 

En 2016 deux hommes se retrouvent pour la quatrième fois consécutive face à face lors de cette compétition, que d'aucuns, à raison, jugent débile, mais qui permet d'oublier l'isolement de l'hiver et de fêter l'été: le Russe Igor Azarov, 60 ans, 1 mètre 59 pour 58 kilos, et le Finlandais Niko Tanner, 49 ans, 1 mètre 89 pour 110 kilos. 

 

Cette compétition d'endurance se déroule sur quatre jours, du jeudi au dimanche: un premier tour, un deuxième, les demi-finales et la finale. Sont inscrits 102 compétiteurs cette année 2016. Il n'en restera que 5 pour disputer la finale. Seules les qualifications se font à une température de 90°C, sinon, c'est 110°C...

 

La veille du premier tour, Niko et Igor, au bar de l'hôtel, s'affrontent du regard et verbalement: Chez l'homme, la peau est un organe qui mesure deux mètres carrés et pèse cinq kilos. Il n'y a rien d'autre et ils le savent. Ça se jouera à quelques secondes près. Igor tient absolument à ce que Niko soit au rendez-vous.

 

En effet Niko a remporté trois fois la compétition, en 2013, 2014 et 2015. Ces trois années-là, Igor a été son vice-champion et il compte bien cette fois prendre sa revanche. Avant leur joute au bar, Igor gâchait le plaisir de Niko d'être adulé par les autres, parce que ce nain de Russe ne lui prêtait aucune attention...    

 

Au-delà du physique, tout oppose les deux hommes. Niko est une star du porno et est doué pour trois choses: la picole, la baise. Et la chaleur. Ancien sous-marinier, Igor a les qualités requises pour ne pas paniquer lors de plongées à 1500 pieds de profondeur... Tous deux se préparent bien différemment...

 

Igor a une fille, Alexandra, qu'il n'a pas vue depuis 15 ans. Alors que la compétition bat son plein, elle reçoit un appel du Docteur Darius, qui lui apprend l'engagement de son père dans ce championnat absurde, qui exige cependant des capacités hors-normes. Il lui annonce qu'il gagnera mais qu'il mourra...

 

Igor et Niko sont peut-être très dissemblables, mais ils ont un point commun qui les fait finalement avoir de l'estime l'un pour l'autre: ils veulent tous deux aller au bout d'eux-mêmes et l'auteur fait monter la température pour qu'ils puissent en administrer la preuve incontestable en faisant transpirer le lecteur.

 

Francis Richard

 

Chaleur, Joseph Incardona, 160 pages Finitude

 

Livres précédents:

Permis C, 232 pages, BSN Press (2016)

Derrière les panneaux il y a des hommes, 288 pages, Finitude (2015)

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23 janvier 2017 1 23 /01 /janvier /2017 22:45
La Suisse est un village, Collectif

Ce n'est pas tellement l'esprit des lieux qui nous est révélé ici, mais l'âme des villes, écrit l'éditeur dans son préambule.

 

Que serait l'âme des villes sans l'âme de ceux qui y ont vécu, y vivent ou y vivront? C'est pourquoi ce petit voyage en Helvétie, en dix-huit escales - celle de Lausanne est double -, est une riche idée. Il permet de la visiter sans guide ni raison, juste pour l'impression.

 

Les dix-huit auteurs y disent en effet ce que la ville de leur coeur évoque pour eux et c'est beaucoup, quelle que soit la forme que prend cette évocation: ils sont bien sûr tous différents, mais en même temps semblables, comme les habitants de tout village.

 

Pour donner une impression, même réductrice, de ces dix-huit textes rangés sagement par ordre alphabétique de lieux, pourquoi ne pas en extraire un court passage de chacun, hors contexte, parce que tel est mon bon plaisir de lecteur?

 

Berne, par Madeleine Knecht

Habituellement les Bernois parlent leur dialecte et écrivent l'allemand qu'ils n'appellent pas Hochdeutsch, mais Schrifftdeutsch. Leur dialecte ne leur paraît pas une langue bâtarde, c'est simplement celle qu'ils parlent, par opposition à celle qu'ils écrivent.

 

Bienne, par Bertrand Baumann

O Biel/Bienne, ville aux deux haches, ville aux deux langues, ville aux deux visages, l'un tourné vers le passé et l'autre vers l'avenir.

Je pourrais dire de toi ce que disait Robert Walser à son retour ici après un long séjour à Berlin: "Der Ort erschien ihm lieblich wie nie zuvor." A moi aussi, "le lieu (me) parut aimable comme jamais auparavant.

 

Carouge, par Alphonse Layaz

Les plans estampillés "Projet Urbs Helvetia: Anselme Rouige architecte" étaient enroulés, tracés à l'ancienne, à la main, d'un trait vigoureux. Des plans que je pouvais déplier sur ma table, que je pouvais apprécier pour leur beauté esthétique à la manière dont on admire une partition d'Igor Stravinsky ou dont on flâne dans les dédales d'une page de Victor Hugo où les ratures sont les carrefours hésitants de la pensée.

 

Château-d'Oex, par Pierre Yves Lador

L'amour d'une ville, d'un lieu, est toujours lié, pour moi, à une femme ou à la femme, Coire, Madrid, Lausanne...

Château-d'Oex est le corps de cette femme que je contemple de la nacelle du ballon à air chaud qui m'emporte au ciel, mollement étendue avec ses éminences et ses vallons, ses arbres et ses rus sur les flancs de la Sanne.

 

Genève, par Isabelle Leymarie

Je retrouvais parfois Haldas dans un autre café, boulevard des philosophes, où je lui récitais en espagnol des poèmes de Garcia Lorca, en échange de quoi il m'en récitait de Georges Seferis, et où il me fit découvrir l'un de mes livres préférés de la littérature suisse: Le pauvre homme de Toggenbourg, d'Ulrich Bräcker.

 

La Chaux-de-Fonds, par Grégoire Müller

Tout le monde se croise ici, sans façon. Et pas question de communautarisme, c'est trop petit pour se faire des enclaves. Nous partageons tous le même territoire, les mêmes lieux publics; les préjudices s'érodent et disparaissent dans un melting pot de taille humaine.

 

Lausanne, par Annik Mahaim

Vidy par tous les temps. Quand les reflets de la pluie sur les allées goudronnées s'accordent au gris d'un ciel pommelé qui mange la Savoie. Quand le soleil se couche au milieu de l'après-midi en jetant des reflets roses sur la neige, à l'embouchure de la Chamberonne (rare: la neige tient rarement là en bas). Par la fraîcheur d'un matin de juin, un bain tonifiant en bleu et vert.

 

Lausanne, par Olivier Sillig

Le petit groupe est sur le point de croiser deux hommes, dont l'un a la main tendrement posée sur l'épaule de l'autre.

- N'importe quoi, ces pédés! ajoute l'homme à la canette.

Mais arrivé à leur hauteur, il se tait soudain. Il vient de découvrir qu'en fait il s'agit d'un aveugle, la main posée sur l'épaule d'un voyant qui le guide.

 

Martigny, par Christophe Gaillard

Sur la plage où il se promenait quelque chose attira son attention. Il s'approcha et découvrit une bouteille de Williamine. Vide évidemment. Depuis trente ans il cherche à savoir comment une bouteille qui reprend sur son étiquette l'écusson de Martigny avait pu échouer sur une plage déserte du Pacifique.

 

Morges, par Jon Ferguson

Les terrasses du "Nautique" et de "La Fleur du Lac" ont été probablement construites par un dieu. Il aime s'y asseoir, boire un verre de vin et réfléchir sur le mystère de l'univers. L'autre jour, Dieu et moi, nous avons siroté un délicieux chasselas de mon Morges et on a décidé que plus nous pensons, plus grand est le mystère.

 

Moudon, par Cédric Pignat

Moudon, pourtant, est de ces villes où l'on revient, pour ses parents, pour son histoire et son microclimat, pour honorer les écrivains morts ou nés ici, ceux qui y vivent et qu'on oublie - Gustave Roud, Philippe Jaccottet, Monique et Jil Silberstein, Rafik Ben Salah -, comme les bistrots de la place ont oublié Chessex (...).

 

Neuchâtel, par Quentin Perissinotto

Une tiède lueur baigne la ville depuis les hauts de la Collégiale, les toits présentent leurs façades au soleil comme le baigneur s'empresse d'exposer son corps sur la plage, pour bronzer. C'est la fin du printemps, les mornes matins gorgés de bruine ont laissé place à un ciel certes encore timide de striures lumineuses, mais déjà piqué d'une ouate réjouissante.

 

Porrentruy, par Françoise Choquard

Les trottoirs de la ville occupaient une grande place dans mes souvenirs de garçon manqué. Sans même en être consciente, je marchais volontiers la tête baissée et bénissais les jours de pluie et leurs rigoles longeant les trottoirs. Le temps d'une averse, déjà je rêvais d'étangs, de rivières, de fleuves tranquilles pour mes bateaux de papier en route vers la mer.

 

Schaffhouse, par Christian Campiche

Au bout d'une impasse dans le vieux Schaffhouse, il est une taverne aux rustiques colombages. Bringolf avait coutume d'y emmener son rossignol. Sur la table près de la fenêtre, se consumait une bougie. Aujourd'hui encore, une flamme y brûle. Prêtez l'oreille, si vous l'en approchez! Vous entendrez un air lyrique s'évader de l'établissement. La voix de Maria Stader.

 

Sion, par Alain Bagnoud

Droit devant, l'ancien collège.

Ce bâtiment flanqué de deux ailes est devenu le Palais de Justice, sous surveillance vidéo 24h sur 24, annonce un écriteau près de l'entrée. Ce qui n'était pas le cas à mon époque, heureusement. Si certains des forfaits que j'ai commis dans ce lieu avaient pu être repérés et dénoncés, ils m'auraient valu un renvoi, ou pire...

 

Vallée de Joux, par Jean-François Berger

Et regardez le lac! On peut patiner dessus. Ça vous tente?!

Mauricio secoua la tête.

- J'en serais bien incapable! Et vous?

- J'adore patiner. Quand on habite la Vallée, on patine... c'est un peu comme jouer à la pétanque pour les Marseillais!

 

Vevey, par Maurice Denuzière

Quand, au crépuscule naissant, le ciel se teinta suavement de mauve, sur les Alpes de Savoie, et qu'un ténor entonna le Ranz des vaches, on vit des larmes aux yeux des Vaudois, pour qui ce chant a valeur d'hymne. Je compris alors pourquoi les officiers des mercenaires suisses, loués aux peuples en guerre, interdisait que l'on chantât ce Ranz des vaches, qui suscitait le mal du pays, voire la désertion.

 

Zürich, par Michel Chipot

L'hiver est en fait représenté par le "Böögg" - une espèce de croque-mitaine à l'apparence d'un bonhomme de neige. La tête du monstre que l'on exécute est bourrée d'explosifs et plus elle tarde à éclater plus l'été a de chances d'être pourri. Sans doute un "boum" spontané est-il plus prometteur qu'une langueur interminable ou encore un bois déjà sec par les premières chaleurs accélère-t-il la fin du "Böögg".

 

L'éditeur termine son préambule en ces termes:

Cosmopolite ou pas, la Suisse reste un village paisible.

 

Francis Richard

 

La Suisse est un village, 176 pages Editions de l'Aire

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22 janvier 2017 7 22 /01 /janvier /2017 17:15
Cortex, de Philippe Favre

L'Human Brain Project, HBP, est un projet de simulation du cerveau humain par un superordinateur, financé à hauteur d'un milliard d'euros par l'Union européenne. La direction de ce projet, d'une durée de dix ans, qui a débuté en 2013, a été confiée à l' EPFL, présidée alors par Patrick Aebischer.

 

A partir de ce projet bien réel, qui a notamment pour but de développer de nouvelles thérapies pour les maladies neurologiques, Philippe Favre a écrit une fiction palpitante, Cortex (sous-entendu cérébral), qui pourrait bien un jour devenir réalité. Mais le but d'un tel projet soulève des problèmes éthiques... 

 

Le président de l'EPFL, Aymeric Schubiger, supervise l'équipe de coordination du projet HBP, dirigée par le professeur Gregory Coleman. Au moment où commence l'histoire, cette équipe pluridisciplinaire travaille encore sur un échantillon de cerveau de rat dont l'activité électrique est enregistrée.

 

Cette équipe comprend entre autres Werner Schreier, biophysicien de Heidelberg, Ivo Silazi, analyste diplômé du MIT, Doug Johnson, recommandé par le Département américain de la santé, Stan Vermont, biologiste, Olivier Girnier, informaticien, et Malcolm Saudan, neuropsychologue.

 

Lana, la fille du professeur Coleman, est une jeune femme très indépendante. Sans être une tête brûlée, elle a besoin  d'éprouver l'intensité de l'existence, d'en rechercher les paroxysmes. En faisant du hors pistes dans une station valaisanne, Saint Luc - Chandolin, elle périt dans une avalanche.

 

Lana a une carte de dons d'organes. Après constat de son décès - son cerveau ne fonctionne plus -, tous ses organes sont en conséquence dispersés à la suite de l'admission de son corps au CHUV, où le professeur Franck Richon, ami de son père, dirige le Département des neurosciences. 

 

Gregory Coleman obtient toutefois de transférer la dépouille de sa fille dans laquelle ne subsiste plus que le cerveau à son centre genevois du HBP. C'est en effet une opportunité pour passer de la simulation informatique d'un morceau de cerveau de souris à la phase Human Code d'un cerveau humain.

 

Un IRM puissant est alors branché sur le cerveau de Lana. Tout à fait par hasard, celui-ci est stimulé par Malcolm Saudan qui, un soir, joue avec sa guitare Gibson, reliée à un ampli, à proximité du sarcophage dans lequel repose Lana Coleman, dont le cerveau n'était donc pas complètement éteint...

 

Fuites dans la presse, meurtres par essaims d'abeilles, piratages informatiques, communiqués menaçants d'opposants à l'expérience du HBP, débats télévisés, sont autant d'éléments qui font du roman de Philippe Favre un thriller haletant, posant de véritables problèmes existentiels, tels que le transhumanisme...

 

Rabelais ne disait-il pas: Science sans conscience n'est que ruine de l'âme?

 

Francis Richard

 

Cortex - En état de veille, Philippe Favre, 296 pages Favre

 

Livre précédent chez le même éditeur:

1352 - Un médecin contre la tyrannie

 

Philippe Favre est l'invité de Tulalu!? à la Médiathèque du Valais, à Sion, le jeudi 26 janvier 2017, de 18 heures 15 à 19 heures.

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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